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Des films de l'été 2024

  • Bravo : Le Roman de Jim (Arnaud et Jean-Marie Larrieu)
  • Bien : Les Fantômes (Jonathan Millet), La Prisonnière de Bordeaux (Patricia Mazuy), Gondola (Veit Helmer), A son image (Thierry De Peretti), Mon parfait inconnu (Johanna Pyykkö), To the moon (Greg Berlanti)
  • Pas mal : Emilia Perez (Jacques Audiard), Tehachapi (JR), Santosh (Sandhya Suri), El Profesor (Benjamin Naishtat, Maria Alché), Highway 65 (Maya Dreifuss), Un p'tit truc en plus (Artus), Maxxxine (Ti West)
  • Bof : Only the river flows (Wei Shujun), Le Comte de Monte Cristo (Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière)

LE ROMAN DE JIM (Arnaud et Jean-Marie Larrieu, 14 aou) LLLL
Jim est l'enfant de Florence, une femme aussi précaire socialement que libre intimement. Il est élevé dès sa naissance par sa mère et par Aymeric, une bonne pâte qu'elle a abordée alors qu'elle était déjà enceinte. Des années plus tard, le père biologique de Jim, devant surmonter un drame personnel inattendu, débarque à nouveau dans la vie de Florence... Les frères Larrieu changent de genre cinématographique à chaque film, tout en  continuant à ne pas faire comme tout le monde. Mais les provocations plus ou moins pertinentes des débuts ont laissé la place à une prenante maturité. Après avoir agréablement surpris avec une comédie musicale (Tralala), ils réussissent parfaitement un mélodrame qui joue très habilement des ellipses et de la rétention d'effets. Ils ont fait une petite infidélité à leurs Pyrénées pour inscrire l'action au coeur du Jura, comme dans le roman de Pierric Bailly, qu'ils transposent à l'écran. Le film est assez renoirien, dans le sens ou chacun a ses raisons (au départ, jusqu'à un certain point), mais savent inscrire leurs personnages singuliers (formidablement incarnés par Karim Leklou, Laetitia Dosch, Sara Giraudeau ou le chanteur Bertrand Belin) dans des paysages qui ne sont pas de simples décors.

LES FANTÔMES (Jonathan Millet, 3 juil) LLL
Deux ans après avoir été relâché en plein désert de la prison de Saidnaya, on retrouve Hamid en 2016, en train de travailler sur un chantier. Mais il consacre son temps libre à retrouver la trace d'un de ses tortionnaires, dont il n'a qu'une photo floue. Il ne peut d'ailleurs pas s'en remettre à la seule vue, lui qui avait la tête emprisonnée dans un sac lors des sévices. Jonathan Millet, venu du documentaire, connaît bien son sujet, mais a choisi la fiction pour rendre compte du traumatisme d'Hamid. Il emprunte de surcroît la forme du film à suspense plutôt que de la chronique. La tension et le trouble sensoriel qui traversent peu à peu les séquences proviennent de l'interprétation puissante mais singulière d'Adam Bessa, de presque tous les plans, mais aussi et surtout du travail sonore, toute la bande son, qui ne se réduit pas à la musique originale, inspirée, de Yuksek.

LA PRISONNIERE DE BORDEAUX (Patricia Mazuy, 28 aou) LLL
Alma (Isabelle Huppert) et Mina (Hafsia Herzi) sont deux femmes de milieu social opposé, mais qui ont en commun d'avoir un mari emprisonné. C'est à l'occasion d'un parloir qu'elles se rencontrent. Le début pourrait faire penser à une transposition du formidable documentaire A côté (2008) de Stéphane Mercurio, en traitant les problématiques de l'incarcération via une focalisation sur les conjointes. Patricia Mazuy, qui se doute que la fiction serait moins forte que le réel, choisit plus prudemment une voie plus romanesque, une histoire intime d'amitié percutée par les différentes dimensions du social (en particulier classe, "race" entendue comme construction sociale, et bien sûr genre). La cinéaste s'échappe néanmoins du pur naturalisme, en osant notamment un dénouement qui sort des sentiers battus.

GONDOLA (Veit Helmer, 24 juil) LLL
Le film se passe en Géorgie, autour de jeunes femmes employées dans un téléphérique qui relie deux villages au-dessus d'une vallée. Elles s'envoient des signes à chaque fois que les cabines se croisent. Le film est muet, mais sonore... et limpide. C'est un conte (n'essayez pas de reproduire les prouesses chez vous). Dans ce film, on ne sort pas les superlatifs, on ne va ni plus vite, ni plus fort, ni plus haut, on est plutôt dans la pure poésie visuelle, et c'est frais (agréable a fortiori par temps chauds). 1h22 de moments suspendus et de petits bonheurs. Après la disparition du grand Otar Iosseliani, dont le propre univers ne reposait pas davantage sur les dialogues, le cinéma géorgien (même si c'est une coproduction, avec un réalisateur allemand, Veit Helmer) continue de donner de savoureuses petites pépites...

A SON IMAGE (Thierry De Peretti, 4 sep) LLL
Même s'il dure un peu moins de deux heures, le nouveau film de Thierry De Peretti, adapté d'un roman de Jérôme Ferrari, tient de la fresque, en observant comment Antonia, une jeune photo-journaliste recrutée par Corse-Matin, va traverser les années 1980 et 1990 ponctuées par la violence politique. Un des intérêts de l'oeuvre est de corsifier le regard, en donnant accès à des points de vue peu présents ou peu développés en métropole. Il "n'excuse" rien, mais montre les tragédies endurées par les peuples voulant légitimement disposer d'eux-mêmes. La forme n'est pas forcément aussi ample que le fond, mais il y a du romanesque dans ce récit, à travers les amours et amitiés de la jeune femme (Clara-Maria Laredo, en tête d'un casting majoritairement corse).

MON PARFAIT INCONNU (Johanna Pykkö, 24 juil) LLL
Oslo de nos jours. Une jeune fille un peu menteuse tombe un soir sur un homme blessé à la tête et amnésique. Elle lui fait croire qu'ils sont ensemble. Plus précisément, comme l'a finement écrit Thomas Fouet dans les Fiches du cinéma (dommage d'écrire après), il s'agit de la rencontre entre "celle qui n'avait pas de vie (et s'en inventa une)" et "celui qui en était encombré (et s'en vit soulagé)". Il y a une tension, dans la vérité et les faux semblants de cette relation, peut-être parce que les deux personnages constituent pour des raisons différentes des pages blanches à remplir. Formidablement incarnés (par Camilla Godo Krohn et Radoslav Vladimirov), un peu imprévisibles, ils sont scrutés à la bonne distance par la réalisatrice Johanna Pykkö, dont c'est le premier long métrage.

TO THE MOON (Greg Berlanti, 10 juil) LLL
Le film raconte de façon romancée la préparation de la mission Apollo 11 (le vol habité qui a atterri sur la Lune), et joue de l'opposition entre le directeur du centre spatial, un scientifique pour qui la vérité et la rigueur intellectuelle sont des boussoles, et une sorte de tueuse dans le marketing, en charge de susciter des levées de fonds pour le projet. Même si son rôle est donc douteux, on est heureux de voir Scarlett Johansson dans un rôle de femme (in)humaine. Coproductrice du film, elle réussit presque, par son aplomb, à l'instar de son personnage, à faire passer ce petit film malin, plutôt ironique (avec l'aide du cabotinage de Woody Harrelson en second rôle) pour une sorte de classique instantané.

EMILIA PEREZ (Jacques Audiard, 21 aou) LL
Un narcotrafiquant mexicain engage une jeune avocate d'un cabinet (peu regardant sur les personnes qu'il défend) pour trouver les médecins qui l'aideront à changer de sexe... et peut-être de vie. Entièrement tourné en studio, le film témoigne d'une recherche esthétique à chaque plan, ou au moins chaque numéro. Car il s'agit d'une comédie musicale ! La principale réserve concerne les chansons (signées Camille et Clément Ducol) : s'il est de coutume dans ce genre cinématographique qu'elles traduisent l'état d'âme des protagonistes, ici elles semblent trop explicites, trop claires pour un film noir. Jacques Audiard fait néanmoins mieux que ses derniers films, et le prix collectif d'interprétation reçu à Cannes (Karla Sofia Gascon, Zoe Saldana, Selena Gomez et Adriana Paz) est mérité.

TEHACHAPI (JR, 12 juin) LL
L'artiste JR fait le pari d'une installation dans la prison américaine de haute sécurité de Tehachapi, en faisant participer des détenus ultraviolents. Il porte aussi un regard sans concession sur le système américain (20 % des détenus dans le monde, sur moins de 5 % de la population mondiale), sur l'absurdité des très longues peines qui ne rendent pas la société plus sûre pour autant. L'initiative a semble-t-il eu des effets bénéfiques, mais le commentaire pro domo en fait un peu trop dans le solutionnisme. L'enthousiasmant Visages villages ne suscitait pas ces réserves, peut-être car la personnalité d'Agnès Varda faisait contrepoids à celle de JR.

SANTOSH (Sandhya Suri, 17 juil) LL
Santosh est le prénom d'une épouse d'un policier qui a perdu la vie dans une opération. Elle bénéficie du dispositif dans la législation indienne dit de "recrutement compassionnel", et accède au poste de son mari pour le remplacer. Elle apprend les ficelles du métier avec une enquête sur une adolescente assassinée. Incidemment, le film traite du système de caste ou du racisme religieux (un garçon musulman fait office de coupable idéal). Santosh est confrontée à la corruption et à la violence au sein de la police, et n'en sortira pas forcément immaculée. Prévenons qu'il y a au coeur du film une scène insoutenable : fallait-il vraiment la filmer de la sorte ?

EL PROFESOR (Benjamin Naishtat, Maria Alché, 3 juil) LL
Suite au décès de son mentor, un professeur de philosophie convoite la chaire ainsi libérée, mais se retrouve en concurrence avec un collègue m'as-tu-vu et charismatique, ayant fait carrière en Europe et en couple avec une actrice célèbre. Cette sorte de comédie de caractères prend petit à petit des notes de satire politique (véritable antidote, de ce point de vue, à L'Avenir de Mia Hansen-Love). Dommage que le trait utilisé soit moins précis, moins fin que dans Rojo, le précédent film du coréalisateur Benjamin Naishtat.

HIGHWAY 65 (Maya Dreifuss, 31 juil) LL
Trop indépendante sur les plans professionnel et personnel, Daphna est mutée de Tel-Aviv à la petite ville d'Afula, où elle enquête sur la disparition d'une ancienne reine de beauté. L'intrigue la conduit à se confronter à une famille de notables... Dès le début, la composition des plans laisse présager le meilleur, tout comme la forte personnalité de son héroïne, pas incompatible avec un côté burlesque involontaire. Mais le scénario n'est pas franchement à la hauteur, et la critique sociale de ce pays si particulier, militarisé à l'extrême dans le déni du droit international, est à peine effleurée.

UN P'TIT TRUC EN PLUS (Artus, 1er mai) LL
Phénomène au box-office, le film raconte l'histoire de deux braqueurs qui, suite à un concours de circonstances, se cachent dans un bus qui emmène en vacances des personnes en situation de handicap mental. C'est une comédie dont on sent les coutures à chaque instant. Grâce à la générosité des interprètes, valides comme non valides, on peut s'attacher aux personnages, même s'ils semblent enfermés par une écriture un peu vieillotte dans une ou deux caractéristiques propres. Malgré toute cette artificialité, l'émotion suscitée peut être tout à fait réelle. Sert-elle la cause ? Certaines associations déplorent l'édulcoration des difficultés rencontrées dues au validisme de nos sociétés, d'autres saluent l'intention inclusive du scénario et du tournage.

MAXXXINE (Ti West, 31 juil) LL
Années 1980. Maxine est une jeune actrice qui s'est fait connaître dans le porno, mais souhaite faire carrière dans le cinéma traditionnel. Et passe un casting pour un film d'horreur. Mais dans le réel un agresseur de jeunes femmes rôde... Le jeu très étrange de Mia Goth, qu'on avait déjà repérée dans X, le premier film de cette sorte de saga, est le principal atout de ce nouvel opus de Ti West. Il rend un hommage non patriarcal aux pères du genre (Hitchcock, De Palma). Certaines séquences sont plutôt bien mises en scène, mais malheureusement mal servies par un manque de finesse général dans l'écriture...

ONLY THE RIVER FLOWS (Wei Shujun, 10 juil) L
Une intrigue policière située dans les années 1990, en Chine, après le meurtre d'une vieille femme dans une petite commune, et un fou vite désigné comme coupable... Les policiers investissent une salle de cinéma désaffectée comme QG. Le film crée de belles promesses, mais peine à les tenir. Et semble virer au formalisme vain lorsque l'onirisme prend le dessus sur un scénario qui de toute façon n'arrivait pas à convaincre totalement...

LE COMTE DE MONTE CRISTO (Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière, 26 juin) L
Edmond Dantès, emprisonné après une accusation à tort de trahison, finit par s'évader, avec une soif de vengeance envers ses ennemis... Le scénario, adapté d'Alexandre Dumas, aurait dû captiver, mais le récit souffre d'une réalisation à la truelle. Le souffle recherché est éventé par des centaines de plans filmés au drone sur fond de musique pompière. Cet emploi de grands moyens n'arrive jamais à créer une grande mise en scène. Dommage.

Version imprimable | Films de 2024 | Le Mercredi 28/08/2024 | 0 commentaires




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