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Mon festival La Rochelle cinéma 2024

28) * GOLDEN EIGHTIES (Chantal Akerman, 1986)

Chantal Akerman aime prendre des risques, au risque de se planter. Disons que ce film n'est à montrer ni à ses détracteurs ni à ceux des comédies musicales. La sororité au sein d'un salon de coiffure pour dames et d'une boutique de prêt-à-porter était un bon sujet. L'hétérogénéité du casting, de Lio à Myriam Boyer, était également une bonne idée. Le résultat est très « girly » (dans le sens le plus cliché du terme), les chansons inabouties ou à l'humour forcé. Dommage aussi que l'on entende parler de crise, de « charges », et via la bouche de Delphine Seyrig ou de Charles Denner, que les causes de celle-ci (la crise) seraient à chercher dans celles-là (les « charges »). Denis Kessler n'aurait pas dit mieux.

27) ** COMMENT TUER UN JUGE (Damiano Damiani, 1977)

Un cinéaste décide de mener sa propre enquête sur l'assassinat d'un juge sicilien soupçonné de corruption, crime qui semble décalqué de la dernière scène de son film, qui vient de sortir en salles... Ce film italien offre à Françoise Fabian un rôle magnifique et ambigu. Pour le reste, le scénario est à la limite de la vraisemblance, dans une mise en scène tout juste fonctionnelle (et sans doute déjà vieillotte à l'époque : les films de Boisset étaient plus convaincants).

26) ** LE SINGE (Aktan Abdykaylykov, 2002)

Chronique d'inspiration autobiographique, qui montre un garçon de 17 ans, au mitan des années 1970, dans un village de Kirghizie soviétique (devenu Kirghizstan à l'indépendance). Bientôt appelé pour effectuer son service militaire, il navigue à vue entre un père alcoolique, les bandes de garçons de son âge, et le mystère des jeunes filles. Si les plans sont plutôt adroitement composés (le réalisateur ayant une formation de peintre), ils sont assez lents, et l'ensemble est assez convenu, en dépit de l'interprétation du jeune homme par le propre fils du cinéaste.

25) ** DE L'AUTRE COTE (Chantal Akerman, 2003)

Chantal Akerman interroge d'abord des mexicains candidats à l'émigration aux Etats-Unis, et, à la fin de son film, des américains riverains de la frontière. Le titre doit donc s'entendre dans les deux sens. Entre les deux, des travellings ou des plans qui paraissent interminables, sur des points de passage surveillés comme les abords d'une prison par d'immenses projecteurs, mais aussi sur des endroits désertiques et à la nature hostile (on pense au Vent de Victor Sjöström), beaucoup plus meurtriers pour les candidats au passage, ce que confirment les témoignages ultérieurs. Le sujet, important, nécessitait-il un montage qui demande patience aux spectateurs, comme dans certaines de ses fictions, alors que dans un documentaire les prises de vues sont par nature moins élaborées en amont ?

24) ** PARTIE DE CAMPAGNE (Jean Renoir, 1936)

Petite parenthèse bucolique passée à la campagne, pour une famille de petits bourgeois parisiens. Tiré d'une nouvelle de Maupassant, un exercice de style très pictural (ce qui a beaucoup été souligné), même si son aura me semble surfaite. Le moyen-métrage, sorti en salle dix ans après son tournage dans une version non supervisée par l'auteur, me semble loin d'égaler ou de dépasser La Grande Illusion ou La Règle du jeu. Et d'ailleurs que montre-t-il : dialectique entre passion et raison, ou bien le fait que la passion n'était pas si consentie ? Sa re-sortie en salles permet en tout cas d'exhumer un formidable court-métrage réalisé pour la télévision en 1968, La direction d'acteurs par Jean Renoir, formidable leçon à laquelle se prête la comédienne et réalisatrice Gisèle Braunberger, sur la méthode par laquelle un(e) interprète doit trouver son rôle selon le cinéaste.

23) ** EL PROFESOR (Benjamin Naishtat, Maria Alché, 2024)

Suite au décès de son mentor, un professeur de philosophie convoite la chaire ainsi libérée, mais se retrouve en concurrence avec un collègue m'as-tu-vu et charismatique, ayant fait carrière en Europe et en couple avec une actrice célèbre. Cette sorte de comédie de caractères prend petit à petit des notes de satire politique (véritable antidote, de ce point de vue, à L'Avenir de Mia Hansen-Love). Dommage que le trait utilisé soit moins précis, moins fin que dans Rojo, le précédent film du coréalisateur Benjamin Naishtat.

22) ** ALL WE IMAGINE AS LIGHT (Payal Kapadia, 2024)

Portrait de femmes indiennes qui aspirent à accorder leurs vies à leurs désirs. C'est un joli film, avec peu de traits narratifs (d'ailleurs certaines coïncidences interrogent). La simplicité formelle tranche avec le faste bollywoodien, tout comme avec le bruit et la fureur d'une partie des films d'auteur programmés dans les grands festivals internationaux. Le Grand-Prix cannois est peut-être taillé un peu trop grand pour lui. À revoir à tête reposée à sa sortie.

21) ** LA CAPTIVE (Chantal Akerman, 2000)

Transposition contemporaine de La Prisonnière de Marcel Proust. Principale réserve : pourquoi situer absolument l'histoire dans un milieu aussi haut perché (appartement parisien immense avec domestique, voiture avec chauffeur, oisiveté du couple, qui se vouvoie même dans l'intimité) ? Le duo entre une captive sans barreaux, qui fait mine de se satisfaire de son sort, et son mari, une sorte de pervers narcissique hyper-jaloux mais feutré, qui ne cesse de la prendre en filature, bénéficie des interprétations singulières mais convaincantes de Sylvie Testud et Stanislas Mehrar. Le reste de la distribution est également à saluer : les apparitions fugaces de Aurore Clément, Anna Mouglalis ou Bérénice Bejo sont savoureuses. Le film frôle donc l'artifice, mais ne manque pas de style.

20) ** TU M'APPARTIENS ! (Maurice Gleize, 1929)

Un des derniers éclats du cinéma français muet. Boudé à sa sortie, il réunit pourtant deux stars du cinéma européen des années 20 : Francesca Bertini et Rudolf Klein-Rogge. On dirait un film noir, un peu misogyne (avec femme fatale), tel que le cinéma parlant en produira quelques temps plus tard. Un fugitif qui vient d'être démasqué doit éviter de se faire prendre pendant les dernières 24 heures précédant la prescription de son délit d'évasion. Cette course-poursuite et course contre-la-montre est haletante, bien accompagnée par le trio jazz autour d'Alvaro Bello, qui compense une mise en scène habile mais impersonnelle, et assez dénuée de style par rapport aux joyaux de l'époque. Les plans sur les horloges anticipent néanmoins ceux du Temps sans pitié de Kazan.

19) ** MERLUSSE (Marcel Pagnol, 1935)

Film rare de Pagnol, peut-être parce qu'il n'y a aucune vedette (on reconnaît néanmoins Jean Castan, qui jouera quelques années plus tard le frère de Fernandel dans Le Schpountz). Un éducateur mal aimé est chargé de prendre en charge des adolescents que leurs familles ne sont pas venus chercher pour Noël. Le scénario semble avoir inspiré, bien des décennies plus tard, Alexander Payne pour Winter break. Si beaucoup d'éléments ont vieilli, la dernière partie est savoureuse. On y retrouve l'optimisme et l'humanisme populaire de l'auteur.

18) *** LE VILLAGE MAUDIT (Florian Rey, 1930)

Dans les derniers feux du cinéma muet, un drame rural situé au début du 20ème siècle, dans un village de Castille. Les mauvaises récoltes sèment misère et famine (les programmatrices du festival ont peut-être décelé en cela une convergence avec certains éléments thématiques chez Pagnol), et poussent les habitants à l'exode, même s'ils doivent perpétuer les traditions et sauver « l'honneur » patriarcal. Des scènes épiques ou intimes, idéalement accompagnées au piano par Jacques Cambra.

17) *** NAPOLEON VU PAR ABEL GANCE (Abel Gance, 1927)

Napoléon vu par Abel Gance, dans le fond, c'est la reconstitution d'un roman national... de droite, certes référencé (comme l'indiquent les intertitres) mais biaisé (aucune explication de contexte sur la violence politique des années 1793-1795, par exemple). Un biopic hagiographique qui couvre la période 1780-1796, d'une bataille de boules de neige à l'école de Brienne jusqu'au début de la campagne d'Italie. Cette « grande version » a une durée hors normes (plus de sept heures), qui traduit moins un souci de nuances ou d'approfondissement qu'une volonté de proposer un spectacle total, semblable aux péplums internationaux, avec des morceaux de bravoure opératiques à la production démesurée (une échappée au large de la Corse par une mer déchainée, le siège de Toulon dans des conditions exécrables), avec une inventivité hors norme (surimpressions, « polyvision »...). Mais l'épopée la plus intéressante, qui aurait mérité un film à part entière, est celle de la restauration de l'œuvre...

16) *** ANGELE (Marcel Pagnol, 1934)

Deuxième long métrage réalisé en solo par Marcel Pagnol (Marius et Fanny furent officiellement réalisés respectivement par Alexander Korda et Marc Allégret). Deuxième adaptation par Pagnol d'un autre auteur méridional, Jean Giono. Si Orane Demazis assure le tragique du rôle-titre, Fernandel, dont c'était la première collaboration avec l'auteur, allège un peu le drame avec son emploi de simplet au grand cœur. Le tournage de larges scènes en extérieur, et la prise de son direct taperont dans l'œil et l'oreille de Godard. Drame du patriarcat, que ce soit dans la perdition à la ville, ou dans l'importance de l'honneur à la campagne.

15) *** LA BONNE ANNEE (Claude Lelouch, 1973)

Le film commence par des extraits de Un homme et une femme (on est jamais si bien servi que par soi-même), projeté aux détenus d'une prison, dont Lino Ventura. Libéré à la nouvelle année grâce à une remise de peines, il retrouve un complice à Nice, et prépare longuement le « casse psychologique » d'une bijouterie. Et rencontre l'antiquaire voisine, une femme libérée mais vulnérable incarnée par Françoise Fabian. La mise en scène n'a pas forcément la même rigueur que la Mélodie en sous-sol d'Henri Verneuil. Mais la fantaisie, délivrée d'une vraisemblance impérative, est relevée, et les acteurs (dont le méconnu Charles Gérard) magnétiques.

14) *** LA CLEPSYDRE (Wojciech Has, 1975)

Dès le trajet dans un train lugubre, on pressent que ce film ne sera pas comme les autres. Venu retrouver son père dans un sanatorium étrange, le personnage principal est accueilli, dans des locaux sinistres maculés de toiles d'araignées, par un médecin lui expliquant que le temps dans ce lieu est décalé dans le passé. Ce n'est que le début d'une aventure dans une fantasmagorie sombre et grouillante, à côté de laquelle les œuvres de David Lynch ne seraient que d'aimables plaisanteries commerciales. Les autorités polonaises n'ont pas lésiné sur les moyens, et ont financé toutes les visions de l'auteur, même si le résultat n'a sans doute pas grand chose à voir avec ce qu'elles avaient imaginé.

13) *** DAHOMEY (Mati Diop, 2024)

Vingt-six œuvres d'art, pillées avec des milliers d'autres en 1892, sont restituées par la France à l'actuel Bénin. Mati Diop (Atlantique) filme leur trajet, de leur point de vue, visuellement mais aussi par une puissante voix off imaginant leur intériorité. Dans une dernière partie, Mati Diop laisse la parole aux premiers et premières concernées, en organisant un débat public et radiophonique entre étudiants de divers disciplines de l'université d'Abomey Calavi. Un contrepoint idéal aux commentaires paternalistes et eurocentrés des médias occidentaux, encore imprégnés d'idéologie coloniale. Petit film par sa durée (1h08), mais vraie réussite (Ours d'or au festival de Berlin 2024).

12) *** LES RENDEZ-VOUS D'ANNA (Chantal Akerman, 1978)

Une cinéaste sillonne l'Europe (Allemagne, Belgique, France) pour accompagner son dernier film. Contrairement aux films contemporains d'Hong Sang-soo, la profession de la protagoniste (Aurore Clément, véritable alter ego de Chantal Akerman) est assez anecdotique, dans la mesure où on ne la voit que dans sa vie personnelle. Mis à part quelques travellings, les personnages évoluent dans des plans fixes géométriques, avec souvent des symétries. Une expression m'est venue pour tenter de raccorder ce parti pris formel au fond : et si c'étaient des lignes de fuite qu'Akerman avait filmées ainsi ? Cette sophistication tout sauf spontanée de la forme aboutit paradoxalement à des émotions non fabriquées (bien au-delà de la seule satisfaction esthétique).

11) *** VICTIMES DU PECHE (Emilio Fernandez, 1952)

Le pluriel du titre renvoie à la fois à une danseuse d'un cabaret interlope (qui fait aussi maison de passe), et au bébé abandonné (dans une poubelle !) qu'elle recueille. Ce film mexicain ressemble, en un peu plus chaloupé, aux films noirs que Hollywood cesse de produire à l'époque, suite au maccarthysme. Un drame social et féministe, ponctué de séquences musicales énergisantes : l'interprétation de Ninon Sevilla, femme forte dans la vie et à l'écran, fait passer son personnage d'un statut victimaire à une héroïne essayant d'arracher la possibilité de prendre son destin en main.

10) *** SALUT L'ARTISTE (Yves Robert, 1973)

Très bonne surprise que cette évocation des sans-grades du music-hall. Alors, certes, on pourra trouver par moments des côtés très « male gaze » dans l'écriture d'Yves Robert et Jean-Louis Dabadie (le film échouant par exemple au test de Bechdel). Difficile de ne pas reconnaître simultanément que les deux scénaristes ont offert à Françoise Fabian le rôle d'une magnifique femme indépendante, qui tient tête à la misogynie du personnage incarné par Marcello Mastroianni, qui cabotine très bien avec Jean Rochefort. La mélancolie fine des personnages est superbement accompagnée par la musique de Vladimir Cosma, et ses arrangements jazzy (exécutés notamment par Toots Thielemans).

9) *** BENNY'S VIDEO (Michael Haneke, 1993)

Conte moderne cruel, dans lequel Michael Haneke interroge la consommation des images, particulièrement celles de violence. Il montre un jeune homme, grand amateur compulsif de vidéos (au point qu'une caméra filme la rue depuis la fenêtre de sa chambre, qui reste fermée : il ne lui viendrait pas à l'idée de regarder directement la vue). Il invite chez lui une jeune fille, avec qui il partage cette fascination, et la tue accidentellement. Il ne montre pourtant aucun sentiment de culpabilité. Mais le plus glaçant, c'est que ses parents sont peut-être encore pires, en témoignent les paroles ahurissantes prononcées par le père. L'autre outil de Haneke, c'est sa mise en scène. La violence contre les personnes est hors champ, mais les cadrages et la bande-son sont pourtant implacables (Bertrand Tavernier s'en souviendra pour L'Appât, quelques années plus tard).

8) *** UNE CERTAINE RENCONTRE (Robert Mulligan, 1964)

Un nouveau drame romantique dans la carrière de Natalie Wood, après La Fièvre dans le sang. Mais si le beau film de Kazan était d'un classicisme très travaillé, le film de Robert Mulligan, bien qu'en noir et blanc, fait plutôt le choix de la modernité, dans la forme comme dans le fond. Il y est question d'une aventure sans lendemain, mais qui débouche sur une grossesse, de l'avortement (qui n'était pas encore autorisé), des responsabilités à assumer, des formes que peut prendre l'amour, loin des clichés idylliques. En s'aidant notamment de gros plans magnifiques, la caméra de Robert Mulligan saisit les moindres inflexions des jeunes adultes en devenir, interprétés par Steve McQueen et donc Natalie Wood, qui accède enfin à un rôle plus mûr.

7) *** ERNEST COLE, PHOTOGRAPHE (Raoul Peck, 2024)

Raoul Peck alterne fictions documentées et documentaires très narratifs. Ce film-ci, Œil d'or au dernier festival de Cannes, fait partie des seconds. Ernest Cole est le premier photographe sud-africain à avoir montré au monde entier la réalité de l'apartheid. Raoul Peck livre en voix off le point de vue de Cole, en se basant sur son livre House of Bondage, publié en 1967, et qui lui vaut son exil aux Etats-Unis, mais aussi aux propos rapportés par ses proches. La plupart des images, parfois analysées avec précision, proviennent de dizaines de milliers de négatifs pris par Cole lui-même, et découverts en 2017 dans le coffre d'une banque suédoise. Méditation puissante, et nécessaire par les temps qui courent, sur l'apartheid, le racisme colonial, et l'exil.

6) *** LE SCHPOUNTZ (Marcel Pagnol, 1938)

Marcel Pagnol oppose la simplicité populaire de son petit théâtre méridional à une équipe de cinéma parisienne, condescendante, qui décide de faire une farce au personnage interprété par Fernandel, un jeune villageois fils d'épicier, qui prétend avoir un don d'acteur (voir l'irrésistible exercice de style, digne de Queneau, sur la phrase « Tout condamné à mort aura la tête tranchée »). Si le personnage est drôle, on ne rit jamais à ses dépens, contrairement aux snobs. Et si les dialogues sont succulents, la mise en scène ne l'est pas moins, qui éclaire l'humanité de chaque personnage, quelle que soit son importance. Bien sûr le film est un festival Fernandel, mais le comédien est idéalement secondé par Charpin ou Orane Demazis. Le résultat est un peu long, mais peut-être plus fort que la célèbre trilogie marseillaise.

5) *** GUERILLA DES FARC, L'AVENIR A UNE HISTOIRE (Pierre Carles, 2024)

Pierre Carles réalise peut-être son film le plus ample. S'il remonte aux origines du conflit, à l'aide d'archives, mais aussi d'extraits de fiction de l'ex-compagnon de sa mère, Dunav Kuzmanich, réalisateur chilien exilé en Colombie après la prise de pouvoir de Pinochet, le documentaire bénéficie surtout d'un tournage effectué sur près de dix ans, des prémisses du processus de paix à ses premiers bilans. Le temps long permet aussi de mesurer l'évolution des analyses des protagonistes. Le film est assez long (2h20). Évidemment il n'épuise pas les angles possibles, mais donne un éclairage essentiel qui comble les lacunes et les partis pris des médias occidentaux dominants.

4) *** PROLOGUES (Llyod Bacon, Busby Berkeley, 1933)

En terme de durée, l'essentiel du film est une comédie de coulisse, sur les préparations frénétiques de numéros musicaux servant d'avant-programmes aux séances de cinéma. La comédie est également satirique, sur l'Amérique de la Grande Dépression en attente de New Deal, et romantique : le metteur en scène (James Cagney) est tellement affairé qu'il ne remarque pas les sentiments de sa secrétaire (Joan Blondell). Mais l'apogée du film réside dans les trois numéros chorégraphiées par Busby Berkeley qui le concluent : Honeymoon Hotel, Shanghai Lil, et surtout entre les deux le numéro aquatique de By a waterfall, ballet exubérant qui explose les cadres (certaines séquences filmées du plafond confinent à l'abstraction géométrique, dans laquelle on ne fait plus forcément la différence entre air et eau). Cette séquence très déshabillée témoigne de la censure variable (évoquée également dans les dialogues) du Hollywood Pre-Code.

3) *** TOOTSIE (Sydney Pollack, 1983)

Agréable surprise : la comédie, genre inhabituel pour Sydney Pollack, n'est jamais grivoise. Le prologue, réaliste, sur des acteurs et actrices new-yorkais qui courent les cachets en attendant mieux, fait penser aux personnages de Salut l'artiste d'Yves Robert, vu plus tôt dans le festival. Et les cours de jeu distillés par Dustin Hoffmann rappellent la leçon de Jean Renoir captée en 1968 (voir ci-dessus). Bien sûr, l'essentiel du film démarre lorsque l'acteur fauché se travestit, et est engagé dans le rôle d'une vieille fille dans un soap télévisé. Michael devenu Dorothy va subrepticement subvertir le show, avec une forme d'intransigeance qui lui fermait les portes auparavant. Les registres d'humour sont variés, et toujours d'une grande finesse : le film est d'ailleurs bien plus « me too » qu'on aurait pu imaginer. Le seul reproche qu'on pourrait formuler, à froid, concerne l'optimisme selon lequel un travestissement suffirait à comprendre le point de vue de l'autre (et n'est-ce pas de l'appropriation culturelle ?)

2) **** 71 FRAGMENTS D'UNE CHRONOLOGIE DU HASARD (Michael Haneke, 1995)

À la veille de Noël, un étudiant ouvre le feu dans une banque, et tue trois personnes, avant de se suicider. Le film suit en montage alterné les derniers mois des différents protagonistes, d'où le titre. Il peut donner lieu à de multiples interprétations. Dans ma perception, la forme est en parfaite adéquation avec le fond : la fragmentation du réel fait ressortir l'atomisation des individus et la déshumanisation des sociétés modernes (que montrent aussi les extraits de journaux télévisés insérés entre deux fragments). Mais il n'y a pas de misanthropie dans ce film : les personnages sont montrés avec leur part d'humanité. Ce sont bien certains fonctionnements de la société qui sont dans le viseur d'Haneke. Trente ans plus tard, on n'a pas encore franchement réussi à faire mieux...

1) **** J'ACCUSE (Abel Gance, 1919)

Edith est aimée par deux hommes : François Laurin, son mari (violent), et Jean Diaz, poète qui célèbre la vie paisible. Les deux hommes sont mobilisés lorsqu'éclate la Première Guerre Mondiale, tandis qu'Edith, revenue dans le village de ses parents, est déportée en Allemagne. Jean devient lieutenant dans l'unité de François, qu'il a donc sous ses ordres. C'est le début d'une grande fresque, réalisée dès 1919, divisée dans cette version en trois époques. Le film dure 2h44, mais on ne voit pas le temps passer. Il est exceptionnel par l'excellence de son scénario (évolution des situations et des personnages), l'étonnante qualité littéraire de ses intertitres, la grandeur de sa mise en scène, entre souffle réaliste et onirisme, grâce à l'inventivité visuelle de Gance, et à l'utilisation optimale des techniques de l'époque (surimpressions). L'un des plus grands films sur ce conflit, réalisé dans la foulée, et follement audacieux, dans la forme comme dans le fond.

Version imprimable | Festival de La Rochelle | Le Jeudi 11/07/2024 | 0 commentaires




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