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D'autres films de début 2024

  • Bien : Los Delincuentes (Rodrigo Moreno), Averroès et Rosa Parks (Nicolas Philibert), Les Carnets de Siegfried (Terence Davies), Une famille (Christine Angot), La Mère de tous les mensonges (Asmae El Moudir), Daaaaaali ! (Quentin Dupieux), Bye Bye Tibériade (Lina Soualem), Blue Giant (Yuzuru Tachikawa), La Nouvelle femme (Léa Todorov)
  • Pas mal : L'Empire (Bruno Dumont), Walk up (Hong Sang-soo), La Salle des profs (Ilker Catak), Sans jamais nous connaître (Andrew Haigh), Eureka (Lisandro Alonso)
  • Bof : La Jeune fille et les paysans (DK et Hugh Welchman)


LOS DELINCUENTES (Rodrigo Moreno, 27 mar) LLL
Moran, le trésorier d'une banque de Buenos Aires, s'arrange pour voler 650000 dollars à son travail. Il confie l'argent à un collègue, Roman. Le plan est le suivant : Moran se rend quelques jours plus tard, purge sa peine, et à la sortie de prison, les deux comparses récupèrent le magot, et n'auraient plus besoin de travailler. Le but du casse ne serait donc pas de faire fortune, mais de gagner du temps libre. Mais tout n'est pas si simple... Il ne faut pas avoir peur de la durée du film (environ 3h), scindé en deux parties, et qui mêle plusieurs genres. On se plonge avec délice dans le romanesque des situations et les caractères haut en couleur de tous les personnages. La plupart des interprètes sont inconnus chez nous, à part Laura Paredes qui joue la cadre des assurances qui conduit l'enquête interne à la banque, et qui était déjà au coeur des remarquables La Flor et Trenque Lauquen, du collectif El Pampero Cine (dont Rodrigo Moreno ne fait pas partie). Au fil de tous les développements, on découvre un film d'inspiration plutôt libertaire (mais au sens antilibéral du terme).

AVERROES ET ROSA PARKS (Nicolas Philibert, 20 mar) LLL
Avec ce film, Nicolas Philibert prolonge le travail entrepris avec Sur l'Adamant. Les lieux sont plus austères, mais le documentaire est surtout composé de séances d'entretien entre soigneurs et soignés. Même si la question est un peu abordée lors d'une réunion, le cinéaste ne tranche pas le débat sur l'utilité des institutions psychiatriques et de leurs formes. En revanche, il continue à réintégrer dans une pleine humanité les patients (dont quelques figures déjà croisées sur l'Adamant) qui constituent l'âme du film. Et par suite on peut s'interroger, dans le prolongement des réflexions des militants et militantes intersectionnelles actuelles, sur le caractère "validiste" de nos sociétés contemporaines, en voyant ces êtres si humains mais qui ne pourraient pas satisfaire les exigences capitalistes et s'insérer dans une compétition économique toujours plus rapide et intense (au grand dam des rapports sociaux et des milieux naturels).

LES CARNETS DE SIEGFRIED (Terence Davies, 6 mar) LLL
Le style de Terence Davies, éloigné de toute emphase, pourra être jugé froid par certains néophytes, il n'en reste pas moins que le film est émouvant, à sa façon. Inutile d'être un spécialiste de Siegfried Sassoon pour apprécier ce film. Il s'agit de l'histoire de ce poète qui a traversé le XXè siècle. Son expérience de la Première guerre mondiale le rend résolument pacifiste, alors qu'il s'exprime déjà d'une position minoritaire du fait de son identité sexuelle (homosexuelle). On peut aussi le voir comme une autobiographie déguisée du cinéaste lui-même qui s'autorise, avec son grand âge, des effets détonants comme le morphing, avec un résultat pour une fois convaincant. Un privilège de l'âge qu'on a déjà remarqué chez Oliveira ou Erice. Le film dépasse cependant son sujet, en tirant le portrait complexe d'un artiste doué, mais jaloux du (et hanté par le) talent d'un autre poète, fauché prématurément.

UNE FAMILLE (Christine Angot, 20 mar) LLL
Je n'ai jamais été un grand admirateur du personnage public, mais en revanche l'histoire personnelle de Christine Angot m'a toujours touchée, particulièrement depuis Un amour impossible, l'adaptation du roman éponyme d'Angot par Catherine Corsini. Désormais, l'écrivaine a décidé que les mots écrits ne suffisaient plus. Avec la complicité de la chef opératrice Caroline Champetier, elle a décidé de se confronter à divers membres de sa famille, afin de faire voler les non-dits. Elle commence par imposer à la veuve de son père incestueux (qui n'est pas sa mère biologique) une discussion à bâtons rompus. Si l'expression orale constitue une thérapie pour Christine Angot, sa démarche cinématographique se veut utile pour elle-même mais aussi pour tous et toutes les autres, à l'instar des ondes de choc provoquées par les livres de Camille Kouchner ou Vanessa Springora, et montre également les conséquences des crimes de son père sur les autres membres de la famille.

LA MERE DE TOUS LES MENSONGES (Asmae El Moudir, 28 fév) LLL
La jeune réalisatrice Asmae El Moudir, constatant l'absence de photos de famille, et se cognant au mutisme de sa grand-mère, imagine un dispositif pour délier les langues : réaliser, avec la complicité de son père, des maquettes de son ancien quartier, et de l'immeuble dans lequel elle a grandi. La démarche semble s'inscrire dans le sillage de L'Image manquante, le bien nommé documentaire de Rithy Panh (sur une toute autre tragédie). Ici, les tabous plus ou moins levés de la mémoire familiale permettent de jeter une lumière sur un épisode oublié de l'histoire du pays, la dure répression des "émeutes du pain", en 1981, par les autorités de l'époque.

DAAAAAALI ! (Quentin Dupieux, 7 fév) LLL
Il ne s'agit pas d'un biopic sur le célèbre artiste, plutôt réduit ici au personnage public un peu mégalomaniaque qu'il était devenu vers la fin de sa vie. De mon point de vue, il ne s'agit pas non plus d'un film surréaliste, au sens plein du terme. Non, ici on est plutôt dans le registre de l'absurde. Ce qui est certes déjà le cas d'un certain nombre de films de Dupieux, mais néanmoins il ne se répète pas. Plus que la multiplicité aléatoire des interprètes de Dali (qui justifient le titre), les réjouissances peuvent provenir de n'importe quelle caractéristique, d'une traversée de couloir d'hôtel qui n'en finit pas à certains récits gigognes (que je vous laisse découvrir).

BYE BYE TIBERIADE (Lina Soualem, 21 fév) LLL
Décidément, les documentaires familiaux sont peut-être les moins nombrilistes qui soient. Comme Mariana Otero (Histoire d'un secret) ou Eric Caravaca (Carré 35), Lina Soualem, qui est la première femme de sa famille à être née hors de Palestine, cherche auprès des générations précédentes, et en particulier de sa mère l'actrice Hiam Abbass, à interroger la transmission comme les histoires plus ou moins tues. Un moyen aussi d'évoquer pudiquement, avec des moyens très simples, la grande Histoire (et, involontairement, ses tragiques prolongements au présent).

BLUE GIANT (Yuzuru Tachikawa, 6 mar) LLL
Il ne faut certes pas forcément aller voir ce film pour le scénario ou le style graphique des personnages et des décors, qui ne sont pas d'une folle originalité (et transposés d'une série de mangas). Mais les sessions musicales emportent tout, tant le dessin met en relief la virtuosité de chaque instrument(iste). Il est plaisant que cette virtuosité ne s'accompagne pas de l'humiliation ou l'écrasement de concurrents (ça nous change d'autres films). En tout cas, si on y est sensible, on ressort en apesanteur, sans trop se rappeler si on sort d'une salle de cinéma ou d'un concert... De ce point de vue, la pianiste et compositrice Hiromi Uheara peut être considérée comme la coautrice du film, au même titre que le réalisateur Yuzuru Tachikawa.

LA NOUVELLE FEMME (Léa Todorov, 13 mar) LLL
Au début du XXè siècle, Maria Montessori rencontre une femme française qui veut lui confier l'éducation de son enfant, qui a un handicap mental, et qu'elle n'arrive pas vraiment à aimer. Si le film remonte aux origines des préoccupations pédagogiques de Maria Montessori, il ne dit rien de son approche : on "apprend" que pour faire progresser un enfant, il faut l'aimer (ce qui n'est pas très spécifique). La seule incartade au moule éducatif unique est le bilinguisme de la pédagogue, qui respecte la langue natale de chaque enfant. En revanche, le film passionne beaucoup plus par le fil féministe qu'il parvient à tisser. Sans jamais tomber dans la performance, Jasmine Trinca et Leïla Bekhti, toujours justes, apportent de la profondeur ou de l'inattendu à chaque inflexion de leur jeu.

L'EMPIRE (Bruno Dumont, 21 fév) LL
De prime abord, à l'instar de la bande annonce du film, Bruno Dumont livre une transposition pastiche d'un space opera façon Star Wars dans l'univers des classes populaires du Pas-de-Calais. On retrouve également le duo de gendarmes ahuris qui égayait la série P'tit Quinquin et sa suite. Les dialogues qui dissertent sur les qualités et défauts de l'espèce humaine créent un décalage au départ drôlatique, tout comme le soin apporté aux effets spéciaux et aux décors. Mais au service de quoi sont mobilisées ces audaces formelles ? C'est là que le film peut décevoir, tant Bruno Dumont semble mobiliser un imaginaire binaire (explicitement les forces du "1" et celles du "0"), plus manichéen que son modèle.

WALK UP (Hong Sang-soo, 21 fév) LL
A première vue, on peut s'interroger sur l'utilité de ce nouveau film de Hong Sang-soo, qui met en scène un énième personnage de cinéaste indépendant en proie au doute, soucieux de transmettre, et enclin à chercher une vérité (ou quoi que ce soit d'autre) dans l'alcool. L'étonnement vient d'ellipses qui s'invitent sans crier gare à la fin d'un plan, sans qu'on s'en aperçoive d'emblée. L'évolution de l'immeuble dans lequel s'est installé le personnage principal (interprété par le fidèle Kwon Hae-hyo) devient une métaphore de l'évolution de ce personnage et du temps qui passe. Tout en creusant toujours un peu le même sillon, et d'une manière extrêmement minimaliste, Hong Sang-soo continue de surprendre (un peu).

LA SALLE DES PROFS (Ilker Catak, 6 mar) LL
Des vols sont commis dans un collège. Pour ne pas laisser accuser à tort des élèves, une professeure laisse sa webcam allumée, et s'aperçoit qu'une personne qui a le même chemisier que la secrétaire a fouillé dans son portefeuille. A partir de là, la situation dégénère. Si, à froid, le film peut s'interpréter comme une allégorie de la dangerosité des idéologies sécuritaires dites de "tolérance zéro", le film fonctionne à chaud plutôt comme un piège pour l'héroïne, bien que paradoxalement la moins disposée à tomber dans ces travers. Les contradictions du personnage, c'est très bien. L'ambiguïté de la mise en scène, en revanche, ça l'est beaucoup moins.

SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE (Andrew Haigh, 14 fév) LL
Adam, un scénariste, vit seul à Londres dans un immeuble en partie vide. Un soir il rencontre un de ses rares voisins. En revenant en balade vers la maison de son enfance, il voit qu'elle est occupée... par ses parents, morts accidentellement des années auparavant, lorsqu'il était adolescent. Cette prémisse pourrait laisser penser à celle d'un film de genre. Il s'agit plutôt d'un mélodrame psychologique adapté d'un roman japonais (Présences d'un été). Adam est interprété par Andrew Scott, qui apporte beaucoup de nuances à un film parfois un peu trop répétitif, et où les dialogues sont un peu trop basiques.

EUREKA (Lisandro Alonso, 28 fév) LL
Dans le segment central du film, on suit Alaina, une policière amérindienne officiant dans une réserve du Dakota du Sud, marquée par l'isolement, la pauvreté et même de rudes conditions météorologiques, ainsi que Sadie, sa jeune nièce, qui entraîne l'équipe de basket-ball du lycée et rend visite à son frère emprisonné. Dans le segment précédent, on avait vu le western en noir et blanc qu'elles regardaient à la télé sans se sentir représentées. Le dernier mouvement du film nous transporte (on vous laisse découvrir comment) dans une forêt amazonienne brésilienne dans les années 1970. Le film est limpide, sa réception dépend donc de comment on le ressent. Si l'audace de certains éléments peut séduire, il faut reconnaître que le résultat est poseur, voire très lent (même si un personnage affirme que le temps est une fiction créée par les hommes).

LA JEUNE FILLE ET LES PAYSANS (DK et Hugh Welchman, 20 mar) L
Le film combine deux techniques d'animation : la rotoscopie (comme dans Aloïs Nebel), images décalquées de prises de vue avec des interprètes réels, et la peinture animée, comme dans les courts et longs métrages de Florence Miailhe (La Traversée). Le résultat se voudrait esthétique, il est plutôt esthétisant, avec des images parfois trop proches du trompe-l'oeil pour convaincre. L'histoire de cette jeune fille dans la Pologne du XIXè siècle est édifiante, quoique convenue, mais le fond comme la forme auraient eu besoin de davantage de subtilité.
Version imprimable | Films de 2024 | Le Mardi 02/04/2024 | 0 commentaires
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Des films pour commencer 2024

  • Bien : La Grâce (Ilya Povolotsky), They shot the piano player (Fernando Trueba, Javier Mariscal), L'Homme d'argile (Anaïs Tellenne), A man (Kei Ishikawa), La Ferme des Bertrand (Gilles Perret), Pauvres créatures (Yorgos Lanthimos)
  • Pas mal : La Tête froide (Stéphane Marchetti), Priscilla (Sofia Coppola), May December (Todd Haynes), 20000 espèces d'abeilles (Estibaliz Urresola Solaguren), L'Etoile filante (Dominique Abel, Fiona Gordon), Un silence (Joachim Lafosse)
  • Bof : La Bête (Bertrand Bonello)
  • Hélas : La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer)

LA GRÂCE (Ilya Povolotsky, 24 jan) LLL
Au moyen d'un van aménagé, un père et sa fille de quinze ans sillonnent la Russie occidentale, du sud au nord. Pourquoi ? On n'éventera pas les secrets ici, le récit étant plus ou moins bâti sur la rétention d'informations, distillant les éléments au compte-gouttes. On découvrira ainsi comment ils gagnent leur vie, ou quel est l'objet de leur périple. Mais la grande force du film, c'est sa mise en scène. Elle est à la fois naturaliste, concrète, mais aussi teintée de mélancolie ou même de métaphysique. A plusieurs reprises, des panoramiques abandonnent les personnages, avant que ceux-ci ne réapparaissent dans le champ, à la fin du mouvement d'appareil. C'est emblématique du grand sens de l'espace et du cadre avec lequel le cinéaste laisse surgir les coins reculés traversés, tout en s'intéressant à la vérité intérieure de nos deux itinérants.

THEY SHOT THE PIANO PLAYER (Fernando Trueba, Javier Mariscal, 31 jan) LLL
Il s'agit d'un documentaire animé, hybridation de genre dont Valse avec Bachir (Ari Folman) a été un précurseur. Il fait revivre les années 1960, lorsque la bossa nova naissante faisait la noce avec le jazz. C'est aussi une enquête contemporaine du journaliste américain Jeff Harris autour de la disparition de Tenorio Junior, un pianiste brésilien, instrumentiste et compositeur surdoué, à Buenos Aires en 1976. Il rencontre du beau monde (Gilberto Gil, Caetano Veloso et autres orfèvres), ainsi que des proches ou des membres de la famille du disparu. La petite histoire, qui rejoint la grande (celle, tragique, de l'Amérique latine), émeut, bien servie il est vrai par le style très roman graphique des dessins, particulièrement bien adapté, tandis que les sessions musicales, un régal pour les oreilles, enthousiasment.

L'HOMME D'ARGILE
(Anaïs Tellenne, 24 jan) LLL
Raphaël (Raphaël Thiéry), la cinquantaine bien tassée, vit avec sa mère dans un petit pavillon à l'entrée d'un domaine dont il est le gardien. Il est aussi l'ami de la factrice du coin (Marie-Christine Orry, formidable second rôle). La vie de ce colosse rustique, qui a perdu l'usage d'un oeil, va changer lorsque Garance (Emmanuelle Devos), l'héritière du château et artiste contemporaine reconnue, débarque lors d'une nuit d'orage... On est frappé par la singularité de ce conte, paradoxalement lyrique et sobre à la fois. Il échange sans ostentation les rôles genrés d'artiste et de muse. L'étrangeté discrète de ce premier long métrage, maîtrisé au niveau de l'image comme du son, et qui avance sans enfiler les points de passage obligés, rend d'autant plus fascinantes les paroxystiques vingt dernières minutes.

A MAN (Kei Ishikawa, 31 jan) LLL
Rie, mère célibataire d'un petit garçon, est propriétaire d'une petite papeterie. Elle y recontre Daisuke, un client venu lui acheter de quoi dessiner. Ils nouent une relation. Ellipse. On les retrouve mariés quelques années plus tard. Daisuke est bûcheron, et trouve la mort dans l'exercice de ses fonctions. Plus tard, Rie s'aperçoit qu'il n'était pas celui qu'il prétendait être, et engage un ami avocat, Kido, pour en savoir plus. Il s'agit d'un drame profond et trouble autour de la notion d'identité et de quête de soi, au sein d'une société pas forcément très ouverte. Les interprètes (dont Sakura Andô, déjà appréciée dans L'Innocence de Kore-Eda) sont dirigés avec finesse à l'intérieur d'une mise en scène posée, dont le regard évolue au fil de mini-coups de théâtre (la toute fin étant davantage un clin d'oeil psychologique qu'un twist de dernière minute).

LA FERME DES BERTRAND (Gilles Perret, 31 jan) LLL
Récemment, les documentaires sur l'agriculture ont essayé de donner une vue d'ensemble d'exploitations de diverses tailles (Il a plu sur le grand paysage de Jean-Jacques Andrien) ou de proposer une lecture très analytique voire systémique (Le Temps des grâces de Dominique Marchais). Le film de Gilles Perret a pour particularité de s'intéresser à une seule ferme et d'inclure en son sein d'autres images qu'il avait tournées 25 ans plus tôt au même endroit [bizarrement la texture des images est restée la même], et quelques fragments d'un documentaire tourné en 1971 par Marcel Trillat. Ce regard sur le temps long (et sur la transmission, les conditions de travail etc) n'est pas pour rien dans l'émotion suscitée. Et, en filigrane, on voit que ces producteurs laitiers ont résisté à la course à l'agrandissement, grâce à un prix plus avantageux lié au label AOP du reblochon. Comme quoi les normes de qualité ne sont pas forcément les ennemies des agriculteurs.

PAUVRES CREATURES (Yorgos Lanthimos, 17 jan) LLL
Bella est une jeune femme qui a le cerveau d'un nourrisson (on apprendra assez vite pourquoi). Le film nous propose de suivre son parcours et son évolution... Le nouveau long métrage de Yorgos Lanthimos est peut-être celui où sa provocation paraît la moins gratuite. Certains y ont vu un film féministe. Dans la mesure où l'expérience sociale de Bella n'est pas ordinaire, c'est vite dit. En revanche le sujet peut évoquer La Fiancée de Frankenstein, grand classique du début du parlant signé James Whale. Les décors et l'aspect visuel rétrofuturiste ou steampunk sont très inspirés (même s'ils ne font pas dans la demi-mesure), et Emma Stone se risque à des zones de jeu inhabituelles pour une star hollywoodienne de son acabit.

LA TÊTE FROIDE (Stéphane Marchetti, 17 jan) LL
Marie vit seule dans un mobil-home, a du mal à joindre les deux bouts, et fait de la contrebande de cigarettes pour boucler ses fins de mois. Son amant, policier, l'aide à éviter les contrôles à la douane franco-italienne. Un jour, elle rencontre Souleymane qui la supplie de le prendre en stop et lui faire passer la frontière. Et si aider les gens pouvait lui apporter un bénéfice ? Premier long métrage de fiction de Stéphane Marchetti, venu du documentaire. La réalisation est parfois hésitante, mais le film bénéficie d'un sérieux atout : Florence Loret-Caille, qui apporte de l'humanité et des nuances à un rôle abordé de façon plus complexe qu'il n'y paraît.

PRISCILLA (Sofia Coppola, 3 jan) LL
Un biopic sur la relation qui a uni Priscilla, de ses 14 ans à ses 28 ans, à Elvis Presley. Une histoire d'emprise qui fait contrepoint au récent film de Baz Luhrman (Elvis), qui montrait la rock star elle-même sous influence de son producteur. Pour le rôle titre, Cailee Spaeny a reçu le prix d'interprétation à Venise. La mise en scène de Sofia Coppola ne surprendra personne, elle est élégante, et on y trouve des échos de ses premiers films. On peut néanmoins s'interroger si cela fait sens de filmer tous ses films de la même façon, et de préférer un effet de signature plutôt qu'une adéquation à la singularité du sujet.

MAY DECEMBER (Todd Haynes, 24 jan) LL
Le titre est une métaphore de la différence d'âge qui sépare Gracie et Joe, qui avait seulement 13 ans quand il noua une relation avec la première, plus de vingt ans son aînée. Plusieurs décennies plus tard, le couple a perduré, a eu des enfants, et Elizabeth, une jeune actrice célèbre, vient à leur rencontre pendant plusieurs jours, afin de se préparer à jouer Gracie, au début de son histoire... Sur le papier, le nouveau film de Todd Haynes semblait prometteur. Si les deux actrices principales suivent des partitions très complexes, le résultat est un petit peu plus mitigé. Il s'agit d'un cinéma de recherche qui ne trouve pas toujours, à l'instar de la réutilisation, pas toujours convaincante, de la musique que Michel Legrand avait composée pour Le Messager (un tout autre univers).

20000 ESPECES D'ABEILLES (Estibaliz Urresola Solaguren, 14 fév) LL
Ane, mère de famille en plein doute conjugal et professionnel, profite des vacances pour quitter Bayonne et se rendre avec ses trois enfants au Pays basque espagnol où elle retrouve sa mère et sa tante, apicultrice. L'enfant le plus jeune, Coco, huit ans, s'interroge également sur son identité, rejetant son assignation à être un garçon. S'il comporte quelques métaphores un peu trop ostensibles, le premier long métrage de la réalisatrice Estibaliz Urresola Solaguren évoque la transidentité enfantine avec le sens de la nuance et de l'écoute. Dommage qu'il s'éparpille un peu : il a en effet l'inconvénient de passer après le très ramassé et très réussi Tomboy de Céline Sciamma.

L'ETOILE FILANTE (Dominique Abel, Fiona Gordon, 31 jan) LL
Cinquième long métrange du réjouissant duo Abel & Gordon (L'Iceberg, Rumba), héritiers belges très atypiques de Chaplin, Keaton, Etaix ou Kaurismaki. Certes on retrouve ici avec plaisir leur sens du burlesque. Mais le tortueux et ambitieux scénario, qui convoque une histoire de sosie, et qui pousse le bouchon politique plus loin qu'à l'accoutumée, ne fonctionne cette fois-ci pas très bien avec leur style, qui nécessite davantage de simplicité, puisqu'ils ont l'habitude de pousser une action jusqu'à son terme dans le même plan. Le résultat est en-deça des réussites passées, même si on y trouve encore quelques réjouissances.

UN SILENCE (Joachim Lafosse, 10 jan) LL
Inspiré par un fait divers, le film évoque l'histoire d'un avocat qui défend des victimes d'actes pédophiles, mais qui visionne lui-même sur son ordinateur des vidéos pédopornographiques. Le silence est celui de son épouse, le véritable personnage principal du film (Emmanuelle Devos livre une composition concrète mais aussi ambigüe voire insondable), mais la jeune génération ne l'entend pas de cette oreille. Dommage que Joachim Lafosse n'ait pas su transcender ces ingrédients et nous laisse une mise en scène sans grand relief, loin de ses réussites passées (A perdre la raison, Les Intranquilles).

LA BÊTE (Bertrand Bonello, 7 fév) L
Le récit est diffracté en trois époques, le début du XXè siècle à Paris, 2014 à Los Angeles, 2044 à nouveau à Paris. Au centre, le même personnage, Gabrielle (Léa Seydoux), et un curieux ami, Louis. A chaque fois apparaît à Gabrielle le pressentiment d'une catastrophe imminente. Le film est lointainement inspiré d'une nouvelle d'Henry James, publiée en 1903, La Bête dans la jungle. Au niveau formel il est très lynchéen, et on ne peut dénier les talents employés par le film, mais à quel service est dévolue cette sophistication froide ? L'absence totale d'affects semble contaminer la caméra, ce qui alourdit l'ensemble, difficile à digérer...

LA ZONE D'INTERET (Jonathan Glazer, 31 jan) 0
Auschwitz comme si vous n'y étiez pas. L'horreur absolue réduite à un bruit de fond, et à quelques éléments épars ostensiblement  montrés. A peine moins pire dans la maladresse que l'option inverse de la reconstitution calamiteuse des camps dans le biopic d'Olivier Dahan sur Simone Veil. Comme si la banalité du Mal désignait d'abord le micro-climat de la vie de famille d'un tortionnaire nazi, plutôt que le fait que beaucoup de personnes ont participé à engendrer ce Mal, même à un petit niveau (ce que montrait davantage La Passagère d'Andrzej Munk et Witold Lesiewicz, restauré l'an dernier et qui vient d'être disponible en DVD). La musique vocale concrète qui accompagne le générique final résume l'abjection du film : s'arroger le droit de faire un art prétendument conceptuel avec une telle réalité.
Version imprimable | Films de 2024 | Le Samedi 17/02/2024 | 0 commentaires
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Bilan de l'année cinéma 2023 - 3 : Quelques tendances (stylistiques, thématiques)

Quelques tentatives de regards transversaux, pour clore le bilan de l'année cinéma 2023.

1. Plaisir narratif ou pictural ?

Est-ce la concurrence et l'essor des séries, qui ont tendance à être consommées en désacralisant l'écran et en suivant nos déplacements, comme un bouquin qu'on dévore (j'écris cela par pure observation, n'ayant ni tablette ni smartphone ni abonnement payant à des plateformes) ? Toujours est-il que les oeuvres audiovisuelles tendent à être attendues d'abord pour leur plaisir narratif. Lorsque le film est adapté d'une oeuvre littéraire, la promotion en fait un de ses principaux arguments. Des Cesars différents sont attribués au "meilleur scénario original" et à la "meilleure adaptation" (ce qui n'a pas toujours été le cas).

Est-ce cette attente narrative qui explique l'inflation de la durée des oeuvres, une tendance qui pourrait néanmoins rencontrer, notamment lors de l'exploitation en salle, des limites commerciales (moins de séances par jour) ou même artistiques ? Certes, dans mon top 15 de l'année (voir Bilan - 2), de nombreux films atteignent ou dépassent les 2h30 : Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan), Fermer les yeux (Victor Erice), The Fabelmans (Steven Spielberg), Anatomie d'une chute (Justine Triet), Oppenheimer (Christopher Nolan). Les salles de projection sont des lieux privilégiés pour optimiser la disponibilité des spectatrices et spectateurs, mais dont les capacités de "travail" (pour apprécier à plein les oeuvres), même facilitées par l'émotion partagée, peuvent s'émousser, passée une certaine durée. Si on ne s'ennuie jamais devant Killers of the flower moon de Scorsese, on peut s'interroger sur la nécessité de développer en plus de trois heures un récit dont le principe tient en quelques lignes.

Laura Citarella a en quelque sorte contourné l'obstacle : dans Trenque Lauquen, la profusion narrative se déploie en quatre heures, chapitrées, et scindées en deux parties et deux séances distinctes. Cette oeuvre est traversée de multiples récits, mais sa réussite tient aussi aux façons dont les personnages se les racontent, et aux multiples moyens par lesquels ces récits circulent. De manière incidente, le film fait partie de ceux qui rendent un hommage rare et paradoxal à la radio (paradoxal : hommage d'une discipline artistique visuelle à un média qui ne l'est pas ; rare du fait de ce paradoxe, mais on peut citer Tandem de Patrice Leconte, La Maison de la radio de Nicolas Philibert, The Last show de Robert Altman, ou les plus populaires Good morning Vietnam de Barry Levinson et Good morning England de Richard Curtis !).

L'exemple du film de Laura Citarella permet de rappeler que, au cinéma, les récits, aussi développés soient-ils, ne prennent véritablement tout leur sens que grâce à la mise en scène. Car le cinéma emprunte à toutes les formes d'art : littérature certes, mais aussi spectacle vivant (voir Bilan-1 sur les interprétations), peinture, photographie, musique, architecture...

Récemment, les Césars ont créé une nouvelle récompense pour les "meilleurs effets visuels". Cette année, cela pourrait se jouer entre Le Règne animal de Thomas Cailley (dont l'une des originalités tient à des personnages qui n'ont pas achevé leur mutation) et La Montagne de Thomas Salvador, qui utilise dans sa deuxième partie des effets spéciaux aussi remarquables et détonants que ciblés.
Cette parcimonie dans les effets, utilisés crânement mais seulement à bon escient, se retrouve également dans les nouveaux films d'Alice Rorhwacher (La Chimère) ou de Steven Spielberg (The Fabelmans) qui retrouve ici un plaisir de cinéma d'autant plus savoureux qu'il se démarque des grands huit qu'il affectionne pourtant également, qui sont même à l'origine de sa vocation, et dont il a été un des protagonistes dans l'histoire du cinéma.

Cette année, le prolifique Hong Sang-soo a livré un film majeur (La Romancière, le film et le heureux hasard). Si le titre renvoie à une aspiration littéraire, c'est la forme qui emporte le morceau : expressivité du noir et blanc, de la composition des plans, y compris dans la profondeur de champ (une émotion inattendue peut surgir de l'apparition d'une figure insolite en arrière-plan).
Pour être honnête, les dialogues (plus ou moins imbibés) constituent également un morceau de choix chez Hong Sang-soo. Ils sont également fondamentaux, mais surtout redoutables chez Nuri Bilge Ceylan depuis quelques films, ce qui ne l'empêche pas de continuer un travail approfondi sur l'image. Même s'il n'est plus son propre chef opérateur, c'est lui qui signe les photographies prises par le personnage principal dans Les Herbes sèches. Aussi à l'aise dans les plans larges extérieurs que dans les plans rapprochés à l'intérieur, il sait adapter la forme au fond. Et les blancheurs enneigées peuvent faire ressortir par contraste la zone extrêmement grise sur le plan humain dans laquelle sont enfermés (ou s'enferment) les deux protagonistes masculins.

Cette alchimie entre la forme et le fond, on peut la retrouver également dans Interdit aux chiens et aux italiens d'Alain Ughetto. La manière dont ce récit nous touche provient en partie de la simplicité de son animation en stop motion, d'idées visuelles très simples (des brocolis pour figurer une végétation, des morceaux de sucre tenant lieu de briques) qui confèrent une sobriété bienvenue à la grave et nécessaire reconstitution historique. Dommage qu'en tant que film d'animation il ne puisse concourir aux Cesars du meilleur film ou de la meilleure réalisation...

Mais peut-être que l'émotion esthétique la plus accomplie de l'année, on la doit à Victor Erice dans Fermer les yeux. Basé sur la recherche d'une personne disparue (comme dans Trenque Lauquen), le film frappe dans sa deuxième partie par l'expressivité troublante de sa lumière, aussi remarquable que dans une toile de maître (il est vrai que son précédent film, datant d'il y a déjà trente ans, s'appelait Songe de la lumière, titre qui pourrait convenir comme un gant à ce nouvel opus). Il faut espérer que cette splendeur, accessible via le grand écran, ne soit pas trop rétrécie lors de sa réception sur d'autres supports.

2. Des fins remarquables (sans vous les raconter)

Je connais des personnes pour lesquelles les fins des films conditionnent la façon dont elles et ils le reçoivent. J'avoue que ce n'est pas forcément mon cas, et que je peux apprécier les films pour lesquels les fins ne sont que des pistes d'atterrissage après les grandes envolées du développement, mais j'ai envie de citer quelques films qui leur donneront raison.
Je commence par un film que je n'ai pas aimé, L'Eté dernier de Catherine Breillat, qui ne m'a pas du tout convaincu pendant son développement. Mais il faut admettre que le dernier plan, voire la dernière image, est porteur visuellement d'une ironie sardonique cinglante (que j'aurais aimé retrouver dans les séquences précédentes).
Il n'est pas interdit de voir dans l'épilogue de Killers of the flower moon un petit hommage clin d'oeil à la radio (et pourrait s'ajouter à ceux évoqués dans le point précédent).
Le happening final bouleversant de Et la fête continue est emblématique du retour en forme de Robert Guédiguian, et constitue l'acmé du film.
Enfin, dans Love life, Kôji Fukada observe en sismographe les conséquences d'un drame familial. Mais la dernière séquence, extraordinairement composée, est extrêmement éloquente, juste par ce qui traverse visuellement l'écran, et se substitue avantageusement à bien des lignes de scénario...

3. Des réalisatrices qui montent à l'international


Ce blog n'a pas cessé de saluer les nouvelles réalisatrices françaises qui ont émergé pendant ces quinze dernières années (Céline Sciamma, Rebecca Zlotowski, Justine Triet, Alice Winocour, Léa Mysius, Isabelle Czajka, Audrey Diwan, la documentariste Stéphane Mercurio) et qui ont rejoint leurs glorieuses aînées (sans même remonter jusqu'à Agnès Varda, citons Pascale Ferran, Noémie Lvovsky, Claire Denis, Agnès Jaoui, Nicole Garcia, la regrettée Solveig Anspach, ou encore Julie Bertuccelli, une référence du cinéma documentaire mais qui réalise aussi d'intéressantes fictions).

Mais cette année, je suis frappé par le nombre de cinéastes étrangères dans ma liste des meilleurs films de l'année. Soit la proportion de femmes cinéastes dans le monde rattrape le niveau du cinéma français (qui reste largement en-dessous de la parité, et qui demeure traversé par un sexisme qui se manifeste en outre sur bien d'autres aspects), soit leur diffusion en France est un peu meilleure.

On pourra saluer évidemment la valeur sûre qu'est devenue Kelly Reichardt (voir le point "L'art comme travail"). Mais aussi l'émergence de réalisatrices issues des pays méditerranéens : la marocaine Maryam Touzani (Le Bleu du caftan), la tunisienne Kaouther Ben Hania (Les Filles d'Olfa), l'italienne Alice Rohrwacher (La Chimère), les espagnoles Carla Simon (Nos soleils), Itsaso Arana (Les Filles vont bien) et Silvia Munt (En bonne compagnie)...

Certains de ces films sont évidemment traversés par la lutte contre le patriarcat : En bonne compagnie, autour de la lutte pour le droit à l'avortement, est ainsi le pendant espagnol et basque de Annie colère réalisé en France par Blandine Lenoir l'année précédente. On évoquera pour mémoire le cas de Barbie de l'excellente Greta Gerwig. Si ce film donne à un large public l'accès à des notions féministes militantes (l'utilisation du terme même de patriarcat, la mise à jour du mansplaining etc), le paradoxe est qu'il dit tout et son contraire, chacun y voit ce qu'il veut, et en retire des interprétations divergentes voire opposées. On peut y voir aussi un nouvel avatar de la récupération par les systèmes de domination de certaines des critiques qui lui sont adressées (dans le monde réel, la vente des célèbres poupées a rebondi) : un classique des résultats toujours en suspension des luttes (finales mais jamais finies).

La question du couple est bouleversante dans le film tissé avec nuance par Maryam Touzani (Le Bleu du caftan), avec une lumineuse Lubna Azabal, tandis que certaines cinéastes francophones (la québecoise Monia Chokri et la belge Ann Sirot, en tandem avec Raphaël Balboni) renouvellent la comédie conjugale sans jamais tomber dans le grivois de certaines comédies françaises, avec respectivement Simple comme Sylvain et Le Syndrome des amours passées. Pour être honnête, Lucie Borleteau, dans son film A mon seul désir, évite également constamment le male gaze, même dans les scènes dénudées (que les personnages féminins soient des sujets de désir et non des objets est à la base du projet, comme l'indique le titre).

Certaines nouvelles réalisatrices impressionnent dès leur premier long métrage par l'intensité avec laquelle elles filment leur héroïne (la pré-adolescente abusée de Dalva de la belge Emmanuelle Nicot, la jeune femme troublée par la maternité de sa meilleure amie dans Le Ravissement d'Iris Kältenback, qui filme admirablement l'actrice méditerranéenne Hafsia Herzi, devenue également réalisatrice depuis quelques années), tout en ne cédant jamais au simplisme et en tentant au contraire de restituer la complexité des personnages féminins comme masculins.

Certaines cinéastes déjà remarquées continuent de creuser leur sillon de façon très indépendante : ainsi le dernier film d'Alice Rohrwacher (La Chimère) continue de convoquer l'Italie rurale d'hier et d'aujourd'hui sans céder à aucune mode et en proposant des personnages très singuliers (dont un savoureux caméo de sa soeur la grande Alba Rohrwacher).
De même Carla Simon confirme l'excellence de son premier film Eté 93 (déjà dans mes préférés à sa sortie en 2017) avec Nos soleils. On en reparle plus loin sur le fond (point "Ecologie..."), mais elle continue de filmer des situations graves du point de vue de ce qu'en perçoivent les enfants. On prend ainsi comme eux certaines conversations des adultes en cours de route, sans que cela ne nuise à la compréhension des situations.

Enfin, certaines réalisatrices tiennent visiblement à se démarquer de toute ambition démiurgique associée parfois à leur fonction (dans les pratiques masculines et les histoires traditionnelles du cinéma), et à revendiquer que la création est résolument collective (voir aussi le point "L'art comme travail"). Si l'aspect choral de Nos soleils, dont on vient de parler, va déjà dans ce sens, on en trouve trace à l'écran dans Les Filles vont bien, le premier film de Itsaso Arana (l'actrice révélée par son complice Jonas Trueba dans Eva en août) qui montre la sororité d'une troupe de comédiennes préparant un spectacle (la réalisatrice s'offrant le rôle de la metteuse en scène). Le film est court mais vaut par l'acuité de ce qui s'y dit (et fait). Enfin, la gestation de Trenque Lauquen de Laura Citarella bénéficie également de l'esprit de troupe du collectif El Pampero Cine qui l'a produit (et qui était déjà à l'origine des généreuses excroissances du multi-film La Flor), avec notamment l'apport de Laura Paredes, à la fois co-scénariste et actrice principale.

Difficile de ne pas évoquer, même en quelques mots, la cinéaste Justine Triet, certes française, mais qui a définitivement conquis sa place à l'internationale, avec Anatomie d'une chute, palmée à Cannes. Il a été beaucoup commenté (et j'ai loué l'interprétation de Sandra Hüller dans le Bilan-1). Par rapport aux éléments évoqués plus haut dans cette discussion, je veux juste ajouter que le film livre à la fois un plaisir narratif et visuel. Et que, là aussi, la circulation de la parole est essentielle : celle du procureur est redoutable, à telle point qu'on a très envie que l'accusée soit innocente, et dans un contexte global où l'idéologie sécuritaire emporte tout, on est soulagé que le doute bénéficie à l'accusée... (la lutte contre l'idéologie sécuritaire a aussi motivé le film de Jeanne Herry, Je verrai toujours vos visages).

4. Vie scolaire

En parcourant la liste des films de l'année dernière, on  retrouve le thème de l'école (primaire, secondaire ou universitaire) dans de nombreuses oeuvres cinématographiques. On peut y voir une démarche assez commerciale (les enseignants étant sur-représentés parmi celles et ceux qui fréquentent les salles d'art et essai, tandis que chaque spectatrice ou spectateur a, en principe, une expérience avec l'école, et qu'une partie des cinéphiles est également parent d'élèves), mais bien sûr il a surtout de réelles motivations.

Pour autant, à l'écran, les films ne se ressemblent pas. Commençons par le plus décalé, mais pas le moins réussi, avec L'Education d'Ademoka d'Adilkhan Yerzhanov, qui raconte l'histoire d'une adolescente rêvant d'être scolarisée, mais son statut d'immigrée irrégulière au Kazakhstan l'en empêche. Le réalisateur, qui aurait pu tourner un drame, a choisi une approche presque burlesque, tant par le personnage d'Ahab, éducateur marginal très éloigné des conventions, que par une mise en scène tout sauf naturaliste qui privilégie le grand air (même pour des scènes qui devraient se passer à l'intérieur). Encore une fois, l'originalité de la forme bénéficie au fond.

Thomas Lilti a réalisé Un métier sérieux, se déroulant presque exclusivement dans un lycée ordinaire (l'un des personnages y a même son logement de fonction). Comme son titre peut le laisser supposer, il fait le choix de centrer son film sur l'équipe pédagogique, qui fait "corps", même si les individualités ne sont pas niées. Il prolonge ainsi le travail effectué sur un milieu qu'il connaît mieux, Hippocrate, qui était  de façon analogue davantage centrée sur les soignants que sur les soignés.

Les autres films évoquant le milieu scolaire sont en revanche plutôt filmés du point de vue des élèves ou des parents.

Il y est question de harcèlement réel (les conditions de travail difficile en stage dans la formation en alternance de About Kim Sohee, de July Jung) ou supposé (avec plusieurs points de vue successifs sur les faits dans L'Innocence de Hirokazu Kore-Eda), ou de zone plus que grise (l'extrême ambiguïté du personnage principal, enseignant, dans Les Herbes sèches, même si on le voit peu dans l'exercice de ses fonctions).

Mes chères mathématiques sont, elles, montrées, au niveau de l'enseignement supérieur, dans leur ambivalence : d'un côté, comme un moyen de former de futures élites qui vont reproduire les mécanismes de domination sociale dans La Voie royale de Frédéric Mermoud (on peut aussi dans cette optique relire les Antimanuels d'économie de Bernard Maris, publiés il y a vingt ans, qui critiquaient comment l'usage de mathématiques sophistiquées dans les modèles est censé objectiver l'économie - à condition de ne pas s'interroger sur le rapport entre les hypothèses des modèles et la réalité - et ainsi dissuader les approches hétérodoxes), d'un autre côté comme un domaine remarquable, passionnant en lui-même, vecteur de rigueur intellectuelle, de beauté et de connaissance dans Le Théorème de Marguerite d'Anna Novion (mais l'héroïne, étudiante, s'en sert aussi, dans l'urgence, pour subvenir à ses besoins de manière pas forcément recommandable).

5. Colonialisme et réalités post-coloniales

L'actualité internationale a rappelé au monde entier que la décolonisation n'est pas achevée. Le dessillement est cruel pour celles et ceux qui dans leur déni de racisme pensaient que non seulement la question était derrière nous, mais que de surcroît la phase post-coloniale était elle aussi terminée.

Sauf que les médias dominants occidentaux n'ont surtout pas proposé cet angle de vue, et ont tellement collé au "narratif" du gouvernement israélien que les débats ont été dès le départ caviardés : certains mots étaient devenus obligatoires, d'autres étaient au contraire interdits, le tout au nom de catégorisations morales (qui sont à l'opposé des exigences éthiques et de la boussole du droit international). Il était évident pour les personnes averties, étant donné le passif d'Israël en matière de riposte disproportionnée, que cette propagande éhontée allait servir de caution aux pires massacres que les palestiniens ont connus (alors qu'ils ont pourtant de l'expérience en la matière).

Dans les premiers jours, peut-être parce que les victimes des crimes du 7 octobre comptaient beaucoup de pacifistes, adversaires communs de Netanyahou et du Hamas, ce qui explique le peu de précautions prises par le gouvernement israélien pour récupérer les otages, le premier film auquel j'ai repensé était le documentaire This is my land, réalisé en 2014 et sorti en France en 2016, de la cinéaste israélienne Tamara Erde, née à Tel Aviv. Enfant, elle avait gobé tout ce que l'endoctrinement israélien lui avait appris. Puis, adulte, elle a fini par en découvrir l'envers du décor. Son documentaire montrait comment l'Histoire était enseignée : dans la partie légalement israélienne (au sens des résolutions de l'ONU), mais aussi en Cisjordanie et dans la ville mixte d'Haïfa où le cours était assuré par un tandem de professeurs, l'un juif, l'autre arabe (le seul des trois cours où les écoliers avaient véritablement accès au récit de l'autre peuple).

Par contraste le débat dans les médias dominants français peut difficilement être perçu autrement que comme une insulte à l'intelligence, et une hostilité à toute tentative de paix juste et durable dans ces territoires (certains médias comme Mediapart, L'Humanité ou le 1 ont néanmoins fait des efforts pour recontextualiser l'ensemble du conflit et se distancier de la propagande de la force occupante). En Israël, des journalistes juifs israéliens du quotidien Haaretz risquent leur vie en défendant des positions pacifistes, équilibrées et démocratiques (et souvent, par suite, non sionistes), alors qu'en France même des prises de position politiques plus prudentes que les termes utilisés par ces pacifistes israéliens sont disqualifiées par des directeurs de conscience autoproclamés qui les considèrent antisémites !

Trois mois plus tard, non seulement les craintes se sont révélées fondées, mais la situation réelle a dépassé l'entendement. L'intensification de la colonisation en Cisjordanie, et des crimes qui vont avec, et les froids assassinats d'une centaine de journalistes et de leurs familles à Gaza (une situation qui n'avait encore jamais été constatée nulle part, dans un intervalle de temps aussi court) font remonter les souvenirs d'un autre documentaire, 5 caméras brisées, réalisé par Emad Burnat et Guy Davidi, tourné entre 2006 et 2011, et sorti en France en 2013. Pendant cinq ans, Burnat, habitant de Bil'in, le village dans lequel il est né, filme la cruauté de l'armée israélienne et des colons, la résistance pacifique des villageois et notamment des paysans contre la spoliation de leurs terres, et la répression, et les tentatives de destruction de ces images filmées telles qu'on n'en avait jamais vues dans les télévisions françaises. Ce que montre ce documentaire était choquant, mais ne représente plus qu'une goutte d'eau par rapport aux massacres actuels, commis dans une impunité qui rend peu optimiste sur l'avenir de l'humanité.

Entre temps, et puisque ce billet avait pour objet de parler de films sortis en 2023, on a découvert Yallah Gaza, le nouveau film du documentariste Roland Nurier, à qui on devait déjà Le Char et l'olivier. Il mêle témoignages contemporains, perspectives historiques et analyses par des spécialistes du sujet, et montre un peuple de réfugiés qui sait d'où il vient et qui souhaite construire son avenir, et conquérir le droit à exister, à s'autodéterminer, et aspire à vivre normalement, grâce à un haut niveau d'éducation. Les difficultés sont immenses, compte tenu du blocus maritime, terrestre et aérien depuis 2007, des offensives répétées d'Israël (dont l'opération "Bordures protectrices" de 2014 qui fait l'objet de plaintes auprès de la Cour pénale internationale), et de la répression meurtrière et mutilante des pacifiques "marches pour le retour" en 2018. Les Palestiniens ont essayé toutes les résistances non violentes à leur portée, à chaque fois réprimées dans le sang. Rattrapé par l'actualité, le documentaire prend involontairement un caractère tragiquement posthume...

D'autres films en 2023 ont évoqué d'autres formes de colonialisme, au passé, comme l'extermination du peuple Selknam au début du 20è siècle, à la frontière entre le Chili et l'Argentine (Les Colons, de Felipe Galvez Haberle), ou la dépossession et l'élimination du peuple Osage par les WASP, il y a un siècle, aux Etats-Unis (Killers of the flower moon, de Martin Scorsese). Quant à L'Île rouge de Robin Campillo, il raconte l'histoire d'une enfance au début des années 70 dans une base militaire française à Madagascar. Il y a un changement radical et salutaire de point de vue dans la dernière demi-heure, qui n'est pas un coup de force du réalisateur, mais est amené avec beaucoup de subtilité...

Ce n'est pas l'objet de ce billet de discuter si la solution au conflit israélo-palestinien prendra la forme d'un état ou de deux états, même si poser la question dès aujourd'hui invite à approfondir les analyses contradictoires sur le sujet. Ce qui est sûr c'est qu'aucune solution ne se fera sans pression internationale pour mettre fin à 75 ans d'impunité israélienne. Mais même à partir du moment où la solution serait actée juridiquement, que les deux peuples auraient pu s'autodéterminer et être traités à égalité (ce qui n'était pas le cas à Oslo, et c'est pourtant la partie la plus favorisée du fameux "accord", Israël, qui s'est très rapidement assise dessus et a aggravé sa politique criminelle en intensifiant notamment la colonisation), il y aura un long chemin de l'égalité de principe à l'égalité en fait.
L'exemple français le montre bien, à travers la persistance d'un racisme post-colonial (qui se traduit par des crimes et des discriminations). L'expression est loin d'être farfelue, les premières BAC (brigades anti criminalité) ayant été crées par des responsables ayant officié en Algérie...
Cette imprégnation raciste traverse au moins deux films français de 2023 : Pour la France de Rachid Hami, qui s'inspire de l'histoire réelle du frère du réalisateur, mort dans des circonstances mystérieuses alors qu'il venait d'intégrer Saint-Cyr, et Avant que les flammes ne s'éteignent de Mehdi Fikri, qui raconte le combat d'une famille demandant justice et vérité après que l'un des leurs n'est pas ressorti vivant d'un commissariat. Ancien journaliste à l'Humanité, le réalisateur a puisé son inspiration dans plusieurs affaires similaires, même si la plus connue est celle de la famille Traoré.
Les deux films ont un point commun inattendu : ce sont à ma connaissance les deux seules fictions françaises dans lesquelles on peut entendre l'expression "Dieu est grand" en arabe, hors de tout contexte islamiste ou terroriste. Dans Pour la France, on entend l'expression lors des obsèques (outre la recherche de la vérité, donner au jeune homme une sépulture conforme aux volontés de la famille est un des enjeux principaux du film). Dans le film de Mehdi Fikri, l'expression est employée avec sourire en coin et distance lors d'un repas entre frères et soeurs (deux représentations sortant des sentiers battus, et qui seraient inimaginables à la télé et à fortiori sur les chaînes bollorisées).

6. Ecologie entre catastrophisme et radicalité

A sa manière, le cinéma témoigne de la prise de conscience croissante par le grand public des enjeux écologiques, même si cette conscience se réduit souvent à la question climatique, que l'ampleur des défis qui nous attendent est sous-estimée, et qu'il ne suffira pas d'éviter chacun dans son coin un peu de gaspillage et de substituer des technologies par d'autres pour éviter (ou atténuer suffisamment l'ampleur de) la catastrophe, et que la question de savoir s'il est "trop tard" est trop binaire, parce que cela masque le fait que, même amorcée "trop tard", une réelle bifurcation pourrait permettre d'agir sur l'intensité des difficultés qui s'imposeront à nous.

Par rapport à ces enjeux là, le cinéma propose plusieurs voies.
Certains films témoignent de la difficulté à appréhender des questions que les traditions politiques ancrées historiquement peinent à prendre en compte. Ces films laissent néanmoins entrevoir qu'il ne s'agit pas uniquement de repenser nos rapports à notre environnement naturel, mais que la remise en question est beaucoup plus vaste. Les cinéastes du tandem Jonas Trueba - Itsaso Arana ont livré chacun de leur côté des films courts, presque des esquisses, mais dans lesquels les personnages, en général de jeunes adultes, sans en avoir forcément l'air, à l'intérieur de leur vie quotidienne, (se) posent des questions essentielles. On a déjà évoqué plus haut Les Filles vont bien d'Itsaso Arana, mais je fais allusion ici à Venez voir de Jonas Trueba. Le titre du nouveau film de Christian Petzold, Le Ciel rouge, fait allusion aux feux de forêt qui menacent notamment une maison de vacances dans laquelle apprennent à se connaître quatre jeunes adultes. Dans les deux films, Venez voir et Le Ciel rouge, ces menaces ne constituent pas l'enjeu premier du film. Il s'agit plutôt d'une toile de fond, dont on a du mal à dessiner les contours, et d'une certaine manière cela traduit le fait que d'une part on a du mal à se représenter les conséquences concrètes des changements en cours, mais que d'autre part il y a l'intuition que la question ne peut se circonscrire à une question environnementale.

D'autres films empruntent le registre fantastique pour appréhender ces questions. Le Règne animal, de Thomas Cailley, est une histoire de mutations d'être humains qui deviennent des animaux, même si le film nous les montre, et c'est son originalité, dans un état hybride. A priori on n'est pas du tout dans l'anticipation ici, mais dans la pure science-fiction. Mais en filigrane il travaille de façon à peine voilée les questions contemporaines, notamment de la crise écologique globale et du rejet de l'autre. Ce n'est pas forcément étonnant de la part de Thomas Cailley : dans son premier film, Les Combattants, Adèle Haenel interprétait de façon assez pince-sans-rire une jeune friande des théories survivalistes, et le film suggérait qu'il s'agissait sans doute d'une mauvaise réponse à une question sérieuse...
De son côté, pour son deuxième film également, Just Philippot imagine dans Acide une catastrophe qui serait liée explicitement aux changements climatiques, à savoir des pluies acides au-dessus de la France hexagonale. Là non plus cela ne puise pas directement dans les rapports des scientifiques, mais le traitement du sujet est plausible, impressionnant techniquement. La réserve, c'est que le film est peut-être trop explicite, trop convenu, et déçoit un peu par rapport à son premier film, La Nuée, sur un élevage concentrationnaire de sauterelles, bien plus dérangeant, et plus épuré aussi.

Mais les catastrophes écologiques ne sont pas que globales. Malgré des pressions au moment du tournage, Pierre Jolivet a réussi son film-dossier Les Algues vertes, adapté de l'enquête de la journaliste indépendante Inès Léraud (incarnée à l'écran par Céline Sallette) qui avait déjà adapté son travail avec l'illustrateur Pierre Van Hove sous forme de bande dessinée du même titre pour La Revue Dessinée. Il montre le lien entre le scandale sanitaire et le modèle agricole dominant, et met en évidence la loi du silence à laquelle la journaliste est confrontée. L'audace ne vient pas de la forme très modeste, mais d'un fond assez "cash", avec des noms propres non modifiés, et des positions de la FNSEA explicitement critiquées.

Le retard dans la prise de conscience écologiste du grand nombre résulte de plusieurs facteurs : sans être exhaustif, on peut citer l'inertie de l'atmosphère, qui signifie que le réchauffement actuel est le résultat de rejets de gaz à effet de serre qui ont eu lieu depuis plusieurs décennies, mais aussi de certaines apories de l'écologie politique historique, qui a pu un temps accompagner le néolibéralisme (au nom de l'urgence, dans l'espoir d'accéder à des positions de pouvoir et d'espérer chuchoter à l'oreille des puissants) ou ne pas prendre position dans la lutte des classes (dans le but de fédérer l'ensemble des écologistes, quels que soient leurs divergences socio-économiques). De ce fait, les classes bourgeoises ont pu avoir l'illusion que l'écologie était compatible avec la loi du profit et dans une optique schumpeterienne de destruction créatrice pour substituer de bonnes pratiques à de mauvaises, sans rien changer à l'ordre social, tandis que les classes populaires ont pu avoir le sentiment que l'écologie ne s'intéressait pas à elles, cette écologie là recrutant d'ailleurs, sociologiquement, plutôt des classes aisées urbaines surdiplômées.
Aujourd'hui, on n'en est plus là, des forces politiques nouvelles ont émergé pour critiquer le modèle dominant à la fois sur le plan social et sur le plan écologique, les mots d'ordre des mobilisations type "marches pour le climat" sont devenus plus radicaux, et les pouvoirs ont tombé le masque : ils ne se sont pas montrés prêts d'inscrire dans la loi bon nombre de propositions (même lorsque celles-ci étaient bien timides) et ont eu tendance à qualifier d' "écoterroriste" tout mouvement ou toute action écologiste qui oserait mettre en cause le système dominant. Quelques films ont tenté de représenter cette écologie radicale : Sabotage de Daniel Goldhaber montre un groupe d'activistes qui tente de mettre en pratique le sabotage d'un pipeline, à la suite de l'ouvrage d'Andreas Malm How to sabotate a pipeline. Le film a recours aux flash-backs pour expliquer comment chacun des protagonistes en est arrivé là. Mais le film reste au milieu du gué : la mise en scène est assez prudente, et tient du "film de casse" ordinaire, elle ne prend parti ni sur la légitimité, ni sur l'efficacité de ce mode d'action, et il est difficile d'évaluer si le film va plutôt susciter des vocations ou au contraire les dissuader.
A l'inverse, Avant l'effondrement d'Alice Zeniter et Benoît Volnais est très clair sur ses intentions, et même un peu trop. Si le résultat n'est pas inintéressant sur le fond, il pèche par la forme, avec notamment des dialogues entre amis maladroits, dignes de discours politiques explicites plaqués artificiellement dans leurs bouches. Si le film s'adresse à des milieux militants déjà concernés, il ne leur apprendra rien. Et si le film est censé s'adresser à un public plus large, ce genre de dialogue aura l'air de tomber du ciel, du tout cuit pas forcément assimilable ni appropriable.

Paradoxalement, les deux films les plus intéressants de ces dernières années sur ce thème sont espagnols : Nos soleils de Carla Simon (qui a d'autres qualités, voir plus haut), et un an auparavant As bestas de Rodrigo Sorogoyen. Le paradoxe est qu'ils mettent en scène des conflits non pas entre les alternatives écologistes et le système dominant capitaliste, mais entre deux ingrédients nécessaires dans ces alternatives : l'agriculture paysanne, et le développement des énergies renouvelables. On pourrait s'agacer à première vue que le conflit n'est pas placé au bon endroit. Mais ce serait un déni de réalité puisque cela existe déjà (voir le communiqué récent en France de la Confédération paysanne à propos du décret en préparation sur l'agrivoltaïsme), et le constat démontre au contraire la nécessité de politiser l'écologie : il est préférable que ces conflits d'usage, lorsqu'ils apparaissent, soient résolus par des délibérations politiques démocratiques, plutôt que de laisser la loi du plus fort ou la loi du marché décider. C'est également cette même nécessité qui pousse certains chercheurs et militants à réhabiliter et redéfinir la notion de planification.

7. Ordre moral vs exigence éthique, documentaire et fiction

Je ne sais pas si c'est dû à l'immaturité de la Vè République ou à l'accaparement de médias de masse par des milliardaires qui y trouvent un intérêt d'influence (plus que comptable, puisque leurs profits proviennent d'autres secteurs), ou à la recherche mercantile du buzz (auquel certains politiciens pensent y trouver également leur compte), mais la confrontation de points de vue argumentés a quasiment disparu des grands médias. A la place on a des "toutologues", des "spécialistes" qui n'ont rien publié de scientifique depuis des lustres. Et surtout des commentaires qui consistent à valider ou disqualifier telle ou telle prise de position à partir de postures morales.
Mais l'expression "postures morales" est ambigüe : elle peut signifier une exigence éthique accrue (par rapport à des revendications égalitaires croissantes) mais aussi et au contraire une hiérarchisation des êtres humains et un rejet de l'autre si cet autre n'adhère pas à la morale individuelle ou à l'ordre moral de celui qui prononce la sentence.

Si on reprend le thème du point précédent, la désobéissance civile qui va jusqu'au sabotage d'installations de transport d'hydrocarbures (dans le film Sabotage de Daniel Goldhaber) va être combattue moralement, notamment par l'ordre moral bourgeois, qui considère que la propriété privée des moyens de production est sacrée. Mais au niveau de l'éthique, c'est un peu plus compliqué. Un positionnement éthique tracerait une première limite : celle de ne pas attenter à la vie et l'intégrité des personnes physiques (ce qui dans ce cas précis n'est pas évident, et nécessite beaucoup de précautions, comme on le voit dans le film). Si la non atteinte aux personnes est garantie, le positionnement éthique consisterait à regarder la proportionnalité des dommages commis par l'action au regard des effets positifs attendus. Prendre position de manière éthique supposerait être capable de calculer la probabilité de réussite d'une telle action, sachant que si elle contribue à inciter les investisseurs à délaisser ces énergies fossiles, elle serait susceptible de sauver dans le futur des millions de vies. L'exemple est certes à la limite du concevable pour moi, mais il éclaire le fait que l'éthique suppose certes bien sûr de respecter les droits humains fondamentaux, mais aussi de ne pas se contenter d'un positionnement moral mais nécessite des capacités d'analyse des causes et des effets (pour les débats français, on est donc à l'opposé de l'anti-intellectualisme de certains médias dominants qui ont adopté comme feuille de route la doctrine vallsienne "comprendre, c'est déjà excuser").

Peut-être pourra-t-on y voir plus clair avec le film Oppenheimer de Christopher Nolan. Pour moi, l'intéressant dans le film n'est pas de savoir si le célèbre scientifique est une bonne ou une mauvaise personne. Ce serait une lecture morale assez vaine, bien que dans la tradition du cinéma américain pour lequel le dualisme Bien/Mal est assez récurrent. En revanche, les questions éthiques qu'il pose me semblent passionnantes. Oppenheimer était un scientifique d'élite, avait avant-guerre des sympathies pour les idées socialistes au sens le plus radical du terme (donc suspectes pour des patriotes américains). Pendant la guerre, il a été le "père" de la bombe atomique, l'arme la plus meurtrière de l'histoire de l'humanité, et après-guerre il s'opposera à la course aux armements, militant pour une désescalade et un désarmement, ce qui l'a rendu suspect aux yeux des autorités. Les questions éthiques que posent certaines séquences me semblent importantes et dépasser la leçon d'histoire :
- Quelles étaient les degrés de liberté possibles par rapport aux structures de pouvoir de l'époque ?
- Que faire lorsqu'on se trouve dans des circonstances exceptionnelles intimé d'agir, que l'on a en mains une forme de pouvoir, mais que les conséquences de certaines actions dépassent l'entendement, de telle sorte qu'en juger individuellement ou même en délibérer à plusieurs ex ante est un exercice périlleux et inconfortable (qui ne peut se réduire à une rationalité même scientifique) ?
- Est-ce qu'on peut être capable démocratiquement de ne pas développer une application technologique qu'on sait faire, ou bien est-ce que certaines technologies, de par leur caractéristique, "s'autonomisent" c'est-à-dire produisent une pression qui va conduire inéluctablement à aller au bout de la logique ?
- Comment penser la relation entre les scientifiques (qui contribuent à la science, c'est-à-dire à un état donné de connaissances) et les décisions politiques (qui devraient en principe à court terme évaluer les conséquences positives ou négatives de la diffusion dans la société des résultats de la recherche appliquée, et à plus moyen terme évaluer si les connaissances de la recherche fondamentale doivent conduire à réviser leur éventuelle doctrine idéologique) ?
Plus près de nous la question a pu se poser autour de la gestion de la crise du Covid, dans la mesure où certaines décisions ont permis de freiner la progression du virus, tout en exacerbant certaines inégalités. Autrement dit, à partir de données scientifiques partagées, il n'y a jamais qu'une seule décision possible.

Dans leurs derniers films respectifs, Aki Kaurismaki et Nanni Moretti ont chacun affirmé une lassitude voire un refus de la violence au cinéma. Dans Les Feuilles mortes, on entend un spectateur sortir d'une salle de cinéma qui projetait Titane et s'exclamer "On dirait du Bresson !". Une boutade drôlissime pour les cinéphiles, mais il s'agit d'une position morale. Dans Vers un avenir radieux, Moretti interprète un réalisateur mature qui craint de décliner et est produit par sa femme, également productrice d'un jeune réalisateur qui tourne des scènes violentes. Le réalisateur interprété par Moretti ne cache pas son dégoût. Il s'agit là aussi d'une position morale, très proche de ce qu'on connaît du vrai Moretti, et c'est d'une intégrité remarquable. Mais cela ne signifie pas qu'une prise de position éthique consisterait à proscrire les scènes de violence au cinéma. Parce qu'on oublie deux points essentiels : les nuances imprévisibles de la sensibilité des spectatrices et des spectateurs, et l'importance de la mise en scène. S'agissant du premier point, j'ai par exemple adoré Titane (et pourtant j'aime aussi Bresson !), même si j'ai détourné les yeux à certains moments, parce que les personnages m'ont bouleversé, et que j'ai trouvé une part d'humanisme dans la trajectoire du film. Mais je respecte entièrement les personnes qui l'ont vu d'une toute autre façon. S'agissant du deuxième point, c'est le plus délicat, mais c'est là qu'on peut parler d'éthique : la représentation de la violence n'a pas du tout les mêmes effets selon la façon dont elle est filmée. Il faut que le ou la cinéaste ait une éthique, et sache la respecter, pour éviter la complaisance, la fascination, l'érotisation morbide. Tout dépend de la réaction et des réflexions qu'on veut créer, il y a une question de vision de cinéaste, de savoir-faire artistique derrière, donc cette éthique ne se codifie pas (même s'il y a dans l'histoire du cinéma des controverses célèbres, comme autour du travelling de Kapo). Mais cela implique que le ou la cinéaste prenne ses responsabilités...

Les questions morales et éthiques se posent avec d'autant plus d'acuité dans le domaine du documentaire. Sur l'Adamant, le dernier film de Nicolas Philibert, Ours d'or à Berlin (où il a donc devancé des fictions), est assez exemplaire. Comme dans tous ses films précédents, Nicolas Philibert a proscrit la voix off. En ce sens, il ne fait pas de morale, dans le sens où il ne donne aucune leçon à ses spectatrices et spectateurs. Cette absence de voix off n'est pas une neutralité, il appelle ses films des documentaires et non des reportages, et assume sa subjectivité de cinéaste. Il assume aussi et surtout sa responsabilité de cinéaste vis-à-vis des personnes qu'il filme. Il y a une qualité de regard chez lui, une sorte de pudeur (dans la connotation la plus positive du terme) qui procède d'une véritable éthique.

Certains films sortis en 2023 ont bousculé la frontière entre documentaire et fiction, ce qui n'est pas forcément un problème éthique si le dispositif est transparent. On peut citer le film Reality de Tina Satter. Il s'agit d'une fiction exposant l'interpellation réelle en 2017, devant chez elle, de Reality Winner, une jeune lanceuse d'alerte, par deux agents du FBI. Le premier intérêt du film réside dans le fait que les dialogues sont intégralement issus des procès-verbaux du dossier (nous entendons également des extraits réels des enregistrements audios effectués lors de l'interpellation). Mais l'hybridation la plus marquante des deux genres au cours de l'année reste pour moi Les Filles d'Olfa de Kaouther Ben Hania. C'est un véritable documentaire, d'ailleurs récompensé comme tel au dernier festival de Cannes (Oeil d'or). Mais le dispositif est singulier, car Kaouther Ben Hania a fait appel à trois actrices professionnelles pour interpréter les deux soeurs aînées d'une famille, parties rejoindre Daesh, ainsi que leur mère Olfa, dans les scènes qui seraient trop éprouvantes pour cette dernière. Le résultat à l'écran tient cependant plutôt du making of d'un docu-fiction qu'on ne verra jamais, la présence des comédiennes professionnelles (dont Hend Sabri, révélée par Les Silences du palais de Moufida Tlati en 1994) servant avant tout à essayer d'accoucher d'une vérité humaine complexe, de la persistance du patriarcat dans la sphère intime au rôle incertain de certaines interdictions peut-être contreproductives dans leurs effets. On espère que Kaouther Ben Hania a usé de la même délicatesse que Nicolas Philibert vis-à-vis des personnes réelles, car l'exercice a forcément été éprouvant pour elles.

8. Des monstres pas sacrés

Il y a environ un quart de siècle, je me souviens avoir entendu Albert Jacquard répondre aux questions de Pierre Bouteiller. Dans l'exposé de ses convictions humanistes, il a affirmé qu'il était important de comprendre que Marc Dutroux était aussi un être humain. Cela n'enlevait rien à l'inhumanité, à la monstruosité de ses crimes, mais la réflexion de Jacquard n'était pas forcément pour autant un simple énoncé scientifique biologique.

Essayons de voir rapidement quelques exemples de représentations de "monstres" (définis comme des êtres qui ont commis des actes humainement indéfendables) dans les films de 2023. Je précise tout de suite qu'au cours de l'année j'ai lu Le Consentement de Vanessa Springora, sans savoir qu'une adaptation cinématographique allait sortir quelques mois plus tard. J'ai tellement été touché par le soin avec lequel Vanessa Springora choisissait ses mots que je pensais que le livre était inadaptable. Il l'a pourtant été, et elle a collaboré au projet. Le film a eu un très bon bouche à oreilles dans les réseaux sociaux de jeunes, et a touché un public qui n'avait pas forcément lu le livre. Si le but était d'élargir la cible, c'est réussi. Mais pour ma part je m'en tiendrai au principe éthique de ne pas porter de jugement sur les films que je n'ai pas vus...

Le titre international de L'Innocence de Hirokazu Kore-Eda est Monster, qui découle du titre original Kaibutsu qu'on pourrait traduire effectivement par monstre, sauf que dans la langue japonaise le terme pourrait désigner selon les érudits davantage qu'une personne physique. Sans dévoiler ce dont il est question dans le film, disons, pour reprendre la distinction terminologique du point précédent, que plusieurs hypothèses successives s'offrent à nous, qui peuvent aller du manquement éthique à l'excès d'ordre moral...

Je passe sur Anatomie d'une chute, puisque rien ne permet d'affirmer que pour la cinéaste l'accusée est coupable. Elle donne des éléments qui pourraient expliquer son éventuel geste, mais aussi des expertises disculpantes.

Cela se complique avec Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan. La mise en scène et le montage sont faits de telle sorte qu'on n'est pas sûr de la véracité des accusations portées contre le professeur. Il est possible que pour celui-ci la frontière soit si mince qu'il ne sait peut-être pas lui même si ces accusations sont justifiées, alors que pour la victime supposée l'écart est au contraire abyssal.

Cette dissymétrie est presque inverse dans Dalva d'Emmanuelle Nicot, peut-être le meilleur premier long métrage de l'année. Dalva, 12 ans, est soudainement extirpée du domicile de son père, qui est soupçonné d'abuser d'elle. C'est elle qui n'arrive pas à comprendre ce qui lui arrive, alors que son père réalise bien avant elle que ce qu'ils faisaient n'était pas normal. Il fallait toute la subtilité de Jean-Louis Coulloch, acteur rare mais capable d'infinies nuances, pour l'interpréter.

Les monstres ne l'ont pas forcément toujours été, et ils ne sont pas uniquement des monstres (comme le montre également la mini-série Sambre, encore accessible sur france.tv, même si ce n'est pas le seul aspect intéressant de l'oeuvre, loin s'en faut). Est-cela qu'avait voulu suggérer Albert Jacquard ?
En tout cas, dans ces quelques exemples cinématographiques de 2023, pas de fascination morbide, pas de charisme malsain.
Les monstres ne sont pas (plus ?) sacrés.

9. L'art comme travail

Dans cette sélection de 2023, les films ont montré l'activité artistique comme un travail, et non comme l'oeuvre de génies intouchables et au-dessus du commun des mortels. Conséquence de cette première grille de lecture : les artistes sont montré(e)s comme des travailleurs/euses...

Dans Tar de Todd Field, on semble nous montrer que pour atteindre la virtuosité, il faut souffrir, subir les petites ou grandes humiliations de la part de la cheffe d'orchestre, qui dit rechercher la perfection sur la moindre intonation. Une façon de voir l'excellence artistique aussi détestable que dans Whiplash de Damien Chazelle, avec son instructeur de jazz digne de celui (militaire) de Full Metal Jacket de Stanley Kubrick. Mais les deux films diffèrent : Whiplash dépeint une relation d'individu à individu, alors que Tar dépeint plutôt des relations liées à l'exercice d'un pouvoir, qui peuvent advenir au sein de tout collectif de travail très hiérarchisé, où des personnes préfèrent se taire pour faciliter leurs carrières. Le milieu du cinéma lui-même est souvent très hiérarchisé, à part peut-être avec Alain Cavalier, qui fait presque tout lui-même en filmant les autres avec sa petite caméra (le joli petit dernier, sorti dans l'année, s'appelle L'Amitié). Mais Tar reste assez pénible à l'écran, d'autant que le film a convoqué deux grandes actrices européennes (Noémie Merlant et Sandra Hüller), alors qu'elles ont peu d'espace pour jouer et sont d'une certaines manières vampirisées par la performance de Cate Blanchett.

Le documentaire Dancing Pina, de Florian Heinzen-Ziob, en constitue le parfait contrepoint. Montage alterné autour de la préparation de deux spectacles, en Allemagne et au Sénégal, créés à l'origine par Pina Bausch, il ne montre ni humiliations ni individualisme forcené couplé à un esprit de compétition, dans lequel l'autre pourrait constituer un obstacle. L'apprentissage est certes très difficile, très exigeant, mais personne n'est humilié. Les interprètes ne sont pas poussés vers la perfection absolue, mais plutôt vers un engagement sincère, où peut s'exprimer toute leur individualité. C'est le contraire de l'individualisme (qui nie l'individualité des autres) car cette expression d'individualité se fait au service de l'oeuvre, en étroite coordination avec le reste de la troupe. L'éternelle dialectique entre l'individu et le collectif, mais qui tient aussi au style de Pina Bausch (pour lequel il faut apprendre à ne pas tout contrôler).

Ce surgissement du non contrôle s'observe aussi dans le nouveau film de Kelly Reichardt, Showing up. Une pincée d'aléatoire surgit dans le résultat du travail de Lizzie,
une sculptrice, que l'on suit dans les jours qui précèdent une exposition. La fonction d'artiste est désacralisée, on la voit faire sa part des tâches administratives, râler contre un problème d'eau dans son logement dont la propriétaire est une collègue de la même structure. On ne sait pas vraiment si Lizzie a du talent, elle est montrée comme une artiste ordinaire, mais travailleuse. A partir d'une apparence de banalité, Kelly Reichardt, par la richesse et la précision de sa mise en scène (de la composition à des plans au jeu passionnant de Michelle Williams,), suggère beaucoup, incite à respecter le travail des artistes, mais soulève en douce des questions profondes voire existentielles.

Un petit mot sur la chorale amateure dirigée par Alice (Lola Naymark) dans Et la fête continue de Robert Guédiguian. On est ici à la limite du sujet, puisque la pratique artistique observée ici n'est pas professionnelle. Il s'agit néanmoins d'un travail. Alice est à mille lieues de Tar, puisque sa pratique, montrée comme inclusive et chaleureuse, est motivée par une recherche d'harmonie qui constitue une métaphore à peine voilée de ses aspirations politiques et sociales, dans un pas de côté vis-à-vis des militants politiques institutionnels qui lui sont proches mais qui peinent à être à la hauteur de la situation.


10. Regards sur le monde du travail et résistances

Le cinéma dit "social" existe toujours, même s'il ne bénéficie pas en amont des plus grandes promotions (et des plus grandes combinaisons de salles pour sa diffusion), et qu'en aval il est souvent snobé à l'heure des récompenses académiques.

Il est vrai que ce cinéma ne donne pas systématiquement les meilleurs films de l'année, tant la ligne de crête est délicate à suivre, entre plusieurs écueils : celui d'une approche compassionnelle, qui peut flirter avec le misérabilisme ou l'inconséquence politique, et celui d'une approche militante volontariste, qui mettrait bien en évidence les rapports sociaux dans l'exploitation et la domination, mais avec la tentation du discours ou de la réduction des affects des personnages à leur fonction dans la démonstration.

Dans Les Feuilles mortes, Aki Kaurismaki prend la tangente. Ses deux personnages principaux sont des ouvriers. Dans certains plans, il les montre au travail. Mais le film est moins "social" que La Fille aux allumettes ou Au loin s'en vont les nuages. C'est leur vie personnelle qui l'intéresse et qu'il développe, et il le fait dans son style visuel inimitable, et avec un art de la litote poétique mais éloquent, loin des tendances boursoufflées actuelles (voir premier point).

La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé dépeint le milieu du nucléaire. Il ne le fait pas d'un point de vue écologiste, et ne prend pas partie dans les débats sur la transition énergétique. Par contre, à partir de faits réels, il dépeint la culture du secret et les méthodes proches des plus obscurs films d'espionnage. Et on ne peut s'empêcher de penser que c'est lié à la nature même du nucléaire : domaine hyper-stratégique car relevant à la fois du civil et du militaire, et une dangerosité dont la maîtrise induit un niveau d'expertise technique, de surveillance, de contrôle et de hiérarchie peu compatible avec une appropriation démocratique et citoyenne. La mise en scène du film est malheureusement très fonctionnelle, son audace réside dans le fait qu'il a effectué le choix rare (mais partagé avec Les Algues vertes) de conserver les noms propres et dénominations réelles des personnes physiques et morales impliquées (ou non) dans cette affaire.

L'accoutumance au productivisme (qui est inévitable dans le cadre d'un système capitaliste basé sur la maximisation des profits), qui explique l'accoutumance française au nucléaire, se retrouve aussi dans About Kim Sohee, de July Jung, lui aussi inspiré d'un fait réel. Il met en scène la rencontre tragique entre une lycéenne coréenne en alternance, et des conditions de travail particulièrement difficiles, tant par la pression du management que par la nature des objectifs commerciaux à atteindre (qui passent notamment par des ventes forcées).

Deux cinéastes français, Nicolas Silhol et Mathias Gokalp, qui avaient déjà réalisé des films sociaux avec une vraie analyse politique sous-jacente, ont persévéré dans leurs seconds longs métrages sortis au cours de l'année.

Dans Anti-Squat de Nicolas Silhol, Inès, une mère célibataire d'un adolescent de 14 ans, est à la recherche d'un emploi, et menacée d'expulsion. Elle est prise à l'essai chez Anti-Squat, une société qui loge des personnes dans des bureaux pour éviter qu'ils soient squattés (et que leur valeur marchande se déprécie). Elle est chargée de faire respecter un règlement très strict... Après le formidable Corporate, Nicolas Silhol livre un nouveau film autour d'une héroïne aux prises avec un dilemme moral dans une société de marché déshumanisée. Moins fort formellement que son prédécesseur, ce nouvel opus se rapproche de It's a free world de Ken Loach, dans lequel la dénonciation d'un système est d'autant plus forte que les personnages ne sont pas manichéens. Ou pour le dire autrement par rapport à un point sémantique précédent : le système capitaliste n'est pas du tout éthique et pousse l'héroïne vers une position morale pas très reluisante...

A propos de Loach, un petit mot pour dire qu'il a livré cette année un film (The Old Oak) avec un peu d'espoir. On y voit la solidarité d'action concrète parmi celles et ceux qui ne veulent ni ne peuvent gagner de l'argent en exploitant le travail des autres, une solidarité qui émerge malgré les peurs et les haines qui traversent la société...

Enfin, dans L'Etabli, Mathias Gokalp livre une adaptation du récit de Robert Linhart, sorti en 1978. Dans les mois qui ont suivi Mai 1968, un prof de philosophie refuse un poste universitaire pour s'engager en tant qu'ouvrier chez Citroën, dans l'espoir de susciter chez ses collègues un sentiment de révolte de classe. L'occasion pourrait venir d'une décision de la direction de l'entreprise, qui veut imposer à ses salariés de travailler 3/4h de plus par jour pour compenser les avancées sociales obtenues par le mouvement de protestation historique qui a secoué la société. Après Rien de personnel, sorti en 2009, Mathias Gokalp confirme qu'il sait très bien traiter avec acuité du monde du travail, en s'appuyant sur le jeu de Swann Arlaud (et des autres interprètes, tou.te.s convaincant.e.s), même si la mise en scène, sans ambiguïtés, pourra paraître un peu trop tirée au cordeau parfois.

Voilà pour les "nouvelles du monde" données par le cinéma en 2023. Il ne me reste plus qu'à vous adresser mes meilleurs voeux pour la nouvelle année, en soumettant à votre sagacité le titre du dernier film de Radu Jude (que je n'ai pas vu), qui pourrait (ou pas) servir de maxime : N'attendez pas trop de la fin du monde...

Version imprimable | Films de 2023 | Le Lundi 22/01/2024 | 0 commentaires
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Mon aide-mémoire sur les films du festival Télérama 2024

Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan, 12/07/2023, 3h17) LLLL (n°6 Télérama)

Encore un sommet dans la filmographie de Nuri Bilge Ceylan, et peut-être son meilleur film. En tout cas, il est passionnant de bout en bout, en dépit de sa durée. C'est une grande fresque, autour notamment d'un professeur en poste depuis plusieurs années dans une région rurale de Turquie, enneigée plusieurs mois dans l'année, et qui désirerait être muté à Istanbul. Ceylan, cinéaste mais aussi photographe émérite, filme les paysages comme personne, tout en essayant de s'approcher des multiples paradoxes de la condition humaine et des infinis contrastes de la nature humaine. Formellement les plans larges magnifient l'extérieur, mais du fait de ce format les plans rapprochés sur les personnages sont tout aussi roboratifs. Sur le fond, la matière est également très riche. Le personnage interprété par Merve Dizdar (primée à Cannes) a moins de scènes que les deux protagonistes masculins, mais quand elle apparaît c'est à chaque fois une déflagration pour les autres personnages. Et elle insuffle un souffle politique assez nouveau dans l'oeuvre du cinéaste. De nombreuses et fécondes ambiguïtés subsistent dans l'interprétation de tel ou tel élément. Et il y a des surprises proprement cinématographiques qui touchent directement l'inconscient sans passer par le discours : quelques cheveux qui volent et défient le statisme d'un plan, un aller-retour inattendu dans l'envers du décor...

The Fabelmans (Steven Spielberg, 22/02/2023, 2h31) LLLL (n°3 Télérama)

Au milieu des années 1950, le jeune Sammy Fabelman est amené pour la première fois au cinéma. Il est profondément marqué par la scène d'accident ferroviaire dans Sous le plus grand chapiteau du monde par Cecil B. DeMille. Ses parents lui achètent un train électrique et une petite caméra. C'est le début d'une vocation... D'inspiration fortement autobiographique, le nouvel opus de Steven Spielberg est un film somme, qui permet de mieux appréhender sa riche (mais inégale) filmographie. Mais c'est aussi un film hommage au cinéma en général (la découverte au montage d'un secret familial renvoie à Antonioni ou De Palma), et à ses parents récemment décédés. En particulier le personnage de la mère, merveilleusement incarnée par Michelle Williams, est le plus beau rôle féminin de son oeuvre. Paul Dano et Seth Rogen sont également excellents en père et "oncle" de Sammy. Steven Spielberg aurait pu avoir la main lourde, être trop démonstratif. Il n'en est rien : il se "contente" de suggérer beaucoup, avec, dans les scènes clés, de formidables idées de cinéma...

Anatomie d'une chute (Justine Triet, 23/08/2023, 2h31) LLL (n°4 Télérama)

Un homme est retrouvé mort au pied de son chalet. Meurtre ? Suicide ? Accident ? Sa femme est rapidement soupçonnée, et le procès a lieu un an après... Le film met à nu le fonctionnement de la machine judiciaire comme celui du couple. Les langues utilisées sont particulièrement importantes : les deux conjoints communiquaient en anglais (seconde langue commune entre l'homme français et la femme allemande). Elle s'efforce de parler en français lors de son procès, mais une interprète a été convoquée, et elle se met à répondre en allemand lorsque les questions sont plus délicates. Contrairement aux films classiques américains, l'avocat général et ceux de la défense peuvent prendre la parole sans qu'elle leur soit donnée par la présidente du tribunal, ce qui donne un résultat redoutable. Formellement, le film bénéficie d'un gros travail sur le son. Les deux témoignages du fils malvoyant du couple donnent lieu à des audaces de mise en scène (qu'on vous laisse découvrir). Une Palme d'or qui sera en outre populaire par les qualités du scénario et de l'interprétation, avec une Sandra Hüller impériale, portée par des partenaires éblouissants (Milo Machano Graner, Antoine Reinartz, Swann Arlaud, Saadia Bentaïeb, Jehnny Beth).

Les Feuilles mortes (Aki Kaurismaki, 20/09/2023, 1h21) LLL (n°5 Télérama)

Les personnages de ce nouvel opus de Kaurismaki, sorti de sa retraite, ont plus qu'un air de famille avec ceux de la « trilogie ouvrière » du début de sa carrière, ou même de Au loin s'en vont les nuages. Le cinéaste ne se contente pas de montrer le monde du travail, il offre à ses personnages, et c'est tout aussi important pour lui, une vie personnelle. Un homme et une femme se rencontrent par hasard, et espèrent tromper leur solitude ensemble, malgré les obstacles (parfois nés de leurs propres maladresses ou imperfections). Il y a des pointes d'humour pince-sans-rire et beaucoup de pudeur, à l'intérieur du style visuel inimitable de Kaurismaki. Sous réserve de ce que recèlent les autres films de la compétition cannoise, le prix du jury semble très adapté à cette œuvre de facture modeste en surface mais lumineuse dans son exécution. Un prix plus élevé aurait été tout autant envisageable pour récompenser une maîtrise indubitable dans l'art de la litote.

Les Filles d'Olfa (Kaouther Ben Hania, 05/07/2023, 1h47) LLL (n°11 Télérama)

C'est un véritable documentaire, d'ailleurs récompensé comme tel au dernier festival de Cannes (Oeil d'or). Mais le dispositif est singulier, car Kaouther Ben Hania a fait appel à trois actrices professionnelles pour interpréter les deux soeurs aînées d'une famille, parties rejoindre Daesh, ainsi que leur mère Olfa, dans les scènes qui seraient trop éprouvantes pour elle. Le résultat à l'écran tient cependant plutôt du making of d'un docu-fiction qu'on ne verra jamais, la présence des comédiennes servant avant tout à essayer d'accoucher d'une vérité humaine complexe, de la persistance du patriarcat dans la sphère intime au rôle incertain de certaines interdictions peut-être contreproductives dans leurs effets.

L'Enlèvement (Marco Bellocchio, 01/11/2023, 2h15) LLL (n°12 Télérama)

Bologne en 1858. Un garçon de sept ans, nés de parents juifs, mais qui aurait été baptisé en secret, est arraché à sa famille sur ordre de Pie IX pour recevoir une éducation catholique. La situation est-elle réversible ? Et comment cet enfant va-t-il se construire ? Ce sont les enjeux principaux de ce film qui reconstitue une époque où le pape avait à la fois un pouvoir spirituel et temporel. Il peut donc se voir d'une certaine manière comme un plaidoyer pour la laïcité, définie essentiellement par la séparation des deux (et non comme une "valeur" identitaire qu'auraient certaines personnes et pas d'autres en fonction des regards que projette la société sur elles). Si la musique est parfois trop emphatique, la mise en scène est solide. On savourera l'ironie grinçante construite dans certains montages parallèles, ou dans la répétition de certains gestes identiques mais à la signification radicalement différente compte tenu des situations (si Bellocchio est universaliste, ce serait plutôt dans la défense de l'universalité des droits, et non pas dans une interprétation abusivement et trop abstraitement "universelle" de faits et gestes appréhendés sans en analyser le contexte).

Simple comme Sylvain (Monia Chokri, 08/11/2023, 1h50) LLL (n°15 Télérama)

Sophia et Xavier sont un couple d'intellectuels. Sylvain est un charpentier bien charpenté, chargé de rénover leur maison de campagne. Sophia et Sylvain s'attirent, et le film est l'histoire de leur relation. Les arguments de départ, qui s'appuient sur les différences de capital économique mais aussi culturel entre les deux amants, pourraient donner lieu à une comédie sociale. Or c'est un leurre : Monia Chokri prend à bras le corps les clichés, mais pour en faire autre chose. Outre que Xavier et Sylvain ne représentent pas la même masculinité, l'aspect le plus réussi réside peut-être dans la façon dont se répondent les approches philosophiques de l'amour que Sophia enseigne à l'université et les scènes de sa relation réelle avec Sylvain. Monia Chokri, dont je n'avais pas beaucoup aimé La Femme de mon frère, livre une réjouissante comédie romantique pleine d'esprit, suffisamment subtile pour désamorcer les critiques, à l'instar d'un Woody Allen période années 1980, mais transposé en joual et au féminin.

Le Règne animal (Thomas Cailley, 04/10/2023, 2h08) LLL (n°1 Télérama)

Dystopie dans laquelle certains êtres humains mutent en animaux ou en êtres hybrides. C'est le cas de la femme de François. Ce dernier veut à tout prix la sauver avec l'aide d'Émile, son fils lycéen. L'argument pourrait être celui d'un film fantastique hollywoodien. Mais le traitement est tout autre : il laisse de la place au jeu des acteurs (Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos), fait écho à de nombreuses thématiques contemporaines (crise écologique globale, rejet de l'autre), avec des pointes d'humour ironique qui faisaient déjà le sel des Combattants, son précédent film et premier long métrage (avec Adèle Haenel), il y a déjà neuf ans.

Le Ciel rouge (Christian Petzold, 06/09/2023, 1h42) LLL (n°10 Télérama)

Deux amis rejoignent une maison de vacances près de la mer Baltique, pendant l'été, pensant pouvoir y travailler (l'un veut achever l'écriture de son deuxième roman). Une jeune femme s'y trouve déjà, qui n'hésite pas à inviter un quatrième larron. Pendant ce temps, la chaleur et la sècheresse menacent la forêt alentour... En surface, le grand cinéaste Christian Petzold (Barbara, Phoenix) travaille certains clichés, sur le jeune écrivain trop centré sur lui-même pour lire dans les autres et participer aux taches collectives, ou sur la menace qui métaphorise les périls actuels. Mais en profondeur il est plus troublant, presque bouleversant dans son épilogue, le tout grâce aux jeux tout en nuances de Thomas Schubert et Paula Beer.

Le Procès Goldman (Cédric Kahn, 27/09/2023, 1h56) LLL (n°2 Télérama)

Il s'agit du deuxième procès de Pierre Goldman, accessoirement demi-frère du chanteur, mais surtout activiste d'extrême gauche condamné en premier procès pour de multiples braquages, dont l'un a été fatal pour deux pharmaciennes. Il clame son innocence uniquement pour le braquage mortel. Contrairement aux récents Saint Omer d'Alice Diop et Anatomie d'une chute de Justine Triet, le film de Cédric Kahn est un pur film de procès (le prétoire est le lieu unique), qui s'appuie sur le charisme extraordinaire d'Arieh Worthalter pour refaire vivre une époque (son sort fut suivi par la gauche intellectuelle d'alors) tout en posant des questions (par exemple sur un racisme interne à la police) qui résonnent avec la société contemporaine.

Yannick (Quentin Dupieux, 02/08/2023, 1h07) LLL (n°9 Télérama)

Un jeune homme se permet d'interrompre la représentation d'une pièce de boulevard, au motif que celle-ci ne lui plaît pas, et ne lui donne pas le divertissement espéré... Le nouvel opus de Quentin Dupieux se révèle un formidable véhicule pour le bagou de Raphaël Quenart (révélé en début d'année par Chien de la casse). Il est certes court (1h05), mais le malaise créé est fécond, en ouvrant de nombreuses pistes de réflexion corrosive et de satire sociale (mais à mille lieues de tout paternalisme). Et le film finit par émouvoir, ce qui n'est pas si fréquent chez Dupieux, qui joue en général sur d'autres registres.

Nostalgia (Mario Martone, 04/01/2023, 1h58) LLL (n°16 Télérama)

Après de longues années passées faire carrière à l'étranger, Felice, un homme dans la cinquantaine, revient à Naples, sa ville natale, auprès de sa mère gravement malade. Sur place, il repense à Oreste, son mystérieux ami d'enfance devenu figure du milieu local... Le film est loin d'être maladroit dans la mise en scène, avec ses longs plans de déambulations dans la ville (qui sont tout sauf touristiques). Mais le plus réussi reste le personnage de Felice, incarné par le grand acteur Pierfrancesco Favino, qui rate une nouvelle fois de peu le prix d'interprétation à Cannes, après son rôle non moins marquant dans Le Traître de Marco Bellocchio.

The Quiet girl (Colm Bairéad, 12/04/2023, 1h36) LL (n°17 Télérama)

Quelque part en Irlande, au siècle dernier, une fille d'une douzaine d'années, peu appréciée de ses soeurs, est confiée, le temps d'un été, par ses parents pauvres et dépassés, à une cousine éloignée, dont le mari est également agriculteur, mais plus prospère. Elle va finir par découvrir le secret (qu'on aura deviné sans peine) de ce couple qui lui offre une affection qui lui faisait défaut... Les trois personnages principaux, tous assez avares en parole, émeuvent, et ce même si le conte est un peu aplati par une réalisation sans relief et plutôt illustrative.

Chien de la casse (Jean-Baptiste Durand, 19/04/2023, 1h33) LL (n°8 Télérama)

Dans une petite commune du Sud de la France, deux potes (enfin presque : l'un est régulièrement le souffre-douleur de l'autre) voient leur relation ébranlée par l'arrivée, pour les vacances, d'une étudiante de leur âge. Comme on n'est pas dans Le Genou de Claire (Rohmer), le social s'invite à l'écran, notamment parce que l'un des deux est un peu le dealer du coin. Ce n'est d'ailleurs pas un film de mise en scène (aucune ambition formelle), mais plutôt un film de personnages : si Anthony Bajon et Galatéa Bellugi assurent, Raphaël Quenard détonne par le bagou de son personnage, un peu horripilant mais touchant quand on apprend à le connaître...

Linda veut du poulet ! (Chiara Malta, Sébastien Laudenbach, 18/10/2023, 1h16) LL (n°14 Télérama)

Linda, injustement punie par sa mère (qui s'aperçoit de son erreur), réclame du poulet, autrefois si bien cuisiné par son père. Mais comment en trouver, en ce jour de grève générale où beaucoup de commerçants sont fermés ? Le point de départ est décalé, mais le traitement est totalement dépolitisé (pour ne froisser ni les cégétistes ni le bloc bourgeois ?). Il s'agit plutôt d'un burlesque bon enfant. Le style choisi pour ce film d'animation n'est pas totalement convaincant non plus, avec les dessins très simplifiés et des aplats de couleur unie pour représenter les personnages...

L'Eté dernier (Catherine Breillat, 13/09/2023, 1h44) L (n°13 Télérama)

Une avocate spécialisée dans les affaires familiales cède aux avances du fils de son mari (d'un premier lit), âgé de 17 ans... Pour son retour au cinéma, Catherine Breillat livre un film où rien ne fonctionne vraiment, où l'adolescent (Samuel Kircher, frère de l'interprète du Règne animal) n'est pas si charismatique que ça. On n'est ni dans la satire post me-too ni dans une resucée du Mourir d'aimer de Cayatte. On entrevoit toutefois ce que film aurait pu être dans le dernier plan, avec une dernière image d'une audace folle, très sardonique, qui justifierait presque le coup d'oeil...

Version imprimable | Ephémères | Le Lundi 15/01/2024 | 0 commentaires
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Des films de fin 2023

Susceptible de s'étoffer dans les jours et semaines qui viennent

  • Bien : La Chimère (Alice Rohrwacher), Les Filles vont bien (Itsaso Arana), Sirocco et le royaume des courants d'air (Benoît Chieux), Winter Break (Alexander Payne), Yallah Gaza (Roland Nurier), L'Innocence (Hirokazu Kore-Eda), Killers of the flower moon (Martin Scorsese)
  • Pas mal : Perfect days (Wim Wenders), Past lives (Celine Song), Mars express (Jérémie Périn), Mon ami robot (Pablo Berger), Les Colons (Felipe Galvez Haberle), Le Temps d'aimer (Katell Quillévéré)
  • Bof : Babylon (Damien Chazelle), Voyage au pôle Sud (Luc Jacquet)

LA CHIMERE (Alice Rohrwacher, 6 déc) LLL
Arthur, un Anglais vivant en Italie, sort de prison. Il retrouve ses anciens compagnons qui l'incitent à reprendre une dernière fois du service. Si ce schéma de départ est classique, le reste ne l'est pas du tout. Le personnage principal est ainsi une sorte de sourcier capable de repérer et piller des tombes antiques (étrusques). Il s'agit donc d'une sorte de film d'aventures, roborative dans sa deuxième moitié, mais qui ne ressemble à rien de connu ni dans le cinéma commercial ni dans le cinéma d'auteur actuel. Sans être d'une profusion narrative exceptionnelle, le film arrive à surprendre, par le caractère insolite des personnages et par la façon dont ils sont filmés (la cinéaste Alice Rohrwacher s'autorisant à certains moments des effets d'autant plus convaincants qu'ils sont adaptés aux situations et ne relèvent pas d'un dispositif formaliste global). Une réussite singulière et d'une certaine manière gourmande.

LES FILLES VONT BIEN (Itsaso Arana, 29 nov) LLL
Une metteuse en scène emmène quatre jeunes comédiennes plus ou moins expérimentées répéter un spectacle qu'elle a écrit elle-même dans une maison à louer. C'est l'été, et, en dehors des répétitions, la sororité invite aux confidences... Pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, Itsaso Arana, actrice fétiche de Jonas Trueba (Eva en août, Venez voir), joue avec son propre rôle, et a gardé les prénoms réels de ses partenaires. Mais l'essentiel n'est pas de démêler le vrai du faux, mais plutôt de remarquer que, paradoxalement, le collectif libère des expressions individuelles intimes parfois difficiles à accoucher. Le constat est à l'image de la production de ce film, en apparence modeste ou mineur, mais en réalité bien plus nourrissant qu'un simple exercice de style.

SIROCCO ET LE ROYAUME DES COURANTS D'AIR (Benoît Chieux, 13 déc) LLL
Agnès, autrice de livre pour enfants, garde pour le week-end les filles d'une amie : Juliette, 5 ans, et Carmen, 8 ans. Pour tenir la distance, Agnès se permet une petite sieste. Pendant ce temps, Luna, une marionnette échappée d'un de ses livres, entraîne les deux soeurs au Royaume des courants d'air dirigé par Sirocco. C'est le début d'un récit bourré d'imagination, aérien et en même temps les pieds bien sur terre (puisque joliment initiatique). Visuellement, la richesse du trait, tant dans la représentation des paysages soumis aux éléments que dans des personnages bien trempés (comme la cantatrice Selma), pourra même rappeler les meilleurs Miyazaki.

WINTER BREAK (Alexander Payne, 13 déc) LLL
Hiver 1970. Quelques personnages (un prof, quelques élèves et la chef cuisinière de l'établissement) sont contraints de rester passer les vacances de Noël à l'intérieur d'un lycée huppé pour garçons du Massachusetts. Au bout d'un certain temps, curieusement, seul un élève reste retenu avec les deux adultes. Si au départ il y a quelques invraisemblances le film charrie néanmoins beaucoup de vérités... Formellement, dans le grain de l'image ou la B.O., Alexander Payne s'amuse à recréer le style des films américains (adultes) de l'époque. Mais, davantage que la forme, ce sont les personnages qui donnent sa profondeur au film : bien que situés a priori dans un milieu privilégié, ils sont cabossés et suscitent d'autant plus l'empathie que, dans le sillage d'un Paul Giamatti convaincant, ils se situent davantage du côté d'une certaine intégrité plutôt que d'un cynisme trop facile.

YALLAH GAZA (Roland Nurier, 8 nov) LLL
Quatre ans après Le Char et l'olivier, Roland Nurier livre un deuxième documentaire sur la Palestine, centré cette fois-ci sur la bande de Gaza. Il mêle témoignages contemporains, perspectives historiques et analyses par des spécialistes du sujet, pour un peuple de réfugiés qui sait d'où il vient et souhaite construire son avenir et conquérir le droit à exister, s'autodéterminer, et vivre normalement, grâce à un haut niveau d'éducation. Les difficultés sont immenses compte tenu du blocus maritime, terrestre et aérien depuis 2007, les offensives répétées d'Israël (l'opération "Bordures protectrices" en 2014 qui a inspiré la chanson de Michel Bühler au générique final), ou la répression meurtrière et mutilante des paisibles "marches pour le retour" en 2018. Le film prend involontairement un caractère posthume compte tenu du niveau du massacre actuel...

L'INNOCENCE (Hirokazu Kore-Eda, 27 dév) LLL
Le titre original s'intitule Kaibutsu, qu'on peut traduire par "monstre" en français (à l'international le film est d'ailleurs connu sous le titre Monster). Est-ce à dire que le distributeur français a préféré l'antiphrase ? Ce n'est pas si simple. Dans les dialogues, on entend effectivement à plusieurs reprises le terme monstre, mais pas pour désigner la même personne. Le film est construit sur trois versions successives autour de la personnalité complexe d'un élève de CM2. Est-ce que cela cache des faits de harcèlement, et de qui sur qui ? La première boucle est centrée sur la mère célibataire de l'enfant, la deuxième sur celui de son instituteur, et la dernière centrée sur l'enfant et qui construit un épilogue qui redéfinit le sujet du film (prix du scénario à Cannes). Et si la monstruosité ne désignait en définitive moins un personnage en particulier que les mécanismes pluriels ou collectifs de rumeurs, faits alternatifs, et intolérances à ce qui est autre ?

KILLERS OF THE FLOWER MOON (Martin Scorsese, 18 oct) LLL
Etats-Unis, il y a un siècle. Par le hasard de la géologie, le peuple Osage s'enrichit par l'exploitation du pétrole. Cela suscite la convoitise de certains WASP qui développent des stratégies diaboliques pour récupérer le pactole par héritage... Le principe du film s'écrit en trois lignes et pourtant il dure 3h26 tout en n'étant jamais ennuyeux. Dans un classicisme formel assumé, le cinéaste développe quelques personnages : William Hale, le cerveau criminel, le commanditaire, Ernest son neveu, écartelé entre sa loyauté envers son oncle et son amour pour la famille (femme et enfants) qu'il a fondée. Robert de Niro et Leonardo Di Caprio cabotinent juste ce qu'il faut, le premier dans la rouerie, le second comme esprit lâche et torturé. Et entre les deux Lily Gladstone est impériale.

PERFECT DAYS (Wim Wenders, 29 nov) LL
Le récit est entièrement centré sur Hirayama, un homme sexagénaire agent d'entretien des toilettes, parfois ultra design, de Tokyo (Koji Yakusho, prix d'interprétation à Cannes). On a d'ailleurs d'abord la désagréable impression que les autres personnages ne sont que des faire-valoir pour cet anti-héros presque muet et observateur. Heureusement, le film gagne en profondeur dans sa deuxième partie. Son élégance n'est donc pas que feinte, et peut toucher, et même si les images ne sont pas toujours à la hauteur ou frôlent le cliché, le film donne davantage qu'un prétexte pour écouter les morceaux préférés d'Hirayama (le réalisateur de Buena Vista Social Club a toujours l'oreille musicale : Lou Reed, Van Morrison, Nina Simone...).

PAST LIVES (Celine Song, 13 déc) LL
Une fille (Na Young) et un garçon (Hae Sung) sont des enfants coréens de 12 ans, et sont surtout les meilleurs amis du monde. Soudain, la famille de Na Young émigre au Canada (Toronto). Douze ans plus tard, Na Young, elle-même expatriée aux Etats-Unis, et se faisant désormais appeler Nora Moon, reprend contact avec son ami d'enfance (qui l'avait cherchée en vain) via les réseaux sociaux ou par vidéoconférence. Elle prend plaisir à ses retrouvailles distantes, mais décide pourtant de temporiser (et une nouvelle ellipse de douze ans intervient). La pudeur des interprètes nourrit cette histoire contrariée, qui manque toutefois de relief (on n'est pas dans Brève rencontre de David Lean ou chez Wong Kar-wai) et d'enjeu secondaire (le film se contente d'enregistrer superficiellement la richesse et les tiraillements de la double culture). 

MARS EXPRESS (Jérémie Périn, 22 nov) LL
Dans un futur lointain, ce qui reste de l'humanité a colonisé Mars. Êtres humains et robots vivent ensemble. Une détective privée humaine fait équipe avec un robot pour enquêter sur la disparition d'une jeune fille... Cette SF s'appuie sur des expériences qui nous sont parfois familières (l'envahissement du numérique, la perte de maîtrise). S'il reste des différences entre êtres humains et robots, les premiers (dont l'héroïne) sont "augmentés" et les seconds font parfois office de nouveaux prolétaires. Le film souffre peut-être un peu d'un trop plein : en 1h25 cela fait beaucoup d'éléments, pas toujours assez exploités. Et l'animation m'a donné l'impression de rendre les personnages plus distants qu'en prises de vue réelles.

MON AMI ROBOT (Pablo Berger, 27 déc) LL
Pablo Berger est un cinéaste plutôt rare qui s'essaye à chaque fois à des exercices de style différents : un film d'époque racontant le tournage d'un film sexuel "éducatif" destiné à l'export pendant le règne (finissant) de Franco (Torremolinos 73), une variation jubilatoire autour de Blanche-Neige, façon muet en noir et blanc (Blancanieves, qui a enchanté les cinéphiles du monde entier). Ici, le quatrième film de Pablo Berger est également dépourvu de dialogues. C'est une adaptation d'un roman graphique américain de Sara Varon. L'action est située il y a quelques décennies à New York. Les êtres humains sont figurés en animaux. Le personnage principal est ainsi un chien bipède se comportant comme un être humain qui, pour tromper son ultra moderne solitude, commande un robot. C'est le début d'une amitié réciproque entre eux, mais malheureusement aussi contrariée que dans le récent Past lives ! L'animation m'a cependant semblé un peu trop banale pour être à la hauteur des intentions.

LES COLONS (Felipe Galvez Haberle, 20 déc) LL
Terre de Feu, début du XXè siècle. Un riche éleveur de moutons engage trois cavaliers pour se débarrasser de la population autochtone qui s'attaque à ses troupeaux, à la frontière (encore à déterminer) entre le Chili et l'Argentine. Bien qu'accompagnant l'expédition, la mise en scène porte un regard anticolonialiste sur l'extermination du peuple Selknam. Les grands espaces donnent des allures de western même si, au niveau du récit comme des personnages (et malgré le mutisme éloquent d'un métis), ce premier long métrage peine parfois à se hisser à la hauteur de son ambition.

LE TEMPS D'AIMER (Katell Quillévéré, 29 nov) LL
L'histoire d'un couple à secrets, pendant les Trente Glorieuses. Comme dans Suzanne, l'un des précédents films de la cinéaste, certaines ellipses sont puissantes, mais ici elles soulignent d'autant l'incapacité des images à se hisser à la hauteur du sujet. Les tonalités saturées de certaines couleurs n'en font pas pour autant un ersatz flamboyant des mélos de Douglas Sirk. Si le résultat n'est pas un navet, il le doit avant tout à ses interprètes, avec en particulier une Anaïs Demoustier dont le jeu n'est pas sans rappeler celui de la Nathalie Baye des années 1980...

BABYLON (Damien Chazelle, 18 jan) L
Il y a certes des éléments intéressants sur le cinéma des années 1920 : l'apogée créatrice du cinéma muet, l'effervescence amorale du Hollywood de l'époque, les réalisatrices et productrices pas encore écartées du pouvoir, les difficultés techniques du passage au parlant... Mais la fresque est tellement boursouflée et vulgaire que, malgré la découverte d'un acteur intéressant (Diego Calva), aux côtés de Margot Robbie et Brad Pitt, on frise l'indigestion !

VOYAGE AU POLE SUD (Luc Jacquet, 20 déc) L
Vu en avant-première surprise, le film a une audace : celle du noir et blanc. Ce choix est probant, dans le sens où il magnifie les paysages. La bande-son est en revanche un supplice, où les quelques sons naturels sont couverts par une voix off d'une grande platitude et une musique envahissante. Les images sont tournées avec de grands moyens (drones etc) et peuvent impressionner, mais Luc Jacquet s'invite souvent dans le plan (on a l'impression d'une soirée diapo où on ne voit que l'hôte). Heureusement qu'il y a les animaux, honnêtes eux : loutres, phoques, manchots qui ne sont pas des bandits...
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Bilan de l'année cinéma 2023 - 2 : Mon top 15 des films

Suite du bilan avec le traditionnel top d'avant minuit (qui peut encore évoluer à la marge ultérieurement, car je n'ai pas encore vu tous les films sortis en 2023 qui m'intéressaient !) :

1. Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan, Turquie)
2. Fermer les yeux (Victor Erice, Espagne)
3. Dalva (Emmanuelle Nicot, Belgique)
4. The Fabelmans (Steven Spielberg, Etats-Unis)
5. Anatomie d'une chute (Justine Triet, France)
6. Le Bleu du caftan (Maryam Touzani, Maroc)
7. Les Feuilles mortes (Aki Kaurismaki, Finlande)
8. Interdit aux chiens et aux italiens (Alain Ughetto, France)
9. Showing up (Kelly Reichardt, Etats-Unis)
10. Dancing Pina (Florian Heinzen-Ziob, Allemagne)
11. Nos soleils (Carla Simon, Espagne)
12. Trenque Lauquen (Laura Citarella, Argentine)
13. La Chimère (Alice Rohrwacher, Italie)
14. The Old Oak (Ken Loach, Grande-Bretagne)
15. Oppenheimer (Christopher Nolan, Etats-Unis)

Viennent ensuite (top alternatif) : Et la fête continue (Robert Guédiguian, France), Sur l'Adamant (Nicolas Philibert, France), Retour à Séoul (Davy Chou, France/Belgique/Allemagne), Venez voir (Jonas Trueba, Espagne), La Romancière, le film et le heureux hasard (Hong Sang-soo, Corée du Sud), Les Filles d'Olfa (Kaouther Ben Hania, Tunisie), Le Ravissement (Iris Kaltenbäck, France), L'Enlèvement (Marco Bellocchio, Italie), Simple comme Sylvain (Monia Chokri, Canada), Vers un avenir radieux (Nanni Moretti, Italie), Love life (Kôji Fukada, Japon), La Montagne (Thomas Salvador, France), Le Règne animal (Thomas Cailley, France), L'Education d'Ademoka (Adilkhan Yerzhanov, Kazakhstan), Le Ciel rouge (Christian Petzold, Allemagne)
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Bilan de l'année cinéma 2023 - 1 : Interprétations

L'année qui s'achève a été éprouvante collectivement. De l'Ukraine à la Palestine, de la Cop 28 à la montée programmée des extrêmes droites sur tous les continents, on a l'impression que les puissants de ce monde cherchent à nier ou délégitimer l'humanité d'une partie de la population humaine (le fameux "double standard") pour garder intacts leurs pouvoirs et/ou privilèges, et maintenir un cap qui détruit pourtant les sociétés humaines et menace l'habitabilité de la planète, pour eux également.
On attribue au cinéma deux fonctions en apparence contradictoire : "divertir", s'extraire des difficultés ou angoisses quotidiennes, et en même temps "donner des nouvelles du monde"...
Cette année, pour des raisons personnelles, j'ai plutôt évité les films où la maladie et le deuil étaient les sujets principaux du film. Il arrive bien sûr que ces éléments traversent les films sans qu'ils soient donnés d'avance (comme ils traversent nos vies).
Cette restriction ne m'a cependant pas empêché de me nourrir de beaucoup de films (plus d'une centaine), ce qui m'a donné envie d'en faire un petit bilan subjectif.
Pour des raisons de lisibilité, ce bilan va être scindé en plusieurs publications.
Avant de dévoiler mon top 15 de l'année, de me souvenir de moments de cinéma ou de mise en scène particuliers, et de proposer quelques tendances repérées dans l'année écoulée, voici tout d'abord une petite sélection des interprétations les plus marquantes de l'année (quelle que soit la puissance cinématographique du film par ailleurs).

11 actrices pour se souvenir de 2023 (par ordre alphabétique) :

Lubna Azabal dans Le Bleu du caftan de Maryam Touzani, Pour la France de Rachid Hami et L'Air de la mer rend libre de Nadir Moknèche :
Elle apparaît au moins trois fois cette année sur nos grands écrans. Dans L'Air de la mer rend libre elle joue une mère de famille qui encourage le mariage arrangé mais consenti de sa fille. Dans Pour la France elle interprète une autre mère de famille soucieuse d'enterrer dignement son fils décédé dans des circonstances mystérieuses alors qu'il venait d'intégrer l'école militaire Saint-Cyr. Mais c'est dans Le Bleu du caftan qu'elle livre sa prestation la plus bouleversante dans le rôle d'une épouse qui continue de nourrir l'amour qu'elle porte à son mari (qui certes le lui rend bien) tout en lui donnant la liberté d'assouvir une orientation sexuelle toute autre.

Merve Dizdar dans Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan :
Prix d'interprétation à Cannes pour ce rôle (l'un des multiples prix possibles pour ce film très riche). Le film n'est certes pas centré sur elle, elle a en effet moins de scènes que les deux protagonistes masculins, mais quand elle apparaît c'est à chaque fois une déflagration pour les autres personnages. Son activisme, qui a pourtant un coût, contraste avec la lâcheté masculine et insuffle un souffle politique assez nouveau dans l'oeuvre du cinéaste.

Lily Gladstone dans Killers of the flower moon de Martin Scorsese :
Elle ne dit pas grand chose, mais n'en pense pas moins, son personnage comprend tout à la cupidité des mariages d'intérêt qui menacent de déposséder les fortunes acquises par le peuple Osage (dont elle fait partie) avec l'argent du pétrole. L'histoire d'amour vécue avec Ernest Hale semble sincère, au moins de son côté (son mari étant pour le mois lâche et torturé). Face aux cabotinages calculés de De Niro et Di Caprio, Lily Gladstone est impériale.

Hafsia Herzi dans Le Ravissement d'Iris Kaltenbäck :
L'un des personnages les plus complexes de l'année. Une sage-femme pas très heureuse en amour, qui après avoir aidé sa meilleure amie à accoucher commence à adopter un comportement troublant et à s'enfermer dans une spirale de mensonges. Sa composition est plus comportementaliste que psychologique, et est magnifiée par une caméra aux aguets grâce à la mise en scène maîtrisée d'Iris Kaltenbäck, dès son premier long-métrage.

Sandra Hüller dans Anatomie d'une chute de Justine Triet :
Ses talents d'actrice sont totalement sous exploités dans Tar de Todd Field, vampirisé par Cate Blanchett, mais elle impressionne tout le monde dans le rôle principal du film de Justine Triet (et n'est pas pour rien dans la Palme d'or que celui-ci a reçue). Sa performance de forte tête laisse pourtant de la place à l'ambiguïté (si le film a fait la quasi-unanimité de celles et ceux qui l'ont vu, il aura néanmoins divisé les spectateurs/trices sur leur intime conviction quant à la culpabilité de Sandra dans la mort de son mari).

Park Ji-min dans Retour à Séoul de Davy Chou :
Avec le triomphe international public et critique de Parasite, la Corée du Sud inspire des cinéastes du monde entier à l'instar du réalisateur franco-cambodgien Davy Chou. Le pays est celui des parents biologiques de Freddie, une jeune femme de 25 ans ayant grandi en France auprès de ses parents adoptifs. Park Ji-min, artiste plasticienne dans la vraie vie, s'engage totalement dans le rôle, et lui donne une personnalité très forte et imprévisible.

Camélia Jordana dans Avant que les flammes ne s'éteignent de Mehdi Fikri :
Son petit frère mystérieusement décédé après une garde à vue, Malika, malgré les réticences d'une partie de sa famille, désire réclamer vérité et justice. Par son talent, et sans manichéisme, Camélia Jordana rend sensible ce que ça coûte à son personnage d'avoir à porter du jour au lendemain un combat dans ce qu'il a d'inévitablement politique (compte tenu de l'état actuel des institutions).

Lola Naymark dans Et la fête continue de Robert Guédiguian :
Si l'oeuvre si cohérente de Robert Guédiguian force globalement le respect, dans La Villa et Gloria Mundi les personnages de la jeune génération n'avaient pas les beaux rôles. Après un film d'époque sur un autre continent, il a un peu changé de point de vue, la transmission est indispensable et possible, il ne fait plus d'anti-jeunisme et offre à Lola Naymark, fidèle de la troupe depuis L'Armée du crime, une magnifique partition (elle dirige d'ailleurs une chorale) qu'elle interprète avec abnégation.

Laura Paredes dans Trenque Lauquen de Laura Citarella :
Laura Paredes, qu'on avait découverte dans le magnifique La Flor de Mariano Llinas, autre oeuvre fleuve issue du collectif El Pampero Cine, une atypique maison de production (et troupe) argentine, n'est pas que l'actrice mystérieuse de Trenque Lauquen, elle en a également co-écrit le scénario. Résultat :  jamais une absente (que les deux hommes de sa vie recherchent activement) n'aura eu autant de présence...

Ella Rumpf dans Le Théorème de Marguerite de Anna Novion :
Révélée par Julia Ducournau dans Grave, l'actrice incarne une brillante étudiante en mathématiques. Lors de sa soutenance elle s'aperçoit d'une erreur, et décide de tout plaquer. Mais peut-on échapper aux mathématiques ? Son jeu, très éloigné des clichés, et a fortiori des emplois de jeune première, peut désarçonner, mais au contraire il enrichit le personnage et complexifie l'équation.

Michelle Williams dans The Fabelmans de Steven Spielberg et Showing up de Kelly Reichardt :
Elle fait le grand écart entre deux écosystèmes cinématographiques très différents. D'un côté le cinéma de recherche de Kelly Reichardt, où elle interprète dans ce nouvel opus (pas facile à partager, et pourtant) une artiste ordinaire, une sculptrice, dans la préparation d'une exposition. Elle n'est pas dans la séduction, râle contre des problèmes matériels, fait sa part des tâches administratives. Elle n'est pas dans la performance, mais son interprétation est un des piliers du film (qui ne repose pas sur une grande progression dramatique). De l'autre côté, Steven Spielberg, qui symbolise (parfois malgré lui ?) un cinéma plus commercial, lui offre dans l'un de ses films les plus personnels et accomplis le rôle de Mme Fabelmans (la mère du personnage principal), dont une certaine exubérance peut masquer des secrets. Le plus beau rôle féminin de l'oeuvre du cinéaste (qui se rachète car il n'a pas toujours été très habile en la matière).

9 acteurs pour se souvenir de 2023 (par ordre alphabétique) :

Jean-Pierre Darroussin dans Et la fête continue de Robert Guédiguian et Le Théorème de Marguerite de Anna Novion :
Une valeur sûre, aussi crédible dans le nouveau film de sa compagne Anne Novion, Le Théorème de Marguerite, où il interprète le directeur de thèse du rôle-titre, que dans le nouvel opus de Robert Guédiguian, dans lequel il est à la fois le dernier amour magnifique de Rosa (Ariane Ascaride) et un père de famille qui, bien que béotien en apparence, donne quelques judicieux conseils à sa fougueuse militante de fille (Lola Naymark).

Pierfrancesco Favino dans Nostalgia de Mario Martone :
Inoubliable Traître chez Marco Bellocchio, c'est peu de dire qu'il porte sur ses épaules une part importante de la réussite de Nostalgia de Mario Martone, dans lequel il incarne Felice, un homme dans la cinquantaine qui revient à Naples, après de longues années à l'étranger. Le motif de ce retour est la grave maladie de sa mère, mais il est traversé par des souvenirs d'enfance avec Oreste, son ancien ami devenu figure du milieu local...

Paul Giamatti dans Winter Break de Alexander Payne :
L'éternel outsider du cinéma américain, découvert dans le cultissime American Splendor (adapté du roman graphique éponyme par Robert Pulcini et Shari Springer Berman), incarne un professeur d'un lycée huppé pour garçons du Massachusets, contraint de rester sur place pendant les vacances de Noël. Il a plein de défauts, mais la cohabitation forcée va faire un peu bouger les lignes, même s'il garde intacte sa principale qualité : une certaine intégrité (bien comprise).

Lazare Gousseau dans Le Syndrome des amours passées de Ann Sirot et Raphaël Balboni :
L'acteur campe un homme ordinaire obligé comme sa femme de recoucher avec toutes ses ex pour désactiver le fameux syndrome qui mine leur fertilité. Un premier ressort comique réside dans le fait qu'il a beaucoup moins d'ex que son épouse. Jamais grivois, le film s'appuie à la fois sur une mise en scène poétique et une interprétation assez naturaliste. Pour ce faire, Lazare Gousseau a su s'appuyer sur l'alchimie avec ses partenaires, dont évidemment Lucie Debay (qui aurait pu figurer dans la liste précédente).

Pierre Niney dans Le Livre des solutions de Michel Gondry :
J'avoue que l'acteur ne m'avait jamais passioné, hormis dans Frantz de François Ozon (mais le film avait beaucoup d'autres atouts à son service). Le voir camper un réalisateur un peu farfelu, inventif - débrouillard, mais surtout ingérable, a quelque chose de réjouissant et d'inattendu. Le film repose un peu trop sur sa performance, même si les regards doux que pose sa tante (adorable Françoise Lebrun) sur le personnage serrent le coeur et font tenir la distance...

Raphaël Quenard dans Yannick de Quentin Dupieux :
A l'affiche de plusieurs films cette année, le jeune acteur détonne par son bagou bien à lui qu'utilisent les différents cinéastes dans des univers pourtant différents. S'il semble peut-être un peu trop en roue libre dans Chien de la casse du primo réalisateur Jean-Baptiste Durand, il déboule dans un jeu de quilles dans le rôle titre de Yannick de Quentin Dupieux, dans lequel il arrive par son culot à interrompre une pièce de théâtre et à créer un malaise fécond (dont les personnages ne vont pas se tirer sans frais).

William Sheller dans La Fiancée du poète de Yolande Moreau :
Le film a ses pleins et ses déliés, surjouant peut-être un peu le douillet chemin de traverse, mais William Sheller, en curé de campagne promenant ses chiens et jouant un air d'ABBA à l'orgue d'église, est le cameo le plus inattendu et le plus réjouissant de l'année (raison pour laquelle le néo-comédien apparaît dans cette liste sans avoir le premier rôle).

Arieh Worthalter dans Le Procès Goldman de Cédric Kahn :
Je n'aime pas trop le terme, mais il s'agit bien là d'une "performance", au sens où l'interprétation de Pierre Goldman, activiste d'extrême gauche poursuivi pour de multiples braquages dans les années 1970 (je ne suis pas assez vieux pour avoir des souvenirs de cette période), repose sur le charisme extraordinaire de l'acteur, même si ce n'est pas le seul intérêt du film (qui interroge peut-être aussi in fine... notre époque !).

Koji Yakusho dans Perfect days de Wim Wenders :
La composition très subtile de Koji Yakusho, récompensée à raison à Cannes par le prix d'interprétation, est effectivement la meilleure raison d'aller voir le film, qui s'appuie peut-être d'ailleurs un peu trop sur lui (son jeune collègue agent d'entretien donne l'impression de n'être qu'un faire-valoir, ce qui sera moins le cas des personnages secondaires ultérieurs). Le film est également un prétexte pour se régaler d'une des meilleures bandes musicales de l'année...

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Des films de la rentrée


  • Bien : Les Feuilles mortes (Aki Kaurismaki), The Old Oak (Ken Loach), Et la fête continue (Robert Guédiguian), Le Ravissement (Iris Kaltenbäck), L'Enlèvement (Marco Bellocchio), Simple comme Sylvain (Monia Chokri), Le Règne animal (Thomas Cailley), Le Ciel rouge (Christian Petzold), Le Procès Goldman (Cédric Kahn), Le Syndrome des amours passées (Ann Sirot, Raphaël Balboni), Le Théorème de Marguerite (Anna Novion), Un métier sérieux (Thomas Lilti), En bonne compagnie (Silvia Munt), Avant que les flammes ne s'éteignent (Mehdi Fikri), Toni en famille (Nathan Ambrosioni), Le Livre des solutions (Michel Gondry), Anti-Squat (Nicolas Silhol)
  • Pas mal : Ca tourne à Séoul (Kim Jee-Woon), Acide (Just Philippot), L'Air de la mer rend libre (Nadir Moknèche), Goodbye Julia (Mohamed Kordofani), Le Gang des Bois du Temple (Rabah Ameur-Zaïmeche), La Fiancée du poète (Yolande Moreau), Le Garçon et le héron (Hayao Miyazaki), L'Arbre aux papillons d'or (Pham Tien An), Coup de chance (Woody Allen), Mystère à Venise (Kenneth Branagh), Linda veut du poulet ! (Chiara Malta, Sébastien Laudenbach)
  • Bof : How to have sex (Molly Manning Walker), L'Eté dernier (Catherine Breillat), Visions (Yann Gozlan)

LES FEUILLES MORTES (Aki Kaurismaki, 20 sep) LLL
Les personnages de ce nouvel opus de Kaurismaki, sorti de sa retraite, ont plus qu'un air de famille avec ceux de la "trilogie ouvrière" du début de sa carrière, ou même de Au loin s'en vont les nuages. Le cinéaste ne se contente pas de montrer le monde du travail, il offre à ses personnages, et c'est tout aussi important pour lui, une vie personnelle. Un homme et une femme se rencontrent par hasard, et espèrent tromper leur solitude ensemble, malgré les obstacles (parfois nés de leurs propres maladresses ou imperfections). Il y a des pointes d'humour pince-sans-rire et beaucoup de pudeur, à l'intérieur du style visuel inimitable de Kaurismaki. Sous réserve de ce que recèlent les autres films de la compétition cannoise, le prix du jury semble très adapté à cette oeuvre de facture modeste en surface mais lumineuse dans son exécution. Un prix plus élevé aurait été tout autant envisageable pour récompenser une maîtrise indubitable dans l'art de la litote.

THE OLD OAK (Ken Loach, 25 oct) LLL
Le titre signifie "le vieux chêne", expression qui pourrait qualifier le cinéaste anglais mais qui n'a pas été traduit car désignant l'enseigne d'un pub. Celui-ci est devenu le dernier lieu de lien social dans une bourgade ravagée par le chômage. L'arrivée de réfugiés syriens dans le village est fraîchement accueillie... Le gérant du pub se lie cependant d'amitié avec Yara, l'une des réfugiées passionnée par la photographie. Ensemble ils vont tenter de développer une cantine pour les enfants démunis quelles que soient leurs origines. Sans éluder les difficultés, Ken Loach et son fidèle scénariste Paul Laverty tissent une histoire avec un peu d'espoir. La manière fait le reste. Le cinéaste n'a certes jamais été un avant-gardiste de la forme, mais possède un atout bien plus important : la qualité de son regard. Contrairement à d'autres qui pensent faire de l'esprit en se montrant ostensiblement plus intelligent que leurs personnages, le cinéaste au contraire ne prend personne de haut, même les personnes les plus antipathiques. Cet humanisme-là, sans rien renier de sa grille de lecture habituelle, est très précieux par les temps qui courent.

ET LA FETE CONTINUE (Robert Guédiguian, 15 nov) LLL
Le film s'ouvre par des images d'archives vidéos réelles d'effondrement de deux immeubles rue d'Aubagne en 2018. Le nouvel opus de Guédiguian traite donc explicitement de politique locale marseillaise, plus de vingt ans après La Ville est tranquille (sorti en 2001). Les deux films sont très différents mais ont des points communs. Dans le premier, on voyait des responsables politiques supposément adversaires s'acoquiner entre eux (y compris PS et FN). Dans le second, les militants politiques au sens strict du terme, à part Rosa (Ariane Ascaride), ne sont plus que des ombres presque muettes, engluées dans un patriotisme de parti qui rend difficile une union à gauche. Dans les deux films, on voit une chorale locale reprendre une chanson de variété populaire (genre qu'affectionne le cinéaste). Mais "Pas toi" a cédé la place à "Emmenez-moi". Comme si, au lieu de flotter sans grâce dans la rumination des déceptions, il fallait mieux aller chercher la beauté ailleurs (au niveau métaphorique, car il s'agit bien d'agir ici et maintenant). Il la trouve dans le militantisme de terrain. Aussi généreux que le dernier Loach, le film est rempli d'amour : la (dernière ?) rencontre amoureuse, superbe, entre Rosa et Henri (Jean-Pierre Darroussin), mais aussi les liens familiaux et la complémentarité entre générations, ce qui permet à la nouvelle, et notamment au magnifique personnage d'Alice (Lola Naymark), de prendre le relais et de faire mieux, dans un happening final bouleversant de dignité.

LE RAVISSEMENT (Iris Kaltenbäck, 11 oct) LLL
Lydia et Salomé sont amies de longue date, mais il y a comme une sorte de jeu de vases communicants dans leurs vies personnelles respectives (même si elles se montrent heureuses du bonheur de l'autre ou solidaires dans les difficultés). Lydia est en pleine rupture amoureuse lorsque Salomé lui annonce être enceinte. La première, qui est sage-femme, va aider la seconde à accoucher. Mais c'est le début d'un comportement troublant, et d'une spirale de mensonges... Pour son premier long-métrage de fiction, la réalisatrice Iris Kaltenbäch et son interprète principale Hafsia Herzi ont réussi à créer une composition avec une approche beaucoup plus behavioriste que psychologique. Grâce également à la finesse des autres interprètes (Nina Meurisse, Alexis Manenti) et à la distance idéale trouvée par la caméra, ce coup d'essai impressionne...

L'ENLEVEMENT (Marco Bellocchio, 1er nov) LLL
Bologne en 1858. Un garçon de sept ans, nés de parents juifs, mais qui aurait été baptisé en secret, est arraché à sa famille sur ordre de Pie IX pour recevoir une éducation catholique. La situation est-elle réversible ? Et comment cet enfant va-t-il se construire ? Ce sont les enjeux principaux de ce film qui reconstitue une époque où le pape avait à la fois un pouvoir spirituel et temporel. Il peut donc se voir d'une certaine manière comme un plaidoyer pour la laïcité, définie par la séparation des deux (et non comme une "valeur" identitaire qu'auraient certaines personnes et pas d'autres en fonction des regards que projette la société sur elles). Si la musique est parfois trop emphatique, la mise en scène est solide. On savourera l'ironie grinçante construite dans certains montages parallèles, ou dans la répétition de certains gestes identiques mais à la signification radicalement différente compte tenu des situations (si Bellocchio est universaliste, ce serait plutôt dans la défense de l'universalité des droits, et non pas dans une interprétation abusivement et trop abstraitement "universelle" de faits et gestes appréhendés sans en analyser le contexte).

SIMPLE COMME SYLVAIN (Monia Chokri, 8 nov) LLL
Sophia et Xavier sont un couple d'intellectuels. Sylvain est un charpentier bien charpenté, chargé de rénover leur maison de campagne. Sophia et Sylvain s'attirent, et le film est l'histoire de leur relation. Les arguments de départ, qui s'appuient sur les différences de capital économique mais aussi culturel entre les deux amants, pourraient donner lieu à une comédie sociale. Or c'est un leurre : Monia Chokri prend à bras le corps les clichés, mais pour en faire autre chose. Outre que Xavier et Sylvain ne représentent pas la même masculinité, l'aspect le plus réussi réside peut-être dans la façon dont se répondent les approches philosophiques de l'amour que Sophia enseigne à l'université et les scènes de sa relation réelle avec Sylvain. Monia Chokri, dont je n'avais pas beaucoup aimé La Femme de mon frère, livre une réjouissante comédie romantique pleine d'esprit, suffisamment subtile pour désamorcer les critiques, à l'instar d'un Woody Allen période années 1980, mais transposé en joual et au féminin.

LE REGNE ANIMAL (Thomas Cailley, 4 oct) LLL
Dystopie dans laquelle certains êtres humains mutent en animaux ou en êtres hybrides. C'est le cas de la femme de François. Ce dernier veut à tout prix la sauver, avec l'aide d'Emile, son fils lycéen. L'argument pourrait être celui d'un film fantastique hollywoodien. Mais le traitement est tout autre : il laisse de la place au jeu des acteurs (Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos), fait écho à de nombreuses thématiques contemporaines (crise écologique globale, rejet de l'autre), avec des pointes d'humour ironique qui faisaient déjà le sel des Combattants, son précédent film et premier long métrage (avec Adèle Haenel), il y a déjà neuf ans.

LE CIEL ROUGE (Christian Petzold, 6 sep) LLL
Deux amis rejoignent une maison de vacances près de la mer Baltique, pendant l'été, pensant pouvoir y travailler (l'un veut achever l'écriture de son deuxième roman). Une jeune femme s'y trouve déjà, qui n'hésite pas à inviter un quatrième larron. Pendant ce temps, la chaleur et la sècheresse menacent la forêt alentour... En surface, le grand cinéaste Christian Petzold (Barbara, Phoenix) travaille certains clichés, sur le jeune écrivain trop centré sur lui-même pour lire dans les autres et participer aux taches collectives, ou sur la menace qui métaphorise les périls actuels. Mais en profondeur il est plus troublant, presque bouleversant dans son épilogue, le tout grâce aux jeux tout en nuances de Thomas Schubert et Paula Beer.

LE PROCES GOLDMAN (Cédric Kahn, 27 sep) LLL
Il s'agit du deuxième procès de Pierre Goldman, accessoirement demi-frère du chanteur, mais surtout activiste d'extrême gauche condamné en premier procès pour de multiples braquages, dont l'un a été fatal pour deux pharmaciennes. Il clame son innocence uniquement pour le braquage mortel. Contrairement aux récents Saint Omer d'Alice Diop et Anatomie d'une chute de Justine Triet, le film de Cédric Kahn est un pur film de procès (le prétoire est le lieu unique), qui s'appuie sur le charisme extraordinaire d'Arieh Worthalter pour refaire vivre une époque (son sort fut suivi par la gauche intellectuelle d'alors) tout en posant des questions (par exemple sur un racisme interne à la police) qui résonnent avec la société contemporaine.

LE SYNDROME DES AMOURS PASSEES (Ann Sirot, Raphaël Balboni, 25 oct) LLL
Un couple encore jeune n'arrive pas à avoir d'enfants. De retour d'un congrès mondial des gynécologues, un spécialiste pense avoir trouvé la cause de leurs difficultés : ils sont atteints du "syndrome des amours passées". Pour s'en libérer, ils vont devoir coucher à nouveau avec toutes et tous leurs ex... S'il avait été réalisé au coeur de l'industrie française de la comédie, le résultat aurait pu être navrant de vulgarité. Or, fort heureusement, il n'en est rien. Ce deuxième film belge livre un humour élégant, qui repose notamment sur le fait que madame a beaucoup plus d'ex que monsieur. Il aborde de nombreuses thématiques (non exclusivité, jalousie, le statut des anciennes relations, le temps qui passe) avec beaucoup de tact. La mise en scène est assez ingénieuse, y compris dans des scènes de nu tendres et symboliques. Nora Hamzawi et Florence Loiret Caille forment de réjouissants seconds rôles auprès du couple attachant constitué par Lucie Debay et Lazare Gousseau (moins connus chez nous).

LE THEOREME DE MARGUERITE (Anna Novion, 1er nov) LLL
Marguerite est une brillante étudiante en mathématiques, mais son monde semble s'écrouler lorsqu'une erreur est mise en évidence lors de la soutenance de sa recherche. Au grand dam de son directeur de thèse (Darroussin, très convaincant), elle décide de tout plaquer et tout recommencer. Il y a quelques mois, le film La Voie royale (qui avait d'autres tenants et aboutissants) montrait des maths qui étaient mises au service des classes dominantes et de la pérennité de leur pouvoir. Ici, les mathématiques sont montrées sous leur meilleur jour, un apprentissage de la rigueur intellectuelle, et un formidable instrument, non sans poésie, au service de la vérité. Ella Rumpf, avec son jeu loin des clichés, complexifie également agréablement l'équation.

UN METIER SERIEUX (Thomas Lilti, 13 sep) LLL
Thomas Lilti délaisse cette fois-ci le monde de la santé pour celui de l'éducation. C'est un film choral, mais où les problématiques individuelles de chacun ne sont pas juxtaposées les unes aux autres (ce qui aurait peut-être été le cas si la forme choisie avait été une série). L'expression "corps enseignant" est donc ici particulièrement adaptée pour décrire l'impression laissée par le film. Avec une certaine modestie par rapport à son sujet, le réalisateur ne donne pas l'impression de recycler son savoir-faire dans un nouveau milieu professionnel, même si, comme dans Hippocrate, Vincent Lacoste endosse le rôle de la jeune recrue qui découvre les réalités du métier (au milieu d'une distribution solide : Louise Bourgoin, Adèle Exarchopoulos, François Cluzet...).

EN BONNE COMPAGNIE
(Silvia Munt, 18 oct) LLL
Eté 1977 au Pays basque espagnol. Bea est encore lycéenne, mais rejoint un mouvement féministe qui s'engage notamment pour le droit à l'avortement. Par ailleurs, elle rencontre Miren, une jeune fille d'un milieu beaucoup plus aisé... Ce film espagnol, sorti de façon bien trop confidentielle en France, voisine de par son sujet avec Annie colère, réalisé il y a peu par Blandine Lenoir de ce côté-ci des Pyrénées. Mais il s'agit aussi d'un film d'initiation politique et personnelle, avec une mise en scène centrée sur Bea (formidable Alicia Falco), sa mère et la mystérieuse Miren (respectivement et idéalement interprétées par Itziar Ituno et Elena Tarratz).

AVANT QUE LES FLAMMES NE S'ETEIGNENT (Mehdi Fikri, 15 nov) LLL
Malika apprend que son petit frère Karim (dont elle s'était éloignée) a été emmené à l'hôpital à la suite d'une garde à vue. Lorsque le décès intervient, Malika désire en savoir plus, et réclamer vérité et justice. Mais il faut réagir vite, pour ne pas que les preuves s'estompent, alors que la famille est en plein deuil... Pour son premier film en tant que cinéaste, Mehdi Fikri a choisi un sujet peu traité dans le cinéma, hormis par le documentaire Qui a tué Ali Ziri ? de Luc Decaster, sorti trop discrètement en 2015. Ici il s'agit d'une fiction à la focale plus large et à l'écriture soignée. Les personnages ne sont pas des oies blanches et sont interprétés avec beaucoup de nuances par l'ensemble de la distribution (Sofiane Zermani, Sofian Khammes, Sonia Faidi et Louise Coldefy) autour d'une Camélia Jordana qui par son talent rend sensible le douloureux courage de son personnage, les dilemmes auxquels elle et sa famille sont confrontées et ce que ça coûte de porter du jour au lendemain ce combat dans ce qu'il a d'inévitablement politique...

TONI EN FAMILLE (Nathan Ambrosioni, 6 sep) LLL
Toni, qui a enregistré il y a 20 ans pour un télé-crochet un single qui a cartonné, élève seule ses cinq enfants. Les deux aînés vont partir à l'université. Pourquoi ne reprendrait-elle pas elle aussi ses études ? Comment l'annoncer à sa progéniture ? Le projet du film fait penser à ce qui a parfois été appelé un "cinéma du milieu", facilement diffusable à la télévision. Camille Cottin est formidable, comme ses cinq jeunes partenaires. Outre ses qualités de direction d'acteurs et actrices, Nathan Ambrosioni, dont on avait déjà aimé Les Drapeaux de papier, son premier film, impressionne également par sa maturité d'écriture, à seulement 24 ans, en particulier dans une dernière partie pleine de finesse.

LE LIVRE DES SOLUTIONS (Michel Gondry, 13 sep) LLL
Lâché par ses producteurs, un réalisateur s'enfuit avec son équipe proche dans un petit village des Cévennes pour terminer son film, chez sa tante Denise (Françoise Lebrun, magnifique de douceur). Bipolaire mais traversé par beaucoup d'idées (dont une formidable séquence de création musicale en mimant les émotions attendues), il en fait voir de toutes les couleurs à ses deux assistantes les plus proches... C'est ce qui peut finir par agacer, même si le personnage est irrésistible (avec un Pierre Niney que je n'aurais pas imaginé dans ce registre), et que le film s'inscrit davantage dans une ode à la débrouillardise improvisée, dans la lignée de Soyez sympas, rembobinez que dans le portrait d'un créateur démiurge qui franchit les obstacles posés par sa maladie mentale.

ANTI-SQUAT (Nicolas Silhol, 6 sep) LLL
Inès, une mère célibataire d'un adolescent de 14 ans, est à la recherche d'un emploi, et menacée d'expulsion. Elle est prise à l'essai chez Anti-Squat, une société qui loge des personnes dans des bureaux pour éviter qu'ils soient squattés (et que leur valeur se déprécie). Elle est chargée de faire respecter un règlement très strict... Après le formidable Corporate, Nicolas Silhol livre un nouveau film autour d'une héroïne aux prises avec un dilemme moral dans une société de marché déshumanisée. Moins fort formellement que son prédécesseur, ce nouvel opus se rapproche de It's a free world de Ken Loach, dans lequel la dénonciation d'un système est d'autant plus forte que les personnages ne sont pas manichéens.

CA TOURNE A SEOUL (Kim Jee-Won, 8 nov) LL
Années 1970. Peu satisfait de ce qu'il vient de tourner, un réalisateur réécrit la fin de son histoire, pour en faire selon lui un chef d'oeuvre. Mais obtenir l'accord des autorités et de son équipe pour prolonger le tournage deux jours de plus s'avère un parcours du combattant... La satire est assez déjantée, d'autant que le film en train de se faire est un film de genre en noir et blanc. Kim Jee-Won livre une savoureuse leçon de mise en scène (et de débrouille). Dommage qu'il ne sache pas vraiment lui non plus comment conclure : la fin est un peu interminable et aurait mérité d'être plus concise...

ACIDE (Just Philippot, 20 sep) LL
Pour son deuxième long-métrage, Just Philippot imagine une catastrophe écologique liée aux changements climatiques, avec des pluies acides destructrices. Guillaume Canet interprète un père tentant de sauver sa famille, un peu sur le modèle de Tom Cruise dans La Guerre des mondes de Spielberg. Les séquences sont assez impressionnantes, voire spectaculaires. L'ambition est là, mais le résultat pourra décevoir un peu celles et ceux qui ont vu La Nuée, le premier film du réalisateur, déjà fantastique, déjà tout sauf gratuit dans son propos, mais qui était d'une originalité et d'une épure saisissantes. Pour les autres, ce cinéaste prometteur est à découvrir...

L'AIR DE LA MER REND LIBRE (Nadir Moknèche, 4 oct) LL
Saïd, qui habite encore chez ses parents, accepte un mariage arrangé avec Hadjira qui, après quelques malheurs, s'est également résignée à obéir à sa mère. Mais Saïd entretient une liaison secrète avec Vincent, qu'il cache à sa famille, et l'union de Saïd et d'Hadjira est une paradoxale voie d'émancipation. Le film est modeste au niveau cinématographique, souffre un peu de sa proximité avec Le Bleu du caftan (un très grand film sorti également cette année, mais qui se déroule au Maroc et non en France), mais touchera par la finesse d'interprétation, au niveau des parents notamment : Zinedine Soualem, Saadia Bentaïeb et Lubna Azabal.

GOODBYE JULIA (Mohamed Kordofani, 8 nov) LL
Mona, une femme musulmane au mode de vie bourgeois, se sent responsable de la mort du mari de Julia, une femme chrétienne du Sud Soudan. Mona embauche Julia comme femme à tout faire, et l'installe avec son fils dans sa maison. Le film est donc au départ l'étude de l'étrange amitié entre les deux femmes, qui s'est initiée à partir d'un non-dit... D'autres éléments se mêlent à l'ensemble. Parfois la greffe prend (autrefois Mona fut une chanteuse appréciée, elle a dû arrêter pour reconquérir son mari), parfois non (le contexte politique, pourtant brûlant, semble plaqué sur l'histoire qui fonctionnerait très bien sans).

LE GANG DES BOIS DU TEMPLE (Rabah Ameur-Zaïmeche, 6 sep) LL
Un groupe de gangsters s'apprête à braquer le convoi d'un richissime prince arabe. Il s'agit d'un polar où la plupart des protagonistes sont "racisés"... sauf que ce n'est pas le sujet. Le fond est plutôt sous-tendu par les rapports de classe, tandis que la sobriété très stylisée de la forme peut faire davantage penser à du Jean-Pierre Melville (sans vedette), même si l'impression d'un manque général de moyens n'est pas éloignée non plus. Sans être passionnant, le film produit par moment des séquences singulières qui méritent le détour.

LA FIANCEE DU POETE (Yolande Moreau, 11 oct) LL
Le film joue un peu trop du registre de l'affectation poétique, autour d'une femme mûre (Yolande Moreau) qui hérite d'une maison familiale qu'elle compte entretenir en prenant trois locataires. La mise en place est assez laborieuse. Heureusement il y a les personnages, des éclopés de la vie regardés avec tendresse (un nouveau venu, Thomas Guy, face aux expérimentés Estéban et Grégory Gadebois). La forme est assez quelconque, mais on sauvera deux séquences : l'une où l'on voit William Sheller camper un prêtre à chiens jouant un standard d'ABBA à l'orgue d'église, l'autre est une sorte de court-métrage muet mais éloquent (avec un délicieux Philippe Duquesne).

LE GARCON ET LE HERON
(Hayao Miyazaki, 1er nov) LL
Testamentaire le dernier film de Miyazaki ? Par son sujet peut-être, qui traite du deuil et de transmission. En pleine Seconde Guerre mondiale, un garçon perd sa mère et est envoyé à la campagne chez sa tante maternelle. Là-bas se déploie une fantasmagorie autour d'un héron qui se révèle une créature à la trogne grotesque (rappelant en cela Porco Rosso). On y croise aussi des warawaras, créatures blanches qu'on croirait sorties de Princesse Mononoké. Le problème réside dans le fait que la forme ne semble cette fois-ci pas très en adéquation avec le fond. Pour la première fois, le maître de l'animation rime avec (petite) déception.

L'ARBRE AUX PAPILLONS D'OR
(Pham Tien An, 20 sep) LL
Après la mort de sa belle-soeur dans un accident de moto à Saïgon, un homme est chargé de prendre en charge son neveu de 5 ans, miraculeusement sorti indemne, et de ramener le corps dans son village natal. Il cherche également à renouer avec son frère aîné, disparu il y a des années... Assurément il y a un vrai cinéaste derrière la caméra (le film a d'ailleurs reçu à Cannes la Caméra d'or récompensant le meilleur premier film, toutes sections confondues). La composition des plans est admirable. Le film est lent mais retient l'attention... pendant deux heures. Au fur et à mesure, il y a de moins en moins de personnages à l'écran, et si l'on est moins mystique que le réalisateur, la dernière heure pourra donner l'impression d'un grand vide.

COUP DE CHANCE (Woody Allen, 27 sep) LL
Pour la première fois, Woody Allen tourne un film en français. La qualité des dialogues en souffre un peu, d'autant que ce nouvel opus n'est pas si territorialisé que ça : les appartements bourgeois ressemblent à ceux du Londres huppé de Match point, les espaces verts parisiens au Central Park new-yorkais. Le scénario n'évite pas non plus les redites. Mais, artistiquement, le film se défend : les lumières trouvées par le chef opérateur Vittorio Storaro sont très expressives, Melvil Poupaud recycle son rôle de mari dangereusement jaloux de façon plus convaincante que chez Donzelli (L'Amour et les forêts), et Valérie Lemercier surprend, à contre-emploi dans un rôle que l'auteur aurait jadis pu donner à Diane Keaton...

MYSTERE A VENISE (Kenneth Branagh, 13 sep) LL
Kenneth Branagh continue d'adapter Agatha Christie, en transposant une de ses nouvelles à Venise (c'est plus touristique). Poirot est prié de déjouer l'imposture d'une médium lors d'une soirée spiritisme. Mais le crime est aussi invité... La mise en scène est plus sobre que pour Mort sur le Nil, l'intrigue aussi, sans grande surprise. Bien interprété, honnête, le film remplit son contrat en offrant un petit plaisir non coupable, mais s'oublie très vite...

LINDA VEUT DU POULET ! (Chiara Malta, Sébastien Laudenbach, 18 oct) LL
Linda, injustement punie par sa mère (qui s'aperçoit de son erreur), réclame du poulet, autrefois si bien cuisiné par son père. Mais comment en trouver, en ce jour de grève générale où beaucoup de commerçants sont fermés ? Le point de départ est décalé, mais le traitement est totalement dépolitisé (pour ne froisser ni les cégétistes ni le bloc bourgeois ?). Il s'agit plutôt d'un burlesque bon enfant. Le style choisi pour ce film d'animation n'est pas totalement convaincant non plus, avec les dessins très simplifiés et des aplats de couleur unie pour représenter les personnages...

HOW TO HAVE SEX (Molly Manning Walker, 15 nov) L
La deuxième partie du film n'est pas inintéressante, dans la mesure où elle recentre l'enjeu autour de la zone plus que grise d'un rapport a priori désiré mais peu ou pas du tout consenti. Mais auparavant, il faut endurer des scènes de vacances de fin d'année scolaire (payées on ne sait pas comment), où les ados naviguent entre piscine, alcool, animations grivoises, le tout filmé n'importe comment.

L'ETE DERNIER (Catherine Breillat, 13 sep) L
Une avocate spécialisée dans les affaires familiales cède aux avances du fils de son mari (d'un premier lit), âgé de 17 ans... Pour son retour au cinéma, Catherine Breillat livre un film où rien ne fonctionne vraiment, où l'adolescent (Samuel Kircher, frère de l'interprète du Règne animal) n'est pas si charismatique que ça. On n'est ni dans la satire post me-too ni dans une resucée du Mourir d'aimer de Cayatte. On entrevoit toutefois ce que le film aurait pu être dans le dernier plan, avec une dernière image d'une audace folle, très sardonique, qui justifierait presque le coup d'oeil...

VISIONS (Yann Gozlan, 6 sep) L
Après le très réussi Boîte noire, Yann Gozlan tente un nouveau film en lien avec l'aéronautique, centrée sur une pilote de ligne (Diane Kruger), mariée à un éminent chirurgien (Mathieu Kassovitz), et qui croise par hasard à l'aéroport une femme qu'elle avait follement aimée vingt ans plus tôt (Marta Nieto, grande actrice espagnole). Les deux femmes renouent un lien entre elles, mais la première semble en proie à des visions morbides (prémonitoires ?). On a d'abord envie de croire au moins un peu à ce thriller avec des touches d'érotisme, mais les effets sont mal dosés, des passages obligés clichés sans être très vraisemblables, et une résolution assez peu satisfaisante.
Version imprimable | Films de 2023 | Le Mardi 28/11/2023 | 0 commentaires
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