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Des films de l'été 2025

  • Bravo : Slow (Marija Kavtaradze), Valeur sentimentale (Joachim Trier)
  • Bien : Miroirs n°3 (Christian Petzold), La Trilogie d'Oslo : Rêves (Dag Johan Haugerud), Mahjong (Edward Yang), Sorry, Baby (Eva Victor), Alpha (Julia Ducournau), En boucle (Junta Yamaguchi),  Les Filles désir (Prïncia Car)
  • Pas mal : La Trilogie d'Oslo : Désir (Dag Johan Haugerud), La Trilogie d'Oslo : Amour (Dag Johan Haugerud), 7 jours (Ali Samadi Ahadi), Jurassic World : Renaissance (Gareth Edwards), L'Epreuve du feu (Aurélien Peyre), Rapaces (Peter Dourountzis)
  • Bof : Reflet dans un diamant mort (Hélène Cattet, Bruno Forzani)

SLOW
(Marija Kavtaradze, 6 aou) LLLL
Elena, danseuse contemporaine très libre avec son corps, rencontre Dovydas, un interprète en langue des signes venu l'assister pour un atelier qu'elle anime pour des élèves sourds. Ils se plaisent tout de suite, apprennent à se connaître, puis Dovydas finit par révéler à Elena son asexualité... Le titre ne fait pas référence au style de danse pratiqué par l'héroïne, mais plus au rythme par lequel les personnages s'ouvrent à l'autre. Le film élargit ce qui nous est proposé habituellement au cinéma en matière de récits sentimentaux. Il le fait sans mièvrerie ni clichés, mais au contraire avec une approche pointilliste et concrète, une photographie magnifique, une mise en scène entièrement au service de ses personnages (et des jeux de regards de leurs interprètes), et qui n'exclut pas de très belles visions de cinéma, comme par exemple une scène dans un bar avec un miroir...

VALEUR SENTIMENTALE (Joachim Trier, 20 aou) LLLL
C'est l'histoire d'un père de famille longtemps absent (le grand Stellan Skarsgard, qui passe d'un Trier à l'autre !), cinéaste qui se veut sur le retour, et propose à l'aînée de ses deux filles, actrice de théâtre, le rôle principal de son nouveau film, ce qu'elle refuse. Plus tard, il rencontre une actrice américaine fan de son univers. La maison familiale est presque un personnage à part entière de cette sorte de sonate d'automne : dès le prologue, on visualise le passage secret à travers la haie utilisé par les deux soeurs dans leur jeunesse pour filer en douce... Les décors sont filmés avec un grand sens de l'espace. D'une manière générale, la mise en scène est remplie de détails qui font sens et aident à faire progresser le récit. Jusqu'à maintenant, les films précédents de Joachim Trier ne m'avaient guère touché, trop théoriques ou froids. Mais celui-ci atteint une profondeur remarquable, au diapason de l'intensité de ses interprètes (Renate Reinsve et Inga Ibsdotter Lilleaas).

MIROIRS n°3 (Christian Petzold, 27 aou) LLL
Laura, étudiante en musique à Berlin, accompagne son compagnon en week-end à la campagne avec des amis. Mais elle se ravise et veut rentrer, son compagnon la ramène, mais ils ont un accident de voiture dont seule Laura réchappe. Elle souhaite rester chez Betty, qui l'a recueillie, plutôt qu'être placée en observation à l'hôpital. C'est le début d'un petit miracle de cinéma : le film est court (1h26), mais d'une grande amplitude par la façon dont il se déplie. Très inspirée, la mise en scène reste constamment dans le registre de la suggestion, aussi on craint une faiblesse, lorsque les choses pressenties sont dites explicitement. Mais c'est ce qui permet au film d'aller vers son dénouement. Avec l'aide de ses quatre interprètes principaux, Christian Petzold, sous une apparence mineure (adaptée à l'indicible), livre son film le plus réussi depuis qu'il collabore avec Paula Beer, toujours très convaincante.

LA TRILOGIE D'OSLO : RÊVES (Dag Johan Haugerud, 2 juil) LLL
La Trilogie d'Oslo est composée de trois films indépendants (un peu comme les Trois couleurs de Kieslowski), qu'on peut visionner dans l'ordre qu'on veut (ils sont d'ailleurs distribués en France dans l'ordre chronologique inverse de leurs réalisations). Les titres pourraient également être permutés : il y a des rêves dans Désir, du désir dans Amour, et un premier grand émoi amoureux dans Rêves, vécu par une adolescente envers sa prof de littérature qui se laisse approcher en dehors des cours. La jeune fille décrit cette relation dans un journal intime, qui émeut les générations précédentes (sa mère et sa grand-mère). Auréolé d'un Ours d'or à Berlin qui a l'air bien mérité, le film arrive à toucher au plus profond grâce à la qualité de l'écriture imputée à son héroïne, aux interprètes intenses mais jamais caricaturales, et à l'espace que le réalisateur laisse à ses personnages et aux spectateurs/spectatrices.

MAHJONG (Edward Yang, 16 juil) LLL
Le film surprendra peut-être les fans de Yi Yi, le chef d'oeuvre d'Edward Yang, tourné juste après celui-ci. Tous les deux traitent du Taipei contemporain (des années 1990). Mais autant les personnages principaux de Yi Yi sont emplis de sagesse, quel que soit leur âge, autant ceux de Mahjong évoluent dans l'univers nocturne, celui des escrocs, des hommes de main et des prostituées. L'arrivée d'une jeune française (Virginie Ledoyen) va bouleverser un peu ce petit monde, malgré la naïveté de ce regard extérieur (qui pourrait être aussi plus ou moins le nôtre). Ce qui est déjà là, c'est la fluidité de l'ensemble malgré la pluralité des fils narratifs, ainsi que la qualité de la composition des plans, y compris dans la profondeur de champ.

SORRY, BABY (Eva Victor, 23 juil) LLL
L'histoire pourrait presque être banale, celle d'un viol sur une doctorante commis par son directeur de thèse. Mais Eva Victor, dont c'est le premier long métrage, et dont elle interprète également le premier rôle, filme plutôt à côté. Par exemple, on ne voit pas l'acte criminel, on sent juste à la façon dont elle filme la lumière déclinante sur la maison de fonction du professeur, que l'étudiante reste bien au-delà de la durée normale du rendez-vous. C'est plus l'après qui l'intéresse, les relations que le personnage entretient avec sa meilleure amie, d'autres jeunes universitaires, les rencontres avec d'autres hommes. Le courage de continuer malgré ce qu'on ne peut partager. A cette fin, la mise en scène est à la fois précise et sobre.

ALPHA (Julia Ducournau, 20 aou) LLL
Alpha est une jeune fille de 13 ans, qui doit cohabiter à la maison avec un oncle toxicomane dont elle ne se souvenait pas, à l'heure où circule un virus encore inconnu qui rend progressivement de marbre (au sens propre) ses hôtes... C'est filmé comme de la science-fiction, mais pas forcément au futur (dans les décors, on voit une télé des années 1980). Cela pourrait d'ailleurs être une allégorie des premières années du Sida. En compétition officielle à Cannes, le film, un peu moins réussi que Titane (Palme d'or 2021), n'a pas eu de prix. C'est pourtant une expérience esthétique qui mérite d'être tentée, tant les images disent beaucoup plus que le scénario. Il est donc très stimulant, et, en dépit des apparences (auxquelles il faut se préparer), le cinéma de Julia Ducournau est rempli d'humanité.

EN BOUCLE (Junta Yamaguchi, 13 aou) LLL
On a déjà vu des films basés sur des boucles temporelles, qui font par ailleurs partie de la culture populaire nippone. Mais deux caractéristiques apportent une singularité à celui-ci. D'une part, ces boucles affectent tous les personnages, c'est à dire les résidents et personnels d'un hôtel à Kibune, à flanc de montagne. Ils subissent tous ces retours temporels (contrairement à Un jour sans fin qui affectait uniquement Bill Murray), tout en gardant une conscience continue (ils acquièrent une expérience des cycles précédents). D'autre part, les boucles ont une durée très courte, de deux minutes, ce qui complique toute velléité d'organisation. Cela donne à cette comédie insolite un caractère changeant : à chaque fois qu'une situation est suffisamment exploitée, le film prend un nouveau départ, et explore une autre direction... 

LES FILLES DESIR (Princia Car, 16 juil) LLL
Fruit d'un long travail en atelier très collectif (les interprètes sont aussi dialoguistes du film), ce premier long métrage offre le portrait de groupe d'animateurs de quartiers (des garçons et une fille), perturbé par le retour dans la ville d'une vieille connaissance (l'ancienne copine d'Omar, le mentor du groupe) qui s'est prostituée dans l'intervalle. A la fois témoin du fonctionnement de groupe et des aspirations individuelles, le film tourne d'abord autour d'Omar, figure respectée des autres par sa pondération, fiancée à la plus jeune Yasmine (17 ans), et qui tente d'indiquer le "bien" et le "mal", conceptions mises à mal par le retour de Carmen. Le film évolue vers l'accompagnement par la réalisatrice des deux jeunes femmes, magnifiquement incarnées (Leïa Haïchour, Lou Anna Hamon), comme une réponse contemporaine au dualisme des personnages d'Eustache (La Maman et la putain).

LA TRILOGIE D'OSLO : DESIR (Dag Johan Haugerud, 16 juil) LL
Comme écrit précédemment, chacun des trois films peut se regarder indépendamment des deux autres, et les titres sont plus ou moins permutables : il y a ainsi des rêves dans Désir, celui récurrent pour un des personnages principaux où il se voit en David Bowie non binaire, alors que l'autre personnage, hétérosexuel marié, a vécu un écart imprévu avec un autre homme. Il faut s'accrocher au début, qui repose surtout sur les dialogues, l'incarnation vient petit à petit. Le bémol réside dans le fait que les deux personnages principaux sont censés être des travailleurs manuels (le réalisateur affirme être inclusif par rapport aux identités sociales), mais on ne voit rien de l'effet que ce travail pourrait avoir sur les corps. Comme si on restait dans une approche bien intentionnée mais abstraite, "sociale-démocrate", de ces catégories professionnelles pourtant concrètes.

LA TRILOGIE D'OSLO : AMOUR (Dag Johan Haugeurd, 9 juil) LL
Comme écrit précédemment, chacun des trois films peut se regarder indépendamment des deux autres, et les titres sont plus ou moins permutables : il y a du désir dans Amour. On a d'abord l'impression que ce film là pourrait être le plus beau des trois, avec des personnages qui ne se limitent pas à leurs relations personnelles. Et le transbordeur pourrait être une métaphore de ce qui circule entre les êtres. Cependant, ces relations semblent plus banales que dans les deux autres films. Et reste le cliché d'une histoire entre des personnages assez aisés financièrement et intellectuellement (une médecin, un architecte) pour prendre le temps et le pouls de leurs aspirations intimes, le tout sans égaler les sommets trouvés de longue date par Rohmer ou Allen.

7 JOURS (Ali Samadi Ahadi, 6 aou) LL
Militante des droits humains, Maryam bénéficie d'une semaine d'interruption de sa détention à Téhéran, pour raisons médicale, et va en profiter pour rejoindre clandestinement, via la frontière turque, son mari et ses deux enfants, exilés depuis des années. Elle compte bien retourner en prison à la date prévue, et continuer la lutte de l'intérieur du pays, mais sa famille voudrait l'en dissuader. Ecrit par le grand cinéaste Mohammad Rasoulof (Les Graines du figuier sauvage), le scénario développe ce dilemme qui tire profit de sa propre expérience. Vishka Asayesh a les épaules pour porter les désirs contradictoires et la détermination de son personnage. Dommage que la réalisation, très impersonnelle, et des dialogues banalement explicites, ont tendance à aplatir ces enjeux.

JURASSIC WORLD : RENAISSANCE (Gareth Edwards, 2 juil) LL
Je m'étais arrêté aux deux premiers volets, réalisés par Spielberg. A l'époque, la mise en scène donnait la priorité aux effets spéciaux numériques, avec un résultat global plutôt décevant par rapport aux qualités de conteur du célèbre cinéaste. Trente ans plus tard, les techniques actuelles sont suffisamment matures pour permettre aux réalisateurs de mieux travailler le reste. Le scénario de ce nouvel opus (le septième ?) joue astucieusement de la lassitude du public vis-à-vis des dinosaures, et propose un film d'aventures familial (qui intègre un niveau de lecture plus ironique voire cynique) digne du meilleur classicisme, sans tutoyer les sommets du genre, mais néanmoins respectueux de son public.

L'EPREUVE DU FEU (Aurélien Peyre, 13 aou) LL
Hugo emmène sa petite amie Queen, jeune esthéticienne assez extravagante, dans la maison de son oncle, sur une île de la côte Atlantique. Le jeune homme revoit des ami(e)s d'enfance, et leur présente Queen... Les personnages enfilent un peu trop systématiquement les mauvais choix, comme si l'éducation sentimentale se faisait uniquement par l'absurde. On peut y voir néanmoins un apprentissage de la cruauté des adultes. Plus réussie est la façon dont le film rend compte de la distance sociale et culturelle qui sépare la jeune femme (Anja Verderosa), sincèrement aimée par Hugo (Félix Lefevbvre), et les filles et fils de "bonne famille" qui la jaugent avec beaucoup de snobisme... 

RAPACES (Peter Dourountzis, 2 juil) LL
Y'aurait-il une ambiguïté dans le titre ? Les "rapaces" désignent-ils les criminels (ici l'assassin d'une femme, probablement par misogynie) ou les journalistes spécialisés dans les faits divers crapoteux, et qui tentent de faire apparaître la vérité et faire arrêter le coupable ? L'impeccable Sami Bouajila campe un de ces journalistes, tout en essayant de protéger un tant soit peu sa propre fille (Mallaury Wanecque), stagiaire dans le même média. La mise en scène est d'abord juste fonctionnelle, voire complaisante, mais offre néanmoins, dans la deuxième partie, une belle séquence tendue dans un resto-route.

REFLET DANS UN DIAMANT MORT (Hélène Cattet, Bruno Forzani, 25 juin) L
Le duo formé par Hélène Cattet et Bruno Forzani se spécialise dans des hommages fétichistes très décalés et très cinéphiles à des films à la mise en scène très marquée, plutôt des films de genre (je recommande chaudement leur précédent long métrage, Laissez bronzer les cadavres). Ici le titre, proche d'un grand classique de John Huston (Reflets dans un oeil d'or), peut induire en erreur, car on est ici au croisement du film d'espionnage britannique à la James Bond et des "giallos" (polars sanglants) italiens des années 60-70. Le tout avec des allers-retours incessants entre les époques. Ce procédé annihile toute émotion, à part l'épuisement. Un résultat sans doute pas à la hauteur des ambitions.
Version imprimable | Films de 2025 | Le Jeudi 28/08/2025 | 0 commentaires
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Suite des films de 2025 (2è trimestre)

  • Bien : Tardes de soledad (Albert Serra), Ghostlight (Kelly O'Sullivan, Alex Thomson), La Chambre de Mariana (Emmanuel Finkiel), Jeunes mères (Jean-Pierre et Luc Dardenne), Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé (Bogdan Muresanu), Le Rendez-vous de l'été (Valentine Cadic), De la guerre froide à la guerre verte (Anna Recalde Miranda), Cloud (Kiyoshi Kurosawa), Un monde merveilleux (Giulio Callegari)
  • Pas mal : Bergers (Sophie Deraspe), A normal family (Hur Jin-ho), L'amour c'est surcoté (Mourad Winter), Chime (Kiyoshi Kurosawa), Partir un jour (Amélie Bonnin), Ollie (Antoine Besse), La Venue de l'avenir (Cédric Klapisch)
  • Bof : Le Mélange des genres (Michel Leclerc)

TARDES DE SOLEDAD (Albert Serra, 26 mar) LLL
Pour la première fois, le réalisateur jusqu'au-boutiste Albert Serra abandonne la fiction pour le documentaire. Il suit dans sa tournée espagnole le toréador star Andrès Roca Rey et ses équipiers, ceux qui placent les premières banderilles et rivalisent de compliments virilistes. Les extraits de corrida ne sont pas filmés comme un spectacle, en plan général : les caméras suivent en plans rapprochés et en gros plan le toréador et le taureau. De ce fait, les blessures infligées à l'animal sont impressionnantes (rappelons qu'il meurt pour de vrai), même si l'humain est aussi en danger, pendant que les réactions du public, qu'on entend mais qu'on ne voit pas, font froid dans le dos. Le film est-il de nature à changer le regard des aficionados ? En tout cas cette incursion dans le microcosme a une puissance esthétique comme politique impressionnante.

GHOSTLIGHT (Kelly O'Sullivan, Alex Thomson, 30 avr) LLL
Le film commence par la convocation au lycée des parents de Daisy, qui est renvoyée. Le père Dan, ouvrier de travaux publics, a lui aussi ses accès de colère et de chagrin, mais est invité par Rita, qui l'a observé dans la rue, à rejoindre un groupe qui s'avère une troupe de théâtre amateur. Si on devine assez rapidement la sorte d'épreuve que doit supporter cette famille, rien n'est donné d'emblée. L'écriture de Kelly O'Sullivan, autrice du scénario et coréalisatrice du film, a toute la pudeur qu'il faut. Et les interprètes sont au diapason de cette délicatesse, la particularité étant qu'ils ont les mêmes liens familiaux que leurs personnages (les rôles du père, de la mère et de la fille sont respectivement assurés par Keith Kupferer, Tara Mallen et Katherine Mallen Kupferer). Une belle production indépendante qui, elle aussi, n'est pas sans lien avec le travail théâtral des personnages qui donne lieu à des scènes attachantes et parfois inattendues.

LA CHAMBRE DE MARIANA (Emmanuel Finkiel, 23 avr) LLL
Ukraine 1942. Une mère juive confie son fils Hugo, 12 ans, à une amie, Mariana, prostituée dans une maison close. Cette dernière le cache aux yeux de tous en l'installant dans un placard de sa chambre. Les mois passent... Dans une grande partie du film, la réalité du monde extérieur n'est vue qu'à travers le champ de vision restreint de l'enfant, mais à ces observations se mêlent également des souvenirs de sa vie d'avant et des rêves concernant sa famille. Après une réussite majeure (La Douleur), Emmanuel Finkiel poursuit sa collaboration avec Mélanie Thierry, très convaincante dans un rôle de composition qui aurait pu être casse-gueule. Et continue d'aborder sans se répéter ni fausses notes ses thèmes de toujours : la Seconde guerre mondiale, l'antisémitisme du continent européen, les résistances...

JEUNES MERES (Jean-Pierre et Luc Dardenne, 23 mai) LLL
Contrairement aux commentaires blasés, le cinéma des frères Dardenne évolue régulièrement (abandon de la caméra portée systématique à partir du Silence de Lorna, premier rôle parfois confié à des stars populaires à partir du Gamin à vélo, maîtrise croissante du cadre et du hors champ...). Ici, c'est peut-être l'écriture qui est inhabituelle (scénario primé à Cannes), puisque les enjeux se dispersent dans quatre histoires différentes de jeunes filles, mères ou enceintes, qui se croisent dans une "maison maternelle", une structure d'accueil qui les accompagne face à leurs difficultés sociales, familiales et à leurs nouvelles responsabilités. Le récit choral permet des ellipses (chaque scène porte donc en elle davantage que ce qu'elle nous montre). Et bien que les Dardenne n'aient plus rien à prouver, ils semblent presque s'effacer, en mobilisant entièrement leur mise en scène au service de leurs personnages, et des jeunes comédiennes toutes épatantes.

CE NOUVEL AN QUI N'EST JAMAIS ARRIVE (Bogdan Muresanu, 30 avr) LLL
Le Nouvel an du titre renvoie aux festivités de la fin d'année 1989 préparées par le régime de Ceausescu, qui va tomber à quelques jours de Noël. Cet instant particulier de l'Histoire roumaine avait déjà inspiré un film remarqué, 12h08 à l'est de Bucarest, premier long métrage de Corneliu Porumboiu, avec un humour placide qui deviendrait une marque de fabrique. Ici, le ton semble d'abord plus dramatique : le film n'est pas centré sur les actes concrets de la dictature, mais plutôt sur les effets qu'elle induit dans les rapports humains (ou la solitude) d'une demi-douzaine de personnages. L'absurdité (par exemple l'innocence d'un enfant qui met en danger ses parents) donne lieu parfois à un humour très noir, et le film culmine dans un crescendo final impressionnant, même si la bande-son en fait à cet instant trop, avec l'utilisation ostentatoire du Boléro de Ravel...

LE RENDEZ-VOUS DE L'ETE (Valentine Cadic, 11 juin) LLL
Blandine, une jeune femme tout juste trentenaire, débarque de Normandie pour assister à Paris à une épreuve olympique de natation (elle est fan de la nageuse Béryl Gastaldello), mais également pour rendre visite à sa demi-soeur, dont elle n'a pas encore rencontré la fille. Petite gageure : le film a véritablement été tourné pendant les JO (un peu comme le premier film de Justine Triet, La Bataille de Solférino, l'avait vraiment été un soir d'élection). Il commence petit, fragile, mais au fil des scènes dictées par les contingences matérielles des protagonistes, les enjeux s'élargissent, se déplacent. Et surtout on a l'impression de faire connaissance avec des personnages qu'on a pas l'habitude de croiser au cinéma, grâce à la finesse de trait de Valentine Cadic (dont c'est le premier long métrage) et à l'interprétation insolite et magnifique de Blandine Madec dans le rôle principal. Une chronique douce-amère prometteuse.

DE LA GUERRE FROIDE A LA GUERRE VERTE (Anna Recalde Miranda, 26 mar) LLL
Un documentaire qui se veut plutôt enquête. Le point de départ, c'est la région du Paraguay limitrophe du Brésil et surnommée la "république du soja", à perte de vue culture intensive et berceau de l'agro-industrie mondiale. En revisitant le passé, la réalisatrice se confronte à d'autres enjeux liés aux dictatures d'extrême droite du continent sud-américain, à leurs liens géopolitiques avec l'opération Condor, qui visait à tuer dans l'oeuf toute implantation communiste en Amérique du Sud. Et avec l'aide de défenseurs des droits humains, elle dresse une sorte de continuité entre la répression et les assassinats ciblant des opposants politiques hier, et s'abattant sur des militants écologistes aujourd'hui. Le film prend le temps de cheminer, et d'établir les faits méthodiquement, sans emprunter de raccourcis...

CLOUD (Kiyoshi Kurosawa, 4 juin) LLL
Un jeune travailleur à l'usine arrondit ses fins de mois en faisant de la revente sur internet. Peu lui importe si les marchandises achetées en gros sont authentiques ou contrefaites. Après un gros bénéfice, il démissionne de son travail, et s'installe au vert avec sa copine dans une maison, près d'une forêt, qui lui sert également d'entrepôt. On se croirait d'abord dans une sorte de satire de la société de consommation, et du capitalisme qui fait miroiter de l'argent facile aux outsiders qui croient trouver le bon plan. Mais évidemment la menace rôde, on la guette dans chaque plan, chaque image, chaque son, et toute l'habileté de la mise en scène, d'une grande précision, est de nous mettre en tension, avant une dernière partie où on bascule encore dans un autre genre. Une réussite, moins gratuite que l'exercice de style Chime, sorti sur nos écrans une semaine plus tôt. 

UN MONDE MERVEILLEUX (Giulio Callegari, 7 mai) LLL
Voilà un film qui tombe à pic, avec cette histoire d'un futur, malheureusement trop proche, dans lequel les robots sont devenus omniprésents dans la société, au grand dam de Max, une mère célibataire ancienne prof de français, rebelle et réfractaire à cette évolution. Elle est idéalement incarnée par Blanche Gardin, qui donne à ce premier long métrage un ton caustique bien trempé. L'un des ressorts comiques du film, satire grinçante de la technophilie, réside dans le fait que l'intelligence artificielle des androïdes prend tout au premier degré et ne comprend pas l'ironie des êtres humains. Une comédie à la fois burlesque et grinçante sur un avenir dystopique qu'on préfèrerait éviter...

BERGERS (Sophie Deraspe, 9 avr) LL
Afin de donner du sens à sa vie professionnelle, Mathyas quitte son emploi à Montréal pour tenter de devenir berger en Provence. Il se heurte à la dureté des tâches, même si les bergers rencontrés n'ont pas tous la même conception du métier. Il se lie surtout à Elise, fonctionnaire locale... Il y a quelques maladresses dans le film, notamment des dialogues parfois trop directs pour être crédibles. L'essentiel est ailleurs : dans les interprétations intenses mais nuancées de Félix-Antoine Duval et Solène Rigot (qu'on a plaisir à retrouver sur grand écran), et dans de belles scènes où les personnages doivent composer avec leurs bêtes et les éléments, en décor naturel...

A NORMAL FAMILY (Hur Jin-ho, 11 juin) LL
Deux frères, l'un chirurgien, l'autre avocat, dînent régulièrement ensemble avec leurs épouses respectives. Comment ces deux familles vont-elles réagir lorsque le fils de l'un et la fille de l'autre seront impliqués dans une affaire tragique ? Il pourrait s'agir d'un dilemme moral à l'instar des films de Cristian Mungiu. Mais on est ici dans un milieu très huppé qui veut garder son standing. Il s'agit donc plutôt d'un thriller psychologique, que la mise en scène, un peu trop au cordeau, tire davantage vers un regard amoral plutôt qu'explicitement ironique. Le film est bavard, mais les interprètes arrivent plutôt bien à construire leurs personnages au-delà des dialogues.

L'AMOUR C'EST SURCOTE (Mourad Winter, 23 avr) LL
Premier long métrage de Mourad Winter, qui adapte à l'écran son propre roman. Il s'agit d'une comédie romantique dans laquelle se rencontrent Anis, célibataire endurci qui se remet mal du deuil de son ami d'enfance Isma, et Madeleine, une jeune femme qui se laisse aborder... Le résultat est contrasté, surtout les dialogues, entre sincérité maladroite touchante et dérisions provocatrices forcées. Si certains rôles secondaires peinent à convaincre, Hakim Jemili et Laura Felpin emportent le morceau en donnant à leurs personnages une vraie personnalité.

CHIME (Kiyoshi Kurosawa, 28 mai) LL
Matsuoka est professeur de cuisine (mais cherche une place de chef dans un restaurant). L'un de ses élèves semble perturbé. Kiyoshi Kurosawa (Kaïro, Shokuzaï) revient ici à sa meilleure veine, l'angoisse mystérieuse qui peut se matérialiser à tout moment par un éclair de violence, inattendu bien qu'on le redoute. Le film ne dure que 46 minutes, et cet exercice de style procure un plaisir immédiat lors de la projection, grâce au travail sur le son en particulier, mais on peut aussi trouver in fine que la copie ainsi rendue est assez vaine (même s'il faudrait un peu le divulgâcher pour pouvoir argumenter).

PARTIR UN JOUR (Amélie Bonnin, 14 mai) LL
Une jeune restauratrice, qui vient de remporter un jeu culinaire télévisé, revient voir ses parents, également restaurateurs, et reprend contact avec un amour de jeunesse... Les dialogues sont parfois remplacés par des extraits de chansons populaires. L'ombre de On connaît la chanson de Resnais, un peu trop écrasante, plane sur le film, qui s'en distingue néanmoins, car il ne s'agit pas de play-back sur les versions originales, mais d'extraits recréés par les interprètes des personnages (dont Juliette Armanet). Curieux choix comme film d'ouverture du festival international de Cannes, tant ce sympathique coup d'essai est franco-français, et peine à dissimuler son origine d'idée de court-métrage étirée pour en faire un long...

OLLIE (Antoine Besse, 21 mai) LL
La bonne idée, c'est de transposer dans la campagne française le genre du film de skate, genre balisé par le cinéma américain (de 90's de Jonah Hill à Paranoïd Park de Gus Van Sant). Antoine Besse, dont c'est le premier long métrage, tente de produire des scènes plus insolites, qui tranchent avec ces modèles comme avec le cinéma français majoritaire, autour d'un jeune garçon de 13 ans, orphelin de mère, qui prend un plaisir grandissant à pratiquer le skate. La moins bonne idée, c'est le caractère caricatural donné à son mentor : dans ce rôle, Théo Christine livre une performance, mais on est loin de la subtilité qu'il déployait dans Vivre, mourir, renaître, le très beau film de Gaël Morel.

LA VENUE DE L'AVENIR (Cédric Klapisch, 22 mai) LL
Cédric Klapisch propose un montage alterné entre deux époques : d'une part, celle, contemporaine, de membres éloignés d'une même famille qui se retrouve à l'occasion de la découverte d'une maison ayant appartenu à leur aïeule commune, que la mairie voudrait racheter, et, d'autre part, celle de la dernière décennie du XIXè siècle (un moment charnière dans la vie de cette ancêtre). Le film se laisse voir sans arriver à la hauteur voulue. Ce n'est pas forcément le scénario qui pèche (il y a de bonnes observations entre deux invraisemblances), mais plutôt de personnages paresseusement dessinés (et interprétés par une brochette de fils/fille/frère de). Une direction artistique pas toujours convaincante paradoxalement, car le film se voudrait également une réflexion sur l'art et comment celui-ci est impacté ou non par l'irruption de nouvelles techniques. 

LE MELANGE DES GENRES (Michel Leclerc, 16 avr) L
Une policière infiltre un groupe féministe, soupçonné d'avoir poussé une femme à tuer son mari pour ne plus avoir à supporter ses violences conjugales. Quelques scènes sont à sauver, qui donnent le ton recherché : une sorte d'autodérision, nécessaire pour respirer dans la sphère militante. Et Vincent Delerm reprend Doux de Goldman dans un décor très particulier. Malheureusement, le film est également plein de maladresses, ce qui n'est pas sans risques, à l'heure où ce sont les médias réactionnaires contre les combats pour l'égalité qui donnent le la dans la sphère médiatique, et non les petites télés associatives évoquées dans Télé Gaucho...
Version imprimable | Films de 2025 | Le Mardi 24/06/2025 | 0 commentaires
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Des films pour commencer le printemps 2025

  • Bravo : The Brutalist (Brady Corbet)
  • Bien : Berlin, été 42 (Andreas Dresen), Lumière, l'aventure continue ! (Thierry Frémaux), Black dog (Hu Guan), Ce n'est qu'un au revoir (Guillaume Brac), L'Attachement (Carine Tardieu), Un parfait inconnu (James Mangold), Becoming Led Zeppelin (Bernard MacMahon), A bicyclette ! (Mathias Mlekuz), Young hearts (Anthony Schatteman), Mickey 17 (Bong Joon-ho), Mikado (Baya Kasmi)
  • Pas mal : Fanon (Jean-Claude Barny), Bonjour l'asile (Judith Davis), A real pain (Jesse Eisenberg), Au pays de nos frères (Aliresa Ghasemi, Raha Amirfazli), The Insider (Steven Soderbergh)
  • Bof : Yôkai, le monde des esprits (Eric Khoo), Vermiglio (Maura Delpero)

THE BRUTALIST (Brady Corbet, 12 fév) LLLL
Le brutalisme est un courant architectural, certains spécialistes indiquent que les constructions imaginées par le personnage principal ne s'y ancrent pas vraiment. L'essentiel n'est pas là, puisque le terme n'est jamais prononcé dans le film. Il se pourrait que le titre soit tout simplement un jeu de mot qui renvoie aux brutalités rencontrées. Je redoutais une grande fresque ostentatoire et froide, heureusement il n'en est rien. C'est un film ambitieux, c'est vrai, mais à la hauteur de ses ambitions. Sa profondeur provient à la fois de la forme (une mise en scène inspirée et digne des plus grands), du fond (une sorte de biopic d'un personnage fictif, un architecte juif hongrois rescapé des camps et qui s'installe aux Etats-Unis), mais aussi de l'interprétation : Adrien Brody impressionne dans un rôle qui prend en quelque sorte la suite de celui qu'il incarnait dans Le Pianiste, mais aussi Felicity Jones dans le rôle de son épouse et Guy Pearce dans celui de son mécène. Une histoire inventée qui résonne de manière féconde avec l'Histoire réelle.

BERLIN, ETE 42 (Andreas Dresen, 12 mar) LLL
Le film raconte l'histoire d'un groupe de résistants communistes allemands qui passera à la postérité sous le nom de l'Orchestre rouge. Mais c'est aussi l'histoire d'amour qui unit deux de ses membres, Hans et Hilde (formidable Liv Lisa Fries). On ne quittera pas d'une semelle cette dernière. Le montage n'arrête pas de faire des va-et-vient, de telle sorte que le récit est reconstitué de manière sensible et non pas chronologique. Le style n'est pas mélodramatique mais plutôt naturaliste, et les personnages de l'autre côté ne sont pas forcément montrés comme des monstres ou des méchants d'opérette, ce qui rend d'autant plus effrayantes les structures du totalitarisme. Andreas Dresen est un cinéaste parfois inégal, mais il est ici à son meilleur.

LUMIERE, L'AVENTURE CONTINUE ! (Thierry Frémaux, 19 mar) LLL
Huit ans après Lumière ! L'aventure commence, Thierry Frémaux nous offre une nouvelle anthologie de films de Louis Lumière ou de ses opérateurs, logiquement intitulée Lumière, l'aventure continue ! Si les oeuvres les plus connues faisaient partie du premier opus, on découvre ici 120 nouvelles "vues", accompagnées par la musique de Gabriel Fauré (contemporaine de l'époque des tournages) et les commentaires, judicieux mais parfois un peu trop présents, du président de l'Institut Lumière. Magnifiquement restaurées, ces scènes nous montrent à quel point, mis à part le montage (elles duraient une cinquantaine de secondes), toute la grammaire du cinéma était déjà là, de la composition des plans aux premiers mouvements de caméra (travellings...). L'expérience régénère notre regard.


BLACK DOG (Hu Guan, 5 mar) LLL
Réalisateur de divertissements spectaculaires qui ont connu de gros succès au box-office chinois (mais non distribués en France), Hu Guan nous livre un film d'une toute autre teneur : on y suit Lang, un ancien motard récemment sorti de prison en liberté conditionnelle, qui retrouve sa ville natale, Chixia, en bordure du très cinégénique désert de Gobi. On est à la veille des JO de 2008, et les autorités locales veulent se débarrasser des chiens errants, l'un d'entre eux étant suspecté d'être enragé. Avec des séquences magistralement filmées, le film semble convoquer autant le classicisme hollywoodien (Le Vent de Victor Sjöstrom, Paris, Texas de Wim Wenders), que l'enregistrement des mutations contemporaines chinoises par Jia Zhangke (qui interprète ici un chef de clan) ou encore White God du hongrois Kornel Munduczo pour intégrer des personnages canins comme personnages à part entière qui font avancer le récit.

CE N'EST QU'UN AU REVOIR (Guillaume Brac, 2 avr) LLL
Divisé en chapitres portant chacun le nom de la protagoniste principale, ce documentaire suit des élèves de l'internat d'un lycée de Die, à la fin de leur Terminale, qui se demandent si leurs amitiés lycéennes vont survivre à leur éparpillement dans l'enseignement supérieur (et à la suite de leurs vies), d'où le titre. Mais le film enregistre plus que cela : outre les amitiés, palpables dans leurs discussions à l'intérieur comme dans les baignades à l'extérieur, on entend aussi des réflexions philosophiques, les premiers engagements, des confidences plus intimes livrées en voix off. Guillaume Brac se tient à juste distance et construit de beaux portraits d'une jeunesse à laquelle on doit un avenir. La séance est complétée par le moyen métrage Un pincement au coeur, tourné auparavant et dans le même état d'esprit avec des lycéennes plus jeunes (en Seconde) à Hénin-Beaumont.

L'ATTACHEMENT (Carine Tardieu, 19 fév) LLL
Depuis son premier long métrage, Carine Tardieu s'est fait une spécialité des drames ponctués d'humour. C'est encore le cas ici avec l'histoire d'Eliott, cet enfant de 5 ans qui perd sa mère lorsque celle-ci met au monde sa petite soeur Lucille. De manière élégante, les sauts dans le temps sont indiqués par les âges successifs de la nouvelle venue. Sandra, la voisine célibataire à laquelle Eliott avait été confié lors de l'accouchement problématique, se fait malgré elle une place dans la vie de cette famille. Le style est classique, mais le film emporte le morceau par un soin des détails qui évitent les clichés, par des dialogues savoureux car ils disent beaucoup sans jamais être des discours, et par des interprètes au diapason (Pio Marmaï, Valeria Bruni Tedeschi, Vimala Pons).

UN PARFAIT INCONNU (James Mangold, 29 jan) LLL
Evocation des cinq premières années de carrière, entre 1961 et 1965, de Bob Dylan, sorti de nulle part (d'où le titre). Pour une fois, j'ai trouvé convaincante l'interprétation de Timothée Chalamet (Monica Barbaro est également excellente en Joan Baez). Les comédiens (dont Edward Norton en mentor folk) ont réenregistré avec leurs propre voix les morceaux, ce qui donne de la fluidité à l'ensemble. Du fait de ce répertoire, on évite les musiques conventionnelles qui banalisent les biopics ordinaires. Surtout, les sous-titres permettent de toucher du doigt la poésie des paroles de Dylan, mais aussi le contenu engagé de certaines chansons, par exemple lors de la crise des missiles de Cuba en octobre 1962.

BECOMING LED ZEPPELIN (Bernard MacMahon, 26 fév) LLL
Sorti sur les écrans français une semaine après Brian Jones et les Rolling Stones (de Nick Broomfield), ce nouveau documentaire britannique sur un groupe de légende me semble bien plus réussi. Il ne s'agit pas là d'une différence de goût musical entre ces deux groupes, mais de la manière dont le film est conçu. Contrairement à celui sur l'étoile cachée des Stones, qui faisait intervenir beaucoup de proches de l'époque, pour raconter surtout des histoires personnelles, ce film-ci n'interroge que les membres encore vivants du groupe (Jimmy Page, Robert Plante, John Paul Jones). Comme il s'agit d'un récit autorisé, il n'est question que de ce qui a trait à la musique, et les extraits enregistrés lors des tournées sont plus longs, de telle sorte qu'on appréhende mieux les spécificités de leur travail (disons à la base une structure de blues, déconstruite pour introduire des improvisations puissantes).

A BICYCLETTE ! (Mathias Mlekuz, 26 fév) LLL
Mathias Mlekuz, le réalisateur, doit surmonter la perte de son fils Youri, à l'âge de 28 ans. Il décide de refaire le voyage à vélo accompli par ce dernier en 2018, de l'Atlantique (La Rochelle) à la Mer noire (Istanbul). Il embarque dans son projet son ami comédien Philippe Rebbot, qui lui suggère d'en faire un film. Le résultat est un fragile équilibre entre documentaire et (auto)fiction. Il oscille entre humour pudique voire burlesque assumé (en partie en hommage à Youri, qui était clown) et des séquences traduisant des considérations plus profondes (amitié, relations aux proches par-delà leur départ...), sans jamais exercer de chantage à l'émotion. Une attachante échappée belle.

YOUNG HEARTS (Anthony Schatteman, 19 fév) LLL
C'est un récit d'apprentissage entre deux collégiens, d'un côté Elias (Lou Goossens), sociable (il "est avec" une fille de son âge), fils d'un chanteur de charme local, de l'autre côté Alexander (Marius De Saeger), venu emménager en cours d'année en face de chez lui et désormais dans la même classe. Sans vraiment s'en rendre compte, ils vont s'ouvrir l'un à l'autre... Si le thème n'est pas particulièrement nouveau, le film gagne ses galons par la douceur avec laquelle il accompagne ses personnages (les légers accompagnements musicaux sont d'ailleurs superfétatoires), dans un univers presque utopique où la société et les adultes permettent à la jeunesse de grandir et aimer librement.

MICKEY 17 (Bong Joon-ho, 5 mar) LLL
Dans un futur dystopique, Mickey Barnes, criblé de dettes, se fait embaucher comme "remplaçable" dans une mission spatiale colonisatrice : il s'agit littéralement de se tuer à la tâche dans des missions périlleuses. S'il est tué, son corps et son cerveau sont immédiatement réimprimés... Dans la première partie, Bong Joon-ho distille suffisamment d'informations pour expliquer et rendre plausible l'intrigue. Il en profite également pour injecter dans sa science-fiction une ironie satirique assez dévastatrice (le réalisateur aime le mélange des genres, ce qui faisait déjà tout le sel de The Host). Bong Joon-ho est donc parvenu à garder sa personnalité en rejoignant Hollywood, même si le film s'étire et se banalise un peu dans son dernier tiers.

MIKADO (Baya Kasmi, 9 avr) LLL
L'humour est certes encore présent : la réalisatrice et coscénariste Baya Kasmi avait jusqu'à présent (co)écrit des comédies pour Michel Leclerc (Le Nom des gens) ou pour elle-même (Je suis à vous tout de suite). Mais, malgré un casting rompu à la fantaisie (Félix Moati, Vimala Pons, Ramzy Bedia), le sujet du film, qu'on découvre petit à petit, est plus grave que son amorce (une famille un peu bohème qui sillonne les routes avec leur van en plein été). Avec une délicatesse croissante, elle aborde différents thèmes, des enfances compliquées aux effets à l'âge adulte, sans appuyer le déterminisme ni juger les personnages. Belles prestations des jeunes Patience Muchenbach et Saül Benchetrit.

FANON (Jean-Claude Barny, 2 avr) LL
Il s'agit d'un biopic commençant au moment où le psychiatre martiniquais Frantz Fanon arrive en Algérie, en 1953, et prend son poste à l'hôpital de Blida, accompagné de son épouse Josie. Le film est reçu avec beaucoup de condescendance par la critique, un peu comme le Lumumba de Raoul Peck (réalisateur depuis reconnu, en particulier pour ses documentaires). C'est vrai que parfois la musique gêne un peu, mais le didactisme permet de faire comprendre l'origine de la pensée critique de Frantz Fanon sur le colonialisme. En exergue du film, la citation suivante : "Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir". Bien qu'historique, il jette une lumière aiguisée (et souvent absente des médias dominants) sur les tragédies contemporaines.

BONJOUR L'ASILE (Judith Davis, 26 fév) LL
Après Tout ce qu'il me reste de la révolution, la comédienne Judith Davis nous livre un second film en tant que réalisatrice, dans lequel elle s'attribue le rôle de Jeanne, une travailleuse sociale qui rend visite à son amie Elisa (Claire Dumas, très bien également), qui s'est installée avec sa famille à la campagne, non loin d'un château devenu foyer, tiers-lieu convoité par un promoteur pour en faire une résidence touristique de luxe. Ce qu'il y a de bien, c'est que l'autrice ne s'excuse jamais d'un regard toujours aussi radical sur la société. La limite de ce joyeux foutraque, c'est que l'abondance des thématiques (sociales, psychiques, féministes, écologiques) peut donner une impression de trop plein à la limite du superficiel. Le résultat est néanmoins assez sympathique, et gonflé.

A REAL PAIN (Jesse Eisenberg, 26 fév) LL
Deux cousins juifs américains profitent d'un voyage touristique mais mémoriel pour découvrir en Pologne la maison de leur grand-mère récemment décédée. On savait Jesse Eisenberg acteur brillant (Cafe Society par exemple). C'est aussi un bon auteur. L'idée de ce voyage organisé sur les lieux de la Shoah donne lieu à un humour d'équilibriste qui frôle parfois la limite de l'acceptable. Le groupe est accueillant : un rescapé non juif du génocide rwandais y participe. Mais en dépit de son lourd sujet, le film repose surtout sur une classique opposition entre les caractères des deux cousins (qui valut à Kieran Culkin l'Oscar du second rôle).

AU PAYS DE NOS FRERES (Aliresa Ghasemi, Raha Amirfazli, 2 avr) LL
Le film suit sur plusieurs décennies et plusieurs générations le destin d'une famille de réfugiés afghans en Iran. C'est un assemblage de trois segments, tournés chacun comme s'il s'agissait d'un court métrage (moins soumis à la censure préalable, même astuce que Rasoulof pour Le Diable n'existe pas). Le scénario fonce parfois dans le plus tragique, mais, dans un style plutôt naturaliste, le film donne à voir les rapports de domination ou de mise à l'écart (certains plans sont découpés de telle sorte à isoler certaines de ces personnes). Intéressant, bien que de facture plus modeste que les plus grands films iraniens actuels.

THE INSIDER (Steven Soderbergh, 12 mar) LL
De retour au cinéma, Steven Soderbergh est toujours aussi éclectique. Il y a à boire et à manger dans sa filmographie, même au sens propre : la meilleure séquence de ce film est une scène de repas. L'histoire tourne autour de deux espions qui sont aussi mari et femme. Le premier a reçu la mission de surveiller la seconde, soupçonnée d'être une taupe... Le divertissement se suit sans déplaisir, mais sans passion (comment s'intéresser à des personnages qui mentent tout le temps ?). Le résultat est loin d'égaler le sommet d'ironie qu'était L'Affaire Cicéron de Joseph Leo Mankiewicz, avec Danielle Darrieux et James Mason (et son fameux rire final).

YÔKAI, LE MONDE DES ESPRITS (Eric Khoo, 26 fév) L
Claire Emery (Catherine Deneuve), une chanteuse qui a eu son heure de gloire dans les années 1960, donne un concert au Japon. Yuzo, un de ses plus grands fans, vient de disparaître, et son fils Hayato, venu chez son père pour préparer les funérailles, trouve des places pour le concert et y assiste... Le film est censé prendre un tour fantastique, avec la présence de personnages récemment décédés. Si le spectateur n'y met pas beaucoup de bonne volonté, le film décevra inévitablement, même pas sauvé par les quelques chansons écrites et composées pour l'occasion par la talentueuse Jeanne Cherhal.

VERMIGLIO (Maura Delpero, 19 mar) L
L'histoire se passe dans un village reculé des montagnes d'Italie du Nord. Vers la fin de la Seconde guerre mondiale, un déserteur y arrive, et va bouleverser la vie des habitants, dont les filles de l'instituteur. Malheureusement, pour les spectatrices et spectateurs, de bouleversement il n'y a point. On est loin de Théorème (d'ailleurs pas mon Pasolini préféré). Maura Delpero vient du documentaire, mais son incursion dans la fiction historique, trop dépourvue d'un vrai regard, peine à convaincre.
Version imprimable | Films de 2025 | Le Dimanche 13/04/2025 | 0 commentaires
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Suite des films de début 2025

  • Bravo : From Ground Zero (collectif palestinien de réalisateurs et réalisatrices)
  • Bien : La Pie voleuse (Robert Guédiguian), Prima la vita (Francesca Comencini), Personne n'y comprend rien (Yannick Kergoat), Spectateurs ! (Arnaud Desplechin)
  • Pas mal : Presence (Steven Soderbergh), La Mer au loin (Saïd Hamich Benlarbi), Mon gâteau préféré (Maryam Moghaddam, Behtash Sanaeeha), Apprendre (Claire Simon), When the light breaks (Runar Runarsson), La Voyageuse (Hong Sang-soo), Brian Jones et les Rolling Stones (Nick Broomfield)

FROM GROUND ZERO (Collectif, 12 fév) LLLL
Le programme est constitué d'une vingtaine de courts-métrages réalisés par des cinéastes palestiniennes et palestiniens à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Les formes choisies oscillent entre documentaires, fictions ou une hybridation des deux. Evidemment, même dans les segments fictionnels, avec parfois des recherches esthétiques bouleversantes car faites avec les moyens du bord, le réel rentre dans le champ par ce qu'enregistre la caméra (bâtiments détruits, recherche de survivants parmi les décombres, promiscuité sous les tentes...). Ce qui frappe, c'est néanmoins la diversité des approches, le kaléidoscope des personnalités et attitudes décrites pour tenir bon, survivre, résister, assurer le présent et si possible l'avenir des enfants, et préserver la dignité humaine et le goût de vivre, parfois grâce à l'imaginaire ou la médiation artistique, face aux crimes contre l'humanité en cours (que les observateurs qui n'ont pas détourné le regard ont tenté de décrire à travers des néologismes avec le suffixe -cide pour signifier l'anéantissement de tout ou partie d'un groupe humain, mais aussi la destruction systématique des constructions urbaines, hopitaux, universités, bâtiments patrimoniaux, mémoire d'une civilisation). Un travail modeste mais indispensable, un peu à l'instar de celui de Pour Sama de Waad Al-Khateab (et Edward Watts) à propos des bombardements d'Alep par le régime syrien, déchirant quand on se remémore les aspirations des jeunes gazaoui.e.s recueillies dans Yallah Gaza de Roland Nurier ou Voyage à Gaza de Piero Usberti. Et dans le contexte actuel, ce travail révèle, par contraste, toute l'indécence du double standard des grands médias occidentaux mécaniquement alignés sur la propagande de guerre d'un Etat qui se soustrait depuis des décennies au droit international, pourtant la seule boussole qui puisse servir de base pour garantir le respect de chaque peuple à disposer de lui-même, et l'égalité d'accès à ses droits fondamentaux.

LA PIE VOLEUSE (Robert Guédiguian, 29 jan) LLL
Après quelques infidélités, retour du cinéaste au quartier de l'Estaque. On y suit Maria, une aide-ménagère, qui trime chez des petits vieux qu'elle aime, mais qu'elle vole aussi, un billet ou un chèque qu'elle remplit à la place de son propriétaire. Le but de ces larcins ? Sortir la tête de l'eau et offrir de vrais cours de pianos à son petit-fils. Certains cinéastes tournent en caméra subjective. Guédiguian, lui, nous propose une bande-son subjective, la grande musique (des classiques mais aussi des compositions originales de Michel Petrossian à la manière de) qu'écoute à longueur de journée Maria. S'il filme toujours extrêmement bien les rapports de classe, il dépasse, grâce à des plans judicieusement composés, la description sociologique mécaniste pour offrir à ses personnages (Ascaride, Darroussin, Meylan, Boudet dans son dernier rôle, Leprince-Ringuet, Marilou Aussilloux la nouvelle venue) de la dignité, de la sensualité, une bonté et une beauté qui feraient presque office de résistance intime par temps qui s'assombrissent.

PRIMA LA VITA (Francesca Comencini, 12 fév) LLL
En apparence, Francesca Comencini rend hommage à son père, le cinéaste Luigi Comencini. Moins formaliste que Fellini, moins radical que Pasolini, il est peu cité dans les histoires du cinéma, à part pour L'Incompris, film autour d'une enfance dramatique. Ici est reconstitué le tournage, joyeux pour les enfants, de son Pinocchio. Il avait une pratique qu'on pourrait qualifier d'humaniste (on l'entend prioriser "D'abord la vie, ensuite le cinéma"). Il ne voulait pas trop diriger, d'où, par parenthèse, des acteurs parfois en roue libre, mais Bette Davis, Alberto Sordi et Silvana Mangano cabotinent juste ce qu'il faut dans L'Argent de la vieille. Mais en fait, malgré des cerises pour cinéphiles (des extraits de L'Enfance nue de Pialat ou Païsa de Rossellini), le gâteau proposé par Francesca Comencini est goûteux pour tout le monde. Quand bien même le point de départ serait le nombril de la réalisatrice, le film va vers les autres, et ses vraies thématiques, autour de la transmission et de l'émancipation, résonnent de façon universelle.

PERSONNE N'Y COMPREND RIEN (Yannick Kergoat, 8 jan) LLL
Yannick Kergoat, monteur césarisé pour Harry, un ami qui vous veut du bien, ayant aussi collaboré avec Erick Zonca (La Vie rêvée des anges) ou de façon régulière avec Costa-Gavras, mène parallèlement une deuxième carrière de réalisateur de documentaires politiques. Celui-ci décortique les faits à la base de l'affaire Sarkozy-Kadhafi, en s'appuyant sur le travail d'enquête entrepris depuis des années par les journalistes de Mediapart Fabrice Arfi et Karl Laske. L'exposition chronologique des éléments permet parfois de les rapprocher de façon inattendue, et les différents témoins (y compris de la complaisance médiatique) tout comme la voix off de Florence Loiret Caille participent également à cet exercice pédagogique et de vigilance citoyenne.

SPECTATEURS ! (Arnaud Desplechin, 15 jan) LLL
Après quelques fictions beaucoup moins convaincantes que par le passé, Desplechin revient avec une sorte d'essai sur l'importance du cinéma dans sa vie et dans celle des autres. Il entremêle des séquences de fiction autobiographique, où l'on retrouve son double Paul Dédalus, interprété ici par le jeune Milo Machado Graner (Anatomie d'une chute), initié au cinéma par sa grand-mère (Françoise Lebrun), avec des séquences documentaires. Il interroge ainsi des amateur.ice.s anonymes, mais fait aussi intervenir un esthète (Dominique Païni) et une philosophe (Sandra Laugier) dans leurs propres rôles. Avec ce beau monde, il tente de cerner les plaisirs cinéphiles, mais aussi d'aborder la responsabilité du regard qui s'impose aux spectateur.ice.s.

PRESENCE (Steven Soderbergh, 5 fév) LL
Steven Soderbergh revisite le genre des films se déroulant dans une maison hantée, mais en choisissant de filmer les scènes entièrement en caméra subjective, du point de vue du spectre. Cependant, assez vite, on voit surgir dans cet exercice de style un autre genre, celui du drame psychologique, un peu moins bien exécuté (le cinéaste surligne beaucoup). Néanmoins c'est cette association, assez inédite, entre cette forme-ci et ce contenu là qui fait tout le sel de ce retour du côté du cinéma pour Soderbergh (après des détours pour la télévision).

LA MER AU LOIN (Saïd Hamich Benlarbi, 5 fév) LL
Situé au début des années 1990, cette saga sur Nour (Ayoub Gretaa), un Marocain débarqué à Marseille avec d'autres clandestins commence faiblement, avec des représentations bourrées de clichés. Heureusement, cela change lorsque Nour fait connaissance d'un couple très loin des conventions, interprété par les toujours insaisissables Anna Mouglalis et Grégoire Colin. Ainsi, le film est ponctué de maladresses, mais les personnages nous restent en mémoire bien après la projection.

MON GATEAU PREFERE (Maryam Moghaddam, Behtash Sanaeeha, 5 fév) LL
A Téhéran, une veuve retraitée redécouvre l'amour auprès d'un autre septuagénaire, chauffeur de taxi pour arrondir ses fins de mois. Dans un autre pays, l'histoire pourrait être banale (partager tendresse, sensualité et du vin), mais dans ce pays, la vivre et la montrer sont des actes courageux. Dommage que le scénario punisse les protagonistes dans sa dernière partie. Tourné clandestinement, le film n'est pas aussi insolent que d'autres qui nous viennent d'Iran, mais c'en est déjà trop pour les autorités : au moment où le film sort dans les salles françaises, les deux cinéastes sont assignés à résidence, dans l'attente de leur procès !

APPRENDRE (Claire Simon, 29 jan) LL
Il y a une trentaine d'années, Claire Simon avait déjà filmé une école (Récréations). Ici, elle rentre carrément dans les salles de classe de l'école primaire et maternelle Makarenko, à Ivry-sur-Seine. Elle se met à hauteur d'enfants, y compris au sens propre, dans le placement de la caméra. Elle en filme une quotidienneté qui tranche avec la façon dont le sujet est traité dans les débats publics, a fortiori par des journalistes proches de l'extrême droite. Ici, il y a des pleins et des déliés. Mais cette approche modeste, presque dépolitisée, peut-elle faire le poids face aux polémiques malsaines ?

WHEN THE LIGHT BREAKS
(Runar Runarsson, 19 fév) LL
Une jeune fille perd le garçon qu'elle aime, mais ne peut exprimer ouvertement son chagrin et son deuil, car cette relation n'était pas encore connue des proches, le garçon n'ayant pas encore rompu avec une autre. Le film est ramassé sur quelques jours, d'un coucher de soleil à un autre. L'actrice principale, Elin Hall, est formidable. Le tout manque toutefois d'intensité, si on se souvient par exemple de La Vie des morts, le moyen métrage réalisé en début de carrière par Arnaud Desplechin. D'un autre côté, on peut aussi savoir gré au cinéaste islandais de ne pas avoir cédé à la tentation de faire le malin.

LA VOYAGEUSE (Hong Sang-soo, 22 jan) LL
Le titre désigne une française installée en Corée du Sud qui a une méthode bien à elle d'enseigner le français, en conversant en anglais avec les autochtones. Hong Sang-soo renouvelle un peu le fond, tout en creusant son sillon sur la forme (plans séquences minimalistes, d'où s'échappent parfois un zoom). Si le résultat peut susciter par moments des surprises, le dispositif ne fonctionne plus très bien. Et le jeu d'Isabelle Huppert n'arrive pas à s'accorder pleinement à cet univers et aux autres interprètes.

BRIAN JONES ET LES ROLLING STONES (Nick Broomfield, 19 fév) LL
Paradoxal personnage que ce Brian Jones, fondateur des Rolling Stones et à l'oreille aiguisée via le jazz et le blues. Pourtant, ce documentaire insiste sur le fait qu'il n'était pas compositeur, et nous narre par le menu ses amourettes sans lendemain (mais pas sans descendance), et ses diverses addictions qui le conduiront à intégrer le tristement célèbre Club des 27. C'est son apport en tant qu'arrangeur inspiré qui est ici crédité ("Ruby Tuesday", "Paint it black", "Under my Thumb"), malheureusement, pour les mélomanes, les extraits ne dépassent guère quelques secondes...
Version imprimable | Films de 2025 | Le Mardi 25/02/2025 | 0 commentaires
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Des films de début 2025

  • Bravo : La Chambre d'à côté (Pedro Almodovar)
  • Bien : Bird (Andrea Arnold), Julie se tait (Leonardo Van Dijl), Je suis toujours là (Walter Salles), Mémoires d'un escargot (Adam Elliot)
  • Pas mal : Le Quatrième mur (David Oelhoffen), Un ours dans le Jura (Franck Dubosc), Le Dossier Maldoror (Fabrice Du Welz)
  • Bof : Les Feux sauvages (Jia Zhang-ke)

LA CHAMBRE D'A COTE (Pedro Almodovar, 8 jan) LLLL
Il y a six ans, Pedro Almodovar livrait Douleur et gloire, un film-somme d'inspiration en partie autobiographique, et dans lequel on retrouvait la quintessence de son style. Ici, il livre plutôt un film testamentaire, notamment de par son sujet, en interrogeant le rapport à la mort de ses deux personnages principaux, une reportrice de guerre frappée par un cancer agressif, et son amie écrivaine à succès qui vient d'écrire un livre à la teneur vitaliste. Le cinéaste s'inscrit depuis longtemps dans un héritage d'un certain cinéma classique hollywoodien, Douglas Sirk en particulier, donc la langue anglaise semble couler de source. Par contre, s'il y a toujours un travail sur les couleurs, elles ne sont pas saturées comme à l'habitude. Au lieu de reproduire ce qu'on attend de lui, Almodovar invente une forme plus sobre en apparence, et adaptée aux enjeux, qu'il traite d'ailleurs avec nuances, loin du manichéisme bien intentionné mais maladroit de Mar Adentro de son compatriote Amenabar. On retrouve bien sûr cette précision dans les interprétations de Tilda Swinton et Julianne Moore. Loin de rechercher la satisfaction immédiate, esthétique ou émotionnelle, ce nouveau sommet dans la filmographie du maître espagnol, qui déjoue les attentes, trouve sa grandeur avec des qualités beaucoup plus souterraines, qu'accompagne idéalement la musique d'Alberto Iglesias.

BIRD (Andrea Arnold, 1er jan) LLL
Il s'agit du quatrième film de la cinéaste Andrea Arnold à avoir été sélectionné en compétition officielle à Cannes. Contrairement aux trois autres, il n'a pas eu de prix, ce qui est paradoxal alors qu'il s'agit probablement de son meilleur. Curieusement, à tête reposée, on pourrait retrouver des motifs de ses précédentes réalisations : une adolescente défavorisée (elle est élevée par un père immature qui l'a eu trop tôt), mais douée d'une forte personnalité (comme dans Fish Tank), une utilisation non conventionnelle de musiques pas trop mainstream (comme dans American honey). Mais au cours de la projection, on a pourtant l'impression de redécouvrir son univers, grâce à une mise en scène dans laquelle les contraires (le naturalisme d'un côté, des touches de poésie presque surnaturelles d'un autre, celui du rôle titre) s'additionnent avec une grâce inédite, au lieu de s'annuler...

JULIE SE TAIT (Leonardo Van Dijl, 29 jan) LLL
Pratiquante intensive du tennis, Julie est très douée, aspire à devenir professionnelle, mais est encore lycéenne. Un jour, son entraîneur est suspendu soudainement... Les scènes tennistiques bénéficient à plein de l'expérience de son interprète principale Tessa Van den Broeck, jeune tenniswoman professionnelle dans la vraie vie. La mise en scène de ce premier long métrage est remarquable, avec des plans-séquences admirablement composés, aptes à travailler le hors-champ comme les non-dits. La musique originale, composition de vocalises assez étranges signées Caroline Shaw, est utilisée de façon parcimonieuse mais à bon escient, et contribue à l'atmosphère de ce suspense psychologique mâtiné de notes de critique sociale.

JE SUIS TOUJOURS LA (Walter Salles, 15 jan) LLL
La dictature militaire brésilienne évoquée à travers le destin de la famille Paiva, nombreuse, joyeuse et heureuse jusqu'à l'arrestation du père, ancien député travailliste. Eunice, la mère, formidablement incarnée par Fernanda Torres, qui se tenait jusque là à l'écart de la politique, va devoir résister au régime en place. Le récit est construit de façon très chronologique. On a ainsi d'abord le temps de s'immerger dans le quotidien de cette famille, avant qu'elle ne soit rattrapée par la réalité de la situation politique. Dans les meilleurs moments, on pense à Kleber Mendonça Filho, autre grand réalisateur brésilien contemporain (Aquarius). On pourra cependant regretter les conventions de l'épilogue final, après un ultime saut dans le temps...

MEMOIRES D'UN ESCARGOT (Adam Elliot, 15 jan) LLL
Prévenons d'emblée, ce second long métrage d'animation de Adam Elliot n'est pas à destination des enfants, et son personnage principal n'est pas un animal, comme le titre semble l'indiquer, mais un être humain. En l'occurrence il s'agit d'une jeune femme devenue orpheline beaucoup trop tôt, et placée de surcroît dans une autre famille d'accueil que son frère jumeau... Sur le papier, il y a pas mal de sordide dans cette histoire, mais le tournage en stop motion, avec des personnages plus expressifs que des interprètes en chair et en os, donne du relief, et même un certain humour à l'ensemble. Au détour d'une séquence, on remarquera également une mise en abyme, ce qui est devenu assez courant dans le cinéma en live mais est inhabituel dans le domaine de l'animation. Une jolie réussite qui concrétise les espoirs du prometteur Mary et Max, il y a plus de quinze ans.

LE QUATRIEME MUR (David Oelhoffen, 15 jan) LL
Pour respecter la volonté d'un vieil ami souffrant, le français Georges se rend au Liban pour mettre en scène Antigone avec des comédiens et comédiennes issus des différentes communautés. Nous sommes en 1982... Il ne s'agit pas ici d'un film qui mettrait au clair la chaîne des responsabilités qui ont abouti au massacre des camps de Sabra et Chatila (ce point est travaillé par Valse avec Bachir d'Ari Folman, original par son angle comme par le traitement esthétique). Mais plutôt d'une adaptation du roman éponyme du grand reporter Sorj Chalandon, dans lequel de bonnes volontés se retrouvent sous les bombardements, et dans un conflit qu'ils n'ont pas provoqué. Si le film se veut un choc, la violence ne me semble pas filmée de façon complaisante. On a rarement vu Laurent Lafitte dans un film aussi grave. La comédienne libanaise Manal Issa, découverte dans Peur de rien de la cinéaste Danielle Arbid, confirme l'excellence de son talent.

UN OURS DANS LE JURA (Franck Dubosc, 1er jan) LL
Il faut accepter cette prémisse heureusement improbable : en voulant éviter un ours sur la route, un conducteur tue accidentellement deux personnes en possession d'une grosse somme d'argent... Après beaucoup d'années d'un humour un peu au ras des pâquerettes, Franck Dubosc change de registre, et s'offre une comédie macabre dans la neige. Surprise : si la mise en scène n'égale pas celle des frères Coen (on pense bien sûr à Fargo), le film trouve un vrai style. La crédibilité vient moins d'un scénario certes astucieux mais avec ses invraisemblances que d'une interprétation homogène de personnages plus ou moins amoraux, avec des partenaires comme Laure Calamy (impayable, quoique) ou Benoît Poelvoorde (gendarme plus perspicace qu'il n'en a l'air).

LE DOSSIER MALDOROR
(Fabrice Du Welz, 15 jan) LL
Librement inspiré de l'affaire Dutroux. Le nom des personnages a été modifié, et le personnage principal de gendarme hanté par la disparition non résolue de plusieurs fillettes (Anthony Bajon) est fictif. Le film a le mérite de mettre en lumière la guerre des services, peu connue de ce côté-ci des Ardennes, existant à l'époque entre la gendarmerie, la police judiciaire et la police locale, qui ne partagent pas leurs informations. Le titre ne ment pas, il s'agit d'un film dossier. Un peu comme dans Voyage au bout de l'enfer, une longue séance de mariage dans le premier tiers donne la mesure du bonheur et de la perte à venir. La suite du long métrage est malheureusement filmée d'une façon qui frise parfois la complaisance avec la violence.

LES FEUX SAUVAGES (Jia Zhang-ke, 8 jan) L
Jia Zhang-ke a puisé dans les images tournées à l'occasion de ses longs métrages précédents pour tenter de construire une nouvelle fiction, en y ajoutant une coda qui se passe pendant la crise du Covid-19. Il y a bien des récurrences parmi les interprètes, mais cela ne crée pas forcément de nouveaux personnages intéressants. En enregistrant la mutation du pays (comme Richard Linklater filmait dans Boyhood le vieillissement de ses personnages), le seul intérêt du film reste son aspect documentaire, avec l'actrice Zhao Tao qui en serait un témoin muet.
Version imprimable | Films de 2025 | Le Dimanche 19/01/2025 | 0 commentaires
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Mon aide-mémoire sur les films du festival Télérama 2025

Les Graines du figuier sauvage (Mohammad Rasoulof, 18/09/2024) LLLL (n°1 Télérama)

Ce long métrage fait d'emblée événement, puisqu'il s'agit du dernier film réalisé clandestinement en Iran par Mohammad Rasoulof avant son exil. Il peut donc se prêter à des commentaires qui font fi de ses qualités cinématographiques, ce qui est très injuste, tant le film possède une force remarquable (ce qui était déjà le cas du Diable n'existe pas, Ours d'or en 2020). Iman, fonctionnaire, vient d'être nommé enquêteur au tribunal révolutionnaire. Il se veut intègre, mais doit accepter des ordres sans possibilité d'étudier les dossiers. Pendant ce temps, des émeutes éclatent. Pour assurer leur sécurité, Iman demande à sa femme et à ses deux filles d'être discrètes, tandis qu'on lui confie une arme de service. Les deux adolescentes suivent la révolte des femmes sur leurs téléphones... La première grande force du film réside dans le fait que la famille constitue une allégorie de la situation politique du pays entier, tout en constituant des personnages réalistes à part entière. La grandeur de la mise en scène accentue cette impression : si le film est d'abord un huis clos tendu dans l'appartement familial, il convoque ensuite des genres cinématographiques qu'on n'attendait pas forcément et qui lui donnent une ampleur peu commune. Un des meilleurs films de l'année, qui aurait dû recevoir à Cannes un prix bien plus élevé que l'accessit (prix spécial) créé pour l'occasion.

Los Delincuentes (Rodrigo Moreno, 27/03/2024) LLL (n°4 Télérama)

Moran, le trésorier d'une banque de Buenos Aires, s'arrange pour voler 650000 dollars à son travail. Il confie l'argent à un collègue, Roman. Le plan est le suivant : Moran se rend quelques jours plus tard, purge sa peine, et à la sortie de prison, les deux comparses récupèrent le magot, et n'auraient plus besoin de travailler. Le but du casse ne serait donc pas de faire fortune, mais de gagner du temps libre. Mais tout n'est pas si simple... Il ne faut pas avoir peur de la durée du film (environ 3h), scindé en deux parties, et qui mêle plusieurs genres. On se plonge avec délice dans le romanesque des situations et les caractères haut en couleur de tous les personnages. La plupart des interprètes sont inconnus chez nous, à part Laura Paredes qui joue la cadre des assurances qui conduit l'enquête interne à la banque, et qui était déjà au coeur des remarquables La Flor et Trenque Lauquen, du collectif El Pampero Cine (dont Rodrigo Moreno ne fait pas partie). Au fil de tous les développements, on découvre un film d'inspiration plutôt libertaire (mais au sens antilibéral du terme).

Miséricorde (Alain Guiraudie, 16/10/2024) LLL (n°2 Télérama)

Depuis Toulouse où il est installé, Jérémie se rend dans le village de son enfance pour aller à l'enterrement de son ancien patron boulanger. Il est hébergé par la veuve de ce dernier, et il y reste quelques jours... Il serait sacrilège de dire plus de l'intrigue. En effet, le film n'arrête pas de se réinventer en chemin. Et pourtant, pour ce faire, il n'use en rien de coups de théâtres scénaristiques spectaculaires (les fameux "twists"). Bien qu'on ne doute jamais d'être face à un nouveau Guiraudie, on y avance sans anticiper où est-ce qu'il va nous emmener. Cela tient en grande partie à sa mise en scène, non pas par des effets formalistes ostentatoires, mais au contraire par un travail virtuose de tous les instants mais en apparence invisible sur la lumière (y compris lorsqu'elle est faible dans certaines séquences nocturnes), les sons (aussi importants que les images pour restituer les paysages), et une certaine perversité amorale dans l'écriture des personnages. Le tout est une réjouissante parenthèse loin des conventions et à l'opposé des films trop programmatiques.

Les Fantômes (Jonathan Millet, 03/07/2024) LLL (n°3 Télérama)

Deux ans après avoir été relâché en plein désert de la prison de Saidnaya, on retrouve Hamid en 2016, en train de travailler sur un chantier. Mais il consacre son temps libre à retrouver la trace d'un de ses tortionnaires, dont il n'a qu'une photo floue. Il ne peut d'ailleurs pas s'en remettre à la seule vue, lui qui avait la tête emprisonnée dans un sac lors des sévices. Jonathan Millet, venu du documentaire, connaît bien son sujet, mais a choisi la fiction pour rendre compte du traumatisme d'Hamid. Il emprunte de surcroît la forme du film à suspense plutôt que de la chronique. La tension et le trouble sensoriel qui traversent peu à peu les séquences proviennent de l'interprétation puissante mais singulière d'Adam Bessa, de presque tous les plans, mais aussi et surtout du travail sonore, toute la bande son, qui ne se réduit pas à la musique originale, inspirée, de Yuksek.

Borgo (Stéphane Demoustier, 17/04/2024) LLL (n°14 Télérama)

De film en film, la manière de Stéphane Demoustier (Terre battue, La Fille au bracelet) prend de l'ampleur. Deux trames narratives sont ici montées en parallèle : d'un côté une enquête sur un probable règlement de comptes entre bandes rivales en Corse, de l'autre côté l'arrivée depuis le continent d'une surveillante au centre pénitentiaire de Borgo. Bien que l'atmosphère puisse faire penser à Un prophète de Jacques Audiard, le film n'en pâtit pas. La maîtrise formelle est indéniable tout en ne s'interdisant pas des surprises (une reprise d'un tube de Julien Clerc à l'intérieur d'une scène d'une belle intensité, par exemple). Et bien sûr, au centre de l'enchaînement des faits, il y a le jeu de Hafsia Herzi, tour à tour (ou parfois simultanément dans le même plan) lumineuse et opaque à souhait...

All we imagine as light (Payal Kapadia, 02/10/2024) LLL (n°12 Télérama)

Mumbai de nos jours. Prabha, dont le mari est parti travailler en Allemagne, est infirmière dans le même hôpital que la jeune Ana, sa colocataire, qui vit une relation en cachette avec un garçon musulman. Sur son lieu de travail, Prabha tente de soutenir également Parvaty, une femme veuve plus âgée et menacée d'expulsion... Une des grandes forces du film (Grand-Prix à Cannes), qui peut toutefois constituer aussi une limite, tient dans le fait qu'une seconde vision décuple son intérêt. La mise en scène est très travaillée et moderne, mais peut se comprendre avec retard : aucun détail n'est laissé au hasard, mais Payal Kapadia n'est pas une cinéaste démiurge qui dirige le regard. Par moments, et dès le prologue qui prend le pouls de la grande ville, on entend les voix de personnages qui à l'écran n'ouvrent pas leurs lèvres. Alors que dans la dernière partie, dans un village de bord de mer, un mystérieux personnage échoué finit par prononcer certaines paroles : on le voit bien parler, et pourtant, dans un subtil halo, il pourrait bien s'agir d'une projection mentale d'une des héroïnes...

Madame Hofmann
(Sébastien Lifshitz, 10/04/2024) LLL (n°15 Télérama)

Sébastien Lifshitz, documentariste passionnant, dans son étude des questions de genre notamment (Les Invisibles, sorti en salle et césarisé, ou Petite fille, diffusé uniquement sur Arte), s'intéresse à un tout autre sujet ici, en réalisant le portrait de Sylvie Hofmann, une infirmière-cadre de l'hôpital Nord de Marseille, au moment où celle-ci s'apprête à partir en retraite, au bout de quarante années d'exercice. Sa forte personnalité ne cannibalise pas pour autant le film, qui à travers ce portrait se laisse traverser par des questionnements intimes (la rapport à la maladie, à la mort), par exemple mais pas uniquement dans les échanges entre Sylvie Hofmann et sa mère, mais aussi collectifs (avec les effets de la paupérisation de l'hôpital public). Sur la forme, la musique, composée avec soin par Grégoire Hetzel, prend une place inhabituelle chez le cinéaste.

Le Mal n'existe pas (Ruysuke Hamaguchi, 10/04/2024) LLL (n°13 Télérama)

Le projet d'installation d'un "glamping" (camping de luxe) est présenté au village pressenti pour l'accueillir, en lisière de forêt. Le film aurait pu jouer dans la catégorie devenue familière des ciné-tracts écolos, où une figure justicière honnête s'oppose aux intérêts puissants (dernièrement encore Les Algues vertes, de Pierre Jolivet). Hamaguchi livre un film aux personnages moins caricaturaux, mais qui expose néanmoins, à qui voudra bien le voir, l'antagonisme entre les logiques capitalistes et la défense des équilibres naturels et de la biodiversité. L'oeuvre n'a pas la densité des précédents opus du cinéaste, et en est assez éloignée dans la forme comme dans le fond. Mais le puissant épilogue, douloureux, inattendu (mais pas illogique), est d'une grande force cinématographique.

L'Histoire de Souleymane
(Boris Lojkine, 09/10/2024) LLL (n°7 Télérama)

Le titre, d'une simplicité apparente, est plus équivoque qu'il n'y paraît. On suit trois jours de la vie quotidienne de Souleymane, arrivé de Guinée sans papiers, et qui prépare l'entretien qu'il doit passer avec l'Ofpra, tout en étant livreur à domicile pour une plateforme, grâce à un prête-nom qu'il doit rémunérer. La plus grande partie du film tient du dispositif : rester collé en permanence aux basques de son principal protagoniste (Abou Sangare, intense), lors de ses impressionnantes courses à vélo dans Paris, mais aussi dans ses interactions parfois douloureuses avec les autres personnages. La dernière partie est filmée différemment, dans un champ - contrechamp faussement simple là-aussi, puisqu'il permet le déploiement d'une parole longtemps différée, d'autant plus que Souleymane préférait servir au départ un autre récit. Au final, une alternative aux discours anti-humanistes des plateaux télé.

A son image (Thierry De Peretti, 04/09/2024) LLL (n°5 Télérama)

Même s'il dure un peu moins de deux heures, le nouveau film de Thierry De Peretti, adapté d'un roman de Jérôme Ferrari, tient de la fresque, en observant comment Antonia, une jeune photo-journaliste recrutée par Corse-Matin, va traverser les années 1980 et 1990 ponctuées par la violence politique. Un des intérêts de l'oeuvre est de corsifier le regard, en donnant accès à des points de vue peu présents ou peu développés en métropole. Il "n'excuse" rien, mais montre les tragédies endurées par les peuples voulant légitimement disposer d'eux-mêmes. La forme n'est pas forcément aussi ample que le fond, mais il y a du romanesque dans ce récit, à travers les amours et amitiés de la jeune femme (Clara-Maria Laredo, en tête d'un casting majoritairement corse).

Flow (Gints Zilbadolis, 30/10/2024) LLL (n°8 Télérama)

Un film d'animation qui se déroule après un déluge. Une poignée d'animaux tente de survivre à la montée des eaux, dont un chat, qu'on ne quittera pas, et qui devra apprendre à ne plus avoir peur de se mouiller. Aucun animal humain à l'horizon, les personnages ne parlent pas, ils miaulent, aboient etc... Peu d'anthropomorphisme dans leurs comportements, qui ont l'air plausibles au niveau éthologique. Cela rend très vivante l'histoire (car il y en a quand même une). On retient son souffle pour mieux entendre celui des animaux, à l'intérieur d'une belle création sonore. Visuellement, la réalisation privilégie des plans séquences qui auraient été virtuoses en prises de vue réelles. Le petit bémol, à mon goût, réside dans le graphisme 3D, qui cherche un peu trop le trompe-l'oeil (dans tout ce qui entoure les protagonistes), sans trouver un style propre, alors que Gintz Zilbalodis a participé à tous les postes de la production.

Emilia Pérez (Jacques Audiard, 21/08/2024) LL (n°11 Télérama)

Un narcotrafiquant mexicain engage une jeune avocate d'un cabinet (peu regardant sur les personnes qu'il défend) pour trouver les médecins qui l'aideront à changer de sexe... et peut-être de vie. Entièrement tourné en studio, le film témoigne d'une recherche esthétique à chaque plan, ou au moins chaque numéro. Car il s'agit d'une comédie musicale ! La principale réserve concerne les chansons (signées Camille et Clément Ducol) : s'il est de coutume dans ce genre cinématographique qu'elles traduisent l'état d'âme des protagonistes, ici elles semblent trop explicites, trop claires pour un film noir. Jacques Audiard fait néanmoins mieux que ses derniers films, et le prix collectif d'interprétation reçu à Cannes (Karla Sofia Gascon, Zoe Saldana, Selena Gomez et Adriana Paz) est mérité.

The Apprentice (Ali Abbasi, 09/10/2024) LL (n°10 Télérama)

L'origine du mal(e). Il ne s'agit pas ici d'une réflexion à la Hannah Arendt, mais du récit de la rencontre entre Donald Trump, alors magnat de l'immobilier dans l'entreprise alors dirigée par son père, et Roy Cohn, un avocat qui a commencé sa carrière auprès du sénateur McCarthy. Entre le milieu des années 70 et le milieu des années 80, ce dernier va lui enseigner ses trois "principes" : attaquer, tout nier en bloc, ne jamais reconnaître la défaite. Le scénario a été écrit par un journaliste politique, Gabriel Sherman. Dans ce rôle de mentor, Jeremy Strong aurait pu obtenir le prix d'interprétation à Cannes. Et pourtant l'écriture des personnages, présentés comme constamment inhumains, en manquant de finesse, risque de rater sa cible et d'être contreproductive.

Le Comte de Monte-Cristo (Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière, 26/06/2024) L (lecteurs jeunes Télérama)

Edmond Dantès, emprisonné après une accusation à tort de trahison, finit par s'évader, avec une soif de vengeance envers ses ennemis... Le scénario, adapté d'Alexandre Dumas, aurait dû captiver, mais le récit souffre d'une réalisation à la truelle. Le souffle recherché est éventé par des centaines de plans filmés au drone sur fond de musique pompière. Cet emploi de grands moyens n'arrive jamais à créer une grande mise en scène. Dommage.

La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer, 31/01/2024) 0 (n°9 Télérama)

Auschwitz comme si vous n'y étiez pas. L'horreur absolue réduite à un bruit de fond, et à quelques éléments épars ostensiblement  montrés. A peine moins pire dans la maladresse que l'option inverse de la reconstitution calamiteuse des camps dans le biopic d'Olivier Dahan sur Simone Veil. Comme si la banalité du Mal désignait d'abord le micro-climat de la vie de famille d'un tortionnaire nazi, plutôt que le fait que beaucoup de personnes ont participé à engendrer ce Mal, même à un petit niveau (ce que montrait davantage La Passagère d'Andrzej Munk et Witold Lesiewicz, restauré l'an dernier et qui vient d'être disponible en DVD). La musique vocale concrète qui accompagne le générique final résume l'abjection du film : s'arroger le droit de faire un art prétendument conceptuel avec une telle réalité.

The Substance (Coralie Fargeat, 06/11/2024) (n°6 Télérama)

Pas vu.
Version imprimable | Ephémères | Le Mardi 14/01/2025 | 0 commentaires
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Top 15 de l'année et dernières sorties

Article évolutif...

1. Les Graines du figuier sauvage (Mohammad Rasoulof, Iran/Allemagne)
2. Le Roman de Jim (Arnaud et Jean-Marie Larrieu, France)
3. Los Delincuentes (Rodrigo Moreno, Argentine)
4. L'Affaire Nevenka (Iciar Bollain, Espagne)
5. Averroès et Rosa Parks (Nicolas Philibert, France)
6. Guérilla des Farc, l'avenir a une histoire (Pierre Carles, France)
7. Miséricorde (Alain Guiraudie, France)
8. La Grâce (Ilya Povolotsky, Russie)
9. Ernest Cole, photographe (Raoul Peck, France/Etats-Unis)
10. They shot the piano player (Fernando Trueba, Javier Mariscal, Espagne/Portugal)
11. Les Fantômes (Jonathan Millet, France)
12. En fanfare (Emmanuel Courcol, France)
13. Le Procès du chien (Laetitia Dosch, Suisse/France)
14. Sauvages (Claude Barras, France/Suisse/Belgique)
15. Vivre, mourir, renaître (Gaël Morel, France)

Viennent ensuite (top alternatif) : Borgo (Stéphane Demoustier, France), All we imagine as light (Payal Kapadia, Inde), Trois amies (Emmanuel Mouret, France), Les Carnets de Siegfried (Terence Davies, Grande-Bretagne), Une famille (Christine Angot, France), L'Homme d'argile (Anaïs Tellenne, France), Marcello mio (Christophe Honoré, France), The Summer with Carmen (Zacharias Mavroeidis, Grèce), A man (Kei Ishikawa, Japon), Madame Hofmann (Sébastien Lifshitz, France), Juré n°2 (Clint Eastwood, Etats-unis), La Prisonnière de Bordeaux (Patricia Mazuy, France), Vingt dieux (Louise Courvoisier, France), La Mère de tous les mensonges (Asmae El Moudir, Maroc), No other land (Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor, Hamdan Ballal, Palestine)...

Dernières sorties :
  • Bien : Ernest Cole, photographe (Raoul Peck), Mon inséparable (Anne-Sophie Bailly)
  • Pas mal : Joli joli (Diastème), Noël à Miller's Point (Tyler Taormina), Les Reines du drame (Alexis Langlois), Le Beau rôle (Victor Rodenbach)
  • Bof : Les Femmes au balcon (Noémie Merlant)
  • Hélas : The Substance (Coralie Fargeat)
ERNEST COLE, PHOTOGRAPHE (Raoul Peck, 25 déc) LLL
Raoul Peck alterne fictions documentées et documentaires très narratifs. Ce film-ci, Œil d'or au dernier festival de Cannes, fait partie des seconds. Ernest Cole est le premier photographe sud-africain à avoir montré au monde entier la réalité de l'apartheid. Raoul Peck livre en voix off le point de vue de Cole, en se basant sur son livre House of Bondage, publié en 1967, et qui lui vaut son exil aux Etats-Unis, mais aussi aux propos rapportés par ses proches. La plupart des images, parfois analysées avec précision, proviennent de dizaines de milliers de négatifs pris par Cole lui-même, et découverts en 2017 dans le coffre d'une banque suédoise. Méditation puissante, et nécessaire par les temps qui courent, sur l'apartheid, le racisme colonial, et l'exil.

MON INSEPARABLE
(Anne-Sophie Bailly, 25 déc) LLL
Mona vit toujours avec son grand fils Joël, adulte mais "différent". Celui-ci tombe amoureux d'Océane, qui travaille dans le même établissement spécialisé (ESAT) que lui. Mona apprend l'existence de cette relation lorsqu'Océane se découvre enceinte... Sur le papier, le pitch pouvait inspirer de la méfiance, si l'on anticipait un traitement conventionnel du sujet. Mais d'une part, le sujet n'est peut-être pas exactement celui qu'on croit, et d'autre part l'écriture au cinéma, c'est aussi de la mise en scène. Anne-Sophie Bailly, dont c'est le premier long métrage, nous propose des scènes autres que celles qu'on attend, ce qui les rend la plupart du temps crédibles, d'autant plus que Laure Calamy est dirigée comme les autres interprètes (Charles Peccia Galletto, Julie Froger) avec doigté, et que la caméra se tient dans chaque séquence à une juste distance qui permet en particulier une progression du regard sur les personnages auxquels la réalisatrice offre peu à peu de la place pour exister...

AU COEUR DES VOLCANS (Werner Herzog, 18 déc) LLL
Un documentaire qui rend hommage aux vulcanologues Katia et Maurice Kraftt. Le projet tient presque de l'évidence, tant le cinéaste allemand de Aguirre, la colère de Dieu ou Fitzcarraldo est lui-même une sorte de tête brûlée, comme les deux scientifiques qui périrent suite à une coulée pyroclastique près du mont Unzen, au Japon, en 1991. L'autre point commun, c'est qu'ils aiment filmer : les époux Kraftt plutôt pour sensibiliser le grand public et les décideurs chargés de prendre en compte les risques liés aux phénomènes éruptifs, et Herzog dans une démarche d'abord cinématographique. Les deux aspects ne sont cependant pas étanches : certaines images filmées par les Kraftt peuvent être fascinantes, et il y a du fond dans la quête et l'enquête d'Herzog.

JOLI JOLI (Diastème, 25 déc) LL
Promesse de bulle pétillante, qui sort opportunément le 25 décembre, il s'agit d'un feel good movie assumé sous les atours d'une comédie musicale qui accompagne les débuts sur grand écran de la chanteuse Clara Luciani. Les chansons sont signées Alex Beaupain, comme pour Les Chansons d'amour de Christophe Honoré. Mais autant le film d'Honoré était travaillé par Demy et la Nouvelle Vague, autant celui de Diastème est un musical théâtral, à l'américaine. On se réjouit de voir le mordant de l'écriture de Beaupain (excellentes paroles) serti dans un écrin musical plutôt lyrique. Des réserves toutefois : derrière les clins d'oeil cinéphiles, un scénario d'une grande banalité, une chanson rappelant trop les Rap-tout des Inconnus, et un des morceaux est musicalement très proche du tango du malaise de Jeanne et le garçon formidable, comédie musicale française autrement plus profonde...

NOËL A MILLER'S POINT (Tyler Taormina, 11 déc) LL
La sortie en fin d'année de ce film américain indépendant n'est pas fortuite. Il est pourtant à contre-temps des tendances lourdes de l'audiovisuel actuel : alors que l'heure est aux scénarios bétonnés, ce film-ci offre peu de rebondissements, même si on découvre petit à petit la situation familiale au gré de conversations qu'on surprend comme par effraction (elles ont commencé avant le début de la scène et se prolongent après). Si le film est peu passionnant, le style séduit : par son attention portée successivement à tous les personnages, il propose un joli bouquet entremêlé de portraits individuels réalisés en groupe, et, dans une deuxième partie, la discrète échappée de deux cousines parties rejoindre leur bande d'amis constitue une respiration bienvenue...

LES REINES DU DRAME
(Alexis Langlois, 27 nov) LL
Racontée depuis 2055 (!), la romance plus ou moins clandestine entre deux chanteuses qui ont fait des choix artistiques aux antipodes : la gagnante d'une émission de télé-crochet au milieu des années 2000, qui se conforme à tout ce que l'industrie attend pour assurer un carton commercial, et une punkette féministe queer, rageuse en public, sensible en privé, sincère tout le temps, qui cultive bec et ongles son intégrité politique et musicale (et conjugue radicalité affichée avec pudique aménité). Malheureusement pour nos oreilles, c'est la première qui est au centre du film. Ce premier long métrage veut tellement embrasser tous les personnages qu'il donne l'impression d'une absence de point de vue, et le côté satirique, un peu bâclé, manque de profondeur...

LE BEAU RÔLE (Victor Rodenbach, 18 déc) LL
L'argument principal du film, une comédie romantique dans laquelle un comédien est tenté par une infidélité professionnelle par rapport au travail en commun avec sa compagne metteuse en scène (il a joué dans tous ses spectacles), a des affinités involontaires avec Septembre sans attendre de Jonas Trueba, autrement plus original sur le fond et plus convaincant sur la forme. Sur le travail théâtral, Va savoir de Jacques Rivette, par exemple, était plus troublant et abouti. Les premiers rôles sont cependant bien interprétés (Vimala Pons, William Lebghil, Jérémie Laheurte, Pauline Bayle...), et ce premier film d'un scénariste de télévision comporte notamment une bonne idée visuelle : des échanges de regard complices sous-titrés à l'écran...

LES FEMMES AU BALCON (Noémie Merlant, 11 déc) L
J'avais envie d'aimer cette satire du patriarcat et des violences sexistes et sexuelles coécrite par l'excellente Céline Sciamma. A l'exception d'une scène de viol conjugal qui semble d'un réalisme glaçant, le reste tient plutôt du Grand-Guignol. Le choix d'adopter un style de série Z horrifique semble assumé, mais le résultat peine à convaincre, formellement comme sur le fond, car par ce traitement le film rate peut-être une partie de sa cible, à savoir un sexisme qui serait plus insidieux... La crédibilité est déjà entamée dès la première scène, où il est censé faire plus de 40 °C dehors, et pourtant tous les habitant.e.s de l'immeuble laissent entrer la chaleur en ouvrant en grand les porte-fenêtres...

THE SUBSTANCE (Coralie Fargeat, 6 nov) 0
Une présentatrice télé est remerciée le jour de son cinquantième anniversaire. Cependant, elle fait l'acquisition d'un produit miracle qui lui fait endosser une semaine sur deux la peau d'un double d'elle-même plus jeune et sexy... Le film a eu le prix du scénario à Cannes. Or c'est peut-être ce qu'il y a de pire, compte tenu du sens que lui donne la mise en scène. En effet, si l'interprétation satirique de Dennis Quaid en producteur bas de plafond est une sorte de caution féministe du film, en revanche les codes du body horror renforcent l'âgisme soit-disant dénoncé, en montrant le consentement du personnage principal à se conformer aux canons stéréotypés de la femme-objet, et avec une vision de la vieillesse envisagée nécessairement comme une monstruosité (avec le paradoxe de la faire interpréter par Demi Moore).

NB : "Guérilla des Farc, l'avenir a une histoire" de Pierre Carles et "Vingt dieux" de Louise Courvoisier, toujours à l'affiche, sont de vraies réussites mais ont déjà été évoqués dans le précédent billet...
Version imprimable | Films de 2024 | Le Lundi 30/12/2024 | 0 commentaires
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Des films de l'automne 2024

  • Bien : L'Affaire Nevenka (Iciar Bollain), Guérilla des Farc, l'avenir a une histoire (Pierre Carles), Miséricorde (Alain Guiraudie), En fanfare (Emmanuel Courcol), Trois amies (Emmanuel Mouret), Juré n°2 (Clint Eastwood), Vingt dieux (Louise Courvoisier), No other land (Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor, Hamdam Ballal), L'Histoire de Souleymane (Boris Lojkine), Flow (Gints Zilbalodis), Anora (Sean Baker), Grand Tour (Miguel Gomes)
  • Pas mal : Voyage à Gaza (Piero Usberti), La Plus précieuse des marchandises (Michel Hazanavicius) Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres (Andres Veiel), Au boulot ! (Gilles Perret, François Ruffin), Fario (Lucie Prost), The Apprentice (Ali Abbasi), Leurs enfants après eux (Ludovic et Zoran Boukherma)
  • Bof : L'Amour ouf (Gilles Lellouche), Diamant brut (Agathe Riedinger), Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde (Emanuel Pârvu)

L'AFFAIRE NEVENKA (Iciar Bollain, 6 nov) LLL
Iciar Bollain, une cinéaste toujours passionnante, reconstitue ce qui a abouti à la première condamnation d'un homme politique espagnol pour harcèlement sexuel, au début des années 2000. Si l'on ne s'en tient pas aux apparences classiques, et qu'on regarde de près les choix effectués, dans la forme et dans le fond, par la cinéaste, on sera frappé par l'acuité contemporaine de son regard. Sur le fond, peu de scènes sont consacrées au procès lui-même, car l'essentiel réside dans la description de toutes les étapes (et épreuves) qui le précèdent, dans une pédagogie encore nécessaire. Par exemple, le film ne fait pas l'impasse sur les inversions de culpabilité qui pèsent sur la protagoniste, une jeune femme de 25 ans, conseillère municipale sur la liste du maire charismatique qui lui a fait rapidement gravir les échelons. Dans le cinéma d'Iciar Bollain (Même la pluie, Les Repentis), ce sont des actes qui peuvent être classés comme bien ou mal : les personnages, eux, ne sont pas manichéens. C'est encore le cas ici, grâce aux interprétations millimétrées de Mireia Oriol dans le rôle titre et de Urko Olazabal dans celui du potentat local, mais tous les personnages secondaires bénéficient d'une grande finesse d'écriture. Quant à la forme, la représentation des scènes cruciales doit tout à une réflexion extrêmement précise, qui renouvelle le regard bien plus que d'autres qui le claironnent davantage.

GUERILLA DES FARC, L'AVENIR A UNE HISTOIRE (Pierre Carles, 11 déc) LLL
Pierre Carles réalise peut-être son film le plus ample. S'il remonte aux origines du conflit, à l'aide d'archives, mais aussi d'extraits de fiction de l'ex-compagnon de la mère de Carles, Dunav Kuzmanich, réalisateur chilien exilé en Colombie après la prise de pouvoir de Pinochet, le documentaire bénéficie surtout d'un tournage effectué sur près de dix ans, des prémisses du processus de paix à ses premiers bilans. Le temps long, luxe accordé par la productrice Annie Gonzalez, permet ainsi de mesurer l'évolution des analyses des protagonistes. Le film est assez long (2h20). Alors certes il n'épuise pas pour autant les angles possibles, mais donne un éclairage essentiel qui comble les lacunes et les partis pris des médias occidentaux dominants (Pierre Carles, par ailleurs travaillé par la question médiatique, de Pas vu, pas pris à Fin de concession, livre un matériau qui s'inscrit dans une sorte d'alternative à ces traitements, par une démarche située, mais qui n'assène pas une doxa clé en mains et qui inclut des éléments réflexifs sur le film en train de se fabriquer).

MISERICORDE (Alain Guiraudie, 16 oct) LLL
Depuis Toulouse où il est installé, Jérémie se rend dans le village de son enfance pour aller à l'enterrement de son ancien patron boulanger. Il est hébergé par la veuve de ce dernier, et il y reste quelques jours... Il serait sacrilège de dire plus de l'intrigue. En effet, le film n'arrête pas de se réinventer en chemin. Et pourtant, pour ce faire, il n'use en rien de coups de théâtres scénaristiques spectaculaires (les fameux "twists"). Bien qu'on ne doute jamais d'être face à un nouveau Guiraudie, on y avance sans anticiper où est-ce qu'il va nous emmener. Cela tient en grande partie à sa mise en scène, non pas par des effets formalistes ostentatoires, mais au contraire par un travail virtuose de tous les instants mais en apparence invisible sur la lumière (y compris lorsqu'elle est faible dans certaines séquences nocturnes), les sons (aussi importants que les images pour restituer les paysages), et une certaine perversité amorale dans l'écriture des personnages. Le tout est une réjouissante parenthèse loin des conventions et à l'opposé des films trop programmatiques.

EN FANFARE (Emmanuel Courcol, 27 nov) LLL
Thibaut, chef d'orchestre de renommée internationale, apprend qu'il est atteint d'une maladie grave, et que seule une greffe pourrait le sauver. En cherchant un donateur, il se rend compte qu'il a été adopté, et retrouve l'identité d'un frère biologique, Jimmy, cantinier à Walincourt. Thibaut découvre que Jimmy joue du trombone dans la fanfare locale, et qu'il a l'oreille absolue... Devant ce film, peut-être que le jeune Truffaut aurait parlé de "qualité France", puisque le réalisateur semble appréhender le cinéma comme s'il était un (demi) frère du théâtre. Le film est écrit aussi précisément qu'une portée musicale, avec des accents toniques légèrement appuyés pour créer une ligne claire nullement démagogique qui n'abêtit ni les personnages ni les spectateurs-trices. Quand bien même on a un peu d'avance sur certaines scènes, cette conception du travail bien fait est raccord avec la dimension sociale du film, qui se déplace d'une chronique attendue des déterminismes sociologiques vers celle d'une lutte contre une délocalisation. L'amour de la musique fait office de recherche d'harmonie et de fraternité, Pierre Lottin, Benjamin Lavernhe et Sarah Suco sont des stradivarius, et le sens constant de la mesure aboutit paradoxalement à un crescendo superbe. Devant ce film, chacun pourra se dire : j'ai fréquenté la beauté (du geste, c'est tout ce qu'il nous reste).

TROIS AMIES (Emmanuel Mouret, 6 nov) LLL
Si c'est bien l'amitié qui relie Joan, Rebecca et Alice, les trois amies du titre (India Hair, Sara Forestier, Camille Cottin, toutes à l'aise dans des rôles funambules), Emmanuel Mouret ausculte plutôt d'autres sentiments humains, leurs paradoxes, leurs apparentes inconstances. Sur le papier, certains éléments pourraient relever d'un vaudeville, or ce nouvel opus se révèle d'une profondeur inattendue. Comme dans Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait, il tisse avec virtuosité un faisceau d'intrigues, mais cette fois-ci en restant dans le présent, sans entremêler des temporalités différentes. Comme chez Rohmer ou Allen c'est un cinéma très parlant, dans lequel on suit les questions existentielles des personnages. Mais une grande attention a été portée à la forme, par exemple avec une voix off qui n'est nullement un narrateur abstrait et surplombant, mais ici celle d'un des personnages masculins qui, par la force des choses, peut tout observer. On notera la pincée d'utopie de cet univers, où les protagonistes ne sont confrontés ni à des questions matérielles ni à des relations toxiques.

JURE N°2 (Clint Eastwood, 30 oct) LLL
Le juré du titre, tiré au sort pour un procès criminel, se rend rapidement compte qu'il pourrait être impliqué dans la mort d'une jeune femme qu'il ne connaît pas, lors d'une nuit pluvieuse où elle s'est disputée avec son compagnon, celui qui figure sur le banc des accusés. Si on accepte cette donnée de départ assez improbable, on suivra passionnément ce récit dont l'un des moteurs réside dans la progression des délibérations du jury, comme dans 12 hommes en colère, le classique de Sidney Lumet. Mais ces réflexions en commun se doublent d'un dilemme moral qui traverse le personnage principal, tiraillé entre des valeurs contradictoires, entre une mort à élucider, une naissance à accompagner, et le sort à réserver à un suspect difficile à défendre (homme violent). Malgré les particularités du système judiciaire américain, Eastwood livre une réflexion assez universalisable et non manichéenne sur les notions de justice et de vérité, déjà abordée dans un de ses meilleurs films (Jugé coupable), et servie ici par une mise en scène sobre et épurée.

VINGT DIEUX (Louise Courvoisier, 11 déc) LLL
Immersion dans la vie d'un village franc-comtois, dans les pas de Totone, un jeune homme qui écume les bals locaux. De manière soudaine, il est contraint de devenir adulte et de se débrouiller pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa petite soeur de 7 ans. Il va rencontrer Marie-Lise, une jeune éleveuse qui est également la soeur de gars qu'il a provoqués par jalousie peu de temps auparavant. Il va se mettre en tête de tenter de réaliser le meilleur comté de la région et toucher la prime accordée au vainqueur. Porté par un casting de non professionnels, le premier long métrage de Louise Courvoisier met en scène, parfois en plans-séquences, des personnages avec des personnalités singulières (Totone, ses jurons, sa masculinité un peu gauche, Marie-Lise et son franc-parler à la fois abrupt et tendrement ironique, les amis de Totone...), dans une sorte de récit initiatique romanesque et enlevé qui arrive à fuir tout misérabilisme. Coup d'essai prometteur. 

NO OTHER LAND (Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor, Hamdan Ballal, 13 nov) LLL
Basel Adra est un jeune palestinien qui filme depuis des années son village natal, un des hameaux de Masafer Yatta, en Cisjordanie. Yuval Abraham est un journaliste d'investigation israélien du même âge, notamment pour le médiat indépendant +972. Ensemble, et avec deux autres cinéastes, ils ont réalisé ce film, prix du meilleur documentaire à Berlin, tourné entre 2018 et 2023. Il s'apparente au très percutant Cinq caméras brisées, tourné de façon similaire entre 2006 et 2011 dans d'autres villages de Cisjordanie par une autre génération (Emad Burnat et Guy Davidi). Le constat est malheureusement identique, et la situation s'est encore aggravée. Toutes ces années, les politiques d'occupation et d'apartheid, évidemment illégales au regard du droit international, comme l'a encore rappelée la CIJ en juillet, et obstacles à une paix juste et durable, ont encore empiré. On y voit encore les crimes, destructions, inégalités de droits fondamentaux (droit d'avoir un toit, de se déplacer), perpétrées de concert par l'armée et les colons. Les démolitions ne concernent pas uniquement les habitations mais aussi les infrastructures (une école primaire, un réseau d'accès à l'eau). Un film nécessaire pour dessiller le regard de la hasbara (propagande israélienne) qui fixe les cadrages opérés dans les grands médias occidentaux.

L'HISTOIRE DE SOULEYMANE (Boris Lojkine, 9 oct) LLL
Le titre, d'une simplicité apparente, est plus équivoque qu'il n'y paraît. On suit trois jours de la vie quotidienne de Souleymane, arrivé de Guinée sans papiers, et qui prépare l'entretien qu'il doit passer avec l'Ofpra, tout en étant livreur à domicile pour une plateforme, grâce à un prête-nom qu'il doit rémunérer. La plus grande partie du film tient du dispositif : rester collé en permanence aux basques de son principal protagoniste (Abou Sangare, intense), lors de ses impressionnantes courses à vélo dans Paris, mais aussi dans ses interactions parfois douloureuses avec les autres personnages. La dernière partie est filmée différemment, dans un champ - contrechamp faussement simple là-aussi, puisqu'il permet le déploiement d'une parole longtemps différée, d'autant plus que Souleymane préférait servir au départ un autre récit. Au final, une alternative aux discours anti-humanistes des plateaux télé.

FLOW (Gints Zilbalodis, 30 oct) LLL
Un film d'animation qui se déroule après un déluge. Une poignée d'animaux tente de survivre à la montée des eaux, dont un chat, qu'on ne quittera pas, et qui devra apprendre à ne plus avoir peur de se mouiller. Aucun animal humain à l'horizon, les personnages ne parlent pas, ils miaulent, aboient etc... Peu d'anthropomorphisme dans leurs comportements, qui ont l'air plausibles au niveau éthologique. Cela rend très vivante l'histoire (car il y en a quand même une). On retient son souffle pour mieux entendre celui des animaux, à l'intérieur d'une belle création sonore. Visuellement, la réalisation privilégie des plans séquences qui auraient été virtuoses en prises de vue réelles. Le petit bémol, à mon goût, réside dans le graphisme 3D, qui cherche un peu trop le trompe-l'oeil (dans tout ce qui entoure les protagonistes), sans trouver un style propre, alors que Gintz Zilbalodis a participé à tous les postes de la production.

ANORA (Sean Baker, 30 oct) LLL
Ani (diminutif d'Anora) est une jeune strip-teaseuse employée d'un club new-yorkais. Un soir, Ivan, un client du même âge qu'elle, propose de la "privatiser" pour une semaine, moyennant une somme rondelette. Elle accepte, et répond même favorablement à la demande en mariage d'Ivan, lors d'une virée à Las Vegas. Mais ceci n'est pas au goût des parents milliardaires russes du jeune homme, qui envoient des hommes de main tenter de rétablir la situation... Ce qui place ce film au-dessus des précédents films de Sean Baker (Tangerine, The Florida Project), c'est son ton : au lieu d'un pur naturalisme en vogue dans le cinéma indé américain, et en dépit d'une première partie trop longue qui peut frôler la complaisance, le réalisateur livre une sorte de farce tour à tour satirique (avec le rejeton de l'oligarchie totalement immature), burlesque (avec les pieds nickelés dépêchés par la famille qui se heurtent à la forte personnalité de l'héroïne) et émouvante (dans sa dernière séquence). Il fait un pas vers le grand public, sans tourner le dos à l'Amérique des marges qui le fascine.

GRAND TOUR (Miguel Gomes, 27 nov) LLL
Edward, un britannique en poste à Rangoon, fuit sa fiancée, Molly, dans un périple à travers plusieurs pays d'Asie, tandis qu'elle le poursuit pour se marier avec lui... Le récit, qui adopte le point de vue de l'homme puis de la femme, se déroule il y a un siècle, à une époque où, sous couvert d'aventure exotique, le colonialisme n'était pas questionné. L'essentiel du film est en noir et blanc, et pourtant Miguel Gomes, qui aime autant le romanesque que l'expérimentation formelle (récompensée ici par le prix de la mise en scène à Cannes) mélange des régimes d'images différents : des reconstitutions d'époque filmées en studio, et des images contemporaines des pays traversés. Si l'on y ajoute une bande son qui ne suit pas forcément le même montage que les images, et une voix off ardente (point commun avec Tabou), cela aurait pu donner un film traversé de dissonances, or le résultat est assez fluide et prenant pour peu qu'on joue le jeu. Belle interprétation de Crista Alfaiate, avec un rire très particulier malgré le sort...

VOYAGE A GAZA (Piero Usberti, 6 nov) LL
Ce documentaire a été tourné en 2018, et son montage achevé en septembre 2023, quelques jours avant l'offensive du Hamas et l'anéantissement actuel par l'armée israélienne, qui pourrait relever du crime de génocide telle que défini par le droit international, ainsi que l'a rapporté la CIJ. Il s'ouvre sur les obsèques de Yasser Mortaja, un jeune photographe tué alors qu'il couvrait les manifestations pacifiques qui avaient lieu chaque semaine pour l'application du droit au retour prévu par l'Onu sept décennies plus tôt, et qui ont été durement réprimées (au bout de 21 mois, plus de 200 morts et 36000 blessés ou mutilés). Le jeune réalisateur, alors âgé de 25 ans, interroge des jeunes gazaouis du même âge, et enregistre leurs témoignages sur le blocus (terrestre, maritime, aérien, surveillance permanente par drones), leurs aspirations... Un film court qui pourra compléter le plus roboratif Yallah Gaza de Roland Nurier, sorti l'an dernier, tourné après celui-ci mais avant la phase actuelle du conflit.

LA PLUS PRECIEUSE DES MARCHANDISES (Michel Hazanavicius, 20 nov) LL
Adapté d'un récit de Jean-Claude Grumberg, le film se veut un conte, en témoigne le fait que les personnages principaux sont simplement désignés par "la pauvre bûcheronne" et "le pauvre bûcheron". Cette légère imprécision (une guerre mondiale sans numéro, des boucs émissaires simplement désignés comme Sans coeur et accablés de clichés sans fondement qu'on reconnait immédiatement) vaut pouvoir de suggestion mais aussi volonté d'élargissement. Judicieusement, le "Plus jamais ça" doit pouvoir s'appliquer au retour des horreurs de la bête immonde, même lorsque les modalités ne sont plus identiques, ou que victimes et bourreaux ne sont plus nécessairement les mêmes. Malheureusement, le film d'animation finit par inclure des représentations des camps de concentration, avec une stylisation qui pourra laisser dubitatif. Et si, au final, le narrateur, qui a la voix de Jean-Louis Trintignant, met en garde de façon salutaire et à nouveau suggestive contre le révisionnisme, le propos ne semble plus s'élargir aux aveuglements similaires, dont le négationnisme en temps réel d'une catastrophe toujours en cours.

LENI RIEFENSTAHL, LA LUMIERE ET LES OMBRES (Andres Veiel, 27 nov) LL
Leni Riefenstahl est restée dans l'histoire du cinéma principalement comme réalisatrice de deux films de propagande liés au IIIè Reich (Le Triomphe de la volonté et Les Dieux du stade). Certains cinéphiles admirent encore l'efficacité du style, en la séparant du fond. Après guerre, Leni Riefenstahl, qui n'a jamais été membre du parti nazi, a longtemps affirmé qu'elle n'a découvert qu'après coup les crimes de masses perpétrés. Avec l'aide d'archives récemment ouvertes, le documentariste, dans un style malheureusement très télévisuel, confronte les traces qu'a voulu laisser la réalisatrice, qui fut également alpiniste de haut niveau et actrice, aux documents historiques montrant sa proximité avec les dignitaires du régime comme son approbation, partielle ou non, de leur idéologie.

AU BOULOT ! (Gilles Perret, François Ruffin, 6 nov) LL
Trois ans avant ce film, Debout les femmes ! avait été une franche réussite. Les deux réalisateurs montraient la réalité des travailleuses dans les métiers du lien. Des témoignages en longueur aboutissaient à des revendications reprises par le travail parlementaire de Ruffin, en tandem avec un député macroniste atypique. La séquence finale, symbolique, voyait les femmes rencontrées investir une place de député et entonner dans l'hémicycle L'hymne des femmes. En comparaison, Au boulot ! est en recul, politiquement et humainement. L'enjeu est seulement de quémander le respect d'une grande bourgeoise, Sarah Saldmann, avocate réactionnaire et chroniqueuse sur une chaîne de désinformation en continu. Ruffin l'invite à partager les conditions de travail des précaires qu'elle dénigre. Dans une sorte de zapping social, le film laisse beaucoup moins de place aux travailleurs et travailleuses pour s'exprimer. Aucune revendication concrète n'est explicitée, la caméra s'attarde sur les gestes et propos (candidement obscènes) de la bourge, et la séquence symbolique finale ne met en scène qu'une célébration de ces courageux-ses ordinaires, et non plus un renversement de l'ordre établi.

FARIO (Lucie Prost, 23 oct) LL
Jeune ingénieur vivant à Berlin, Léo revient dans son village du Doubs pour vendre des terres héritées de son père agriculteur. Elles sont convoitées dans le cas d'un projet d'extraction minière à laquelle sa famille et sa bande d'amis sont opposées. Des sujets similaires ont déjà été traités au cinéma, mais, pour son premier long métrage, Lucie Prost a pris le parti qui semble judicieux de n'en faire qu'une toile de fond et de prêter attention aux interactions entre les personnages. C'est d'ailleurs ce qu'il y a de mieux dans un film qui accumule par ailleurs des maladresses, entre des dialogues inégaux (parfois très judicieux, parfois artificiels) et des effets pas toujours convaincants.

THE APPRENTICE (Ali Abbasi, 9 oct) LL
L'origine du mal(e). Il ne s'agit pas ici d'une réflexion à la Hannah Arendt, mais du récit de la rencontre entre Donald Trump, alors magnat de l'immobilier dans l'entreprise alors dirigée par son père, et Roy Cohn, un avocat qui a commencé sa carrière auprès du sénateur McCarthy. Entre le milieu des années 70 et le milieu des années 80, ce dernier va lui enseigner ses trois "principes" : attaquer, tout nier en bloc, ne jamais reconnaître la défaite. Le scénario a été écrit par un journaliste politique, Gabriel Sherman. Dans ce rôle de mentor, Jeremy Strong aurait pu obtenir le prix d'interprétation à Cannes. Et pourtant l'écriture des personnages, présentés comme constamment inhumains, en manquant de finesse, risque de rater sa cible et d'être contreproductive.

LEURS ENFANTS APRES EUX (Ludovic et Zoran Boukherma, 4 déc) LL
Commercialement, il n'est pas sûr que le film profite d'une sortie qui suit de peu L'Amour ouf, les deux films partageant les mêmes producteurs et le même registre (romanesque entrecroisant violence physique et sociale). S'il y a ici encore pas mal de facilités, le film se tient davantage sur la durée. L'intrigue est plus resserrée, sur quatre étés entre 1992 et 1998 (comme dans le roman éponyme de Nicolas Mathieu). La musique mange à tous les râteliers, mais est utilisée de façon plus convaincante (ex : un tube de Nirvana repris par une chorale) même si parfois très littérale (jolie séquence un certain soir sur la Terre). Si l'ensemble est filmé à hauteur de jeunesse, avec un Paul Kircher qui confirme les espoirs placés en lui (Le Lycéen, Le Règne animal), les comédiens plus âgés s'en sortent correctement dans un registre casse gueule (Ludivine Sagnier, Gilles Lellouche).

L'AMOUR OUF (Gilles Lellouche, 16 oct) L
Au moins, pour son deuxième long métrage en tant que réalisateur, on peut dire que Gilles Lellouche n'y va pas avec le dos de la cuillère. D'ailleurs la première partie est assez réussie, avec les interprétations intenses de Malik Frikah le voyou et Mallory Wanecque la fille un peu plus gâtée (découverte dans Les Pires), et quelques idées visuelles qui tranchent avec le réalisme (le coup de foudre, une éclipse...). On pourrait à ce stade comprendre la sélection en compétition officielle à Cannes et le succès public auprès des plus jeunes. Mais ça se gâte dès l'apparition des collègues plus chevronnés du réalisateur, qui peinent à faire croire à leurs personnages, à l'exception d'un Alain Chabat assez touchant. La séquence de fin interroge : doit-on comprendre que la morale est de se résigner, et de ne demander que le respect des plus aisés et de leurs sbires ?

DIAMANT BRUT (Agathe Riedinger, 20 nov) L
Une jeune fille de 19 ans (Malou Kherbizi, intense) espère une issue favorable au casting qu'elle passe pour une émission de télé-réalité. Elle espère en vivre par la suite, en gagnant sa vie comme influenceuse, et prendre sa revanche sur son origine sociale et familiale défavorisée. Dans un  monde où la démocratie et les libertés sont en recul, que ce soit via la montée électorale de l'extrême droite ou via l'autoritarisme des pouvoirs d'extrême centre, ce film y ajoute le diktat des apparences. Pour son premier long métrage, sélectionné en compétition à Cannes, Agathe Riedinger opte pour une réalisation aussi glauque que le sujet. Cela a le mérite de la cohérence, mais donne une impression pénible de ton sur ton.

TROIS KILOMETRES JUSQU'A LA FIN DU MONDE (Emanuel Parvu, 23 oct) L
Un jeune homme de dix-sept ans se fait agresser par un garçon du même village, dans le delta du Danube, parce qu'il a été vu en train d'embrasser un touriste. Présenté en compétition au festival de Cannes, le film a reçu la Queer Palm. S'il a sans doute pour but de montrer l'homophobie ordinaire, et qu'il nous épargne la scène de l'agression elle-même, seul bon point d'une réalisation très plate, le résultat peine à convaincre. Les personnages sont caricaturaux, et filmés sans point de vue, loin de la distance ironique qu'aurait pu trouver un Mungiu ou un Porumboiu, deux des chefs de file du nouveau cinéma roumain.
Version imprimable | Films de 2024 | Le Mardi 10/12/2024 | 0 commentaires
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