- Bien : L'Affaire Nevenka (Iciar Bollain), Guérilla des Farc, l'avenir a une histoire (Pierre Carles), Miséricorde (Alain Guiraudie), En fanfare (Emmanuel Courcol), Trois amies (Emmanuel Mouret), Juré n°2 (Clint Eastwood), Vingt dieux (Louise Courvoisier), No other land (Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor, Hamdam Ballal), L'Histoire de Souleymane (Boris Lojkine), Flow (Gints Zilbalodis), Anora (Sean Baker), Grand Tour (Miguel Gomes)
- Pas mal : Voyage à Gaza (Piero Usberti), La Plus précieuse des marchandises (Michel Hazanavicius) Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres (Andres Veiel), Au boulot ! (Gilles Perret, François Ruffin), Fario (Lucie Prost), The Apprentice (Ali Abbasi), Leurs enfants après eux (Ludovic et Zoran Boukherma)
- Bof : L'Amour ouf (Gilles Lellouche), Diamant brut (Agathe Riedinger), Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde (Emanuel Pârvu)
L'AFFAIRE NEVENKA (Iciar Bollain, 6 nov) LLL
Iciar Bollain, une cinéaste toujours passionnante, reconstitue ce qui a abouti à la première condamnation d'un homme politique espagnol pour harcèlement sexuel, au début des années 2000. Si l'on ne s'en tient pas aux apparences classiques, et qu'on regarde de près les choix effectués, dans la forme et dans le fond, par la cinéaste, on sera frappé par l'acuité contemporaine de son regard. Sur le fond, peu de scènes sont consacrées au procès lui-même, car l'essentiel réside dans la description de toutes les étapes (et épreuves) qui le précèdent, dans une pédagogie encore nécessaire. Par exemple, le film ne fait pas l'impasse sur les inversions de culpabilité qui pèsent sur la protagoniste, une jeune femme de 25 ans, conseillère municipale sur la liste du maire charismatique qui lui a fait rapidement gravir les échelons. Dans le cinéma d'Iciar Bollain ( Même la pluie, Les Repentis), ce sont des actes qui peuvent être classés comme bien ou mal : les personnages, eux, ne sont pas manichéens. C'est encore le cas ici, grâce aux interprétations millimétrées de Mireia Oriol dans le rôle titre et de Urko Olazabal dans celui du potentat local, mais tous les personnages secondaires bénéficient d'une grande finesse d'écriture. Quant à la forme, la représentation des scènes cruciales doit tout à une réflexion extrêmement précise, qui renouvelle le regard bien plus que d'autres qui le claironnent davantage.
GUERILLA DES FARC, L'AVENIR A UNE HISTOIRE (Pierre Carles, 11 déc) LLL
Pierre Carles réalise peut-être son film le plus ample. S'il remonte aux origines du conflit, à l'aide d'archives, mais aussi d'extraits de fiction de l'ex-compagnon de la mère de Carles, Dunav Kuzmanich, réalisateur chilien exilé en Colombie après la prise de pouvoir de Pinochet, le documentaire bénéficie surtout d'un tournage effectué sur près de dix ans, des prémisses du processus de paix à ses premiers bilans. Le temps long, luxe accordé par la productrice Annie Gonzalez, permet ainsi de mesurer l'évolution des analyses des protagonistes. Le film est assez long (2h20). Alors certes il n'épuise pas pour autant les angles possibles, mais donne un éclairage essentiel qui comble les lacunes et les partis pris des médias occidentaux dominants (Pierre Carles, par ailleurs travaillé par la question médiatique, de Pas vu, pas pris à Fin de concession, livre un matériau qui s'inscrit dans une sorte d'alternative à ces traitements, par une démarche située, mais qui n'assène pas une doxa clé en mains et qui inclut des éléments réflexifs sur le film en train de se fabriquer).
MISERICORDE (Alain Guiraudie, 16 oct) LLL
Depuis Toulouse où il est installé, Jérémie se rend dans le village de son enfance pour aller à l'enterrement de son ancien patron boulanger. Il est hébergé par la veuve de ce dernier, et il y reste quelques jours... Il serait sacrilège de dire plus de l'intrigue. En effet, le film n'arrête pas de se réinventer en chemin. Et pourtant, pour ce faire, il n'use en rien de coups de théâtres scénaristiques spectaculaires (les fameux "twists"). Bien qu'on ne doute jamais d'être face à un nouveau Guiraudie, on y avance sans anticiper où est-ce qu'il va nous emmener. Cela tient en grande partie à sa mise en scène, non pas par des effets formalistes ostentatoires, mais au contraire par un travail virtuose de tous les instants mais en apparence invisible sur la lumière (y compris lorsqu'elle est faible dans certaines séquences nocturnes), les sons (aussi importants que les images pour restituer les paysages), et une certaine perversité amorale dans l'écriture des personnages. Le tout est une réjouissante parenthèse loin des conventions et à l'opposé des films trop programmatiques.
EN FANFARE (Emmanuel Courcol, 27 nov) LLL
Thibaut, chef d'orchestre de renommée internationale, apprend qu'il est atteint d'une maladie grave, et que seule une greffe pourrait le sauver. En cherchant un donateur, il se rend compte qu'il a été adopté, et retrouve l'identité d'un frère biologique, Jimmy, cantinier à Walincourt. Thibaut découvre que Jimmy joue du trombone dans la fanfare locale, et qu'il a l'oreille absolue... Devant ce film, peut-être que le jeune Truffaut aurait parlé de "qualité France", puisque le réalisateur semble appréhender le cinéma comme s'il était un (demi) frère du théâtre. Le film est écrit aussi précisément qu'une portée musicale, avec des accents toniques légèrement appuyés pour créer une ligne claire nullement démagogique qui n'abêtit ni les personnages ni les spectateurs-trices. Quand bien même on a un peu d'avance sur certaines scènes, cette conception du travail bien fait est raccord avec la dimension sociale du film, qui se déplace d'une chronique attendue des déterminismes sociologiques vers celle d'une lutte contre une délocalisation. L'amour de la musique fait office de recherche d'harmonie et de fraternité, Pierre Lottin, Benjamin Lavernhe et Sarah Suco sont des stradivarius, et le sens constant de la mesure aboutit paradoxalement à un crescendo superbe. Devant ce film, chacun pourra se dire : j'ai fréquenté la beauté (du geste, c'est tout ce qu'il nous reste).
TROIS AMIES (Emmanuel Mouret, 6 nov) LLL
Si c'est bien l'amitié qui relie Joan, Rebecca et Alice, les trois amies du titre (India Hair, Sara Forestier, Camille Cottin, toutes à l'aise dans des rôles funambules), Emmanuel Mouret ausculte plutôt d'autres sentiments humains, leurs paradoxes, leurs apparentes inconstances. Sur le papier, certains éléments pourraient relever d'un vaudeville, or ce nouvel opus se révèle d'une profondeur inattendue. Comme dans Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait, il tisse avec virtuosité un faisceau d'intrigues, mais cette fois-ci en restant dans le présent, sans entremêler des temporalités différentes. Comme chez Rohmer ou Allen c'est un cinéma très parlant, dans lequel on suit les questions existentielles des personnages. Mais une grande attention a été portée à la forme, par exemple avec une voix off qui n'est nullement un narrateur abstrait et surplombant, mais ici celle d'un des personnages masculins qui, par la force des choses, peut tout observer. On notera la pincée d'utopie de cet univers, où les protagonistes ne sont confrontés ni à des questions matérielles ni à des relations toxiques.
JURE N°2 (Clint Eastwood, 30 oct) LLL
Le juré du titre, tiré au sort pour un procès criminel, se rend rapidement compte qu'il pourrait être impliqué dans la mort d'une jeune femme qu'il ne connaît pas, lors d'une nuit pluvieuse où elle s'est disputée avec son compagnon, celui qui figure sur le banc des accusés. Si on accepte cette donnée de départ assez improbable, on suivra passionnément ce récit dont l'un des moteurs réside dans la progression des délibérations du jury, comme dans 12 hommes en colère, le classique de Sidney Lumet. Mais ces réflexions en commun se doublent d'un dilemme moral qui traverse le personnage principal, tiraillé entre des valeurs contradictoires, entre une mort à élucider, une naissance à accompagner, et le sort à réserver à un suspect difficile à défendre (homme violent). Malgré les particularités du système judiciaire américain, Eastwood livre une réflexion assez universalisable et non manichéenne sur les notions de justice et de vérité, déjà abordée dans un de ses meilleurs films ( Jugé coupable), et servie ici par une mise en scène sobre et épurée.
VINGT DIEUX (Louise Courvoisier, 11 déc) LLL
Immersion dans la vie d'un village franc-comtois, dans les pas de Totone, un jeune homme qui écume les bals locaux. De manière soudaine, il est contraint de devenir adulte et de se débrouiller pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa petite soeur de 7 ans. Il va rencontrer Marie-Lise, une jeune éleveuse qui est également la soeur de gars qu'il a provoqués par jalousie peu de temps auparavant. Il va se mettre en tête de tenter de réaliser le meilleur comté de la région et toucher la prime accordée au vainqueur. Porté par un casting de non professionnels, le premier long métrage de Louise Courvoisier met en scène, parfois en plans-séquences, des personnages avec des personnalités singulières (Totone, ses jurons, sa masculinité un peu gauche, Marie-Lise et son franc-parler à la fois abrupt et tendrement ironique, les amis de Totone...), dans une sorte de récit initiatique romanesque et enlevé qui arrive à fuir tout misérabilisme. Coup d'essai prometteur.
NO OTHER LAND (Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor, Hamdan Ballal, 13 nov) LLL
Basel Adra est un jeune palestinien qui filme depuis des années son village natal, un des hameaux de Masafer Yatta, en Cisjordanie. Yuval Abraham est un journaliste d'investigation israélien du même âge, notamment pour le médiat indépendant +972. Ensemble, et avec deux autres cinéastes, ils ont réalisé ce film, prix du meilleur documentaire à Berlin, tourné entre 2018 et 2023. Il s'apparente au très percutant Cinq caméras brisées, tourné de façon similaire entre 2006 et 2011 dans d'autres villages de Cisjordanie par une autre génération (Emad Burnat et Guy Davidi). Le constat est malheureusement identique, et la situation s'est encore aggravée. Toutes ces années, les politiques d'occupation et d'apartheid, évidemment illégales au regard du droit international, comme l'a encore rappelée la CIJ en juillet, et obstacles à une paix juste et durable, ont encore empiré. On y voit encore les crimes, destructions, inégalités de droits fondamentaux (droit d'avoir un toit, de se déplacer), perpétrées de concert par l'armée et les colons. Les démolitions ne concernent pas uniquement les habitations mais aussi les infrastructures (une école primaire, un réseau d'accès à l'eau). Un film nécessaire pour dessiller le regard de la hasbara (propagande israélienne) qui fixe les cadrages opérés dans les grands médias occidentaux.
L'HISTOIRE DE SOULEYMANE (Boris Lojkine, 9 oct) LLL
Le titre, d'une simplicité apparente, est plus équivoque qu'il n'y paraît. On suit trois jours de la vie quotidienne de Souleymane, arrivé de Guinée sans papiers, et qui prépare l'entretien qu'il doit passer avec l'Ofpra, tout en étant livreur à domicile pour une plateforme, grâce à un prête-nom qu'il doit rémunérer. La plus grande partie du film tient du dispositif : rester collé en permanence aux basques de son principal protagoniste (Abou Sangare, intense), lors de ses impressionnantes courses à vélo dans Paris, mais aussi dans ses interactions parfois douloureuses avec les autres personnages. La dernière partie est filmée différemment, dans un champ - contrechamp faussement simple là-aussi, puisqu'il permet le déploiement d'une parole longtemps différée, d'autant plus que Souleymane préférait servir au départ un autre récit. Au final, une alternative aux discours anti-humanistes des plateaux télé.
FLOW (Gints Zilbalodis, 30 oct) LLL
Un film d'animation qui se déroule après un déluge. Une poignée d'animaux tente de survivre à la montée des eaux, dont un chat, qu'on ne quittera pas, et qui devra apprendre à ne plus avoir peur de se mouiller. Aucun animal humain à l'horizon, les personnages ne parlent pas, ils miaulent, aboient etc... Peu d'anthropomorphisme dans leurs comportements, qui ont l'air plausibles au niveau éthologique. Cela rend très vivante l'histoire (car il y en a quand même une). On retient son souffle pour mieux entendre celui des animaux, à l'intérieur d'une belle création sonore. Visuellement, la réalisation privilégie des plans séquences qui auraient été virtuoses en prises de vue réelles. Le petit bémol, à mon goût, réside dans le graphisme 3D, qui cherche un peu trop le trompe-l'oeil (dans tout ce qui entoure les protagonistes), sans trouver un style propre, alors que Gintz Zilbalodis a participé à tous les postes de la production.
ANORA (Sean Baker, 30 oct) LLL
Ani (diminutif d'Anora) est une jeune strip-teaseuse employée d'un club new-yorkais. Un soir, Ivan, un client du même âge qu'elle, propose de la "privatiser" pour une semaine, moyennant une somme rondelette. Elle accepte, et répond même favorablement à la demande en mariage d'Ivan, lors d'une virée à Las Vegas. Mais ceci n'est pas au goût des parents milliardaires russes du jeune homme, qui envoient des hommes de main tenter de rétablir la situation... Ce qui place ce film au-dessus des précédents films de Sean Baker ( Tangerine, The Florida Project), c'est son ton : au lieu d'un pur naturalisme en vogue dans le cinéma indé américain, et en dépit d'une première partie trop longue qui peut frôler la complaisance, le réalisateur livre une sorte de farce tour à tour satirique (avec le rejeton de l'oligarchie totalement immature), burlesque (avec les pieds nickelés dépêchés par la famille qui se heurtent à la forte personnalité de l'héroïne) et émouvante (dans sa dernière séquence). Il fait un pas vers le grand public, sans tourner le dos à l'Amérique des marges qui le fascine.
GRAND TOUR (Miguel Gomes, 27 nov) LLL
Edward, un britannique en poste à Rangoon, fuit sa fiancée, Molly, dans un périple à travers plusieurs pays d'Asie, tandis qu'elle le poursuit pour se marier avec lui... Le récit, qui adopte le point de vue de l'homme puis de la femme, se déroule il y a un siècle, à une époque où, sous couvert d'aventure exotique, le colonialisme n'était pas questionné. L'essentiel du film est en noir et blanc, et pourtant Miguel Gomes, qui aime autant le romanesque que l'expérimentation formelle (récompensée ici par le prix de la mise en scène à Cannes) mélange des régimes d'images différents : des reconstitutions d'époque filmées en studio, et des images contemporaines des pays traversés. Si l'on y ajoute une bande son qui ne suit pas forcément le même montage que les images, et une voix off ardente (point commun avec Tabou), cela aurait pu donner un film traversé de dissonances, or le résultat est assez fluide et prenant pour peu qu'on joue le jeu. Belle interprétation de Crista Alfaiate, avec un rire très particulier malgré le sort...
VOYAGE A GAZA (Piero Usberti, 6 nov) LL
Ce documentaire a été tourné en 2018, et son montage achevé en septembre 2023, quelques jours avant l'offensive du Hamas et l'anéantissement actuel par l'armée israélienne, qui pourrait relever du crime de génocide telle que défini par le droit international, ainsi que l'a rapporté la CIJ. Il s'ouvre sur les obsèques de Yasser Mortaja, un jeune photographe tué alors qu'il couvrait les manifestations pacifiques qui avaient lieu chaque semaine pour l'application du droit au retour prévu par l'Onu sept décennies plus tôt, et qui ont été durement réprimées (au bout de 21 mois, plus de 200 morts et 36000 blessés ou mutilés). Le jeune réalisateur, alors âgé de 25 ans, interroge des jeunes gazaouis du même âge, et enregistre leurs témoignages sur le blocus (terrestre, maritime, aérien, surveillance permanente par drones), leurs aspirations... Un film court qui pourra compléter le plus roboratif Yallah Gaza de Roland Nurier, sorti l'an dernier, tourné après celui-ci mais avant la phase actuelle du conflit.
LA PLUS PRECIEUSE DES MARCHANDISES (Michel Hazanavicius, 20 nov) LL
Adapté d'un récit de Jean-Claude Grumberg, le film se veut un conte, en témoigne le fait que les personnages principaux sont simplement désignés par "la pauvre bûcheronne" et "le pauvre bûcheron". Cette légère imprécision (une guerre mondiale sans numéro, des boucs émissaires simplement désignés comme Sans coeur et accablés de clichés sans fondement qu'on reconnait immédiatement) vaut pouvoir de suggestion mais aussi volonté d'élargissement. Judicieusement, le "Plus jamais ça" doit pouvoir s'appliquer au retour des horreurs de la bête immonde, même lorsque les modalités ne sont plus identiques, ou que victimes et bourreaux ne sont plus nécessairement les mêmes. Malheureusement, le film d'animation finit par inclure des représentations des camps de concentration, avec une stylisation qui pourra laisser dubitatif. Et si, au final, le narrateur, qui a la voix de Jean-Louis Trintignant, met en garde de façon salutaire et à nouveau suggestive contre le révisionnisme, le propos ne semble plus s'élargir aux aveuglements similaires, dont le négationnisme en temps réel d'une catastrophe toujours en cours.
LENI RIEFENSTAHL, LA LUMIERE ET LES OMBRES (Andres Veiel, 27 nov) LL
Leni Riefenstahl est restée dans l'histoire du cinéma principalement comme réalisatrice de deux films de propagande liés au IIIè Reich ( Le Triomphe de la volonté et Les Dieux du stade). Certains cinéphiles admirent encore l'efficacité du style, en la séparant du fond. Après guerre, Leni Riefenstahl, qui n'a jamais été membre du parti nazi, a longtemps affirmé qu'elle n'a découvert qu'après coup les crimes de masses perpétrés. Avec l'aide d'archives récemment ouvertes, le documentariste, dans un style malheureusement très télévisuel, confronte les traces qu'a voulu laisser la réalisatrice, qui fut également alpiniste de haut niveau et actrice, aux documents historiques montrant sa proximité avec les dignitaires du régime comme son approbation, partielle ou non, de leur idéologie.
AU BOULOT ! (Gilles Perret, François Ruffin, 6 nov) LL
Trois ans avant ce film, Debout les femmes ! avait été une franche réussite. Les deux réalisateurs montraient la réalité des travailleuses dans les métiers du lien. Des témoignages en longueur aboutissaient à des revendications reprises par le travail parlementaire de Ruffin, en tandem avec un député macroniste atypique. La séquence finale, symbolique, voyait les femmes rencontrées investir une place de député et entonner dans l'hémicycle L'hymne des femmes. En comparaison, Au boulot ! est en recul, politiquement et humainement. L'enjeu est seulement de quémander le respect d'une grande bourgeoise, Sarah Saldmann, avocate réactionnaire et chroniqueuse sur une chaîne de désinformation en continu. Ruffin l'invite à partager les conditions de travail des précaires qu'elle dénigre. Dans une sorte de zapping social, le film laisse beaucoup moins de place aux travailleurs et travailleuses pour s'exprimer. Aucune revendication concrète n'est explicitée, la caméra s'attarde sur les gestes et propos (candidement obscènes) de la bourge, et la séquence symbolique finale ne met en scène qu'une célébration de ces courageux-ses ordinaires, et non plus un renversement de l'ordre établi.
FARIO (Lucie Prost, 23 oct) LL
Jeune ingénieur vivant à Berlin, Léo revient dans son village du Doubs pour vendre des terres héritées de son père agriculteur. Elles sont convoitées dans le cas d'un projet d'extraction minière à laquelle sa famille et sa bande d'amis sont opposées. Des sujets similaires ont déjà été traités au cinéma, mais, pour son premier long métrage, Lucie Prost a pris le parti qui semble judicieux de n'en faire qu'une toile de fond et de prêter attention aux interactions entre les personnages. C'est d'ailleurs ce qu'il y a de mieux dans un film qui accumule par ailleurs des maladresses, entre des dialogues inégaux (parfois très judicieux, parfois artificiels) et des effets pas toujours convaincants.
THE APPRENTICE (Ali Abbasi, 9 oct) LL
L'origine du mal(e). Il ne s'agit pas ici d'une réflexion à la Hannah Arendt, mais du récit de la rencontre entre Donald Trump, alors magnat de l'immobilier dans l'entreprise alors dirigée par son père, et Roy Cohn, un avocat qui a commencé sa carrière auprès du sénateur McCarthy. Entre le milieu des années 70 et le milieu des années 80, ce dernier va lui enseigner ses trois "principes" : attaquer, tout nier en bloc, ne jamais reconnaître la défaite. Le scénario a été écrit par un journaliste politique, Gabriel Sherman. Dans ce rôle de mentor, Jeremy Strong aurait pu obtenir le prix d'interprétation à Cannes. Et pourtant l'écriture des personnages, présentés comme constamment inhumains, en manquant de finesse, risque de rater sa cible et d'être contreproductive.
LEURS ENFANTS APRES EUX (Ludovic et Zoran Boukherma, 4 déc) LL
Commercialement, il n'est pas sûr que le film profite d'une sortie qui suit de peu L'Amour ouf, les deux films partageant les mêmes producteurs et le même registre (romanesque entrecroisant violence physique et sociale). S'il y a ici encore pas mal de facilités, le film se tient davantage sur la durée. L'intrigue est plus resserrée, sur quatre étés entre 1992 et 1998 (comme dans le roman éponyme de Nicolas Mathieu). La musique mange à tous les râteliers, mais est utilisée de façon plus convaincante (ex : un tube de Nirvana repris par une chorale) même si parfois très littérale (jolie séquence un certain soir sur la Terre). Si l'ensemble est filmé à hauteur de jeunesse, avec un Paul Kircher qui confirme les espoirs placés en lui ( Le Lycéen, Le Règne animal), les comédiens plus âgés s'en sortent correctement dans un registre casse gueule (Ludivine Sagnier, Gilles Lellouche).
L'AMOUR OUF (Gilles Lellouche, 16 oct) L
Au moins, pour son deuxième long métrage en tant que réalisateur, on peut dire que Gilles Lellouche n'y va pas avec le dos de la cuillère. D'ailleurs la première partie est assez réussie, avec les interprétations intenses de Malik Frikah le voyou et Mallory Wanecque la fille un peu plus gâtée (découverte dans Les Pires), et quelques idées visuelles qui tranchent avec le réalisme (le coup de foudre, une éclipse...). On pourrait à ce stade comprendre la sélection en compétition officielle à Cannes et le succès public auprès des plus jeunes. Mais ça se gâte dès l'apparition des collègues plus chevronnés du réalisateur, qui peinent à faire croire à leurs personnages, à l'exception d'un Alain Chabat assez touchant. La séquence de fin interroge : doit-on comprendre que la morale est de se résigner, et de ne demander que le respect des plus aisés et de leurs sbires ?
DIAMANT BRUT (Agathe Riedinger, 20 nov) L
Une jeune fille de 19 ans (Malou Kherbizi, intense) espère une issue favorable au casting qu'elle passe pour une émission de télé-réalité. Elle espère en vivre par la suite, en gagnant sa vie comme influenceuse, et prendre sa revanche sur son origine sociale et familiale défavorisée. Dans un monde où la démocratie et les libertés sont en recul, que ce soit via la montée électorale de l'extrême droite ou via l'autoritarisme des pouvoirs d'extrême centre, ce film y ajoute le diktat des apparences. Pour son premier long métrage, sélectionné en compétition à Cannes, Agathe Riedinger opte pour une réalisation aussi glauque que le sujet. Cela a le mérite de la cohérence, mais donne une impression pénible de ton sur ton.
TROIS KILOMETRES JUSQU'A LA FIN DU MONDE (Emanuel Parvu, 23 oct) L
Un jeune homme de dix-sept ans se fait agresser par un garçon du même village, dans le delta du Danube, parce qu'il a été vu en train d'embrasser un touriste. Présenté en compétition au festival de Cannes, le film a reçu la Queer Palm. S'il a sans doute pour but de montrer l'homophobie ordinaire, et qu'il nous épargne la scène de l'agression elle-même, seul bon point d'une réalisation très plate, le résultat peine à convaincre. Les personnages sont caricaturaux, et filmés sans point de vue, loin de la distance ironique qu'aurait pu trouver un Mungiu ou un Porumboiu, deux des chefs de file du nouveau cinéma roumain.
- Bravo : Les Graines du figuier sauvage (Mohammad Rasoulof)
- Bien : Le Procès du chien (Laetitia Dosch), Sauvages (Claude Barras), Vivre, mourir, renaître (Gaël Morel), All we imagine as light (Payal Kapadia), Dahomey (Mati Diop), Septembre sans attendre (Jonas Trueba)
- Pas mal : Ni chaînes ni maîtres (Simon Moutaïrou), Golo et Ritchie (Martin Fougerol, Ahmed Hamidi)
- Bof : Megalopolis (Francis Ford Coppola), Emmanuelle (Audrey Diwan), Quand vient l'automne (François Ozon)
LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE (Mohammad Rasoulof, 18 sep) LLLL
Ce long métrage fait d'emblée événement, puisqu'il s'agit du dernier film réalisé clandestinement en Iran par Mohammad Rasoulof avant son exil. Il peut donc se prêter à des commentaires qui font fi de ses qualités cinématographiques, ce qui est très injuste, tant le film possède une force remarquable (ce qui était déjà le cas du Diable n'existe pas, Ours d'or en 2020). Iman, fonctionnaire, vient d'être nommé enquêteur au tribunal révolutionnaire. Il se veut intègre, mais doit accepter des ordres sans possibilité d'étudier les dossiers. Pendant ce temps, des émeutes éclatent. Pour assurer leur sécurité, Iman demande à sa femme et à ses deux filles d'être discrètes, tandis qu'on lui confie une arme de service. Les deux adolescentes suivent la révolte des femmes sur leurs téléphones... La première grande force du film réside dans le fait que la famille constitue une allégorie de la situation politique du pays entier, tout en constituant des personnages réalistes à part entière. La grandeur de la mise en scène accentue cette impression : si le film est d'abord un huis clos tendu dans l'appartement familial, il convoque ensuite des genres cinématographiques qu'on attendait pas forcément et qui lui donnent une ampleur peu commune. Un des meilleurs films de l'année, qui aurait dû recevoir à Cannes un prix bien plus élevé que l'accessit (prix spécial) créé pour l'occasion.
LE PROCES DU CHIEN (Laetitia Dosch, 11 sep) LLL
Quelques semaines seulement après le Roman de Jim des Larrieu, Laetitia Dosch est à nouveau à l'affiche d'un des films les plus réussis de l'année, avec un personnage plus proche de ce qu'on croit savoir de sa personnalité. Le film est d'ailleurs le premier long métrage qu'elle écrit et réalise elle-même. Le chien du titre, habituel compagnon d'un malvoyant, est accusé d'avoir mordu au visage une femme. L'humour n'est jamais mécanique, mais est traversé par des sujets de société abordés de façon brillante et décalée : antispécisme (un chien est-il un objet ou une personne que l'on peut juger ?), féminisme (pourquoi ne s'attaque-t-il qu'aux femmes ?). La réalisatrice s'attribue le rôle d'une avocate des causes perdues qui devient celle de l'animal, et sait s'entourer : de François Damiens (le maître) à Jean-Pascal Zadi (comportementaliste animalier) en passant par Anne Dorval, procureure d'extrême droite qui réclame la peine de mort pour le canin tout en affichant une proximité avec ses chats...
SAUVAGES (Claude Barras, 16 oct) LLL
Des films qui veulent sensibiliser le jeune public aux questions écologiques, ce n'est plus ça qui manque. Ce nouveau long métrage de Claude Barras se distingue néanmoins, à la fois sur le fond et sur la forme. Sur le fond, au lieu de nous ressortir la fable du même bateau dans lequel on serait tous un peu responsable, l'histoire montre la forêt tropicale de Bornéo menacée de destruction par l'expansion de plantation de palmiers à huile destinée à l'agro-industrie mondiale. Et montre la résistance du peuple autochtone. On remarque aussi le slogan "Nous sommes la nature qui se défend" popularisé chez nous par les Soulèvements de la Terre. Mais le film n'est pas un tract, et l'intrigue avance cahin-caha via deux personnages de collégiens et un bébé orang-outan orphelin qu'ils ont recueilli. Sur la forme, Claude Barras, après le succès de Ma vie de Courgette, utilise à nouveau la technique du stop motion avec des marionnettes très expressives. Comme le montrait déjà le récent Interdit aux chiens et aux italiens de Alain Ughetto, cette technique est assez idéale pour créer de vrais personnages et traiter de sujets qui demandent de la profondeur.
VIVRE, MOURIR, RENAÎTRE (Gaël Morel, 25 sep) LLL
Je n'avais jusque là pas suivi la carrière de réalisateur de Gaël Morel, acteur découvert chez Téchiné. Ce film est assez remarquable, et se situe en France dans les années 1990, environ une décennie après l'action des Témoins de Téchiné (dans lequel il ne jouait pas, contrairement au regretté Michel Blanc). Le VIH continuait de briser des vies et des liens. Le titre dialogue de façon non fortuite avec Plaire, aimer, courir vite de Christophe Honoré (remercié au générique), mais les personnages sont plus jeunes, très incarnés. Chaque infinitif pourrait être relié à l'un des sommets de ce triangle de roseaux sauvages qui n'est pas exactement un trouple pour autant. L'histoire émeut moins par le scénario que par le soin de son exécution : au lieu de viser la pure modernité (comme Rebotini pour 120 battements par minute) ou les grands violons, la musique accompagne les protagonistes par des notes essentiellement pianistiques classiques (Debussy entre autres), à l'image de ce film où l'intensité et la fougue se conjuguent avec une forme de pudeur...
ALL WE IMAGINE AS LIGHT (Payal Kapadia, 2 oct) LLL
Mumbai de nos jours. Prabha, dont le mari est parti travailler en Allemagne, est infirmière dans le même hôpital que la jeune Ana, sa colocataire, qui vit une relation en cachette avec un garçon musulman. Sur son lieu de travail, Prabha tente de soutenir également Parvaty, une femme veuve plus âgée et menacée d'expulsion... Une des grandes forces du film (Grand-Prix à Cannes), qui peut toutefois constituer aussi une limite, tient dans le fait qu'une seconde vision décuple son intérêt. La mise en scène est très travaillée et moderne, mais peut se comprendre avec retard : aucun détail n'est laissé au hasard, mais Payal Kapadia n'est pas une cinéaste démiurge qui dirige le regard. Par moments, et dès le prologue qui prend le pouls de la grande ville, on entend les voix de personnages qui à l'écran n'ouvrent pas leurs lèvres. Alors que dans la dernière partie, dans un village de bord de mer, un mystérieux personnage échoué finit par prononcer certaines paroles : on le voit bien parler, et pourtant, dans un subtil halo, il pourrait bien s'agir d'une projection mentale d'une des héroïnes...
DAHOMEY (Mati Diop, 11 sep) LLL
Vingt-six oeuvres d'art, pillées avec des milliers d'autres en 1892, sont restituées par la France à l'actuel Bénin. Mati Diop ( Atlantique) filme leur trajet, de leur point de vue, visuellement mais aussi par une puissante voix off imaginant leur intériorité. Dans une dernière partie, Mati Diop laisse la parole aux premiers et premières concernées, en organisant un débat public et radiophonique entre étudiants de diverses disciplines de l'université d'Abomey Calavi. Un contrepoint idéal aux commentaires paternalistes et eurocentrés des médias occidentaux, encore imprégnés d'idéologie coloniale. Petit film par sa durée (1h08), mais vraie réussite (Ours d'or au festival de Berlin 2024).
SEPTEMBRE SANS ATTENDRE (Jonas Trueba, 28 aou) LLL
Ale et Alex décident d'un commun accord de se séparer, et d'organiser une fête pour marquer le coup. Elle est réalisatrice de films, il est acteur, et joue dans les films qu'elle réalise. Avec un tel argument de départ, on pourrait s'attendre à un film extrêmement nombriliste, a fortiori si l'on sait que l'actrice principale Itsaso Arana est la compagne de Jonas Trueba, et est également devenue réalisatrice (son premier long métrage, Les Filles vont bien, est très convaincant). Il y a un effet troupe, car Vito Sanz, l'acteur principal, est aussi un habitué du cinéaste. Pourtant, le charme opère irrémédiablement. S'il est probable que le film touche davantage les cinéphiles, de par ses nombreuses références, même si elles ne sont pas que cinématographiques, il possède une vraie élégance, en brossant un tableau où le réalisme côtoie la chimère (que seraient nos vies si on pouvait rejouer les scènes ratées ?).
NI CHAÎNES NI MAÎTRES (Simon Moutaïrou, 18 sep) LL
Assez rares sont les films qui évoquent la dernière époque d'esclavage (excepté l'oscarisé 12 Years a Slave), celle qui a été un des facteurs de l'accumulation primitive qui a permis le développement du capitalisme. L'action se déroule en 1759 en Isle-de-France (l'actuelle île Maurice). Elle prend assez vite un schéma de course poursuite entre des "marrons" (des esclaves ayant réussi à s'échapper) et la partie esclavagiste. Si Ibrahima Mbaye Tchie et Anna Thiandoum assurent dans les rôles principaux, les personnages de l'autre côté (l'exploiteur Benoît Magimel et la chasseuse Camille Cottin) sont trop privés d'affect, même négatif, pour exister. Le devoir de mémoire butte sur le défi de l'incarnation, comme si le déni était le plus fort. Esthétiquement le film échoue à se donner une grande forme qui le hisserait à la hauteur de son courageux sujet.
GOLO ET RITCHIE (Martin Fougerol, Ahmed Hamidi, 14 aou) LL
Ritchie est un homme jeune plein d'entrain mais atteint d'une forme d'autisme. Il est toujours accompagné par Golo, son meilleur ami. Ils diffusent régulièrement de petites vidéos, eux qui ont grandi et qui vivent toujours dans la cité de la Grande Borne à Grigny. Ce long métrage est l'occasion de leur faire faire un petit tour de France. Quelques séquences montrent cette France des tours rencontrer celle des bourgs, pour de vrai (il ne s'agit pas ici d'un slogan destiné à reléguer au second plan le racisme ou à nier les conséquences sociales de cette expérience pour les personnes concernées). Toutefois ce film, plus ou moins humoristique, se veut volontairement optimiste, mais sans ambition cinématographique (on sent que le duo est plus habitué aux formes courtes).
MEGALOPOLIS (Francis Ford Coppola, 25 sep) L
Francis Ford Coppola a réalisé un projet pharaonique en toute indépendance, grâce à sa propre société de production. Les Etats-Unis sont devenus un nouvel empire romain (dont New Rome est sa capitale). Il met en scène une rivalité entre le maire de New Rome et un créateur nobélisé responsable de la commission d'urbanisme. Si Adam Driver excelle dans l'ambiguïté que requiert son rôle de challenger ("utopiste" mais aussi gentrificateur que son concurrent), les personnages féminins sont des archétypes assez grossiers. Des éléments trop disparates affaiblissent cette satire inaboutie des empires modernes, et le film lasse, même s'il offre parfois de fulgurantes vues d'artiste.
EMMANUELLE (Audrey Diwan, 25 sep) L
Lion d'or à Venise pour un film solide, L'Evénement, adapté d'Annie Ernaux, Audrey Diwan s'attaque à un autre genre de littérature pour faire renaître à l'époque contemporaine le personnage d'Emmanuelle, auparavant figure de la pop culture érotique dans les années 1970 et 1980 lors des premières adaptations audiovisuelles. J'attendais de la cinéaste qu'elle fasse de la jeune femme un sujet (et non un objet) de désir. Mais formellement, le résultat ne fait pas vraiment passer les anciennes représentations cul par dessus tête. Et sa quête du plaisir apparaît d'autant plus vaine qu'elle évolue dans un univers absurde dépourvu de sens : elle contrôle la qualité d'un hôtel de luxe pour le compte d'une sorte d'agence de notation. Peut-être qu'on n'avait pas besoin de deux heures pour réaliser l'enfer de la modernité capitaliste, captée de façon acritique par la mise en scène.
QUAND VIENT L'AUTOMNE (François Ozon, 2 oct) L
Pour les vacances de la Toussaint, Michelle accueille sa fille Valérie et son petit-fils Lucas. Mais Valérie est intoxiquée par les champignons ramassés et cuisinés par sa mère. Une fois désintoxiquée, elle considère sa mère comme dangereuse et rentre à Paris avec son fils... Une question vient rapidement : qu'est-ce qui a pu intéresser François Ozon dans cette histoire ? En fait, il s'agit d'un scénario original coécrit avec Philippe Piazzo. Si on l'excepte une ou deux ellipses judicieusement ambigües, ce film sur la culpabilité est aussi rabougrie formellement que sur le fond. Hélène Vincent livre une composition subtile mais n'arrive pas à sauver à elle seule un film ni vénéneux ni comestible.
- Bravo : Le Roman de Jim (Arnaud et Jean-Marie Larrieu)
- Bien : Les Fantômes (Jonathan Millet), La Prisonnière de Bordeaux (Patricia Mazuy), Gondola (Veit Helmer), A son image (Thierry De Peretti), Mon parfait inconnu (Johanna Pyykkö), To the moon (Greg Berlanti)
- Pas mal : Emilia Perez (Jacques Audiard), Tehachapi (JR), Santosh (Sandhya Suri), El Profesor (Benjamin Naishtat, Maria Alché), Highway 65 (Maya Dreifuss), Un p'tit truc en plus (Artus), Maxxxine (Ti West)
- Bof : Only the river flows (Wei Shujun), Le Comte de Monte Cristo (Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière)
LE ROMAN DE JIM (Arnaud et Jean-Marie Larrieu, 14 aou) LLLL
Jim est l'enfant de Florence, une femme aussi précaire socialement que libre intimement. Il est élevé dès sa naissance par sa mère et par Aymeric, une bonne pâte qu'elle a abordée alors qu'elle était déjà enceinte. Des années plus tard, le père biologique de Jim, devant surmonter un drame personnel inattendu, débarque à nouveau dans la vie de Florence... Les frères Larrieu changent de genre cinématographique à chaque film, tout en continuant à ne pas faire comme tout le monde. Mais les provocations plus ou moins pertinentes des débuts ont laissé la place à une prenante maturité. Après avoir agréablement surpris avec une comédie musicale ( Tralala), ils réussissent parfaitement un mélodrame qui joue très habilement des ellipses et de la rétention d'effets. Ils ont fait une petite infidélité à leurs Pyrénées pour inscrire l'action au coeur du Jura, comme dans le roman de Pierric Bailly, qu'ils transposent à l'écran. Le film est assez renoirien, dans le sens ou chacun a ses raisons (au départ, jusqu'à un certain point), mais savent inscrire leurs personnages singuliers (formidablement incarnés par Karim Leklou, Laetitia Dosch, Sara Giraudeau ou le chanteur Bertrand Belin) dans des paysages qui ne sont pas de simples décors.
LES FANTÔMES (Jonathan Millet, 3 juil) LLL
Deux ans après avoir été relâché en plein désert de la prison de Saidnaya, on retrouve Hamid en 2016, en train de travailler sur un chantier. Mais il consacre son temps libre à retrouver la trace d'un de ses tortionnaires, dont il n'a qu'une photo floue. Il ne peut d'ailleurs pas s'en remettre à la seule vue, lui qui avait la tête emprisonnée dans un sac lors des sévices. Jonathan Millet, venu du documentaire, connaît bien son sujet, mais a choisi la fiction pour rendre compte du traumatisme d'Hamid. Il emprunte de surcroît la forme du film à suspense plutôt que de la chronique. La tension et le trouble sensoriel qui traversent peu à peu les séquences proviennent de l'interprétation puissante mais singulière d'Adam Bessa, de presque tous les plans, mais aussi et surtout du travail sonore, toute la bande son, qui ne se réduit pas à la musique originale, inspirée, de Yuksek.
LA PRISONNIERE DE BORDEAUX (Patricia Mazuy, 28 aou) LLL
Alma (Isabelle Huppert) et Mina (Hafsia Herzi) sont deux femmes de milieu social opposé, mais qui ont en commun d'avoir un mari emprisonné. C'est à l'occasion d'un parloir qu'elles se rencontrent. Le début pourrait faire penser à une transposition du formidable documentaire A côté (2008) de Stéphane Mercurio, en traitant les problématiques de l'incarcération via une focalisation sur les conjointes. Patricia Mazuy, qui se doute que la fiction serait moins forte que le réel, choisit plus prudemment une voie plus romanesque, une histoire intime d'amitié percutée par les différentes dimensions du social (en particulier classe, "race" entendue comme construction sociale, et bien sûr genre). La cinéaste s'échappe néanmoins du pur naturalisme, en osant notamment un dénouement qui sort des sentiers battus.
GONDOLA (Veit Helmer, 24 juil) LLL
Le film se passe en Géorgie, autour de jeunes femmes employées dans un téléphérique qui relie deux villages au-dessus d'une vallée. Elles s'envoient des signes à chaque fois que les cabines se croisent. Le film est muet, mais sonore... et limpide. C'est un conte (n'essayez pas de reproduire les prouesses chez vous). Dans ce film, on ne sort pas les superlatifs, on ne va ni plus vite, ni plus fort, ni plus haut, on est plutôt dans la pure poésie visuelle, et c'est frais (agréable a fortiori par temps chauds). 1h22 de moments suspendus et de petits bonheurs. Après la disparition du grand Otar Iosseliani, dont le propre univers ne reposait pas davantage sur les dialogues, le cinéma géorgien (même si c'est une coproduction, avec un réalisateur allemand, Veit Helmer) continue de donner de savoureuses petites pépites...
A SON IMAGE (Thierry De Peretti, 4 sep) LLL
Même s'il dure un peu moins de deux heures, le nouveau film de Thierry De Peretti, adapté d'un roman de Jérôme Ferrari, tient de la fresque, en observant comment Antonia, une jeune photo-journaliste recrutée par Corse-Matin, va traverser les années 1980 et 1990 ponctuées par la violence politique. Un des intérêts de l'oeuvre est de corsifier le regard, en donnant accès à des points de vue peu présents ou peu développés en métropole. Il "n'excuse" rien, mais montre les tragédies endurées par les peuples voulant légitimement disposer d'eux-mêmes. La forme n'est pas forcément aussi ample que le fond, mais il y a du romanesque dans ce récit, à travers les amours et amitiés de la jeune femme (Clara-Maria Laredo, en tête d'un casting majoritairement corse).
MON PARFAIT INCONNU (Johanna Pykkö, 24 juil) LLL
Oslo de nos jours. Une jeune fille un peu menteuse tombe un soir sur un homme blessé à la tête et amnésique. Elle lui fait croire qu'ils sont ensemble. Plus précisément, comme l'a finement écrit Thomas Fouet dans les Fiches du cinéma (dommage d'écrire après), il s'agit de la rencontre entre " celle qui n'avait pas de vie (et s'en inventa une)" et " celui qui en était encombré (et s'en vit soulagé)". Il y a une tension, dans la vérité et les faux semblants de cette relation, peut-être parce que les deux personnages constituent pour des raisons différentes des pages blanches à remplir. Formidablement incarnés (par Camilla Godo Krohn et Radoslav Vladimirov), un peu imprévisibles, ils sont scrutés à la bonne distance par la réalisatrice Johanna Pykkö, dont c'est le premier long métrage.
TO THE MOON (Greg Berlanti, 10 juil) LLL
Le film raconte de façon romancée la préparation de la mission Apollo 11 (le vol habité qui a atterri sur la Lune), et joue de l'opposition entre le directeur du centre spatial, un scientifique pour qui la vérité et la rigueur intellectuelle sont des boussoles, et une sorte de tueuse dans le marketing, en charge de susciter des levées de fonds pour le projet. Même si son rôle est donc douteux, on est heureux de voir Scarlett Johansson dans un rôle de femme (in)humaine. Coproductrice du film, elle réussit presque, par son aplomb, à l'instar de son personnage, à faire passer ce petit film malin, plutôt ironique (avec l'aide du cabotinage de Woody Harrelson en second rôle) pour une sorte de classique instantané.
EMILIA PEREZ (Jacques Audiard, 21 aou) LL
Un narcotrafiquant mexicain engage une jeune avocate d'un cabinet (peu regardant sur les personnes qu'il défend) pour trouver les médecins qui l'aideront à changer de sexe... et peut-être de vie. Entièrement tourné en studio, le film témoigne d'une recherche esthétique à chaque plan, ou au moins chaque numéro. Car il s'agit d'une comédie musicale ! La principale réserve concerne les chansons (signées Camille et Clément Ducol) : s'il est de coutume dans ce genre cinématographique qu'elles traduisent l'état d'âme des protagonistes, ici elles semblent trop explicites, trop claires pour un film noir. Jacques Audiard fait néanmoins mieux que ses derniers films, et le prix collectif d'interprétation reçu à Cannes (Karla Sofia Gascon, Zoe Saldana, Selena Gomez et Adriana Paz) est mérité.
TEHACHAPI (JR, 12 juin) LL
L'artiste JR fait le pari d'une installation dans la prison américaine de haute sécurité de Tehachapi, en faisant participer des détenus ultraviolents. Il porte aussi un regard sans concession sur le système américain (20 % des détenus dans le monde, sur moins de 5 % de la population mondiale), sur l'absurdité des très longues peines qui ne rendent pas la société plus sûre pour autant. L'initiative a semble-t-il eu des effets bénéfiques, mais le commentaire pro domo en fait un peu trop dans le solutionnisme. L'enthousiasmant Visages villages ne suscitait pas ces réserves, peut-être car la personnalité d'Agnès Varda faisait contrepoids à celle de JR.
SANTOSH (Sandhya Suri, 17 juil) LL
Santosh est le prénom d'une épouse d'un policier qui a perdu la vie dans une opération. Elle bénéficie du dispositif dans la législation indienne dit de "recrutement compassionnel", et accède au poste de son mari pour le remplacer. Elle apprend les ficelles du métier avec une enquête sur une adolescente assassinée. Incidemment, le film traite du système de caste ou du racisme religieux (un garçon musulman fait office de coupable idéal). Santosh est confrontée à la corruption et à la violence au sein de la police, et n'en sortira pas forcément immaculée. Prévenons qu'il y a au coeur du film une scène insoutenable : fallait-il vraiment la filmer de la sorte ?
EL PROFESOR (Benjamin Naishtat, Maria Alché, 3 juil) LL
Suite au décès de son mentor, un professeur de philosophie convoite la chaire ainsi libérée, mais se retrouve en concurrence avec un collègue m'as-tu-vu et charismatique, ayant fait carrière en Europe et en couple avec une actrice célèbre. Cette sorte de comédie de caractères prend petit à petit des notes de satire politique (véritable antidote, de ce point de vue, à L'Avenir de Mia Hansen-Love). Dommage que le trait utilisé soit moins précis, moins fin que dans Rojo, le précédent film du coréalisateur Benjamin Naishtat.
HIGHWAY 65 (Maya Dreifuss, 31 juil) LL
Trop indépendante sur les plans professionnel et personnel, Daphna est mutée de Tel-Aviv à la petite ville d'Afula, où elle enquête sur la disparition d'une ancienne reine de beauté. L'intrigue la conduit à se confronter à une famille de notables... Dès le début, la composition des plans laisse présager le meilleur, tout comme la forte personnalité de son héroïne, pas incompatible avec un côté burlesque involontaire. Mais le scénario n'est pas franchement à la hauteur, et la critique sociale de ce pays si particulier, militarisé à l'extrême dans le déni du droit international, est à peine effleurée.
UN P'TIT TRUC EN PLUS (Artus, 1er mai) LL
Phénomène au box-office, le film raconte l'histoire de deux braqueurs qui, suite à un concours de circonstances, se cachent dans un bus qui emmène en vacances des personnes en situation de handicap mental. C'est une comédie dont on sent les coutures à chaque instant. Grâce à la générosité des interprètes, valides comme non valides, on peut s'attacher aux personnages, même s'ils semblent enfermés par une écriture un peu vieillotte dans une ou deux caractéristiques propres. Malgré toute cette artificialité, l'émotion suscitée peut être tout à fait réelle. Sert-elle la cause ? Certaines associations déplorent l'édulcoration des difficultés rencontrées dues au validisme de nos sociétés, d'autres saluent l'intention inclusive du scénario et du tournage.
MAXXXINE (Ti West, 31 juil) LL
Années 1980. Maxine est une jeune actrice qui s'est fait connaître dans le porno, mais souhaite faire carrière dans le cinéma traditionnel. Et passe un casting pour un film d'horreur. Mais dans le réel un agresseur de jeunes femmes rôde... Le jeu très étrange de Mia Goth, qu'on avait déjà repérée dans X, le premier film de cette sorte de saga, est le principal atout de ce nouvel opus de Ti West. Il rend un hommage non patriarcal aux pères du genre (Hitchcock, De Palma). Certaines séquences sont plutôt bien mises en scène, mais malheureusement mal servies par un manque de finesse général dans l'écriture...
ONLY THE RIVER FLOWS (Wei Shujun, 10 juil) L
Une intrigue policière située dans les années 1990, en Chine, après le meurtre d'une vieille femme dans une petite commune, et un fou vite désigné comme coupable... Les policiers investissent une salle de cinéma désaffectée comme QG. Le film crée de belles promesses, mais peine à les tenir. Et semble virer au formalisme vain lorsque l'onirisme prend le dessus sur un scénario qui de toute façon n'arrivait pas à convaincre totalement...
LE COMTE DE MONTE CRISTO (Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière, 26 juin) L
Edmond Dantès, emprisonné après une accusation à tort de trahison, finit par s'évader, avec une soif de vengeance envers ses ennemis... Le scénario, adapté d'Alexandre Dumas, aurait dû captiver, mais le récit souffre d'une réalisation à la truelle. Le souffle recherché est éventé par des centaines de plans filmés au drone sur fond de musique pompière. Cet emploi de grands moyens n'arrive jamais à créer une grande mise en scène. Dommage.
28) * GOLDEN EIGHTIES (Chantal Akerman, 1986)
Chantal Akerman aime prendre des risques, au risque de se planter. Disons que ce film n'est à montrer ni à ses détracteurs ni à ceux des comédies musicales. La sororité au sein d'un salon de coiffure pour dames et d'une boutique de prêt-à-porter était un bon sujet. L'hétérogénéité du casting, de Lio à Myriam Boyer, était également une bonne idée. Le résultat est très « girly » (dans le sens le plus cliché du terme), les chansons inabouties ou à l'humour forcé. Dommage aussi que l'on entende parler de crise, de « charges », et via la bouche de Delphine Seyrig ou de Charles Denner, que les causes de celle-ci (la crise) seraient à chercher dans celles-là (les « charges »). Denis Kessler n'aurait pas dit mieux.
27) ** COMMENT TUER UN JUGE (Damiano Damiani, 1977)
Un cinéaste décide de mener sa propre enquête sur l'assassinat d'un juge sicilien soupçonné de corruption, crime qui semble décalqué de la dernière scène de son film, qui vient de sortir en salles... Ce film italien offre à Françoise Fabian un rôle magnifique et ambigu. Pour le reste, le scénario est à la limite de la vraisemblance, dans une mise en scène tout juste fonctionnelle (et sans doute déjà vieillotte à l'époque : les films de Boisset étaient plus convaincants).
26) ** LE SINGE (Aktan Abdykaylykov, 2002)
Chronique d'inspiration autobiographique, qui montre un garçon de 17 ans, au mitan des années 1970, dans un village de Kirghizie soviétique (devenu Kirghizstan à l'indépendance). Bientôt appelé pour effectuer son service militaire, il navigue à vue entre un père alcoolique, les bandes de garçons de son âge, et le mystère des jeunes filles. Si les plans sont plutôt adroitement composés (le réalisateur ayant une formation de peintre), ils sont assez lents, et l'ensemble est assez convenu, en dépit de l'interprétation du jeune homme par le propre fils du cinéaste.
25) ** DE L'AUTRE COTE (Chantal Akerman, 2003)
Chantal Akerman interroge d'abord des mexicains candidats à l'émigration aux Etats-Unis, et, à la fin de son film, des américains riverains de la frontière. Le titre doit donc s'entendre dans les deux sens. Entre les deux, des travellings ou des plans qui paraissent interminables, sur des points de passage surveillés comme les abords d'une prison par d'immenses projecteurs, mais aussi sur des endroits désertiques et à la nature hostile (on pense au Vent de Victor Sjöström), beaucoup plus meurtriers pour les candidats au passage, ce que confirment les témoignages ultérieurs. Le sujet, important, nécessitait-il un montage qui demande patience aux spectateurs, comme dans certaines de ses fictions, alors que dans un documentaire les prises de vues sont par nature moins élaborées en amont ?
24) ** PARTIE DE CAMPAGNE (Jean Renoir, 1936)
Petite parenthèse bucolique passée à la campagne, pour une famille de petits bourgeois parisiens. Tiré d'une nouvelle de Maupassant, un exercice de style très pictural (ce qui a beaucoup été souligné), même si son aura me semble surfaite. Le moyen-métrage, sorti en salle dix ans après son tournage dans une version non supervisée par l'auteur, me semble loin d'égaler ou de dépasser La Grande Illusion ou La Règle du jeu. Et d'ailleurs que montre-t-il : dialectique entre passion et raison, ou bien le fait que la passion n'était pas si consentie ? Sa re-sortie en salles permet en tout cas d'exhumer un formidable court-métrage réalisé pour la télévision en 1968, La direction d'acteurs par Jean Renoir, formidable leçon à laquelle se prête la comédienne et réalisatrice Gisèle Braunberger, sur la méthode par laquelle un(e) interprète doit trouver son rôle selon le cinéaste.
23) ** EL PROFESOR (Benjamin Naishtat, Maria Alché, 2024)
Suite au décès de son mentor, un professeur de philosophie convoite la chaire ainsi libérée, mais se retrouve en concurrence avec un collègue m'as-tu-vu et charismatique, ayant fait carrière en Europe et en couple avec une actrice célèbre. Cette sorte de comédie de caractères prend petit à petit des notes de satire politique (véritable antidote, de ce point de vue, à L'Avenir de Mia Hansen-Love). Dommage que le trait utilisé soit moins précis, moins fin que dans Rojo, le précédent film du coréalisateur Benjamin Naishtat.
22) ** ALL WE IMAGINE AS LIGHT (Payal Kapadia, 2024)
Portrait de femmes indiennes qui aspirent à accorder leurs vies à leurs désirs. C'est un joli film, avec peu de traits narratifs (d'ailleurs certaines coïncidences interrogent). La simplicité formelle tranche avec le faste bollywoodien, tout comme avec le bruit et la fureur d'une partie des films d'auteur programmés dans les grands festivals internationaux. Le Grand-Prix cannois est peut-être taillé un peu trop grand pour lui. À revoir à tête reposée à sa sortie.
21) ** LA CAPTIVE (Chantal Akerman, 2000)
Transposition contemporaine de La Prisonnière de Marcel Proust. Principale réserve : pourquoi situer absolument l'histoire dans un milieu aussi haut perché (appartement parisien immense avec domestique, voiture avec chauffeur, oisiveté du couple, qui se vouvoie même dans l'intimité) ? Le duo entre une captive sans barreaux, qui fait mine de se satisfaire de son sort, et son mari, une sorte de pervers narcissique hyper-jaloux mais feutré, qui ne cesse de la prendre en filature, bénéficie des interprétations singulières mais convaincantes de Sylvie Testud et Stanislas Mehrar. Le reste de la distribution est également à saluer : les apparitions fugaces de Aurore Clément, Anna Mouglalis ou Bérénice Bejo sont savoureuses. Le film frôle donc l'artifice, mais ne manque pas de style.
20) ** TU M'APPARTIENS ! (Maurice Gleize, 1929)
Un des derniers éclats du cinéma français muet. Boudé à sa sortie, il réunit pourtant deux stars du cinéma européen des années 20 : Francesca Bertini et Rudolf Klein-Rogge. On dirait un film noir, un peu misogyne (avec femme fatale), tel que le cinéma parlant en produira quelques temps plus tard. Un fugitif qui vient d'être démasqué doit éviter de se faire prendre pendant les dernières 24 heures précédant la prescription de son délit d'évasion. Cette course-poursuite et course contre-la-montre est haletante, bien accompagnée par le trio jazz autour d'Alvaro Bello, qui compense une mise en scène habile mais impersonnelle, et assez dénuée de style par rapport aux joyaux de l'époque. Les plans sur les horloges anticipent néanmoins ceux du Temps sans pitié de Kazan.
19) ** MERLUSSE (Marcel Pagnol, 1935)
Film rare de Pagnol, peut-être parce qu'il n'y a aucune vedette (on reconnaît néanmoins Jean Castan, qui jouera quelques années plus tard le frère de Fernandel dans Le Schpountz). Un éducateur mal aimé est chargé de prendre en charge des adolescents que leurs familles ne sont pas venus chercher pour Noël. Le scénario semble avoir inspiré, bien des décennies plus tard, Alexander Payne pour Winter break. Si beaucoup d'éléments ont vieilli, la dernière partie est savoureuse. On y retrouve l'optimisme et l'humanisme populaire de l'auteur.
18) *** LE VILLAGE MAUDIT (Florian Rey, 1930)
Dans les derniers feux du cinéma muet, un drame rural situé au début du 20ème siècle, dans un village de Castille. Les mauvaises récoltes sèment misère et famine (les programmatrices du festival ont peut-être décelé en cela une convergence avec certains éléments thématiques chez Pagnol), et poussent les habitants à l'exode, même s'ils doivent perpétuer les traditions et sauver « l'honneur » patriarcal. Des scènes épiques ou intimes, idéalement accompagnées au piano par Jacques Cambra.
17) *** NAPOLEON VU PAR ABEL GANCE (Abel Gance, 1927)
Napoléon vu par Abel Gance, dans le fond, c'est la reconstitution d'un roman national... de droite, certes référencé (comme l'indiquent les intertitres) mais biaisé (aucune explication de contexte sur la violence politique des années 1793-1795, par exemple). Un biopic hagiographique qui couvre la période 1780-1796, d'une bataille de boules de neige à l'école de Brienne jusqu'au début de la campagne d'Italie. Cette « grande version » a une durée hors normes (plus de sept heures), qui traduit moins un souci de nuances ou d'approfondissement qu'une volonté de proposer un spectacle total, semblable aux péplums internationaux, avec des morceaux de bravoure opératiques à la production démesurée (une échappée au large de la Corse par une mer déchainée, le siège de Toulon dans des conditions exécrables), avec une inventivité hors norme (surimpressions, « polyvision »...). Mais l'épopée la plus intéressante, qui aurait mérité un film à part entière, est celle de la restauration de l'œuvre...
16) *** ANGELE (Marcel Pagnol, 1934)
Deuxième long métrage réalisé en solo par Marcel Pagnol (Marius et Fanny furent officiellement réalisés respectivement par Alexander Korda et Marc Allégret). Deuxième adaptation par Pagnol d'un autre auteur méridional, Jean Giono. Si Orane Demazis assure le tragique du rôle-titre, Fernandel, dont c'était la première collaboration avec l'auteur, allège un peu le drame avec son emploi de simplet au grand cœur. Le tournage de larges scènes en extérieur, et la prise de son direct taperont dans l'œil et l'oreille de Godard. Drame du patriarcat, que ce soit dans la perdition à la ville, ou dans l'importance de l'honneur à la campagne.
15) *** LA BONNE ANNEE (Claude Lelouch, 1973)
Le film commence par des extraits de Un homme et une femme (on est jamais si bien servi que par soi-même), projeté aux détenus d'une prison, dont Lino Ventura. Libéré à la nouvelle année grâce à une remise de peines, il retrouve un complice à Nice, et prépare longuement le « casse psychologique » d'une bijouterie. Et rencontre l'antiquaire voisine, une femme libérée mais vulnérable incarnée par Françoise Fabian. La mise en scène n'a pas forcément la même rigueur que la Mélodie en sous-sol d'Henri Verneuil. Mais la fantaisie, délivrée d'une vraisemblance impérative, est relevée, et les acteurs (dont le méconnu Charles Gérard) magnétiques.
14) *** LA CLEPSYDRE (Wojciech Has, 1975)
Dès le trajet dans un train lugubre, on pressent que ce film ne sera pas comme les autres. Venu retrouver son père dans un sanatorium étrange, le personnage principal est accueilli, dans des locaux sinistres maculés de toiles d'araignées, par un médecin lui expliquant que le temps dans ce lieu est décalé dans le passé. Ce n'est que le début d'une aventure dans une fantasmagorie sombre et grouillante, à côté de laquelle les œuvres de David Lynch ne seraient que d'aimables plaisanteries commerciales. Les autorités polonaises n'ont pas lésiné sur les moyens, et ont financé toutes les visions de l'auteur, même si le résultat n'a sans doute pas grand chose à voir avec ce qu'elles avaient imaginé.
13) *** DAHOMEY (Mati Diop, 2024)
Vingt-six œuvres d'art, pillées avec des milliers d'autres en 1892, sont restituées par la France à l'actuel Bénin. Mati Diop (Atlantique) filme leur trajet, de leur point de vue, visuellement mais aussi par une puissante voix off imaginant leur intériorité. Dans une dernière partie, Mati Diop laisse la parole aux premiers et premières concernées, en organisant un débat public et radiophonique entre étudiants de divers disciplines de l'université d'Abomey Calavi. Un contrepoint idéal aux commentaires paternalistes et eurocentrés des médias occidentaux, encore imprégnés d'idéologie coloniale. Petit film par sa durée (1h08), mais vraie réussite (Ours d'or au festival de Berlin 2024).
12) *** LES RENDEZ-VOUS D'ANNA (Chantal Akerman, 1978)
Une cinéaste sillonne l'Europe (Allemagne, Belgique, France) pour accompagner son dernier film. Contrairement aux films contemporains d'Hong Sang-soo, la profession de la protagoniste (Aurore Clément, véritable alter ego de Chantal Akerman) est assez anecdotique, dans la mesure où on ne la voit que dans sa vie personnelle. Mis à part quelques travellings, les personnages évoluent dans des plans fixes géométriques, avec souvent des symétries. Une expression m'est venue pour tenter de raccorder ce parti pris formel au fond : et si c'étaient des lignes de fuite qu'Akerman avait filmées ainsi ? Cette sophistication tout sauf spontanée de la forme aboutit paradoxalement à des émotions non fabriquées (bien au-delà de la seule satisfaction esthétique).
11) *** VICTIMES DU PECHE (Emilio Fernandez, 1952)
Le pluriel du titre renvoie à la fois à une danseuse d'un cabaret interlope (qui fait aussi maison de passe), et au bébé abandonné (dans une poubelle !) qu'elle recueille. Ce film mexicain ressemble, en un peu plus chaloupé, aux films noirs que Hollywood cesse de produire à l'époque, suite au maccarthysme. Un drame social et féministe, ponctué de séquences musicales énergisantes : l'interprétation de Ninon Sevilla, femme forte dans la vie et à l'écran, fait passer son personnage d'un statut victimaire à une héroïne essayant d'arracher la possibilité de prendre son destin en main.
10) *** SALUT L'ARTISTE (Yves Robert, 1973)
Très bonne surprise que cette évocation des sans-grades du music-hall. Alors, certes, on pourra trouver par moments des côtés très « male gaze » dans l'écriture d'Yves Robert et Jean-Louis Dabadie (le film échouant par exemple au test de Bechdel). Difficile de ne pas reconnaître simultanément que les deux scénaristes ont offert à Françoise Fabian le rôle d'une magnifique femme indépendante, qui tient tête à la misogynie du personnage incarné par Marcello Mastroianni, qui cabotine très bien avec Jean Rochefort. La mélancolie fine des personnages est superbement accompagnée par la musique de Vladimir Cosma, et ses arrangements jazzy (exécutés notamment par Toots Thielemans).
9) *** BENNY'S VIDEO (Michael Haneke, 1993)
Conte moderne cruel, dans lequel Michael Haneke interroge la consommation des images, particulièrement celles de violence. Il montre un jeune homme, grand amateur compulsif de vidéos (au point qu'une caméra filme la rue depuis la fenêtre de sa chambre, qui reste fermée : il ne lui viendrait pas à l'idée de regarder directement la vue). Il invite chez lui une jeune fille, avec qui il partage cette fascination, et la tue accidentellement. Il ne montre pourtant aucun sentiment de culpabilité. Mais le plus glaçant, c'est que ses parents sont peut-être encore pires, en témoignent les paroles ahurissantes prononcées par le père. L'autre outil de Haneke, c'est sa mise en scène. La violence contre les personnes est hors champ, mais les cadrages et la bande-son sont pourtant implacables (Bertrand Tavernier s'en souviendra pour L'Appât, quelques années plus tard).
8) *** UNE CERTAINE RENCONTRE (Robert Mulligan, 1964)
Un nouveau drame romantique dans la carrière de Natalie Wood, après La Fièvre dans le sang. Mais si le beau film de Kazan était d'un classicisme très travaillé, le film de Robert Mulligan, bien qu'en noir et blanc, fait plutôt le choix de la modernité, dans la forme comme dans le fond. Il y est question d'une aventure sans lendemain, mais qui débouche sur une grossesse, de l'avortement (qui n'était pas encore autorisé), des responsabilités à assumer, des formes que peut prendre l'amour, loin des clichés idylliques. En s'aidant notamment de gros plans magnifiques, la caméra de Robert Mulligan saisit les moindres inflexions des jeunes adultes en devenir, interprétés par Steve McQueen et donc Natalie Wood, qui accède enfin à un rôle plus mûr.
7) *** ERNEST COLE, PHOTOGRAPHE (Raoul Peck, 2024)
Raoul Peck alterne fictions documentées et documentaires très narratifs. Ce film-ci, Œil d'or au dernier festival de Cannes, fait partie des seconds. Ernest Cole est le premier photographe sud-africain à avoir montré au monde entier la réalité de l'apartheid. Raoul Peck livre en voix off le point de vue de Cole, en se basant sur son livre House of Bondage, publié en 1967, et qui lui vaut son exil aux Etats-Unis, mais aussi aux propos rapportés par ses proches. La plupart des images, parfois analysées avec précision, proviennent de dizaines de milliers de négatifs pris par Cole lui-même, et découverts en 2017 dans le coffre d'une banque suédoise. Méditation puissante, et nécessaire par les temps qui courent, sur l'apartheid, le racisme colonial, et l'exil.
6) *** LE SCHPOUNTZ (Marcel Pagnol, 1938)
Marcel Pagnol oppose la simplicité populaire de son petit théâtre méridional à une équipe de cinéma parisienne, condescendante, qui décide de faire une farce au personnage interprété par Fernandel, un jeune villageois fils d'épicier, qui prétend avoir un don d'acteur (voir l'irrésistible exercice de style, digne de Queneau, sur la phrase « Tout condamné à mort aura la tête tranchée »). Si le personnage est drôle, on ne rit jamais à ses dépens, contrairement aux snobs. Et si les dialogues sont succulents, la mise en scène ne l'est pas moins, qui éclaire l'humanité de chaque personnage, quelle que soit son importance. Bien sûr le film est un festival Fernandel, mais le comédien est idéalement secondé par Charpin ou Orane Demazis. Le résultat est un peu long, mais peut-être plus fort que la célèbre trilogie marseillaise.
5) *** GUERILLA DES FARC, L'AVENIR A UNE HISTOIRE (Pierre Carles, 2024)
Pierre Carles réalise peut-être son film le plus ample. S'il remonte aux origines du conflit, à l'aide d'archives, mais aussi d'extraits de fiction de l'ex-compagnon de sa mère, Dunav Kuzmanich, réalisateur chilien exilé en Colombie après la prise de pouvoir de Pinochet, le documentaire bénéficie surtout d'un tournage effectué sur près de dix ans, des prémisses du processus de paix à ses premiers bilans. Le temps long permet aussi de mesurer l'évolution des analyses des protagonistes. Le film est assez long (2h20). Évidemment il n'épuise pas les angles possibles, mais donne un éclairage essentiel qui comble les lacunes et les partis pris des médias occidentaux dominants.
4) *** PROLOGUES (Llyod Bacon, Busby Berkeley, 1933)
En terme de durée, l'essentiel du film est une comédie de coulisse, sur les préparations frénétiques de numéros musicaux servant d'avant-programmes aux séances de cinéma. La comédie est également satirique, sur l'Amérique de la Grande Dépression en attente de New Deal, et romantique : le metteur en scène (James Cagney) est tellement affairé qu'il ne remarque pas les sentiments de sa secrétaire (Joan Blondell). Mais l'apogée du film réside dans les trois numéros chorégraphiées par Busby Berkeley qui le concluent : Honeymoon Hotel, Shanghai Lil, et surtout entre les deux le numéro aquatique de By a waterfall, ballet exubérant qui explose les cadres (certaines séquences filmées du plafond confinent à l'abstraction géométrique, dans laquelle on ne fait plus forcément la différence entre air et eau). Cette séquence très déshabillée témoigne de la censure variable (évoquée également dans les dialogues) du Hollywood Pre-Code.
3) *** TOOTSIE (Sydney Pollack, 1983)
Agréable surprise : la comédie, genre inhabituel pour Sydney Pollack, n'est jamais grivoise. Le prologue, réaliste, sur des acteurs et actrices new-yorkais qui courent les cachets en attendant mieux, fait penser aux personnages de Salut l'artiste d'Yves Robert, vu plus tôt dans le festival. Et les cours de jeu distillés par Dustin Hoffmann rappellent la leçon de Jean Renoir captée en 1968 (voir ci-dessus). Bien sûr, l'essentiel du film démarre lorsque l'acteur fauché se travestit, et est engagé dans le rôle d'une vieille fille dans un soap télévisé. Michael devenu Dorothy va subrepticement subvertir le show, avec une forme d'intransigeance qui lui fermait les portes auparavant. Les registres d'humour sont variés, et toujours d'une grande finesse : le film est d'ailleurs bien plus « me too » qu'on aurait pu imaginer. Le seul reproche qu'on pourrait formuler, à froid, concerne l'optimisme selon lequel un travestissement suffirait à comprendre le point de vue de l'autre (et n'est-ce pas de l'appropriation culturelle ?)
2) **** 71 FRAGMENTS D'UNE CHRONOLOGIE DU HASARD (Michael Haneke, 1995)
À la veille de Noël, un étudiant ouvre le feu dans une banque, et tue trois personnes, avant de se suicider. Le film suit en montage alterné les derniers mois des différents protagonistes, d'où le titre. Il peut donner lieu à de multiples interprétations. Dans ma perception, la forme est en parfaite adéquation avec le fond : la fragmentation du réel fait ressortir l'atomisation des individus et la déshumanisation des sociétés modernes (que montrent aussi les extraits de journaux télévisés insérés entre deux fragments). Mais il n'y a pas de misanthropie dans ce film : les personnages sont montrés avec leur part d'humanité. Ce sont bien certains fonctionnements de la société qui sont dans le viseur d'Haneke. Trente ans plus tard, on n'a pas encore franchement réussi à faire mieux...
1) **** J'ACCUSE (Abel Gance, 1919)
Edith est aimée par deux hommes : François Laurin, son mari (violent), et Jean Diaz, poète qui célèbre la vie paisible. Les deux hommes sont mobilisés lorsqu'éclate la Première Guerre Mondiale, tandis qu'Edith, revenue dans le village de ses parents, est déportée en Allemagne. Jean devient lieutenant dans l'unité de François, qu'il a donc sous ses ordres. C'est le début d'une grande fresque, réalisée dès 1919, divisée dans cette version en trois époques. Le film dure 2h44, mais on ne voit pas le temps passer. Il est exceptionnel par l'excellence de son scénario (évolution des situations et des personnages), l'étonnante qualité littéraire de ses intertitres, la grandeur de sa mise en scène, entre souffle réaliste et onirisme, grâce à l'inventivité visuelle de Gance, et à l'utilisation optimale des techniques de l'époque (surimpressions). L'un des plus grands films sur ce conflit, réalisé dans la foulée, et follement audacieux, dans la forme comme dans le fond.
- Bien : Marcello mio (Christophe Honoré), The Summer with Carmen (Zacharias Mauroeidis), Juliette au printemps (Blandine Lenoir), Gloria ! (Margherita Vicario), Maria (Jessica Palud)
- Pas mal : Dune : Deuxième partie (Denis Villeneuve), Il reste encore demain (Paola Cortellesi)
- Bof : C'est pas moi (Leos Carax), Challengers (Luca Gudagnino)
MARCELLO MIO (Christophe Honoré, 22 mai) LLL
Les films où les interprètes "jouent leur propre rôle" (selon l'expression consacrée et réductrice) ne sont pas toujours des réussites. Mais, dans le cas du dernier Honoré, le résultat est bien plus qu'honorable. Racontant l'histoire d'une Chiara Mastroianni se faisant la tête et l'allure de son père Marcello, il aurait pu prétendre à la Queer Palm, tout en se gardant bien de cocher quelque case que ce soit. Moins roublard et plus profond que le dernier Dupieux, le film s'enrichit constamment au fil des séquences sans jamais s'alourdir. Il y a de l'inventivité et de l'inattendu dans chaque plan (le film ne cesse de se déplacer subtilement). L'ensemble n'est pas nombriliste, car le cinéaste a la générosité de convoquer des personnalités très éloignées de son propre univers (Fabrice Luchini, Nicole Garcia). Et il régale les oreilles par une utilisation non clichetonneuse et très élaborée de la musique (comme dans une séquence de reprise de Daho).
THE SUMMER WITH CARMEN (Zacharias Mauroeidis, 19 juin) LLL
En vacances sur une plage, Nikitas, aspirant réalisateur, demande à Démosthène, un ancien acteur devenu fonctionnaire, des idées pour un prochain scénario, un film gay à petit budget selon les desiderata de son producteur. En voyant une femme passer avec un chihuahua ressemblant à Carmen, l'ancienne chienne de Démosthène, les deux amis envisagent de raconter les amours tumultueuses de ce dernier. En choisissant de ne pas montrer de LGBT-phobies, ce qui laisse aux personnages le loisir de s'occuper d'eux-mêmes, Zacharias Mauroeidis livre, dans la forme comme dans le fond, un film solaire, grâce également aux interprétations hautes en couleur mais nuancées de Torgos Tsiantoulas et Andreas Labropoulos. Même le dispositif "méta" (film dans le film) est utilisé de façon futée et léger. Une sorte de feel good movie par temps pourtant obscurs...
JULIETTE AU PRINTEMPS (Blandine Lenoir, 12 juin) LLL
Une trentenaire passablement déprimée, illustratrice pour enfants à la ville, se pose quelque temps chez son père en province. Contrairement à Annie colère, le précédent opus de Blandine Lenoir, le film diffère assez longtemps le sujet autour duquel il est construit. Mais, au lieu de lui nuire, cette absence de pitch identifiable nous oblige à être très attentif aux personnages. Ceux-ci arrivent d'ailleurs à surprendre, et on se réjouit des sourires mi-tristes d'Izia Higelin, de la sensibilité paternelle de Darroussin, et d'une Sophie Guillemin qu'on retrouve et redécouvre avec grand plaisir. Au final, on s'apercevra que Blandine Lenoir livre un nouveau film féministe, bien que de façon un peu plus souterraine qu'auparavant.
GLORIA ! (Margherita Vicario, 12 juin) LLL
Un film musical assez original, puisque situé dans un orphelinat vénitien du XVIIIè siècle. Des jeunes filles y apprennent la musique. La découverte d'un pianoforte, instrument caché au fin fond de l'édifice, va changer la donne. Au-delà d'être de simples instrumentistes, les filles vont se mettre à composer, et l'une d'elles, une jeune servante (Galatéa Bellugi), sera plus audacieuse encore. Le film fait le grand écart entre une musique au départ conforme aux canons classiques et des compositions qui semblent inventer la modernité, voire les "tubes"... La réalisatrice s'inspire d'une réalité méconnue et rend hommage, avec peut-être quelques détonants anachronismes, à des créatrices ignorées par l'histoire (rejoignant sous cet angle le Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, bien que très différent).
MARIA (Jessica Palud, 19 juin) LLL
L'évocation de la vie brisée de l'actrice Maria Schneider, suivie depuis ses débuts d'enfant de la balle (fille de l'acteur Daniel Gélin, qui ne l'a pas élevée) au tournage du Dernier tango à Paris. Le traitement est d'ailleurs assez nuancé. Le contact de la toute jeune comédienne avec Marlon Brando semble stimulant, tout comme la singularité du film de Bertolucci, et donnerait presque envie de le rattraper (je ne l'ai jamais vu). Ce désir ne rend toutefois que plus poignant et choquant ce qui suit, à savoir le tournage non consenti de la scène controversée. Anamaria Vartolomei, de tous les plans ou presque, impressionne de bout en bout. Et après L'Evénement, elle confirme une grande cohérence dans ses choix.
DUNE : DEUXIEME PARTIE (Denis Villeneuve, 28 fév) LL
Suite de l'adaptation du roman de Frank Herbert par Denis Villeneuve. L'intrigue, d'ailleurs, est plutôt moins binaire que celle des Star Wars, par exemple. L'impression mitigée que suscite le film réside davantage dans le casting conçu comme un aréopage de vedettes : on croit par exemple moyennement à l'évolution du personnage de Paul Atreides interprété par Timothée Chalamet. Seule Zendaya semble donner de la substance à son personnage. Techniquement, le grand spectacle est quand même assurée, grâce aux décors architecturaux ou naturels.
IL RESTE ENCORE DEMAIN (Paola Cortellesi, 13 mar) LL
Rattrapage de ce film qui a fait un carton en Italie, avant de bénéficier d'un bon bouche à oreilles ici. L'intrigue se situe dans l'immédiat après-guerre et suit une mère de famille victime de violences conjugales. C'est une sorte de dénonciation du patriarcat d'antan, mais où les personnages sont réduits à un seul trait. Le noir et blanc n'a ici pas une grande profondeur et ne fait pas renaître le grand cinéma italien de l'époque. D'autres effets de style se discutent (le remplacement des coups par des chorégraphies symboliques). L'histoire peut toucher, mais n'exonère-t-elle pas trop les agresseurs d'aujourd'hui, bien plus ambigus et moins faciles à repérer ?
C'EST PAS MOI (Leos Carax, 12 juin) L
Un film de montage-collage de 44 minutes, en réponse d'une commande du Centre Pompidou à Leos Carax. De cet exercice de style très godardien, la vision du monde suggérée par Leos Carax est assez pauvre, et en tout cas pas à la hauteur des enjeux politiques terribles qui nous traversent. En revanche sa célébration du cinéma qu'il aime (et de celui qu'il fait) force le respect et donne lieu à quelques fulgurances. Dommage que ces dissections cinéphiles ne célèbrent que l'art pour l'art, comme dénué d'un regard sur le monde.
CHALLENGERS (Luca Guadagnino, 24 avr) L
Comme les personnages évoluent dans le milieu du tennis, le titre fait allusion aux tournois les moins dotés du circuit professionnel. On pourrait malheureusement filer la métaphore pour situer ce nouveau film de Luca Guadagnino dans la production cinématographique contemporaine. Si cette sorte de Jules et Jim tennistique (ou de trouple mixte, si vous préférez) était tentante sur le papier, et si les interprètes (Zendaya, qui a produit le film, Mike Faist et Josh O'Connor) sont jolis à regarder, les dialogues sont assez calamiteux, tout comme l'utilisation, très bourrine, d'une musique d'ailleurs assez insipide.
- Bien : Borgo (Stéphane Demoustier), Madame Hofmann (Sébastien Lifshitz), Le Mal n'existe pas (Ryusuke Hamaguchi), Vampire humaniste cherche suicidaire consentant (Ariane Louis-Seize), Petites mains (Nessim Chikhaoui)
- Pas mal : La Machine à écrire et autres sources de tracas (Nicolas Philibert), La Fleur de buriti (Renée Mader Messora, Joao Salaviza), Notre monde (Luana Bajrami), Border line (Alejandro Rojas, Juan Sebastian Vasquez), Le Tableau volé (Pascal Bonitzer), Le Déserteur (Dani Rosenberg), Il pleut dans la maison (Paloma Sermon-Daï), Le Deuxième acte (Quentin Dupieux), Un homme en fuite (Baptiste Debraux)
BORGO (Stéphane Demoustier, 17 avr) LLL
De film en film, la manière de Stéphane Demoustier ( Terre battue, La Fille au bracelet) prend de l'ampleur. Deux trames narratives sont ici montées en parallèle : d'un côté une enquête sur un probable règlement de comptes entre bandes rivales en Corse, de l'autre côté l'arrivée depuis le continent d'une surveillante au centre pénitentiaire de Borgo. Bien que l'atmosphère puisse faire penser à Un prophète de Jacques Audiard, le film n'en pâtit pas. La maîtrise formelle est indéniable tout en ne s'interdisant pas des surprises (une reprise d'un tube de Julien Clerc à l'intérieur d'une scène d'une belle intensité, par exemple). Et bien sûr, au centre de l'enchaînement des faits, il y a le jeu de Hafsia Herzi, tour à tour (ou parfois simultanément dans le même plan) lumineuse et opaque à souhait...
MADAME HOFMANN (Sébastien Lifshitz, 10 avr) LLL
Sébastien Lifshitz, documentariste passionnant, dans son étude des questions de genre notamment ( Les Invisibles, sorti en salle et césarisé, ou Petite fille, diffusé uniquement sur Arte), s'intéresse à un tout autre sujet ici, en réalisant le portrait de Sylvie Hofmann, une infirmière-cadre de l'hôpital Nord de Marseille, au moment où celle-ci s'apprête à partir en retraite, au bout de quarante années d'exercice. Sa forte personnalité ne cannibalise pas pour autant le film, qui à travers ce portrait se laisse traverser par des questionnements intimes (la rapport à la maladie, à la mort), par exemple mais pas uniquement dans les échanges entre Sylvie Hofmann et sa mère, mais aussi collectifs (avec les effets de la paupérisation de l'hôpital public). Sur la forme, la musique, composée avec soin par Grégoire Hetzel, prend une place inhabituelle chez le cinéaste.
LE MAL N'EXISTE PAS (Ryusuke Hamaguchi, 10 avr) LLL
Le projet d'installation d'un "glamping" (camping de luxe) est présenté au village pressenti pour l'accueillir, en lisière de forêt. Le film aurait pu jouer dans la catégorie devenue familière des ciné-tracts écolos, où une figure justicière honnête s'oppose aux intérêts puissants (dernièrement encore Les Algues vertes, de Pierre Jolivet). Hamaguchi livre un film aux personnages moins caricaturaux, mais qui expose néanmoins, à qui voudra bien le voir, l'antagonisme entre les logiques capitalistes et la défense des équilibres naturels et de la biodiversité. L'oeuvre n'a pas la densité des précédents opus du cinéaste, et en est assez éloignée dans la forme comme dans le fond. Mais le puissant épilogue, douloureux, inattendu (mais pas illogique), est d'une grande force cinématographique.
VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT (Ariane Louis-Seize, 20 mar) LLL
Le titre a l'avantage de donner d'emblée l'esprit du film. En revanche, il ne dit rien du style, et c'est pourtant ça qui est remarquable. Pour son premier long métrage, Ariane Louis-Seize livre, certes comme on s'y attend, une sorte de comédie de vampires, mais avec un ton qui n'appartient qu'à elle. Aussi éloigné du snobisme de Only lovers left alive de Jim Jarmusch que de la dérision facile, le film se déploie tout en finesse, en filant la métaphore du passage à l'âge adulte mais aussi en offrant des décalages non grossiers par rapport à des débats de société contemporains. Même au niveau de la langue le joual semble un peu dépouillé de son exotisme habituel.
PETITES MAINS (Nessim Chikhaoui, 1er mai) LLL
On suit le quotidien d'une demi-douzaine de femmes de chambre travaillant dans un palace parisien. Une petite partie du personnel s'est engagée dans une grève au long cours... Au générique de fin, on voit quelques secondes d'une intervention à l'Assemblée nationale de Rachel Keke, ancienne femme de chambre en lutte devenue députée (LFI-NUPES). L'écriture scénaristique, due au réalisateur associé à Hélène Fillières, est assez fine, composant des personnages qui ne sont pas d'un seul tenant, tout en décrivant de façon intersectionnelle les conditions de travail et des rapports d'exploitation d'autant plus durs qu'ils se croisent avec d'autres rapports de domination (sexistes et racistes). En revanche l'écriture cinématographique, à l'exception d'une certaine séquence de défilé, est moins aboutie.
LA MACHINE A ECRIRE ET AUTRES SOURCES DE TRACAS (Nicolas Philibert, 17 avr) LL
Troisième volet du triptyque sur les soins psychiatriques auquel il appartient, le documentaire se déploie autour de quatre séquences montrant des patients à domicile aux prises avec des soucis techniques de la vie quotidienne. Loin du milieu fermé que constituait l'hôpital psychiatrique montré dans Averroès et Rosa Parks, on renoue avec des personnages que l'on avait déjà croisés dans Sur l'Adamant. On peut donc appréhender La Machine à écrire comme un précieux complément en guise d'épilogue au premier volet, comme l'était Deux ans après par rapport à Les Glaneurs et la glaneuse chez Agnès Varda.
LA FLEUR DE BURITI (Renée Mader Messora, Joao Salaviza, 1er mai) LL
Un film ethnographique, ce n'est pas si fréquent. Les deux cinéastes nous plongent au sein du peuple Krahô, un peuple autochtone vivant au nord du Brésil et menacé par l'expansion de l'agriculture productiviste. On voit l'une des femmes du village participer à une rencontre de peuples autochtones, en opposition à la politique de Bolsonaro. Le film propose donc à la fois des séquences contemporaines plutôt documentaires, mais aussi de redoutables reconstitutions historiques, qui montre que leur lutte pour leur survie ne date pas d'hier... Très involontairement, le film trouve un écho dans l'actualité brûlante de territoires toujours pas décolonisés dans lesquels des peuples n'arrivent pas à obtenir le droit de disposer d'eux-mêmes...
NOTRE MONDE (Luana Bajrami, 24 avr) LL
Dans La Colline où rugissent les lionnes, le premier film en tant que réalisatrice de l'actrice Luana Bajrami, on suivait le temps d'un été des jeunes filles qui tentaient de s'extirper de leur village en rêvant de poursuivre leurs études. D'une certaine manière, ce second opus prolonge le geste, en suivant deux jeunes cousines qui vont effectivement fuguer pour aller étudier à Pristina. Mais l'action est située en 2007, après la guerre mais avant l'officialisation de l'indépendance du Kosovo. Elles déchantent devant l'état de l'université (désertion de certains professeurs) et divergent sur la façon de s'en sortir. Un film un peu brouillon vu d'ici (où l'on connaît mal le contexte), mais sans concessions, hormis quelques figures un peu imposées dans les personnages secondaires.
BORDER LINE (Alejandro Rojas, Juan Sebastian Vasquez, 1er mai) LL
Un couple bi-national, elle espagnole, lui vénézuélien, a décidé de quitter l'Espagne pour s'installer aux Etats-Unis. Mais une fois arrivés à l'aéroport de New York, ils vont subir, ensemble puis séparément, un interrogatoire de plus en plus intrusif... C'est tout ? Presque. Le film est concis, il dure moins d'une heure vingt, et n'aurait pas forcément tenu une distance plus longue. Sans impressionner excessivement, l'exercice de style est tenu, l'impression de huis clos étant renforcée par des plans rapprochés assez oppressifs pour les personnages dont on scrute les inflexions psychologiques.
LE TABLEAU VOLE (Pascal Bonitzer, 1er mai) LL
Le titre pourrait induire en erreur, car il s'agit plus précisément d'un tableau spolié par les nazis, dont ils se sont séparés en échange de services. Cette toile d'Egon Schiele est retrouvée par hasard au domicile de Martin, un jeune travailleur de nuit. Le film est une sorte de comédie, très sardonique, sur le marché de l'art et les manigances des très riches. Dans le rôle principal d'un commissaire-priseur, Alex Lutz est redoutable, mais le reste de la distribution assure également (Louise Chevillotte en jeune stagiaire menteuse, mais aussi Léa Drucker ou Nora Hamzawi). En filigrane, on rencontre un mépris de classe et un racisme décomplexé au sein de la haute. Bonitzer scénariste trouve un regain d'inspiration, même si la forme est à la traîne...
LE DESERTEUR (Dani Rosenberg, 24 avr) LL
Un jeune soldat israélien de 18 ans, envoyé à Gaza, déserte, surtout pour pouvoir continuer à fréquenter sa fiancée, restée à Tel Aviv. Est-il un refuznik par amour ? Mais l'acte n'est pas sans conséquences... Si le film ne brille pas particulièrement par sa forme, qui ne lésine pas sur des effets un peu faciles, le fond est très courageux, qui montre l'absurdité d'une société militarisée à l'extrême et d'un régime qui n'assure pas la sécurité de son propre peuple en refusant de consentir à une paix juste et durable, nécessairement à l'opposée de l'idéologie colonialiste.
IL PLEUT DANS LA MAISON (Paloma Sermon-Daï, 3 avr) LL
Premier long métrage de fiction d'une jeune réalisatrice déjà remarquée dans le domaine du documentaire, le film observe le temps d'un été caniculaire une jeune fille d'à peine 18 ans et son frère de 15 ans, plus ou moins livrés à eux-mêmes via les absences répétées de leur mère. L'atout principal du film réside dans les deux jeunes interprètes, frère et soeur également dans la vraie vie, et dont les personnages de fiction portent les mêmes prénoms qu'eux. Le résultat se veut davantage une peinture naturaliste (donc un peu stylisée) plutôt que réaliste, il est néanmoins assez modeste par rapport au relief de ses modèles.
LE DEUXIEME ACTE (Quentin Dupieux, 15 mai) LL
Tournage compliqué avec des acteurs blasés qui s'interrogent un instant sur la vanité de leur art, à l'heure des grandes catastrophes mondiales probables comme de la prétendue "cancel culture". Une comédie qui se veut "méta" (réflexion du cinéma sur lui-même), en captant l'air du temps, la dérision affichée permettant de ne pas prendre position tout en s'affichant caustique. Pendant la projection, l'incertitude sur le statut de certains dialogues maintient l'éveil, tout comme l'intervention d'une intelligence artificielle, mais la roublardise avec laquelle Dupieux traite son public pourrait finir par se retourner contre lui.
UN HOMME EN FUITE (Baptiste Debraux, 8 mai) LL
Deux personnages reviennent sur les lieux de leur enfance, espérant retrouver un certain homme en fuite. L'intrigue de ce premier long métrage s'insère dans un territoire miné par le chômage. La photographie, minérale ou embrumée, est assez soignée, tout comme la musique signée par les musiciens de Feu Chatterton. L'ensemble fait néanmoins un peu trop souvent penser à ces polars télévisuels régionaux convenus fonctionnant à coups de flash-back sur le passé des protagonistes.
- Bien : Los Delincuentes (Rodrigo Moreno), Averroès et Rosa Parks (Nicolas Philibert), Les Carnets de Siegfried (Terence Davies), Une famille (Christine Angot), La Mère de tous les mensonges (Asmae El Moudir), Daaaaaali ! (Quentin Dupieux), Bye Bye Tibériade (Lina Soualem), Blue Giant (Yuzuru Tachikawa), La Nouvelle femme (Léa Todorov)
- Pas mal : L'Empire (Bruno Dumont), Walk up (Hong Sang-soo), La Salle des profs (Ilker Catak), Sans jamais nous connaître (Andrew Haigh), Eureka (Lisandro Alonso)
- Bof : La Jeune fille et les paysans (DK et Hugh Welchman)
LOS DELINCUENTES (Rodrigo Moreno, 27 mar) LLL
Moran, le trésorier d'une banque de Buenos Aires, s'arrange pour voler 650000 dollars à son travail. Il confie l'argent à un collègue, Roman. Le plan est le suivant : Moran se rend quelques jours plus tard, purge sa peine, et à la sortie de prison, les deux comparses récupèrent le magot, et n'auraient plus besoin de travailler. Le but du casse ne serait donc pas de faire fortune, mais de gagner du temps libre. Mais tout n'est pas si simple... Il ne faut pas avoir peur de la durée du film (environ 3h), scindé en deux parties, et qui mêle plusieurs genres. On se plonge avec délice dans le romanesque des situations et les caractères haut en couleur de tous les personnages. La plupart des interprètes sont inconnus chez nous, à part Laura Paredes qui joue la cadre des assurances qui conduit l'enquête interne à la banque, et qui était déjà au coeur des remarquables La Flor et Trenque Lauquen, du collectif El Pampero Cine (dont Rodrigo Moreno ne fait pas partie). Au fil de tous les développements, on découvre un film d'inspiration plutôt libertaire (mais au sens antilibéral du terme).
AVERROES ET ROSA PARKS (Nicolas Philibert, 20 mar) LLL
Avec ce film, Nicolas Philibert prolonge le travail entrepris avec Sur l'Adamant. Les lieux sont plus austères, mais le documentaire est surtout composé de séances d'entretien entre soigneurs et soignés. Même si la question est un peu abordée lors d'une réunion, le cinéaste ne tranche pas le débat sur l'utilité des institutions psychiatriques et de leurs formes. En revanche, il continue à réintégrer dans une pleine humanité les patients (dont quelques figures déjà croisées sur l'Adamant) qui constituent l'âme du film. Et par suite on peut s'interroger, dans le prolongement des réflexions des militants et militantes intersectionnelles actuelles, sur le caractère "validiste" de nos sociétés contemporaines, en voyant ces êtres si humains mais qui ne pourraient pas satisfaire les exigences capitalistes et s'insérer dans une compétition économique toujours plus rapide et intense (au grand dam des rapports sociaux et des milieux naturels).
LES CARNETS DE SIEGFRIED (Terence Davies, 6 mar) LLL
Le style de Terence Davies, éloigné de toute emphase, pourra être jugé froid par certains néophytes, il n'en reste pas moins que le film est émouvant, à sa façon. Inutile d'être un spécialiste de Siegfried Sassoon pour apprécier ce film. Il s'agit de l'histoire de ce poète qui a traversé le XXè siècle. Son expérience de la Première guerre mondiale le rend résolument pacifiste, alors qu'il s'exprime déjà d'une position minoritaire du fait de son identité sexuelle (homosexuelle). On peut aussi le voir comme une autobiographie déguisée du cinéaste lui-même qui s'autorise, avec son grand âge, des effets détonants comme le morphing, avec un résultat pour une fois convaincant. Un privilège de l'âge qu'on a déjà remarqué chez Oliveira ou Erice. Le film dépasse cependant son sujet, en tirant le portrait complexe d'un artiste doué, mais jaloux du (et hanté par le) talent d'un autre poète, fauché prématurément.
UNE FAMILLE (Christine Angot, 20 mar) LLL
Je n'ai jamais été un grand admirateur du personnage public, mais en revanche l'histoire personnelle de Christine Angot m'a toujours touchée, particulièrement depuis Un amour impossible, l'adaptation du roman éponyme d'Angot par Catherine Corsini. Désormais, l'écrivaine a décidé que les mots écrits ne suffisaient plus. Avec la complicité de la chef opératrice Caroline Champetier, elle a décidé de se confronter à divers membres de sa famille, afin de faire voler les non-dits. Elle commence par imposer à la veuve de son père incestueux (qui n'est pas sa mère biologique) une discussion à bâtons rompus. Si l'expression orale constitue une thérapie pour Christine Angot, sa démarche cinématographique se veut utile pour elle-même mais aussi pour tous et toutes les autres, à l'instar des ondes de choc provoquées par les livres de Camille Kouchner ou Vanessa Springora, et montre également les conséquences des crimes de son père sur les autres membres de la famille.
LA MERE DE TOUS LES MENSONGES (Asmae El Moudir, 28 fév) LLL
La jeune réalisatrice Asmae El Moudir, constatant l'absence de photos de famille, et se cognant au mutisme de sa grand-mère, imagine un dispositif pour délier les langues : réaliser, avec la complicité de son père, des maquettes de son ancien quartier, et de l'immeuble dans lequel elle a grandi. La démarche semble s'inscrire dans le sillage de L'Image manquante, le bien nommé documentaire de Rithy Panh (sur une toute autre tragédie). Ici, les tabous plus ou moins levés de la mémoire familiale permettent de jeter une lumière sur un épisode oublié de l'histoire du pays, la dure répression des "émeutes du pain", en 1981, par les autorités de l'époque.
DAAAAAALI ! (Quentin Dupieux, 7 fév) LLL
Il ne s'agit pas d'un biopic sur le célèbre artiste, plutôt réduit ici au personnage public un peu mégalomaniaque qu'il était devenu vers la fin de sa vie. De mon point de vue, il ne s'agit pas non plus d'un film surréaliste, au sens plein du terme. Non, ici on est plutôt dans le registre de l'absurde. Ce qui est certes déjà le cas d'un certain nombre de films de Dupieux, mais néanmoins il ne se répète pas. Plus que la multiplicité aléatoire des interprètes de Dali (qui justifient le titre), les réjouissances peuvent provenir de n'importe quelle caractéristique, d'une traversée de couloir d'hôtel qui n'en finit pas à certains récits gigognes (que je vous laisse découvrir).
BYE BYE TIBERIADE (Lina Soualem, 21 fév) LLL
Décidément, les documentaires familiaux sont peut-être les moins nombrilistes qui soient. Comme Mariana Otero ( Histoire d'un secret) ou Eric Caravaca ( Carré 35), Lina Soualem, qui est la première femme de sa famille à être née hors de Palestine, cherche auprès des générations précédentes, et en particulier de sa mère l'actrice Hiam Abbass, à interroger la transmission comme les histoires plus ou moins tues. Un moyen aussi d'évoquer pudiquement, avec des moyens très simples, la grande Histoire (et, involontairement, ses tragiques prolongements au présent).
BLUE GIANT (Yuzuru Tachikawa, 6 mar) LLL
Il ne faut certes pas forcément aller voir ce film pour le scénario ou le style graphique des personnages et des décors, qui ne sont pas d'une folle originalité (et transposés d'une série de mangas). Mais les sessions musicales emportent tout, tant le dessin met en relief la virtuosité de chaque instrument(iste). Il est plaisant que cette virtuosité ne s'accompagne pas de l'humiliation ou l'écrasement de concurrents (ça nous change d'autres films). En tout cas, si on y est sensible, on ressort en apesanteur, sans trop se rappeler si on sort d'une salle de cinéma ou d'un concert... De ce point de vue, la pianiste et compositrice Hiromi Uheara peut être considérée comme la coautrice du film, au même titre que le réalisateur Yuzuru Tachikawa.
LA NOUVELLE FEMME (Léa Todorov, 13 mar) LLL
Au début du XXè siècle, Maria Montessori rencontre une femme française qui veut lui confier l'éducation de son enfant, qui a un handicap mental, et qu'elle n'arrive pas vraiment à aimer. Si le film remonte aux origines des préoccupations pédagogiques de Maria Montessori, il ne dit rien de son approche : on "apprend" que pour faire progresser un enfant, il faut l'aimer (ce qui n'est pas très spécifique). La seule incartade au moule éducatif unique est le bilinguisme de la pédagogue, qui respecte la langue natale de chaque enfant. En revanche, le film passionne beaucoup plus par le fil féministe qu'il parvient à tisser. Sans jamais tomber dans la performance, Jasmine Trinca et Leïla Bekhti, toujours justes, apportent de la profondeur ou de l'inattendu à chaque inflexion de leur jeu.
L'EMPIRE (Bruno Dumont, 21 fév) LL
De prime abord, à l'instar de la bande annonce du film, Bruno Dumont livre une transposition pastiche d'un space opera façon Star Wars dans l'univers des classes populaires du Pas-de-Calais. On retrouve également le duo de gendarmes ahuris qui égayait la série P'tit Quinquin et sa suite. Les dialogues qui dissertent sur les qualités et défauts de l'espèce humaine créent un décalage au départ drôlatique, tout comme le soin apporté aux effets spéciaux et aux décors. Mais au service de quoi sont mobilisées ces audaces formelles ? C'est là que le film peut décevoir, tant Bruno Dumont semble mobiliser un imaginaire binaire (explicitement les forces du "1" et celles du "0"), plus manichéen que son modèle.
WALK UP (Hong Sang-soo, 21 fév) LL
A première vue, on peut s'interroger sur l'utilité de ce nouveau film de Hong Sang-soo, qui met en scène un énième personnage de cinéaste indépendant en proie au doute, soucieux de transmettre, et enclin à chercher une vérité (ou quoi que ce soit d'autre) dans l'alcool. L'étonnement vient d'ellipses qui s'invitent sans crier gare à la fin d'un plan, sans qu'on s'en aperçoive d'emblée. L'évolution de l'immeuble dans lequel s'est installé le personnage principal (interprété par le fidèle Kwon Hae-hyo) devient une métaphore de l'évolution de ce personnage et du temps qui passe. Tout en creusant toujours un peu le même sillon, et d'une manière extrêmement minimaliste, Hong Sang-soo continue de surprendre (un peu).
LA SALLE DES PROFS (Ilker Catak, 6 mar) LL
Des vols sont commis dans un collège. Pour ne pas laisser accuser à tort des élèves, une professeure laisse sa webcam allumée, et s'aperçoit qu'une personne qui a le même chemisier que la secrétaire a fouillé dans son portefeuille. A partir de là, la situation dégénère. Si, à froid, le film peut s'interpréter comme une allégorie de la dangerosité des idéologies sécuritaires dites de "tolérance zéro", le film fonctionne à chaud plutôt comme un piège pour l'héroïne, bien que paradoxalement la moins disposée à tomber dans ces travers. Les contradictions du personnage, c'est très bien. L'ambiguïté de la mise en scène, en revanche, ça l'est beaucoup moins.
SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE (Andrew Haigh, 14 fév) LL
Adam, un scénariste, vit seul à Londres dans un immeuble en partie vide. Un soir il rencontre un de ses rares voisins. En revenant en balade vers la maison de son enfance, il voit qu'elle est occupée... par ses parents, morts accidentellement des années auparavant, lorsqu'il était adolescent. Cette prémisse pourrait laisser penser à celle d'un film de genre. Il s'agit plutôt d'un mélodrame psychologique adapté d'un roman japonais ( Présences d'un été). Adam est interprété par Andrew Scott, qui apporte beaucoup de nuances à un film parfois un peu trop répétitif, et où les dialogues sont un peu trop basiques.
EUREKA (Lisandro Alonso, 28 fév) LL
Dans le segment central du film, on suit Alaina, une policière amérindienne officiant dans une réserve du Dakota du Sud, marquée par l'isolement, la pauvreté et même de rudes conditions météorologiques, ainsi que Sadie, sa jeune nièce, qui entraîne l'équipe de basket-ball du lycée et rend visite à son frère emprisonné. Dans le segment précédent, on avait vu le western en noir et blanc qu'elles regardaient à la télé sans se sentir représentées. Le dernier mouvement du film nous transporte (on vous laisse découvrir comment) dans une forêt amazonienne brésilienne dans les années 1970. Le film est limpide, sa réception dépend donc de comment on le ressent. Si l'audace de certains éléments peut séduire, il faut reconnaître que le résultat est poseur, voire très lent (même si un personnage affirme que le temps est une fiction créée par les hommes).
LA JEUNE FILLE ET LES PAYSANS (DK et Hugh Welchman, 20 mar) L
Le film combine deux techniques d'animation : la rotoscopie (comme dans Aloïs Nebel), images décalquées de prises de vue avec des interprètes réels, et la peinture animée, comme dans les courts et longs métrages de Florence Miailhe ( La Traversée). Le résultat se voudrait esthétique, il est plutôt esthétisant, avec des images parfois trop proches du trompe-l'oeil pour convaincre. L'histoire de cette jeune fille dans la Pologne du XIXè siècle est édifiante, quoique convenue, mais le fond comme la forme auraient eu besoin de davantage de subtilité.
- Bien : La Grâce (Ilya Povolotsky), They shot the piano player (Fernando Trueba, Javier Mariscal), L'Homme d'argile (Anaïs Tellenne), A man (Kei Ishikawa), La Ferme des Bertrand (Gilles Perret), Pauvres créatures (Yorgos Lanthimos)
- Pas mal : La Tête froide (Stéphane Marchetti), Priscilla (Sofia Coppola), May December (Todd Haynes), 20000 espèces d'abeilles (Estibaliz Urresola Solaguren), L'Etoile filante (Dominique Abel, Fiona Gordon), Un silence (Joachim Lafosse)
- Bof : La Bête (Bertrand Bonello)
- Hélas : La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer)
LA GRÂCE (Ilya Povolotsky, 24 jan) LLL
Au moyen d'un van aménagé, un père et sa fille de quinze ans sillonnent la Russie occidentale, du sud au nord. Pourquoi ? On n'éventera pas les secrets ici, le récit étant plus ou moins bâti sur la rétention d'informations, distillant les éléments au compte-gouttes. On découvrira ainsi comment ils gagnent leur vie, ou quel est l'objet de leur périple. Mais la grande force du film, c'est sa mise en scène. Elle est à la fois naturaliste, concrète, mais aussi teintée de mélancolie ou même de métaphysique. A plusieurs reprises, des panoramiques abandonnent les personnages, avant que ceux-ci ne réapparaissent dans le champ, à la fin du mouvement d'appareil. C'est emblématique du grand sens de l'espace et du cadre avec lequel le cinéaste laisse surgir les coins reculés traversés, tout en s'intéressant à la vérité intérieure de nos deux itinérants.
THEY SHOT THE PIANO PLAYER (Fernando Trueba, Javier Mariscal, 31 jan) LLL
Il s'agit d'un documentaire animé, hybridation de genre dont Valse avec Bachir (Ari Folman) a été un précurseur. Il fait revivre les années 1960, lorsque la bossa nova naissante faisait la noce avec le jazz. C'est aussi une enquête contemporaine du journaliste américain Jeff Harris autour de la disparition de Tenorio Junior, un pianiste brésilien, instrumentiste et compositeur surdoué, à Buenos Aires en 1976. Il rencontre du beau monde (Gilberto Gil, Caetano Veloso et autres orfèvres), ainsi que des proches ou des membres de la famille du disparu. La petite histoire, qui rejoint la grande (celle, tragique, de l'Amérique latine), émeut, bien servie il est vrai par le style très roman graphique des dessins, particulièrement bien adapté, tandis que les sessions musicales, un régal pour les oreilles, enthousiasment.
L'HOMME D'ARGILE (Anaïs Tellenne, 24 jan) LLL
Raphaël (Raphaël Thiéry), la cinquantaine bien tassée, vit avec sa mère dans un petit pavillon à l'entrée d'un domaine dont il est le gardien. Il est aussi l'ami de la factrice du coin (Marie-Christine Orry, formidable second rôle). La vie de ce colosse rustique, qui a perdu l'usage d'un oeil, va changer lorsque Garance (Emmanuelle Devos), l'héritière du château et artiste contemporaine reconnue, débarque lors d'une nuit d'orage... On est frappé par la singularité de ce conte, paradoxalement lyrique et sobre à la fois. Il échange sans ostentation les rôles genrés d'artiste et de muse. L'étrangeté discrète de ce premier long métrage, maîtrisé au niveau de l'image comme du son, et qui avance sans enfiler les points de passage obligés, rend d'autant plus fascinantes les paroxystiques vingt dernières minutes.
A MAN (Kei Ishikawa, 31 jan) LLL
Rie, mère célibataire d'un petit garçon, est propriétaire d'une petite papeterie. Elle y recontre Daisuke, un client venu lui acheter de quoi dessiner. Ils nouent une relation. Ellipse. On les retrouve mariés quelques années plus tard. Daisuke est bûcheron, et trouve la mort dans l'exercice de ses fonctions. Plus tard, Rie s'aperçoit qu'il n'était pas celui qu'il prétendait être, et engage un ami avocat, Kido, pour en savoir plus. Il s'agit d'un drame profond et trouble autour de la notion d'identité et de quête de soi, au sein d'une société pas forcément très ouverte. Les interprètes (dont Sakura Andô, déjà appréciée dans L'Innocence de Kore-Eda) sont dirigés avec finesse à l'intérieur d'une mise en scène posée, dont le regard évolue au fil de mini-coups de théâtre (la toute fin étant davantage un clin d'oeil psychologique qu'un twist de dernière minute).
LA FERME DES BERTRAND (Gilles Perret, 31 jan) LLL
Récemment, les documentaires sur l'agriculture ont essayé de donner une vue d'ensemble d'exploitations de diverses tailles ( Il a plu sur le grand paysage de Jean-Jacques Andrien) ou de proposer une lecture très analytique voire systémique ( Le Temps des grâces de Dominique Marchais). Le film de Gilles Perret a pour particularité de s'intéresser à une seule ferme et d'inclure en son sein d'autres images qu'il avait tournées 25 ans plus tôt au même endroit [bizarrement la texture des images est restée la même], et quelques fragments d'un documentaire tourné en 1971 par Marcel Trillat. Ce regard sur le temps long (et sur la transmission, les conditions de travail etc) n'est pas pour rien dans l'émotion suscitée. Et, en filigrane, on voit que ces producteurs laitiers ont résisté à la course à l'agrandissement, grâce à un prix plus avantageux lié au label AOP du reblochon. Comme quoi les normes de qualité ne sont pas forcément les ennemies des agriculteurs.
PAUVRES CREATURES (Yorgos Lanthimos, 17 jan) LLL
Bella est une jeune femme qui a le cerveau d'un nourrisson (on apprendra assez vite pourquoi). Le film nous propose de suivre son parcours et son évolution... Le nouveau long métrage de Yorgos Lanthimos est peut-être celui où sa provocation paraît la moins gratuite. Certains y ont vu un film féministe. Dans la mesure où l'expérience sociale de Bella n'est pas ordinaire, c'est vite dit. En revanche le sujet peut évoquer La Fiancée de Frankenstein, grand classique du début du parlant signé James Whale. Les décors et l'aspect visuel rétrofuturiste ou steampunk sont très inspirés (même s'ils ne font pas dans la demi-mesure), et Emma Stone se risque à des zones de jeu inhabituelles pour une star hollywoodienne de son acabit.
LA TÊTE FROIDE (Stéphane Marchetti, 17 jan) LL
Marie vit seule dans un mobil-home, a du mal à joindre les deux bouts, et fait de la contrebande de cigarettes pour boucler ses fins de mois. Son amant, policier, l'aide à éviter les contrôles à la douane franco-italienne. Un jour, elle rencontre Souleymane qui la supplie de le prendre en stop et lui faire passer la frontière. Et si aider les gens pouvait lui apporter un bénéfice ? Premier long métrage de fiction de Stéphane Marchetti, venu du documentaire. La réalisation est parfois hésitante, mais le film bénéficie d'un sérieux atout : Florence Loret-Caille, qui apporte de l'humanité et des nuances à un rôle abordé de façon plus complexe qu'il n'y paraît.
PRISCILLA (Sofia Coppola, 3 jan) LL
Un biopic sur la relation qui a uni Priscilla, de ses 14 ans à ses 28 ans, à Elvis Presley. Une histoire d'emprise qui fait contrepoint au récent film de Baz Luhrman ( Elvis), qui montrait la rock star elle-même sous influence de son producteur. Pour le rôle titre, Cailee Spaeny a reçu le prix d'interprétation à Venise. La mise en scène de Sofia Coppola ne surprendra personne, elle est élégante, et on y trouve des échos de ses premiers films. On peut néanmoins s'interroger si cela fait sens de filmer tous ses films de la même façon, et de préférer un effet de signature plutôt qu'une adéquation à la singularité du sujet.
MAY DECEMBER (Todd Haynes, 24 jan) LL
Le titre est une métaphore de la différence d'âge qui sépare Gracie et Joe, qui avait seulement 13 ans quand il noua une relation avec la première, plus de vingt ans son aînée. Plusieurs décennies plus tard, le couple a perduré, a eu des enfants, et Elizabeth, une jeune actrice célèbre, vient à leur rencontre pendant plusieurs jours, afin de se préparer à jouer Gracie, au début de son histoire... Sur le papier, le nouveau film de Todd Haynes semblait prometteur. Si les deux actrices principales suivent des partitions très complexes, le résultat est un petit peu plus mitigé. Il s'agit d'un cinéma de recherche qui ne trouve pas toujours, à l'instar de la réutilisation, pas toujours convaincante, de la musique que Michel Legrand avait composée pour Le Messager (un tout autre univers).
20000 ESPECES D'ABEILLES (Estibaliz Urresola Solaguren, 14 fév) LL
Ane, mère de famille en plein doute conjugal et professionnel, profite des vacances pour quitter Bayonne et se rendre avec ses trois enfants au Pays basque espagnol où elle retrouve sa mère et sa tante, apicultrice. L'enfant le plus jeune, Coco, huit ans, s'interroge également sur son identité, rejetant son assignation à être un garçon. S'il comporte quelques métaphores un peu trop ostensibles, le premier long métrage de la réalisatrice Estibaliz Urresola Solaguren évoque la transidentité enfantine avec le sens de la nuance et de l'écoute. Dommage qu'il s'éparpille un peu : il a en effet l'inconvénient de passer après le très ramassé et très réussi Tomboy de Céline Sciamma.
L'ETOILE FILANTE (Dominique Abel, Fiona Gordon, 31 jan) LL
Cinquième long métrange du réjouissant duo Abel & Gordon ( L'Iceberg, Rumba), héritiers belges très atypiques de Chaplin, Keaton, Etaix ou Kaurismaki. Certes on retrouve ici avec plaisir leur sens du burlesque. Mais le tortueux et ambitieux scénario, qui convoque une histoire de sosie, et qui pousse le bouchon politique plus loin qu'à l'accoutumée, ne fonctionne cette fois-ci pas très bien avec leur style, qui nécessite davantage de simplicité, puisqu'ils ont l'habitude de pousser une action jusqu'à son terme dans le même plan. Le résultat est en-deça des réussites passées, même si on y trouve encore quelques réjouissances.
UN SILENCE (Joachim Lafosse, 10 jan) LL
Inspiré par un fait divers, le film évoque l'histoire d'un avocat qui défend des victimes d'actes pédophiles, mais qui visionne lui-même sur son ordinateur des vidéos pédopornographiques. Le silence est celui de son épouse, le véritable personnage principal du film (Emmanuelle Devos livre une composition concrète mais aussi ambigüe voire insondable), mais la jeune génération ne l'entend pas de cette oreille. Dommage que Joachim Lafosse n'ait pas su transcender ces ingrédients et nous laisse une mise en scène sans grand relief, loin de ses réussites passées ( A perdre la raison, Les Intranquilles).
LA BÊTE (Bertrand Bonello, 7 fév) L
Le récit est diffracté en trois époques, le début du XXè siècle à Paris, 2014 à Los Angeles, 2044 à nouveau à Paris. Au centre, le même personnage, Gabrielle (Léa Seydoux), et un curieux ami, Louis. A chaque fois apparaît à Gabrielle le pressentiment d'une catastrophe imminente. Le film est lointainement inspiré d'une nouvelle d'Henry James, publiée en 1903, La Bête dans la jungle. Au niveau formel il est très lynchéen, et on ne peut dénier les talents employés par le film, mais à quel service est dévolue cette sophistication froide ? L'absence totale d'affects semble contaminer la caméra, ce qui alourdit l'ensemble, difficile à digérer...
LA ZONE D'INTERET (Jonathan Glazer, 31 jan) 0
Auschwitz comme si vous n'y étiez pas. L'horreur absolue réduite à un bruit de fond, et à quelques éléments épars ostensiblement montrés. A peine moins pire dans la maladresse que l'option inverse de la reconstitution calamiteuse des camps dans le biopic d'Olivier Dahan sur Simone Veil. Comme si la banalité du Mal désignait d'abord le micro-climat de la vie de famille d'un tortionnaire nazi, plutôt que le fait que beaucoup de personnes ont participé à engendrer ce Mal, même à un petit niveau (ce que montrait davantage La Passagère d'Andrzej Munk et Witold Lesiewicz, restauré l'an dernier et qui vient d'être disponible en DVD). La musique vocale concrète qui accompagne le générique final résume l'abjection du film : s'arroger le droit de faire un art prétendument conceptuel avec une telle réalité.
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Il n'y a pas que le ciné dans la vie
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