- Bien : Nino (Pauline Loquès), Sirât (Oliver Laxe), Put your soul on your hand and walk (Sepideh Farsi), En première ligne (Petra Volpine), Lumière pâle sur les collines (Kei Ishikawa), La Petite dernière (Hafsia Herzi), Chroniques d'Haïfa (Scandar Copti), La Femme qui en savait trop (Nader Saeivar), Classe moyenne (Antony Cordier)
- Pas mal : Un simple accident (Jafar Panahi), Nos jours sauvages (Vasilis Kekato), Connemara (Alex Lutz), Renoir (Chie Hawakawa), Meteors (Hubert Charuel, Claude Le Pape), Oui (Nadav Lapid), La Femme la plus riche du monde (Thierry Klifa), L'Intérêt d'Adam (Laura Wandel), Nouvelle vague (Richard Linklater), Une bataille après l'autre (Paul Thomas Anderson)
- Bof : Soundtrack to a Coup d'Etat (Johan Grimonprez)
NINO (Pauline Loquès, 17 sep) LLL
Sans y avoir été préparé, Nino apprend qu'il est atteint d'un cancer, et qu'il doit commencer un traitement trois jours plus tard. Son vingt-neuvième anniversaire tombe dans l'intervalle. Un concours de circonstances l'amène également à passer ces quelques jours hors de chez lui... Sur le papier, il aurait pu s'agir d'un drame banal, mais, pour son premier long métrage, Pauline Loquès nous offre un petit miracle cinématographique. Certains commentaires ont pensé à Cléo de 5 à 7 (autre histoire d'inquiétude médicale sur un temps resserré). Mais la réalisatrice, au lieu de s'inspirer de l'inimitable, nous propose autre chose : un très beau portrait de jeune homme (Théodore Pellerin), à travers une suite de scènes inattendues. On en apprend sur lui au même rythme qu'il en apprend sur lui-même, au fil de ses interactions avec les autres. On sent la cinéaste pleine de tendresse pour tous les personnages, et cette absence rare de cynisme donne son cachet à ce coup d'essai, non dénué d'humour, extrêmement prometteur.
SIRÂT (Oliver Laxe, 10 sep) LLL
Au coeur du désert marocain, Luis, accompagné de son jeune fils Esteban, rejoint une rave party, dans l'espoir de retrouver sa fille aînée qui a disparu quelques mois plus tôt. Puis ils suivent un noyau dur de raveurs vers un autre rassemblement clandestin, alors que la radio informe de la militarisation croissante du monde... Le film est donc une épopée sensorielle, entre le son des musiques électroniques et les paysages arides des montagnes et des pistes périlleuses. Un périple à la Werner Herzog ( Aguirre, la colère de Dieu et Fitzcarraldo), mais avec également des coups de théâtre inouïs. Un film choc, mais dont le sens n'est pas très explicite. Peut-être une ode à des liens de solidarité solides à l'écart des puissants, malgré les menaces de chaos, en recherchant la dignité du présent plutôt qu'un vague flottement sans grâce (pour paraphraser une talentueuse autrice écosocialiste).
PUT YOUR SOUL ON YOUR HAND AND WALK (Sepideh Farsi, 24 sep) LLL
Documentaire qui a enfin fait bouger (un peu) les lignes au sein du gratin du cinéma mondial, grâce à sa sélection dans la section parallèle de l'Acid au Festival de Cannes, et dont la principale protagoniste, la photographe palestinienne Fatima (Fatem) Hassona a été assassinée avant l'ouverture cannoise. L'essentiel du film est constitué de conversations en visio entre la réalisatrice iranienne exilée de longue date en France et la jeune femme, qui malgré son courageux sourire porte une voix palestinienne forte (celle qui est proscrite de nos médias mainstream totalement biaisés), mais également par les photographies qu'elle a prises elle-même et qui témoigne de ce que Israël veut effacer. Certains des aspects relatés sont d'autant plus crédibles qu'ils ont aussi été montrés dans des courts-métrages de l'œuvre collective From Ground Zero sortie discrètement en début d'année.
EN PREMIERE LIGNE (Petra Volpine, 27 aou) LLL
Il y a presque unité de lieu et d'action dans cette fiction qui suit 24 heures de la journée d'une infirmière dans un hôpital de la Suisse alémanique. Le film traite des difficultés quotidiennes rencontrées dans cette structure en sous-effectif chronique, résultat quasi universel des politiques néolibérales. Mais il ne fait pas qu'illustrer ce sujet de société. C'est d'une part un portrait de femme singulière, peut-être parce qu'elle est incarnée par la grande actrice allemande Leonie Benesch, bien que dans l'humilité de sa fonction. Et d'autre part une sorte de film choral, parce que chaque patient.e porte sa propre part de fiction. Dramatisée en crescendo, cette chronique hospitalière, presque un genre en soi, se hisse un peu au-dessus des autres, et restera dans nos mémoires.
LUMIERE PÂLE SUR LES COLLINES (Kei Ishikawa, 15 oct) LLL
Adaptation du premier roman d'un futur prix Nobel de littérature (Kazuo Ishiguro), le récit est fragmenté entre deux périodes de la vie d'une même femme, Etsuko, d'une part en 1952 à Nagasaki, d'autre part en 1982 lorsque, dans la campagne britannique où elle est installée, elle reçoit la visite de sa fille, qui a des velléités d'écriture sur la jeunesse de sa mère. Non seulement le romanesque naît des scènes qui nous sont présentées dans les deux époques, la première surtout, avec l'importance du contexte historique. Mais aussi des trous, de ce qui n'est pas montré ni même dit, sauf à demi mot, de ce qui s'est passé dans l'intervalle... C'est aussi un film sur la complexité de la mémoire. Après A man, Kei Ishikawa confirme également qu'il aime les puzzles, mystérieux malgré leur écrin de lumière, dans lequel certaines pièces ne s'emboîtent pas exactement...
LA PETITE DERNIERE (Hafsia Herzi, 22 oct) LLL
La petite dernière en question, c'est Fatima, une jeune fille de 17 ans, bonne élève qui va partir en fac de philosophie à Paris. Croyante musulmane, elle se découvre lesbienne. En adaptant le roman de Fatima Daas, Hafsia Herzi, dont c'est le troisième long métrage en tant que réalisatrice, semble faire preuve d'une audace tranquille (qui serait doublement "communautariste" selon la pensée-étiquette d'un éphémère premier ministre français). Pourtant, aucune provocation dans ce film, qui ne s'appuie pas sur des rebondissements scénaristiques marqués, mais plutôt sur de longues séquences, certes parfois découpées en champ-contrechamp, mais qui laissent le temps aux personnages de vivre, de se comprendre, sans suivre forcément une ligne toute tracée. Pour le rôle-titre, Nadia Melliti a obtenu à Cannes un prix d'interprétation féminine mérité.
CHRONIQUES D'HAÏFA (Scandar Copti, 3 sep) LLL
Le film semble suivre au départ la vie sentimentale compliquée de deux jeunes adultes d'une famille palestinienne de Haïfa. Rami, le frère, apprend la grossesse de sa petite amie juive, et essaie de la convaincre d'avorter. Fifi, la soeur étudiante, a eu un accident de la route et souhaite dissimuler son dossier médical. Et la situation financière de leur père n'est pas florissante. Scandar Copti suggère les superstructures auxquelles sont confrontés les personnages : racisme systémique de certaines institutions sionistes (une scène révèle l'enrôlement des enfants dès la maternelle, comme le montraient déjà certains documentaires d'Avi Mograbi), structures patriarcales de part et d'autre, intériorisées par les mères. Mais il le fait avec beaucoup de finesse : le montage nous propose de revoir certaines scènes, déjà vues, sous un autre angle qui leur donne une signification nouvelle, ou supplémentaire.
LA FEMME QUI EN SAVAIT TROP (Nader Saeivar, 27 aou) LLL
Coécrit avec Jafar Panahi, et un peu comme Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof, le film témoigne du fonctionnement de la société iranienne et de ses institutions en observant ce qui se passe dans les rapports intrafamiliaux entre Tarlan, une professeur de danse à la retraite, son fils emprisonné après la faillite de son commerce, ou Zara sa fille adoptive qui semble battue par son mari, un homme proche du pouvoir. Le titre suggère un suspense à la Hitchcock mais, malgré les faux-semblants, on comprend rapidement ce qu'il en est du crime au coeur de l'intrigue. L'un des intérêts du film réside dans le fait de montrer que le mouvement "Femme, vie, liberté" atteint toutes les générations. Et la séquence finale, grâce à la mise en scène, atteint une belle puissance métaphorique.
CLASSE MOYENNE (Antony Cordier, 24 sep) LLL
Antony Cordier semble changer de type d'humour à chaque nouveau projet, même si la satire sociale semble y prendre plus de place. Gaspard au mariage était une comédie décalée sur l'entrée dans l'âge adulte, la série Ovni(s), bien que fantastique, infusait de l'ironie dans la reconstitution historique. Ici, le titre est une sorte d'antiphrase : plusieurs décennies de politiques néolibérales ont mis à mal la fiction d'une moyennisation de la société. Le film s'inscrit un peu dans la lignée de Parasite : dans un même lieu (une résidence secondaire avec piscine) cohabitent un couple de grands bourgeois (un avocat d'affaires, une actrice en recherche d'une seconde carrière), et le couple de gardiens chargés d'entretenir la propriété toute l'année. L'humour est cinglant (y compris à travers le langage), même si le mordant attendu manque un peu de profondeur pour prétendre au vrai brûlot politique.
UN SIMPLE ACCIDENT (Jafar Panahi, 1er oct) LL
Jafar Panahi a reçu à Cannes la Palme d'or. Celle-ci semble récompenser l'ensemble des dernières oeuvres du cinéaste, tournées clandestinement, mais avec une audace et une malice folles. Ce miracle fonctionne toutefois moins dans ce nouvel opus, qui raconte l'histoire d'un ancien prisonnier politique qui croit reconnaître son tortionnaire. Il arrive à le capturer, et s'en va voir d'autres anciens prisonniers pour qu'ils confirment l'identité de cet homme, et discuter de ce qu'ils vont en faire. Pendant l'essentiel du film, l'ensemble des enjeux semble pris en charge par des dialogues trop didactiques, presque schématiques par rapport aux personnages hâtivement définis. L'ultime scène en rehausse néanmoins l'intérêt, qui justement ne passe plus par la parole mais par un travail sonore qui fait sens.
NOS JOURS SAUVAGES (Vasilis Kekato, 8 oct) LL
Dans la Grèce en crise d'après les politiques de la Troïka, Chloé revend à la sauvette, avec une copine, du maquillage volé. Cela ne plaît pas à son frère policier. Elle quitte le domicile familial, et tombe sur d'autres jeunes qui suivent une voie de traverse. Ils sillonnent le pays à bord de leur van, dans lequel ils lavent le linge de villageois dans la dèche. Leur esprit de solidarité et la nécessité de subvenir à leurs propres besoins les poussent à pratiquer d'autres activités la nuit venue... Le film prend donc la forme d'un road-movie dans les marges, moins halluciné que Sirât, avec des pleins et des déliés. La troupe est attachante, homogène, que l'on découvre par les yeux de Chloé (Daphné Patakia, en grande forme).
CONNEMARA (Alex Lutz, 10 sep) LL
Nouvelle tentative d'adaptation d'un roman de Nicolas Mathieu, après Leurs enfants après eux par les frères Boukherma. L'histoire d'Hélène, une cadre qui revient dans ses Vosges natales après un épuisement professionnel, et qui renoue avec Christophe, un amour de jeunesse et ancienne gloire de l'équipe de hockey d'Epinal. Il y a des maladresses, comme ce final en forme de clip au montage hyper-cut et désuet, d'autant plus qu'avec un peu trop d'ellipses la situation semble arriver comme un cheveu sur la soupe. Les séquences les plus réussies sont celles qui montrent la vie professionnelle d'Hélène, qui captent comme dans Corporate de Nicolas Silhol la toxicité de l'économie contemporaine, même si moins frontalement. Avec un jeu qui semble exprimer plein de contradictions dans une même scène ou un même plan, Mélanie Thierry enrichit le film en lui apportant beaucoup de nuances.
RENOIR (Chie Hayakawa, 10 sep) LL
Au milieu des années 1980, on suit Fuji, une fille de onze ans, dont on apprend par petites touches successives que son père est gravement malade et hospitalisé, et sa mère souvent absente. D'inspiration plus ou moins autobiographique, le film procède délicatement, par esquisses, et par le truchement du regard de sa jeune héroïne (Yui Suzuki, extraordinaire). Mais ce choix a son revers : peu de progression dramatique, direction artistique assez monochrome. Résultat estimable, mais sur un sujet relativement proche, on peut préférer Eté 93, magnifique coup d'essai de la cinéaste espagnole Carla Simon.
METEORS (Hubert Charuel, Claude Le Pape, 8 oct) LL
Huit ans après le mémorable Petit paysan, Hubert Charuel revient avec ce nouveau long métrage, coréalisé par Claude Le Pape. Sur le papier, il aborde de nombreuses thématiques : la débrouille dans des territoires délaissés par un modèle économique qui préfère développer les métropoles régionales, le travail saisonnier dans l'industrie nucléaire... Or ces thèmes sont très peu investis par le film, qui n'en fait rien de saillant. Paradoxalement, l'enjeu réside davantage dans une relation, atemporelle mais singulière, d'amitié entre deux jeunes hommes, de trajectoires dissemblables (Paul Kircher et la révélation Idir Azougli).
OUI (Nadav Lapid, 17 sep) LL
Un musicien et une danseuse, couple d'artistes israéliens en crise, sont prêts à lécher des dignitaires du régime pour gagner leur vie. Un jour, il est confié au premier une mission : composer un nouvel hymne national, de vengeance après les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023. Dans ses interviews, Nadav Lapid, en contradiction avec certains biais occidentaux, explique que la société israélienne est malade et ne reviendra pas à la raison de l'intérieur. Dommage que, dans son film, cette acceptation du génocide soit prise en charge par des personnages caricaturaux, plutôt qu'en montrant que ce sont les institutions sionistes qui façonnent la population ainsi, dans une logique séculaire d'effacement de la Palestine et des Palestiniens.
LA FEMME LA PLUS RICHE DU MONDE (Thierry Klifa, 29 oct) LL
Un photographe bonimenteur tente de tirer profit de la relation amicale qu'il noue avec la femme la plus riche du monde... Dans une vie antérieure, Thierry Klifa a été rédacteur au magazine Studio, qui accordait beaucoup de place aux films d'acteurs. Celui-ci en est un, et on peut trouver assez réjouissant le pas de deux entre Isabelle Huppert et Laurent Lafitte. Vu le sujet, on s'attend à une comédie satirique, or c'est là que le long métrage peut décevoir : cette production bien installée semble dépourvue de points de vue de mise en scène, ou simplement d'une observation sociale qui irait un peu au-delà de l'exotisme de personnages totalement hors sol.
L'INTERÊT D'ADAM (Laura Wandel, 17 sep) LL
Un petit garçon de 4 ans est hospitalisé pour des fractures qui seraient dues à un problème de malnutrition. L'hôpital entre en conflit avec la mère qui refuse que son enfant ingère ce qui ne viendrait pas d'elle. Lucy, l'infirmière chef du service, tente d'arbitrer dans l'intérêt de l'enfant. Avec une caméra portée qui suit parfois de dos les protagonistes, le deuxième long métrage de Laura Wandel semble lorgner vers les frères Dardenne (ancienne manière), mais sans la précision ni la richesse de leurs hors champ. Le film est concis (1h13), mais aussi très sec : il peine à suggérer autre chose que ce qu'on voit à l'écran. Léa Drucker et Anamaria Vartolomei défendent leurs personnages avec intensité.
NOUVELLE VAGUE (Richard Linklater, 8 oct) LL
Auteur de projets atypiques ( Boyhood), Richard Linklater reconstitue le tournage d' A bout de souffle, le premier long métrage culte de Jean-Luc Godard. Les étudiants en cinéma comme les passionnés plus mûrs auront la joie de croiser d'autres figures des Cahiers du cinéma de l'époque, et des collaborateurs qui ont marqué l'histoire de cet art : le chef opérateur Raoul Coutard, le cinéphile à tout faire Pierre Rissient... Le paradoxe réside dans le fait que la manière de Linklater est beaucoup trop sage par rapport à son objet d'étude. Avec des interprètes pas tous convaincants, il nous livre un film parfois savoureux, mais globalement trop illustratif.
UNE BATAILLE APRES L'AUTRE (Paul Thomas Anderson, 24 sep) LL
Un père de famille, autrefois engagé dans l'action directe, et désormais rangé, est à nouveau traqué. Il doit protéger sa fille et alerter son ancien réseau... Ce n'est pas parce que l'on voit des (anciens) activistes à l'écran que le film arrive à être politique. Les maladresses du personnage principal (Di Caprio), trop porté sur la fumette, sont pathétiques et n'incitent pas forcément à la résistance. Et le danger des forces de l'ordre établi capitaliste et autoritaire semble atténué également par des côtés ridicules. Dépourvu de vrai point de vue, le long métrage ne semble mû que par la volonté de mixer de façon improbable A bout de course de Lumet, et The Big Lebowski des Coen. Surnage l'interprétation de la jeune Chase Infiniti, un tempérament à suivre.
SOUNDTRACK TO A COUP D'ETAT (Johan Grimonprez, 1er oct) L
Sur le papier, ce documentaire sur l'assassinat de Patrice Lumumba, peu après l'indépendance de la République du Congo, entendait traiter son sujet par un angle original, en s'intéressant notamment à la façon dont Louis Armstrong et d'autres musiciens de jazz furent envoyés en Afrique, pendant que les intérêts économiques des puissances coloniales étaient discrètement préservés. Mais ce n'est qu'une petite partie du film, dont le gros problème vient de sa réalisation sous forme de collage de bribes d'archives pas toujours sourcées. Au final, la fiction Lumumba, réalisée par Raoul Peck, bien que didactique, était plus convaincante.
- Bravo : Slow (Marija Kavtaradze), Valeur sentimentale (Joachim Trier)
- Bien : Miroirs n°3 (Christian Petzold), La Trilogie d'Oslo : Rêves (Dag Johan Haugerud), Mahjong (Edward Yang), Sorry, Baby (Eva Victor), Alpha (Julia Ducournau), En boucle (Junta Yamaguchi), Les Filles désir (Prïncia Car)
- Pas mal : La Trilogie d'Oslo : Désir (Dag Johan Haugerud), La Trilogie d'Oslo : Amour (Dag Johan Haugerud), 7 jours (Ali Samadi Ahadi), Jurassic World : Renaissance (Gareth Edwards), L'Epreuve du feu (Aurélien Peyre), Rapaces (Peter Dourountzis)
- Bof : Reflet dans un diamant mort (Hélène Cattet, Bruno Forzani)
SLOW (Marija Kavtaradze, 6 aou) LLLL
Elena, danseuse contemporaine très libre avec son corps, rencontre Dovydas, un interprète en langue des signes venu l'assister pour un atelier qu'elle anime pour des élèves sourds. Ils se plaisent tout de suite, apprennent à se connaître, puis Dovydas finit par révéler à Elena son asexualité... Le titre ne fait pas référence au style de danse pratiqué par l'héroïne, mais plus au rythme par lequel les personnages s'ouvrent à l'autre. Le film élargit ce qui nous est proposé habituellement au cinéma en matière de récits sentimentaux. Il le fait sans mièvrerie ni clichés, mais au contraire avec une approche pointilliste et concrète, une photographie magnifique, une mise en scène entièrement au service de ses personnages (et des jeux de regards de leurs interprètes), et qui n'exclut pas de très belles visions de cinéma, comme par exemple une scène dans un bar avec un miroir...
VALEUR SENTIMENTALE (Joachim Trier, 20 aou) LLLL
C'est l'histoire d'un père de famille longtemps absent (le grand Stellan Skarsgard, qui passe d'un Trier à l'autre !), cinéaste qui se veut sur le retour, et propose à l'aînée de ses deux filles, actrice de théâtre, le rôle principal de son nouveau film, ce qu'elle refuse. Plus tard, il rencontre une actrice américaine fan de son univers. La maison familiale est presque un personnage à part entière de cette sorte de sonate d'automne : dès le prologue, on visualise le passage secret à travers la haie utilisé par les deux soeurs dans leur jeunesse pour filer en douce... Les décors sont filmés avec un grand sens de l'espace. D'une manière générale, la mise en scène est remplie de détails qui font sens et aident à faire progresser le récit. Jusqu'à maintenant, les films précédents de Joachim Trier ne m'avaient guère touché, trop théoriques ou froids. Mais celui-ci atteint une profondeur remarquable, au diapason de l'intensité de ses interprètes (Renate Reinsve et Inga Ibsdotter Lilleaas).
MIROIRS n°3 (Christian Petzold, 27 aou) LLL
Laura, étudiante en musique à Berlin, accompagne son compagnon en week-end à la campagne avec des amis. Mais elle se ravise et veut rentrer, son compagnon la ramène, mais ils ont un accident de voiture dont seule Laura réchappe. Elle souhaite rester chez Betty, qui l'a recueillie, plutôt qu'être placée en observation à l'hôpital. C'est le début d'un petit miracle de cinéma : le film est court (1h26), mais d'une grande amplitude par la façon dont il se déplie. Très inspirée, la mise en scène reste constamment dans le registre de la suggestion, aussi on craint une faiblesse, lorsque les choses pressenties sont dites explicitement. Mais c'est ce qui permet au film d'aller vers son dénouement. Avec l'aide de ses quatre interprètes principaux, Christian Petzold, sous une apparence mineure (adaptée à l'indicible), livre son film le plus réussi depuis qu'il collabore avec Paula Beer, toujours très convaincante.
LA TRILOGIE D'OSLO : RÊVES (Dag Johan Haugerud, 2 juil) LLL
La Trilogie d'Oslo est composée de trois films indépendants (un peu comme les Trois couleurs de Kieslowski), qu'on peut visionner dans l'ordre qu'on veut (ils sont d'ailleurs distribués en France dans l'ordre chronologique inverse de leurs réalisations). Les titres pourraient également être permutés : il y a des rêves dans Désir, du désir dans Amour, et un premier grand émoi amoureux dans Rêves, vécu par une adolescente envers sa prof de littérature qui se laisse approcher en dehors des cours. La jeune fille décrit cette relation dans un journal intime, qui émeut les générations précédentes (sa mère et sa grand-mère). Auréolé d'un Ours d'or à Berlin qui a l'air bien mérité, le film arrive à toucher au plus profond grâce à la qualité de l'écriture imputée à son héroïne, aux interprètes intenses mais jamais caricaturales, et à l'espace que le réalisateur laisse à ses personnages et aux spectateurs/spectatrices.
MAHJONG (Edward Yang, 16 juil) LLL
Le film surprendra peut-être les fans de Yi Yi, le chef d'oeuvre d'Edward Yang, tourné juste après celui-ci. Tous les deux traitent du Taipei contemporain (des années 1990). Mais autant les personnages principaux de Yi Yi sont emplis de sagesse, quel que soit leur âge, autant ceux de Mahjong évoluent dans l'univers nocturne, celui des escrocs, des hommes de main et des prostituées. L'arrivée d'une jeune française (Virginie Ledoyen) va bouleverser un peu ce petit monde, malgré la naïveté de ce regard extérieur (qui pourrait être aussi plus ou moins le nôtre). Ce qui est déjà là, c'est la fluidité de l'ensemble malgré la pluralité des fils narratifs, ainsi que la qualité de la composition des plans, y compris dans la profondeur de champ.
SORRY, BABY (Eva Victor, 23 juil) LLL
L'histoire pourrait presque être banale, celle d'un viol sur une doctorante commis par son directeur de thèse. Mais Eva Victor, dont c'est le premier long métrage, et dont elle interprète également le premier rôle, filme plutôt à côté. Par exemple, on ne voit pas l'acte criminel, on sent juste à la façon dont elle filme la lumière déclinante sur la maison de fonction du professeur, que l'étudiante reste bien au-delà de la durée normale du rendez-vous. C'est plus l'après qui l'intéresse, les relations que le personnage entretient avec sa meilleure amie, d'autres jeunes universitaires, les rencontres avec d'autres hommes. Le courage de continuer malgré ce qu'on ne peut partager. A cette fin, la mise en scène est à la fois précise et sobre.
ALPHA (Julia Ducournau, 20 aou) LLL
Alpha est une jeune fille de 13 ans, qui doit cohabiter à la maison avec un oncle toxicomane dont elle ne se souvenait pas, à l'heure où circule un virus encore inconnu qui rend progressivement de marbre (au sens propre) ses hôtes... C'est filmé comme de la science-fiction, mais pas forcément au futur (dans les décors, on voit une télé des années 1980). Cela pourrait d'ailleurs être une allégorie des premières années du Sida. En compétition officielle à Cannes, le film, un peu moins réussi que Titane (Palme d'or 2021), n'a pas eu de prix. C'est pourtant une expérience esthétique qui mérite d'être tentée, tant les images disent beaucoup plus que le scénario. Il est donc très stimulant, et, en dépit des apparences (auxquelles il faut se préparer), le cinéma de Julia Ducournau est rempli d'humanité.
EN BOUCLE (Junta Yamaguchi, 13 aou) LLL
On a déjà vu des films basés sur des boucles temporelles, qui font par ailleurs partie de la culture populaire nippone. Mais deux caractéristiques apportent une singularité à celui-ci. D'une part, ces boucles affectent tous les personnages, c'est à dire les résidents et personnels d'un hôtel à Kibune, à flanc de montagne. Ils subissent tous ces retours temporels (contrairement à Un jour sans fin qui affectait uniquement Bill Murray), tout en gardant une conscience continue (ils acquièrent une expérience des cycles précédents). D'autre part, les boucles ont une durée très courte, de deux minutes, ce qui complique toute velléité d'organisation. Cela donne à cette comédie insolite un caractère changeant : à chaque fois qu'une situation est suffisamment exploitée, le film prend un nouveau départ, et explore une autre direction...
LES FILLES DESIR (Princia Car, 16 juil) LLL
Fruit d'un long travail en atelier très collectif (les interprètes sont aussi dialoguistes du film), ce premier long métrage offre le portrait de groupe d'animateurs de quartiers (des garçons et une fille), perturbé par le retour dans la ville d'une vieille connaissance (l'ancienne copine d'Omar, le mentor du groupe) qui s'est prostituée dans l'intervalle. A la fois témoin du fonctionnement de groupe et des aspirations individuelles, le film tourne d'abord autour d'Omar, figure respectée des autres par sa pondération, fiancée à la plus jeune Yasmine (17 ans), et qui tente d'indiquer le "bien" et le "mal", conceptions mises à mal par le retour de Carmen. Le film évolue vers l'accompagnement par la réalisatrice des deux jeunes femmes, magnifiquement incarnées (Leïa Haïchour, Lou Anna Hamon), comme une réponse contemporaine au dualisme des personnages d'Eustache ( La Maman et la putain).
LA TRILOGIE D'OSLO : DESIR (Dag Johan Haugerud, 16 juil) LL
Comme écrit précédemment, chacun des trois films peut se regarder indépendamment des deux autres, et les titres sont plus ou moins permutables : il y a ainsi des rêves dans Désir, celui récurrent pour un des personnages principaux où il se voit en David Bowie non binaire, alors que l'autre personnage, hétérosexuel marié, a vécu un écart imprévu avec un autre homme. Il faut s'accrocher au début, qui repose surtout sur les dialogues, l'incarnation vient petit à petit. Le bémol réside dans le fait que les deux personnages principaux sont censés être des travailleurs manuels (le réalisateur affirme être inclusif par rapport aux identités sociales), mais on ne voit rien de l'effet que ce travail pourrait avoir sur les corps. Comme si on restait dans une approche bien intentionnée mais abstraite, "sociale-démocrate", de ces catégories professionnelles pourtant concrètes.
LA TRILOGIE D'OSLO : AMOUR (Dag Johan Haugeurd, 9 juil) LL
Comme écrit précédemment, chacun des trois films peut se regarder indépendamment des deux autres, et les titres sont plus ou moins permutables : il y a du désir dans Amour. On a d'abord l'impression que ce film là pourrait être le plus beau des trois, avec des personnages qui ne se limitent pas à leurs relations personnelles. Et le transbordeur pourrait être une métaphore de ce qui circule entre les êtres. Cependant, ces relations semblent plus banales que dans les deux autres films. Et reste le cliché d'une histoire entre des personnages assez aisés financièrement et intellectuellement (une médecin, un architecte) pour prendre le temps et le pouls de leurs aspirations intimes, le tout sans égaler les sommets trouvés de longue date par Rohmer ou Allen.
7 JOURS (Ali Samadi Ahadi, 6 aou) LL
Militante des droits humains, Maryam bénéficie d'une semaine d'interruption de sa détention à Téhéran, pour raisons médicale, et va en profiter pour rejoindre clandestinement, via la frontière turque, son mari et ses deux enfants, exilés depuis des années. Elle compte bien retourner en prison à la date prévue, et continuer la lutte de l'intérieur du pays, mais sa famille voudrait l'en dissuader. Ecrit par le grand cinéaste Mohammad Rasoulof ( Les Graines du figuier sauvage), le scénario développe ce dilemme qui tire profit de sa propre expérience. Vishka Asayesh a les épaules pour porter les désirs contradictoires et la détermination de son personnage. Dommage que la réalisation, très impersonnelle, et des dialogues banalement explicites, ont tendance à aplatir ces enjeux.
JURASSIC WORLD : RENAISSANCE (Gareth Edwards, 2 juil) LL
Je m'étais arrêté aux deux premiers volets, réalisés par Spielberg. A l'époque, la mise en scène donnait la priorité aux effets spéciaux numériques, avec un résultat global plutôt décevant par rapport aux qualités de conteur du célèbre cinéaste. Trente ans plus tard, les techniques actuelles sont suffisamment matures pour permettre aux réalisateurs de mieux travailler le reste. Le scénario de ce nouvel opus (le septième ?) joue astucieusement de la lassitude du public vis-à-vis des dinosaures, et propose un film d'aventures familial (qui intègre un niveau de lecture plus ironique voire cynique) digne du meilleur classicisme, sans tutoyer les sommets du genre, mais néanmoins respectueux de son public.
L'EPREUVE DU FEU (Aurélien Peyre, 13 aou) LL
Hugo emmène sa petite amie Queen, jeune esthéticienne assez extravagante, dans la maison de son oncle, sur une île de la côte Atlantique. Le jeune homme revoit des ami(e)s d'enfance, et leur présente Queen... Les personnages enfilent un peu trop systématiquement les mauvais choix, comme si l'éducation sentimentale se faisait uniquement par l'absurde. On peut y voir néanmoins un apprentissage de la cruauté des adultes. Plus réussie est la façon dont le film rend compte de la distance sociale et culturelle qui sépare la jeune femme (Anja Verderosa), sincèrement aimée par Hugo (Félix Lefevbvre), et les filles et fils de "bonne famille" qui la jaugent avec beaucoup de snobisme...
RAPACES (Peter Dourountzis, 2 juil) LL
Y'aurait-il une ambiguïté dans le titre ? Les "rapaces" désignent-ils les criminels (ici l'assassin d'une femme, probablement par misogynie) ou les journalistes spécialisés dans les faits divers crapoteux, et qui tentent de faire apparaître la vérité et faire arrêter le coupable ? L'impeccable Sami Bouajila campe un de ces journalistes, tout en essayant de protéger un tant soit peu sa propre fille (Mallaury Wanecque), stagiaire dans le même média. La mise en scène est d'abord juste fonctionnelle, voire complaisante, mais offre néanmoins, dans la deuxième partie, une belle séquence tendue dans un resto-route.
REFLET DANS UN DIAMANT MORT (Hélène Cattet, Bruno Forzani, 25 juin) L
Le duo formé par Hélène Cattet et Bruno Forzani se spécialise dans des hommages fétichistes très décalés et très cinéphiles à des films à la mise en scène très marquée, plutôt des films de genre (je recommande chaudement leur précédent long métrage, Laissez bronzer les cadavres). Ici le titre, proche d'un grand classique de John Huston ( Reflets dans un oeil d'or), peut induire en erreur, car on est ici au croisement du film d'espionnage britannique à la James Bond et des "giallos" (polars sanglants) italiens des années 60-70. Le tout avec des allers-retours incessants entre les époques. Ce procédé annihile toute émotion, à part l'épuisement. Un résultat sans doute pas à la hauteur des ambitions.
- Bien : Tardes de soledad (Albert Serra), Ghostlight (Kelly O'Sullivan, Alex Thomson), La Chambre de Mariana (Emmanuel Finkiel), Jeunes mères (Jean-Pierre et Luc Dardenne), Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé (Bogdan Muresanu), Le Rendez-vous de l'été (Valentine Cadic), De la guerre froide à la guerre verte (Anna Recalde Miranda), Cloud (Kiyoshi Kurosawa), Un monde merveilleux (Giulio Callegari)
- Pas mal : Bergers (Sophie Deraspe), A normal family (Hur Jin-ho), L'amour c'est surcoté (Mourad Winter), Chime (Kiyoshi Kurosawa), Partir un jour (Amélie Bonnin), Ollie (Antoine Besse), La Venue de l'avenir (Cédric Klapisch)
- Bof : Le Mélange des genres (Michel Leclerc)
TARDES DE SOLEDAD (Albert Serra, 26 mar) LLL
Pour la première fois, le réalisateur jusqu'au-boutiste Albert Serra abandonne la fiction pour le documentaire. Il suit dans sa tournée espagnole le toréador star Andrès Roca Rey et ses équipiers, ceux qui placent les premières banderilles et rivalisent de compliments virilistes. Les extraits de corrida ne sont pas filmés comme un spectacle, en plan général : les caméras suivent en plans rapprochés et en gros plan le toréador et le taureau. De ce fait, les blessures infligées à l'animal sont impressionnantes (rappelons qu'il meurt pour de vrai), même si l'humain est aussi en danger, pendant que les réactions du public, qu'on entend mais qu'on ne voit pas, font froid dans le dos. Le film est-il de nature à changer le regard des aficionados ? En tout cas cette incursion dans le microcosme a une puissance esthétique comme politique impressionnante.
GHOSTLIGHT (Kelly O'Sullivan, Alex Thomson, 30 avr) LLL
Le film commence par la convocation au lycée des parents de Daisy, qui est renvoyée. Le père Dan, ouvrier de travaux publics, a lui aussi ses accès de colère et de chagrin, mais est invité par Rita, qui l'a observé dans la rue, à rejoindre un groupe qui s'avère une troupe de théâtre amateur. Si on devine assez rapidement la sorte d'épreuve que doit supporter cette famille, rien n'est donné d'emblée. L'écriture de Kelly O'Sullivan, autrice du scénario et coréalisatrice du film, a toute la pudeur qu'il faut. Et les interprètes sont au diapason de cette délicatesse, la particularité étant qu'ils ont les mêmes liens familiaux que leurs personnages (les rôles du père, de la mère et de la fille sont respectivement assurés par Keith Kupferer, Tara Mallen et Katherine Mallen Kupferer). Une belle production indépendante qui, elle aussi, n'est pas sans lien avec le travail théâtral des personnages qui donne lieu à des scènes attachantes et parfois inattendues.
LA CHAMBRE DE MARIANA (Emmanuel Finkiel, 23 avr) LLL
Ukraine 1942. Une mère juive confie son fils Hugo, 12 ans, à une amie, Mariana, prostituée dans une maison close. Cette dernière le cache aux yeux de tous en l'installant dans un placard de sa chambre. Les mois passent... Dans une grande partie du film, la réalité du monde extérieur n'est vue qu'à travers le champ de vision restreint de l'enfant, mais à ces observations se mêlent également des souvenirs de sa vie d'avant et des rêves concernant sa famille. Après une réussite majeure ( La Douleur), Emmanuel Finkiel poursuit sa collaboration avec Mélanie Thierry, très convaincante dans un rôle de composition qui aurait pu être casse-gueule. Et continue d'aborder sans se répéter ni fausses notes ses thèmes de toujours : la Seconde guerre mondiale, l'antisémitisme du continent européen, les résistances...
JEUNES MERES (Jean-Pierre et Luc Dardenne, 23 mai) LLL
Contrairement aux commentaires blasés, le cinéma des frères Dardenne évolue régulièrement (abandon de la caméra portée systématique à partir du Silence de Lorna, premier rôle parfois confié à des stars populaires à partir du Gamin à vélo, maîtrise croissante du cadre et du hors champ...). Ici, c'est peut-être l'écriture qui est inhabituelle (scénario primé à Cannes), puisque les enjeux se dispersent dans quatre histoires différentes de jeunes filles, mères ou enceintes, qui se croisent dans une "maison maternelle", une structure d'accueil qui les accompagne face à leurs difficultés sociales, familiales et à leurs nouvelles responsabilités. Le récit choral permet des ellipses (chaque scène porte donc en elle davantage que ce qu'elle nous montre). Et bien que les Dardenne n'aient plus rien à prouver, ils semblent presque s'effacer, en mobilisant entièrement leur mise en scène au service de leurs personnages, et des jeunes comédiennes toutes épatantes.
CE NOUVEL AN QUI N'EST JAMAIS ARRIVE (Bogdan Muresanu, 30 avr) LLL
Le Nouvel an du titre renvoie aux festivités de la fin d'année 1989 préparées par le régime de Ceausescu, qui va tomber à quelques jours de Noël. Cet instant particulier de l'Histoire roumaine avait déjà inspiré un film remarqué, 12h08 à l'est de Bucarest, premier long métrage de Corneliu Porumboiu, avec un humour placide qui deviendrait une marque de fabrique. Ici, le ton semble d'abord plus dramatique : le film n'est pas centré sur les actes concrets de la dictature, mais plutôt sur les effets qu'elle induit dans les rapports humains (ou la solitude) d'une demi-douzaine de personnages. L'absurdité (par exemple l'innocence d'un enfant qui met en danger ses parents) donne lieu parfois à un humour très noir, et le film culmine dans un crescendo final impressionnant, même si la bande-son en fait à cet instant trop, avec l'utilisation ostentatoire du Boléro de Ravel...
LE RENDEZ-VOUS DE L'ETE (Valentine Cadic, 11 juin) LLL
Blandine, une jeune femme tout juste trentenaire, débarque de Normandie pour assister à Paris à une épreuve olympique de natation (elle est fan de la nageuse Béryl Gastaldello), mais également pour rendre visite à sa demi-soeur, dont elle n'a pas encore rencontré la fille. Petite gageure : le film a véritablement été tourné pendant les JO (un peu comme le premier film de Justine Triet, La Bataille de Solférino, l'avait vraiment été un soir d'élection). Il commence petit, fragile, mais au fil des scènes dictées par les contingences matérielles des protagonistes, les enjeux s'élargissent, se déplacent. Et surtout on a l'impression de faire connaissance avec des personnages qu'on a pas l'habitude de croiser au cinéma, grâce à la finesse de trait de Valentine Cadic (dont c'est le premier long métrage) et à l'interprétation insolite et magnifique de Blandine Madec dans le rôle principal. Une chronique douce-amère prometteuse.
DE LA GUERRE FROIDE A LA GUERRE VERTE (Anna Recalde Miranda, 26 mar) LLL
Un documentaire qui se veut plutôt enquête. Le point de départ, c'est la région du Paraguay limitrophe du Brésil et surnommée la "république du soja", à perte de vue culture intensive et berceau de l'agro-industrie mondiale. En revisitant le passé, la réalisatrice se confronte à d'autres enjeux liés aux dictatures d'extrême droite du continent sud-américain, à leurs liens géopolitiques avec l'opération Condor, qui visait à tuer dans l'oeuf toute implantation communiste en Amérique du Sud. Et avec l'aide de défenseurs des droits humains, elle dresse une sorte de continuité entre la répression et les assassinats ciblant des opposants politiques hier, et s'abattant sur des militants écologistes aujourd'hui. Le film prend le temps de cheminer, et d'établir les faits méthodiquement, sans emprunter de raccourcis...
CLOUD (Kiyoshi Kurosawa, 4 juin) LLL
Un jeune travailleur à l'usine arrondit ses fins de mois en faisant de la revente sur internet. Peu lui importe si les marchandises achetées en gros sont authentiques ou contrefaites. Après un gros bénéfice, il démissionne de son travail, et s'installe au vert avec sa copine dans une maison, près d'une forêt, qui lui sert également d'entrepôt. On se croirait d'abord dans une sorte de satire de la société de consommation, et du capitalisme qui fait miroiter de l'argent facile aux outsiders qui croient trouver le bon plan. Mais évidemment la menace rôde, on la guette dans chaque plan, chaque image, chaque son, et toute l'habileté de la mise en scène, d'une grande précision, est de nous mettre en tension, avant une dernière partie où on bascule encore dans un autre genre. Une réussite, moins gratuite que l'exercice de style Chime, sorti sur nos écrans une semaine plus tôt.
UN MONDE MERVEILLEUX (Giulio Callegari, 7 mai) LLL
Voilà un film qui tombe à pic, avec cette histoire d'un futur, malheureusement trop proche, dans lequel les robots sont devenus omniprésents dans la société, au grand dam de Max, une mère célibataire ancienne prof de français, rebelle et réfractaire à cette évolution. Elle est idéalement incarnée par Blanche Gardin, qui donne à ce premier long métrage un ton caustique bien trempé. L'un des ressorts comiques du film, satire grinçante de la technophilie, réside dans le fait que l'intelligence artificielle des androïdes prend tout au premier degré et ne comprend pas l'ironie des êtres humains. Une comédie à la fois burlesque et grinçante sur un avenir dystopique qu'on préfèrerait éviter...
BERGERS (Sophie Deraspe, 9 avr) LL
Afin de donner du sens à sa vie professionnelle, Mathyas quitte son emploi à Montréal pour tenter de devenir berger en Provence. Il se heurte à la dureté des tâches, même si les bergers rencontrés n'ont pas tous la même conception du métier. Il se lie surtout à Elise, fonctionnaire locale... Il y a quelques maladresses dans le film, notamment des dialogues parfois trop directs pour être crédibles. L'essentiel est ailleurs : dans les interprétations intenses mais nuancées de Félix-Antoine Duval et Solène Rigot (qu'on a plaisir à retrouver sur grand écran), et dans de belles scènes où les personnages doivent composer avec leurs bêtes et les éléments, en décor naturel...
A NORMAL FAMILY (Hur Jin-ho, 11 juin) LL
Deux frères, l'un chirurgien, l'autre avocat, dînent régulièrement ensemble avec leurs épouses respectives. Comment ces deux familles vont-elles réagir lorsque le fils de l'un et la fille de l'autre seront impliqués dans une affaire tragique ? Il pourrait s'agir d'un dilemme moral à l'instar des films de Cristian Mungiu. Mais on est ici dans un milieu très huppé qui veut garder son standing. Il s'agit donc plutôt d'un thriller psychologique, que la mise en scène, un peu trop au cordeau, tire davantage vers un regard amoral plutôt qu'explicitement ironique. Le film est bavard, mais les interprètes arrivent plutôt bien à construire leurs personnages au-delà des dialogues.
L'AMOUR C'EST SURCOTE (Mourad Winter, 23 avr) LL
Premier long métrage de Mourad Winter, qui adapte à l'écran son propre roman. Il s'agit d'une comédie romantique dans laquelle se rencontrent Anis, célibataire endurci qui se remet mal du deuil de son ami d'enfance Isma, et Madeleine, une jeune femme qui se laisse aborder... Le résultat est contrasté, surtout les dialogues, entre sincérité maladroite touchante et dérisions provocatrices forcées. Si certains rôles secondaires peinent à convaincre, Hakim Jemili et Laura Felpin emportent le morceau en donnant à leurs personnages une vraie personnalité.
CHIME (Kiyoshi Kurosawa, 28 mai) LL
Matsuoka est professeur de cuisine (mais cherche une place de chef dans un restaurant). L'un de ses élèves semble perturbé. Kiyoshi Kurosawa ( Kaïro, Shokuzaï) revient ici à sa meilleure veine, l'angoisse mystérieuse qui peut se matérialiser à tout moment par un éclair de violence, inattendu bien qu'on le redoute. Le film ne dure que 46 minutes, et cet exercice de style procure un plaisir immédiat lors de la projection, grâce au travail sur le son en particulier, mais on peut aussi trouver in fine que la copie ainsi rendue est assez vaine (même s'il faudrait un peu le divulgâcher pour pouvoir argumenter).
PARTIR UN JOUR (Amélie Bonnin, 14 mai) LL
Une jeune restauratrice, qui vient de remporter un jeu culinaire télévisé, revient voir ses parents, également restaurateurs, et reprend contact avec un amour de jeunesse... Les dialogues sont parfois remplacés par des extraits de chansons populaires. L'ombre de On connaît la chanson de Resnais, un peu trop écrasante, plane sur le film, qui s'en distingue néanmoins, car il ne s'agit pas de play-back sur les versions originales, mais d'extraits recréés par les interprètes des personnages (dont Juliette Armanet). Curieux choix comme film d'ouverture du festival international de Cannes, tant ce sympathique coup d'essai est franco-français, et peine à dissimuler son origine d'idée de court-métrage étirée pour en faire un long...
OLLIE (Antoine Besse, 21 mai) LL
La bonne idée, c'est de transposer dans la campagne française le genre du film de skate, genre balisé par le cinéma américain (de 90's de Jonah Hill à Paranoïd Park de Gus Van Sant). Antoine Besse, dont c'est le premier long métrage, tente de produire des scènes plus insolites, qui tranchent avec ces modèles comme avec le cinéma français majoritaire, autour d'un jeune garçon de 13 ans, orphelin de mère, qui prend un plaisir grandissant à pratiquer le skate. La moins bonne idée, c'est le caractère caricatural donné à son mentor : dans ce rôle, Théo Christine livre une performance, mais on est loin de la subtilité qu'il déployait dans Vivre, mourir, renaître, le très beau film de Gaël Morel.
LA VENUE DE L'AVENIR (Cédric Klapisch, 22 mai) LL
Cédric Klapisch propose un montage alterné entre deux époques : d'une part, celle, contemporaine, de membres éloignés d'une même famille qui se retrouve à l'occasion de la découverte d'une maison ayant appartenu à leur aïeule commune, que la mairie voudrait racheter, et, d'autre part, celle de la dernière décennie du XIXè siècle (un moment charnière dans la vie de cette ancêtre). Le film se laisse voir sans arriver à la hauteur voulue. Ce n'est pas forcément le scénario qui pèche (il y a de bonnes observations entre deux invraisemblances), mais plutôt de personnages paresseusement dessinés (et interprétés par une brochette de fils/fille/frère de). Une direction artistique pas toujours convaincante paradoxalement, car le film se voudrait également une réflexion sur l'art et comment celui-ci est impacté ou non par l'irruption de nouvelles techniques.
LE MELANGE DES GENRES (Michel Leclerc, 16 avr) L
Une policière infiltre un groupe féministe, soupçonné d'avoir poussé une femme à tuer son mari pour ne plus avoir à supporter ses violences conjugales. Quelques scènes sont à sauver, qui donnent le ton recherché : une sorte d'autodérision, nécessaire pour respirer dans la sphère militante. Et Vincent Delerm reprend Doux de Goldman dans un décor très particulier. Malheureusement, le film est également plein de maladresses, ce qui n'est pas sans risques, à l'heure où ce sont les médias réactionnaires contre les combats pour l'égalité qui donnent le la dans la sphère médiatique, et non les petites télés associatives évoquées dans Télé Gaucho...
- Bravo : The Brutalist (Brady Corbet)
- Bien : Berlin, été 42 (Andreas Dresen), Lumière, l'aventure continue ! (Thierry Frémaux), Black dog (Hu Guan), Ce n'est qu'un au revoir (Guillaume Brac), L'Attachement (Carine Tardieu), Un parfait inconnu (James Mangold), Becoming Led Zeppelin (Bernard MacMahon), A bicyclette ! (Mathias Mlekuz), Young hearts (Anthony Schatteman), Mickey 17 (Bong Joon-ho), Mikado (Baya Kasmi)
- Pas mal : Fanon (Jean-Claude Barny), Bonjour l'asile (Judith Davis), A real pain (Jesse Eisenberg), Au pays de nos frères (Aliresa Ghasemi, Raha Amirfazli), The Insider (Steven Soderbergh)
- Bof : Yôkai, le monde des esprits (Eric Khoo), Vermiglio (Maura Delpero)
THE BRUTALIST (Brady Corbet, 12 fév) LLLL
Le brutalisme est un courant architectural, certains spécialistes indiquent que les constructions imaginées par le personnage principal ne s'y ancrent pas vraiment. L'essentiel n'est pas là, puisque le terme n'est jamais prononcé dans le film. Il se pourrait que le titre soit tout simplement un jeu de mot qui renvoie aux brutalités rencontrées. Je redoutais une grande fresque ostentatoire et froide, heureusement il n'en est rien. C'est un film ambitieux, c'est vrai, mais à la hauteur de ses ambitions. Sa profondeur provient à la fois de la forme (une mise en scène inspirée et digne des plus grands), du fond (une sorte de biopic d'un personnage fictif, un architecte juif hongrois rescapé des camps et qui s'installe aux Etats-Unis), mais aussi de l'interprétation : Adrien Brody impressionne dans un rôle qui prend en quelque sorte la suite de celui qu'il incarnait dans Le Pianiste, mais aussi Felicity Jones dans le rôle de son épouse et Guy Pearce dans celui de son mécène. Une histoire inventée qui résonne de manière féconde avec l'Histoire réelle.
BERLIN, ETE 42 (Andreas Dresen, 12 mar) LLL
Le film raconte l'histoire d'un groupe de résistants communistes allemands qui passera à la postérité sous le nom de l'Orchestre rouge. Mais c'est aussi l'histoire d'amour qui unit deux de ses membres, Hans et Hilde (formidable Liv Lisa Fries). On ne quittera pas d'une semelle cette dernière. Le montage n'arrête pas de faire des va-et-vient, de telle sorte que le récit est reconstitué de manière sensible et non pas chronologique. Le style n'est pas mélodramatique mais plutôt naturaliste, et les personnages de l'autre côté ne sont pas forcément montrés comme des monstres ou des méchants d'opérette, ce qui rend d'autant plus effrayantes les structures du totalitarisme. Andreas Dresen est un cinéaste parfois inégal, mais il est ici à son meilleur.
LUMIERE, L'AVENTURE CONTINUE ! (Thierry Frémaux, 19 mar) LLL
Huit ans après Lumière ! L'aventure commence, Thierry Frémaux nous offre une nouvelle anthologie de films de Louis Lumière ou de ses opérateurs, logiquement intitulée Lumière, l'aventure continue ! Si les oeuvres les plus connues faisaient partie du premier opus, on découvre ici 120 nouvelles "vues", accompagnées par la musique de Gabriel Fauré (contemporaine de l'époque des tournages) et les commentaires, judicieux mais parfois un peu trop présents, du président de l'Institut Lumière. Magnifiquement restaurées, ces scènes nous montrent à quel point, mis à part le montage (elles duraient une cinquantaine de secondes), toute la grammaire du cinéma était déjà là, de la composition des plans aux premiers mouvements de caméra (travellings...). L'expérience régénère notre regard.
BLACK DOG (Hu Guan, 5 mar) LLL
Réalisateur de divertissements spectaculaires qui ont connu de gros succès au box-office chinois (mais non distribués en France), Hu Guan nous livre un film d'une toute autre teneur : on y suit Lang, un ancien motard récemment sorti de prison en liberté conditionnelle, qui retrouve sa ville natale, Chixia, en bordure du très cinégénique désert de Gobi. On est à la veille des JO de 2008, et les autorités locales veulent se débarrasser des chiens errants, l'un d'entre eux étant suspecté d'être enragé. Avec des séquences magistralement filmées, le film semble convoquer autant le classicisme hollywoodien ( Le Vent de Victor Sjöstrom, Paris, Texas de Wim Wenders), que l'enregistrement des mutations contemporaines chinoises par Jia Zhangke (qui interprète ici un chef de clan) ou encore White God du hongrois Kornel Munduczo pour intégrer des personnages canins comme personnages à part entière qui font avancer le récit.
CE N'EST QU'UN AU REVOIR (Guillaume Brac, 2 avr) LLL
Divisé en chapitres portant chacun le nom de la protagoniste principale, ce documentaire suit des élèves de l'internat d'un lycée de Die, à la fin de leur Terminale, qui se demandent si leurs amitiés lycéennes vont survivre à leur éparpillement dans l'enseignement supérieur (et à la suite de leurs vies), d'où le titre. Mais le film enregistre plus que cela : outre les amitiés, palpables dans leurs discussions à l'intérieur comme dans les baignades à l'extérieur, on entend aussi des réflexions philosophiques, les premiers engagements, des confidences plus intimes livrées en voix off. Guillaume Brac se tient à juste distance et construit de beaux portraits d'une jeunesse à laquelle on doit un avenir. La séance est complétée par le moyen métrage Un pincement au coeur, tourné auparavant et dans le même état d'esprit avec des lycéennes plus jeunes (en Seconde) à Hénin-Beaumont.
L'ATTACHEMENT (Carine Tardieu, 19 fév) LLL
Depuis son premier long métrage, Carine Tardieu s'est fait une spécialité des drames ponctués d'humour. C'est encore le cas ici avec l'histoire d'Eliott, cet enfant de 5 ans qui perd sa mère lorsque celle-ci met au monde sa petite soeur Lucille. De manière élégante, les sauts dans le temps sont indiqués par les âges successifs de la nouvelle venue. Sandra, la voisine célibataire à laquelle Eliott avait été confié lors de l'accouchement problématique, se fait malgré elle une place dans la vie de cette famille. Le style est classique, mais le film emporte le morceau par un soin des détails qui évitent les clichés, par des dialogues savoureux car ils disent beaucoup sans jamais être des discours, et par des interprètes au diapason (Pio Marmaï, Valeria Bruni Tedeschi, Vimala Pons).
UN PARFAIT INCONNU (James Mangold, 29 jan) LLL
Evocation des cinq premières années de carrière, entre 1961 et 1965, de Bob Dylan, sorti de nulle part (d'où le titre). Pour une fois, j'ai trouvé convaincante l'interprétation de Timothée Chalamet (Monica Barbaro est également excellente en Joan Baez). Les comédiens (dont Edward Norton en mentor folk) ont réenregistré avec leurs propre voix les morceaux, ce qui donne de la fluidité à l'ensemble. Du fait de ce répertoire, on évite les musiques conventionnelles qui banalisent les biopics ordinaires. Surtout, les sous-titres permettent de toucher du doigt la poésie des paroles de Dylan, mais aussi le contenu engagé de certaines chansons, par exemple lors de la crise des missiles de Cuba en octobre 1962.
BECOMING LED ZEPPELIN (Bernard MacMahon, 26 fév) LLL
Sorti sur les écrans français une semaine après Brian Jones et les Rolling Stones (de Nick Broomfield), ce nouveau documentaire britannique sur un groupe de légende me semble bien plus réussi. Il ne s'agit pas là d'une différence de goût musical entre ces deux groupes, mais de la manière dont le film est conçu. Contrairement à celui sur l'étoile cachée des Stones, qui faisait intervenir beaucoup de proches de l'époque, pour raconter surtout des histoires personnelles, ce film-ci n'interroge que les membres encore vivants du groupe (Jimmy Page, Robert Plante, John Paul Jones). Comme il s'agit d'un récit autorisé, il n'est question que de ce qui a trait à la musique, et les extraits enregistrés lors des tournées sont plus longs, de telle sorte qu'on appréhende mieux les spécificités de leur travail (disons à la base une structure de blues, déconstruite pour introduire des improvisations puissantes).
A BICYCLETTE ! (Mathias Mlekuz, 26 fév) LLL
Mathias Mlekuz, le réalisateur, doit surmonter la perte de son fils Youri, à l'âge de 28 ans. Il décide de refaire le voyage à vélo accompli par ce dernier en 2018, de l'Atlantique (La Rochelle) à la Mer noire (Istanbul). Il embarque dans son projet son ami comédien Philippe Rebbot, qui lui suggère d'en faire un film. Le résultat est un fragile équilibre entre documentaire et (auto)fiction. Il oscille entre humour pudique voire burlesque assumé (en partie en hommage à Youri, qui était clown) et des séquences traduisant des considérations plus profondes (amitié, relations aux proches par-delà leur départ...), sans jamais exercer de chantage à l'émotion. Une attachante échappée belle.
YOUNG HEARTS (Anthony Schatteman, 19 fév) LLL
C'est un récit d'apprentissage entre deux collégiens, d'un côté Elias (Lou Goossens), sociable (il "est avec" une fille de son âge), fils d'un chanteur de charme local, de l'autre côté Alexander (Marius De Saeger), venu emménager en cours d'année en face de chez lui et désormais dans la même classe. Sans vraiment s'en rendre compte, ils vont s'ouvrir l'un à l'autre... Si le thème n'est pas particulièrement nouveau, le film gagne ses galons par la douceur avec laquelle il accompagne ses personnages (les légers accompagnements musicaux sont d'ailleurs superfétatoires), dans un univers presque utopique où la société et les adultes permettent à la jeunesse de grandir et aimer librement.
MICKEY 17 (Bong Joon-ho, 5 mar) LLL
Dans un futur dystopique, Mickey Barnes, criblé de dettes, se fait embaucher comme "remplaçable" dans une mission spatiale colonisatrice : il s'agit littéralement de se tuer à la tâche dans des missions périlleuses. S'il est tué, son corps et son cerveau sont immédiatement réimprimés... Dans la première partie, Bong Joon-ho distille suffisamment d'informations pour expliquer et rendre plausible l'intrigue. Il en profite également pour injecter dans sa science-fiction une ironie satirique assez dévastatrice (le réalisateur aime le mélange des genres, ce qui faisait déjà tout le sel de The Host). Bong Joon-ho est donc parvenu à garder sa personnalité en rejoignant Hollywood, même si le film s'étire et se banalise un peu dans son dernier tiers.
MIKADO (Baya Kasmi, 9 avr) LLL
L'humour est certes encore présent : la réalisatrice et coscénariste Baya Kasmi avait jusqu'à présent (co)écrit des comédies pour Michel Leclerc (Le Nom des gens) ou pour elle-même (Je suis à vous tout de suite). Mais, malgré un casting rompu à la fantaisie (Félix Moati, Vimala Pons, Ramzy Bedia), le sujet du film, qu'on découvre petit à petit, est plus grave que son amorce (une famille un peu bohème qui sillonne les routes avec leur van en plein été). Avec une délicatesse croissante, elle aborde différents thèmes, des enfances compliquées aux effets à l'âge adulte, sans appuyer le déterminisme ni juger les personnages. Belles prestations des jeunes Patience Muchenbach et Saül Benchetrit.
FANON (Jean-Claude Barny, 2 avr) LL
Il s'agit d'un biopic commençant au moment où le psychiatre martiniquais Frantz Fanon arrive en Algérie, en 1953, et prend son poste à l'hôpital de Blida, accompagné de son épouse Josie. Le film est reçu avec beaucoup de condescendance par la critique, un peu comme le Lumumba de Raoul Peck (réalisateur depuis reconnu, en particulier pour ses documentaires). C'est vrai que parfois la musique gêne un peu, mais le didactisme permet de faire comprendre l'origine de la pensée critique de Frantz Fanon sur le colonialisme. En exergue du film, la citation suivante : " Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir". Bien qu'historique, il jette une lumière aiguisée (et souvent absente des médias dominants) sur les tragédies contemporaines.
BONJOUR L'ASILE (Judith Davis, 26 fév) LL
Après Tout ce qu'il me reste de la révolution, la comédienne Judith Davis nous livre un second film en tant que réalisatrice, dans lequel elle s'attribue le rôle de Jeanne, une travailleuse sociale qui rend visite à son amie Elisa (Claire Dumas, très bien également), qui s'est installée avec sa famille à la campagne, non loin d'un château devenu foyer, tiers-lieu convoité par un promoteur pour en faire une résidence touristique de luxe. Ce qu'il y a de bien, c'est que l'autrice ne s'excuse jamais d'un regard toujours aussi radical sur la société. La limite de ce joyeux foutraque, c'est que l'abondance des thématiques (sociales, psychiques, féministes, écologiques) peut donner une impression de trop plein à la limite du superficiel. Le résultat est néanmoins assez sympathique, et gonflé.
A REAL PAIN (Jesse Eisenberg, 26 fév) LL
Deux cousins juifs américains profitent d'un voyage touristique mais mémoriel pour découvrir en Pologne la maison de leur grand-mère récemment décédée. On savait Jesse Eisenberg acteur brillant ( Cafe Society par exemple). C'est aussi un bon auteur. L'idée de ce voyage organisé sur les lieux de la Shoah donne lieu à un humour d'équilibriste qui frôle parfois la limite de l'acceptable. Le groupe est accueillant : un rescapé non juif du génocide rwandais y participe. Mais en dépit de son lourd sujet, le film repose surtout sur une classique opposition entre les caractères des deux cousins (qui valut à Kieran Culkin l'Oscar du second rôle).
AU PAYS DE NOS FRERES (Aliresa Ghasemi, Raha Amirfazli, 2 avr) LL
Le film suit sur plusieurs décennies et plusieurs générations le destin d'une famille de réfugiés afghans en Iran. C'est un assemblage de trois segments, tournés chacun comme s'il s'agissait d'un court métrage (moins soumis à la censure préalable, même astuce que Rasoulof pour Le Diable n'existe pas). Le scénario fonce parfois dans le plus tragique, mais, dans un style plutôt naturaliste, le film donne à voir les rapports de domination ou de mise à l'écart (certains plans sont découpés de telle sorte à isoler certaines de ces personnes). Intéressant, bien que de facture plus modeste que les plus grands films iraniens actuels.
THE INSIDER (Steven Soderbergh, 12 mar) LL
De retour au cinéma, Steven Soderbergh est toujours aussi éclectique. Il y a à boire et à manger dans sa filmographie, même au sens propre : la meilleure séquence de ce film est une scène de repas. L'histoire tourne autour de deux espions qui sont aussi mari et femme. Le premier a reçu la mission de surveiller la seconde, soupçonnée d'être une taupe... Le divertissement se suit sans déplaisir, mais sans passion (comment s'intéresser à des personnages qui mentent tout le temps ?). Le résultat est loin d'égaler le sommet d'ironie qu'était L'Affaire Cicéron de Joseph Leo Mankiewicz, avec Danielle Darrieux et James Mason (et son fameux rire final).
YÔKAI, LE MONDE DES ESPRITS (Eric Khoo, 26 fév) L
Claire Emery (Catherine Deneuve), une chanteuse qui a eu son heure de gloire dans les années 1960, donne un concert au Japon. Yuzo, un de ses plus grands fans, vient de disparaître, et son fils Hayato, venu chez son père pour préparer les funérailles, trouve des places pour le concert et y assiste... Le film est censé prendre un tour fantastique, avec la présence de personnages récemment décédés. Si le spectateur n'y met pas beaucoup de bonne volonté, le film décevra inévitablement, même pas sauvé par les quelques chansons écrites et composées pour l'occasion par la talentueuse Jeanne Cherhal.
VERMIGLIO (Maura Delpero, 19 mar) L
L'histoire se passe dans un village reculé des montagnes d'Italie du Nord. Vers la fin de la Seconde guerre mondiale, un déserteur y arrive, et va bouleverser la vie des habitants, dont les filles de l'instituteur. Malheureusement, pour les spectatrices et spectateurs, de bouleversement il n'y a point. On est loin de Théorème (d'ailleurs pas mon Pasolini préféré). Maura Delpero vient du documentaire, mais son incursion dans la fiction historique, trop dépourvue d'un vrai regard, peine à convaincre.
- Bravo : From Ground Zero (collectif palestinien de réalisateurs et réalisatrices)
- Bien : La Pie voleuse (Robert Guédiguian), Prima la vita (Francesca Comencini), Personne n'y comprend rien (Yannick Kergoat), Spectateurs ! (Arnaud Desplechin)
- Pas mal : Presence (Steven Soderbergh), La Mer au loin (Saïd Hamich Benlarbi), Mon gâteau préféré (Maryam Moghaddam, Behtash Sanaeeha), Apprendre (Claire Simon), When the light breaks (Runar Runarsson), La Voyageuse (Hong Sang-soo), Brian Jones et les Rolling Stones (Nick Broomfield)
FROM GROUND ZERO (Collectif, 12 fév) LLLL
Le programme est constitué d'une vingtaine de courts-métrages réalisés par des cinéastes palestiniennes et palestiniens à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Les formes choisies oscillent entre documentaires, fictions ou une hybridation des deux. Evidemment, même dans les segments fictionnels, avec parfois des recherches esthétiques bouleversantes car faites avec les moyens du bord, le réel rentre dans le champ par ce qu'enregistre la caméra (bâtiments détruits, recherche de survivants parmi les décombres, promiscuité sous les tentes...). Ce qui frappe, c'est néanmoins la diversité des approches, le kaléidoscope des personnalités et attitudes décrites pour tenir bon, survivre, résister, assurer le présent et si possible l'avenir des enfants, et préserver la dignité humaine et le goût de vivre, parfois grâce à l'imaginaire ou la médiation artistique, face aux crimes contre l'humanité en cours (que les observateurs qui n'ont pas détourné le regard ont tenté de décrire à travers des néologismes avec le suffixe -cide pour signifier l'anéantissement de tout ou partie d'un groupe humain, mais aussi la destruction systématique des constructions urbaines, hopitaux, universités, bâtiments patrimoniaux, mémoire d'une civilisation). Un travail modeste mais indispensable, un peu à l'instar de celui de Pour Sama de Waad Al-Khateab (et Edward Watts) à propos des bombardements d'Alep par le régime syrien, déchirant quand on se remémore les aspirations des jeunes gazaoui.e.s recueillies dans Yallah Gaza de Roland Nurier ou Voyage à Gaza de Piero Usberti. Et dans le contexte actuel, ce travail révèle, par contraste, toute l'indécence du double standard des grands médias occidentaux mécaniquement alignés sur la propagande de guerre d'un Etat qui se soustrait depuis des décennies au droit international, pourtant la seule boussole qui puisse servir de base pour garantir le respect de chaque peuple à disposer de lui-même, et l'égalité d'accès à ses droits fondamentaux.
LA PIE VOLEUSE (Robert Guédiguian, 29 jan) LLL
Après quelques infidélités, retour du cinéaste au quartier de l'Estaque. On y suit Maria, une aide-ménagère, qui trime chez des petits vieux qu'elle aime, mais qu'elle vole aussi, un billet ou un chèque qu'elle remplit à la place de son propriétaire. Le but de ces larcins ? Sortir la tête de l'eau et offrir de vrais cours de pianos à son petit-fils. Certains cinéastes tournent en caméra subjective. Guédiguian, lui, nous propose une bande-son subjective, la grande musique (des classiques mais aussi des compositions originales de Michel Petrossian à la manière de) qu'écoute à longueur de journée Maria. S'il filme toujours extrêmement bien les rapports de classe, il dépasse, grâce à des plans judicieusement composés, la description sociologique mécaniste pour offrir à ses personnages (Ascaride, Darroussin, Meylan, Boudet dans son dernier rôle, Leprince-Ringuet, Marilou Aussilloux la nouvelle venue) de la dignité, de la sensualité, une bonté et une beauté qui feraient presque office de résistance intime par temps qui s'assombrissent.
PRIMA LA VITA (Francesca Comencini, 12 fév) LLL
En apparence, Francesca Comencini rend hommage à son père, le cinéaste Luigi Comencini. Moins formaliste que Fellini, moins radical que Pasolini, il est peu cité dans les histoires du cinéma, à part pour L'Incompris, film autour d'une enfance dramatique. Ici est reconstitué le tournage, joyeux pour les enfants, de son Pinocchio. Il avait une pratique qu'on pourrait qualifier d'humaniste (on l'entend prioriser "D'abord la vie, ensuite le cinéma"). Il ne voulait pas trop diriger, d'où, par parenthèse, des acteurs parfois en roue libre, mais Bette Davis, Alberto Sordi et Silvana Mangano cabotinent juste ce qu'il faut dans L'Argent de la vieille. Mais en fait, malgré des cerises pour cinéphiles (des extraits de L'Enfance nue de Pialat ou Païsa de Rossellini), le gâteau proposé par Francesca Comencini est goûteux pour tout le monde. Quand bien même le point de départ serait le nombril de la réalisatrice, le film va vers les autres, et ses vraies thématiques, autour de la transmission et de l'émancipation, résonnent de façon universelle.
PERSONNE N'Y COMPREND RIEN (Yannick Kergoat, 8 jan) LLL
Yannick Kergoat, monteur césarisé pour Harry, un ami qui vous veut du bien, ayant aussi collaboré avec Erick Zonca ( La Vie rêvée des anges) ou de façon régulière avec Costa-Gavras, mène parallèlement une deuxième carrière de réalisateur de documentaires politiques. Celui-ci décortique les faits à la base de l'affaire Sarkozy-Kadhafi, en s'appuyant sur le travail d'enquête entrepris depuis des années par les journalistes de Mediapart Fabrice Arfi et Karl Laske. L'exposition chronologique des éléments permet parfois de les rapprocher de façon inattendue, et les différents témoins (y compris de la complaisance médiatique) tout comme la voix off de Florence Loiret Caille participent également à cet exercice pédagogique et de vigilance citoyenne.
SPECTATEURS ! (Arnaud Desplechin, 15 jan) LLL
Après quelques fictions beaucoup moins convaincantes que par le passé, Desplechin revient avec une sorte d'essai sur l'importance du cinéma dans sa vie et dans celle des autres. Il entremêle des séquences de fiction autobiographique, où l'on retrouve son double Paul Dédalus, interprété ici par le jeune Milo Machado Graner ( Anatomie d'une chute), initié au cinéma par sa grand-mère (Françoise Lebrun), avec des séquences documentaires. Il interroge ainsi des amateur.ice.s anonymes, mais fait aussi intervenir un esthète (Dominique Païni) et une philosophe (Sandra Laugier) dans leurs propres rôles. Avec ce beau monde, il tente de cerner les plaisirs cinéphiles, mais aussi d'aborder la responsabilité du regard qui s'impose aux spectateur.ice.s.
PRESENCE (Steven Soderbergh, 5 fév) LL
Steven Soderbergh revisite le genre des films se déroulant dans une maison hantée, mais en choisissant de filmer les scènes entièrement en caméra subjective, du point de vue du spectre. Cependant, assez vite, on voit surgir dans cet exercice de style un autre genre, celui du drame psychologique, un peu moins bien exécuté (le cinéaste surligne beaucoup). Néanmoins c'est cette association, assez inédite, entre cette forme-ci et ce contenu là qui fait tout le sel de ce retour du côté du cinéma pour Soderbergh (après des détours pour la télévision).
LA MER AU LOIN (Saïd Hamich Benlarbi, 5 fév) LL
Situé au début des années 1990, cette saga sur Nour (Ayoub Gretaa), un Marocain débarqué à Marseille avec d'autres clandestins commence faiblement, avec des représentations bourrées de clichés. Heureusement, cela change lorsque Nour fait connaissance d'un couple très loin des conventions, interprété par les toujours insaisissables Anna Mouglalis et Grégoire Colin. Ainsi, le film est ponctué de maladresses, mais les personnages nous restent en mémoire bien après la projection.
MON GATEAU PREFERE (Maryam Moghaddam, Behtash Sanaeeha, 5 fév) LL
A Téhéran, une veuve retraitée redécouvre l'amour auprès d'un autre septuagénaire, chauffeur de taxi pour arrondir ses fins de mois. Dans un autre pays, l'histoire pourrait être banale (partager tendresse, sensualité et du vin), mais dans ce pays, la vivre et la montrer sont des actes courageux. Dommage que le scénario punisse les protagonistes dans sa dernière partie. Tourné clandestinement, le film n'est pas aussi insolent que d'autres qui nous viennent d'Iran, mais c'en est déjà trop pour les autorités : au moment où le film sort dans les salles françaises, les deux cinéastes sont assignés à résidence, dans l'attente de leur procès !
APPRENDRE (Claire Simon, 29 jan) LL
Il y a une trentaine d'années, Claire Simon avait déjà filmé une école ( Récréations). Ici, elle rentre carrément dans les salles de classe de l'école primaire et maternelle Makarenko, à Ivry-sur-Seine. Elle se met à hauteur d'enfants, y compris au sens propre, dans le placement de la caméra. Elle en filme une quotidienneté qui tranche avec la façon dont le sujet est traité dans les débats publics, a fortiori par des journalistes proches de l'extrême droite. Ici, il y a des pleins et des déliés. Mais cette approche modeste, presque dépolitisée, peut-elle faire le poids face aux polémiques malsaines ?
WHEN THE LIGHT BREAKS (Runar Runarsson, 19 fév) LL
Une jeune fille perd le garçon qu'elle aime, mais ne peut exprimer ouvertement son chagrin et son deuil, car cette relation n'était pas encore connue des proches, le garçon n'ayant pas encore rompu avec une autre. Le film est ramassé sur quelques jours, d'un coucher de soleil à un autre. L'actrice principale, Elin Hall, est formidable. Le tout manque toutefois d'intensité, si on se souvient par exemple de La Vie des morts, le moyen métrage réalisé en début de carrière par Arnaud Desplechin. D'un autre côté, on peut aussi savoir gré au cinéaste islandais de ne pas avoir cédé à la tentation de faire le malin.
LA VOYAGEUSE (Hong Sang-soo, 22 jan) LL
Le titre désigne une française installée en Corée du Sud qui a une méthode bien à elle d'enseigner le français, en conversant en anglais avec les autochtones. Hong Sang-soo renouvelle un peu le fond, tout en creusant son sillon sur la forme (plans séquences minimalistes, d'où s'échappent parfois un zoom). Si le résultat peut susciter par moments des surprises, le dispositif ne fonctionne plus très bien. Et le jeu d'Isabelle Huppert n'arrive pas à s'accorder pleinement à cet univers et aux autres interprètes.
BRIAN JONES ET LES ROLLING STONES (Nick Broomfield, 19 fév) LL
Paradoxal personnage que ce Brian Jones, fondateur des Rolling Stones et à l'oreille aiguisée via le jazz et le blues. Pourtant, ce documentaire insiste sur le fait qu'il n'était pas compositeur, et nous narre par le menu ses amourettes sans lendemain (mais pas sans descendance), et ses diverses addictions qui le conduiront à intégrer le tristement célèbre Club des 27. C'est son apport en tant qu'arrangeur inspiré qui est ici crédité ("Ruby Tuesday", "Paint it black", "Under my Thumb"), malheureusement, pour les mélomanes, les extraits ne dépassent guère quelques secondes...
- Bravo : La Chambre d'à côté (Pedro Almodovar)
- Bien : Bird (Andrea Arnold), Julie se tait (Leonardo Van Dijl), Je suis toujours là (Walter Salles), Mémoires d'un escargot (Adam Elliot)
- Pas mal : Le Quatrième mur (David Oelhoffen), Un ours dans le Jura (Franck Dubosc), Le Dossier Maldoror (Fabrice Du Welz)
- Bof : Les Feux sauvages (Jia Zhang-ke)
LA CHAMBRE D'A COTE (Pedro Almodovar, 8 jan) LLLL
Il y a six ans, Pedro Almodovar livrait Douleur et gloire, un film-somme d'inspiration en partie autobiographique, et dans lequel on retrouvait la quintessence de son style. Ici, il livre plutôt un film testamentaire, notamment de par son sujet, en interrogeant le rapport à la mort de ses deux personnages principaux, une reportrice de guerre frappée par un cancer agressif, et son amie écrivaine à succès qui vient d'écrire un livre à la teneur vitaliste. Le cinéaste s'inscrit depuis longtemps dans un héritage d'un certain cinéma classique hollywoodien, Douglas Sirk en particulier, donc la langue anglaise semble couler de source. Par contre, s'il y a toujours un travail sur les couleurs, elles ne sont pas saturées comme à l'habitude. Au lieu de reproduire ce qu'on attend de lui, Almodovar invente une forme plus sobre en apparence, et adaptée aux enjeux, qu'il traite d'ailleurs avec nuances, loin du manichéisme bien intentionné mais maladroit de Mar Adentro de son compatriote Amenabar. On retrouve bien sûr cette précision dans les interprétations de Tilda Swinton et Julianne Moore. Loin de rechercher la satisfaction immédiate, esthétique ou émotionnelle, ce nouveau sommet dans la filmographie du maître espagnol, qui déjoue les attentes, trouve sa grandeur avec des qualités beaucoup plus souterraines, qu'accompagne idéalement la musique d'Alberto Iglesias.
BIRD (Andrea Arnold, 1er jan) LLL
Il s'agit du quatrième film de la cinéaste Andrea Arnold à avoir été sélectionné en compétition officielle à Cannes. Contrairement aux trois autres, il n'a pas eu de prix, ce qui est paradoxal alors qu'il s'agit probablement de son meilleur. Curieusement, à tête reposée, on pourrait retrouver des motifs de ses précédentes réalisations : une adolescente défavorisée (elle est élevée par un père immature qui l'a eu trop tôt), mais douée d'une forte personnalité (comme dans Fish Tank), une utilisation non conventionnelle de musiques pas trop mainstream (comme dans American honey). Mais au cours de la projection, on a pourtant l'impression de redécouvrir son univers, grâce à une mise en scène dans laquelle les contraires (le naturalisme d'un côté, des touches de poésie presque surnaturelles d'un autre, celui du rôle titre) s'additionnent avec une grâce inédite, au lieu de s'annuler...
JULIE SE TAIT (Leonardo Van Dijl, 29 jan) LLL
Pratiquante intensive du tennis, Julie est très douée, aspire à devenir professionnelle, mais est encore lycéenne. Un jour, son entraîneur est suspendu soudainement... Les scènes tennistiques bénéficient à plein de l'expérience de son interprète principale Tessa Van den Broeck, jeune tenniswoman professionnelle dans la vraie vie. La mise en scène de ce premier long métrage est remarquable, avec des plans-séquences admirablement composés, aptes à travailler le hors-champ comme les non-dits. La musique originale, composition de vocalises assez étranges signées Caroline Shaw, est utilisée de façon parcimonieuse mais à bon escient, et contribue à l'atmosphère de ce suspense psychologique mâtiné de notes de critique sociale.
JE SUIS TOUJOURS LA (Walter Salles, 15 jan) LLL
La dictature militaire brésilienne évoquée à travers le destin de la famille Paiva, nombreuse, joyeuse et heureuse jusqu'à l'arrestation du père, ancien député travailliste. Eunice, la mère, formidablement incarnée par Fernanda Torres, qui se tenait jusque là à l'écart de la politique, va devoir résister au régime en place. Le récit est construit de façon très chronologique. On a ainsi d'abord le temps de s'immerger dans le quotidien de cette famille, avant qu'elle ne soit rattrapée par la réalité de la situation politique. Dans les meilleurs moments, on pense à Kleber Mendonça Filho, autre grand réalisateur brésilien contemporain (Aquarius). On pourra cependant regretter les conventions de l'épilogue final, après un ultime saut dans le temps...
MEMOIRES D'UN ESCARGOT (Adam Elliot, 15 jan) LLL
Prévenons d'emblée, ce second long métrage d'animation de Adam Elliot n'est pas à destination des enfants, et son personnage principal n'est pas un animal, comme le titre semble l'indiquer, mais un être humain. En l'occurrence il s'agit d'une jeune femme devenue orpheline beaucoup trop tôt, et placée de surcroît dans une autre famille d'accueil que son frère jumeau... Sur le papier, il y a pas mal de sordide dans cette histoire, mais le tournage en stop motion, avec des personnages plus expressifs que des interprètes en chair et en os, donne du relief, et même un certain humour à l'ensemble. Au détour d'une séquence, on remarquera également une mise en abyme, ce qui est devenu assez courant dans le cinéma en live mais est inhabituel dans le domaine de l'animation. Une jolie réussite qui concrétise les espoirs du prometteur Mary et Max, il y a plus de quinze ans.
LE QUATRIEME MUR (David Oelhoffen, 15 jan) LL
Pour respecter la volonté d'un vieil ami souffrant, le français Georges se rend au Liban pour mettre en scène Antigone avec des comédiens et comédiennes issus des différentes communautés. Nous sommes en 1982... Il ne s'agit pas ici d'un film qui mettrait au clair la chaîne des responsabilités qui ont abouti au massacre des camps de Sabra et Chatila (ce point est travaillé par Valse avec Bachir d'Ari Folman, original par son angle comme par le traitement esthétique). Mais plutôt d'une adaptation du roman éponyme du grand reporter Sorj Chalandon, dans lequel de bonnes volontés se retrouvent sous les bombardements, et dans un conflit qu'ils n'ont pas provoqué. Si le film se veut un choc, la violence ne me semble pas filmée de façon complaisante. On a rarement vu Laurent Lafitte dans un film aussi grave. La comédienne libanaise Manal Issa, découverte dans Peur de rien de la cinéaste Danielle Arbid, confirme l'excellence de son talent.
UN OURS DANS LE JURA (Franck Dubosc, 1er jan) LL
Il faut accepter cette prémisse heureusement improbable : en voulant éviter un ours sur la route, un conducteur tue accidentellement deux personnes en possession d'une grosse somme d'argent... Après beaucoup d'années d'un humour un peu au ras des pâquerettes, Franck Dubosc change de registre, et s'offre une comédie macabre dans la neige. Surprise : si la mise en scène n'égale pas celle des frères Coen (on pense bien sûr à Fargo), le film trouve un vrai style. La crédibilité vient moins d'un scénario certes astucieux mais avec ses invraisemblances que d'une interprétation homogène de personnages plus ou moins amoraux, avec des partenaires comme Laure Calamy (impayable, quoique) ou Benoît Poelvoorde (gendarme plus perspicace qu'il n'en a l'air).
LE DOSSIER MALDOROR (Fabrice Du Welz, 15 jan) LL
Librement inspiré de l'affaire Dutroux. Le nom des personnages a été modifié, et le personnage principal de gendarme hanté par la disparition non résolue de plusieurs fillettes (Anthony Bajon) est fictif. Le film a le mérite de mettre en lumière la guerre des services, peu connue de ce côté-ci des Ardennes, existant à l'époque entre la gendarmerie, la police judiciaire et la police locale, qui ne partagent pas leurs informations. Le titre ne ment pas, il s'agit d'un film dossier. Un peu comme dans Voyage au bout de l'enfer, une longue séance de mariage dans le premier tiers donne la mesure du bonheur et de la perte à venir. La suite du long métrage est malheureusement filmée d'une façon qui frise parfois la complaisance avec la violence.
LES FEUX SAUVAGES (Jia Zhang-ke, 8 jan) L
Jia Zhang-ke a puisé dans les images tournées à l'occasion de ses longs métrages précédents pour tenter de construire une nouvelle fiction, en y ajoutant une coda qui se passe pendant la crise du Covid-19. Il y a bien des récurrences parmi les interprètes, mais cela ne crée pas forcément de nouveaux personnages intéressants. En enregistrant la mutation du pays (comme Richard Linklater filmait dans Boyhood le vieillissement de ses personnages), le seul intérêt du film reste son aspect documentaire, avec l'actrice Zhao Tao qui en serait un témoin muet.
Les Graines du figuier sauvage (Mohammad Rasoulof, 18/09/2024) LLLL (n°1 Télérama)
Ce long métrage fait d'emblée événement, puisqu'il s'agit du dernier film réalisé clandestinement en Iran par Mohammad Rasoulof avant son exil. Il peut donc se prêter à des commentaires qui font fi de ses qualités cinématographiques, ce qui est très injuste, tant le film possède une force remarquable (ce qui était déjà le cas du Diable n'existe pas, Ours d'or en 2020). Iman, fonctionnaire, vient d'être nommé enquêteur au tribunal révolutionnaire. Il se veut intègre, mais doit accepter des ordres sans possibilité d'étudier les dossiers. Pendant ce temps, des émeutes éclatent. Pour assurer leur sécurité, Iman demande à sa femme et à ses deux filles d'être discrètes, tandis qu'on lui confie une arme de service. Les deux adolescentes suivent la révolte des femmes sur leurs téléphones... La première grande force du film réside dans le fait que la famille constitue une allégorie de la situation politique du pays entier, tout en constituant des personnages réalistes à part entière. La grandeur de la mise en scène accentue cette impression : si le film est d'abord un huis clos tendu dans l'appartement familial, il convoque ensuite des genres cinématographiques qu'on n'attendait pas forcément et qui lui donnent une ampleur peu commune. Un des meilleurs films de l'année, qui aurait dû recevoir à Cannes un prix bien plus élevé que l'accessit (prix spécial) créé pour l'occasion.
Los Delincuentes (Rodrigo Moreno, 27/03/2024) LLL (n°4 Télérama)
Moran, le trésorier d'une banque de Buenos Aires, s'arrange pour voler 650000 dollars à son travail. Il confie l'argent à un collègue, Roman. Le plan est le suivant : Moran se rend quelques jours plus tard, purge sa peine, et à la sortie de prison, les deux comparses récupèrent le magot, et n'auraient plus besoin de travailler. Le but du casse ne serait donc pas de faire fortune, mais de gagner du temps libre. Mais tout n'est pas si simple... Il ne faut pas avoir peur de la durée du film (environ 3h), scindé en deux parties, et qui mêle plusieurs genres. On se plonge avec délice dans le romanesque des situations et les caractères haut en couleur de tous les personnages. La plupart des interprètes sont inconnus chez nous, à part Laura Paredes qui joue la cadre des assurances qui conduit l'enquête interne à la banque, et qui était déjà au coeur des remarquables La Flor et Trenque Lauquen, du collectif El Pampero Cine (dont Rodrigo Moreno ne fait pas partie). Au fil de tous les développements, on découvre un film d'inspiration plutôt libertaire (mais au sens antilibéral du terme).
Miséricorde (Alain Guiraudie, 16/10/2024) LLL (n°2 Télérama)
Depuis Toulouse où il est installé, Jérémie se rend dans le village de son enfance pour aller à l'enterrement de son ancien patron boulanger. Il est hébergé par la veuve de ce dernier, et il y reste quelques jours... Il serait sacrilège de dire plus de l'intrigue. En effet, le film n'arrête pas de se réinventer en chemin. Et pourtant, pour ce faire, il n'use en rien de coups de théâtres scénaristiques spectaculaires (les fameux "twists"). Bien qu'on ne doute jamais d'être face à un nouveau Guiraudie, on y avance sans anticiper où est-ce qu'il va nous emmener. Cela tient en grande partie à sa mise en scène, non pas par des effets formalistes ostentatoires, mais au contraire par un travail virtuose de tous les instants mais en apparence invisible sur la lumière (y compris lorsqu'elle est faible dans certaines séquences nocturnes), les sons (aussi importants que les images pour restituer les paysages), et une certaine perversité amorale dans l'écriture des personnages. Le tout est une réjouissante parenthèse loin des conventions et à l'opposé des films trop programmatiques.
Les Fantômes (Jonathan Millet, 03/07/2024) LLL (n°3 Télérama)
Deux ans après avoir été relâché en plein désert de la prison de Saidnaya, on retrouve Hamid en 2016, en train de travailler sur un chantier. Mais il consacre son temps libre à retrouver la trace d'un de ses tortionnaires, dont il n'a qu'une photo floue. Il ne peut d'ailleurs pas s'en remettre à la seule vue, lui qui avait la tête emprisonnée dans un sac lors des sévices. Jonathan Millet, venu du documentaire, connaît bien son sujet, mais a choisi la fiction pour rendre compte du traumatisme d'Hamid. Il emprunte de surcroît la forme du film à suspense plutôt que de la chronique. La tension et le trouble sensoriel qui traversent peu à peu les séquences proviennent de l'interprétation puissante mais singulière d'Adam Bessa, de presque tous les plans, mais aussi et surtout du travail sonore, toute la bande son, qui ne se réduit pas à la musique originale, inspirée, de Yuksek.
Borgo (Stéphane Demoustier, 17/04/2024) LLL (n°14 Télérama)
De film en film, la manière de Stéphane Demoustier (Terre battue, La Fille au bracelet) prend de l'ampleur. Deux trames narratives sont ici montées en parallèle : d'un côté une enquête sur un probable règlement de comptes entre bandes rivales en Corse, de l'autre côté l'arrivée depuis le continent d'une surveillante au centre pénitentiaire de Borgo. Bien que l'atmosphère puisse faire penser à Un prophète de Jacques Audiard, le film n'en pâtit pas. La maîtrise formelle est indéniable tout en ne s'interdisant pas des surprises (une reprise d'un tube de Julien Clerc à l'intérieur d'une scène d'une belle intensité, par exemple). Et bien sûr, au centre de l'enchaînement des faits, il y a le jeu de Hafsia Herzi, tour à tour (ou parfois simultanément dans le même plan) lumineuse et opaque à souhait...
All we imagine as light (Payal Kapadia, 02/10/2024) LLL (n°12 Télérama)
Mumbai de nos jours. Prabha, dont le mari est parti travailler en Allemagne, est infirmière dans le même hôpital que la jeune Ana, sa colocataire, qui vit une relation en cachette avec un garçon musulman. Sur son lieu de travail, Prabha tente de soutenir également Parvaty, une femme veuve plus âgée et menacée d'expulsion... Une des grandes forces du film (Grand-Prix à Cannes), qui peut toutefois constituer aussi une limite, tient dans le fait qu'une seconde vision décuple son intérêt. La mise en scène est très travaillée et moderne, mais peut se comprendre avec retard : aucun détail n'est laissé au hasard, mais Payal Kapadia n'est pas une cinéaste démiurge qui dirige le regard. Par moments, et dès le prologue qui prend le pouls de la grande ville, on entend les voix de personnages qui à l'écran n'ouvrent pas leurs lèvres. Alors que dans la dernière partie, dans un village de bord de mer, un mystérieux personnage échoué finit par prononcer certaines paroles : on le voit bien parler, et pourtant, dans un subtil halo, il pourrait bien s'agir d'une projection mentale d'une des héroïnes...
Madame Hofmann (Sébastien Lifshitz, 10/04/2024) LLL (n°15 Télérama)
Sébastien Lifshitz, documentariste passionnant, dans son étude des questions de genre notamment (Les Invisibles, sorti en salle et césarisé, ou Petite fille, diffusé uniquement sur Arte), s'intéresse à un tout autre sujet ici, en réalisant le portrait de Sylvie Hofmann, une infirmière-cadre de l'hôpital Nord de Marseille, au moment où celle-ci s'apprête à partir en retraite, au bout de quarante années d'exercice. Sa forte personnalité ne cannibalise pas pour autant le film, qui à travers ce portrait se laisse traverser par des questionnements intimes (la rapport à la maladie, à la mort), par exemple mais pas uniquement dans les échanges entre Sylvie Hofmann et sa mère, mais aussi collectifs (avec les effets de la paupérisation de l'hôpital public). Sur la forme, la musique, composée avec soin par Grégoire Hetzel, prend une place inhabituelle chez le cinéaste.
Le Mal n'existe pas (Ruysuke Hamaguchi, 10/04/2024) LLL (n°13 Télérama)
Le projet d'installation d'un "glamping" (camping de luxe) est présenté au village pressenti pour l'accueillir, en lisière de forêt. Le film aurait pu jouer dans la catégorie devenue familière des ciné-tracts écolos, où une figure justicière honnête s'oppose aux intérêts puissants (dernièrement encore Les Algues vertes, de Pierre Jolivet). Hamaguchi livre un film aux personnages moins caricaturaux, mais qui expose néanmoins, à qui voudra bien le voir, l'antagonisme entre les logiques capitalistes et la défense des équilibres naturels et de la biodiversité. L'oeuvre n'a pas la densité des précédents opus du cinéaste, et en est assez éloignée dans la forme comme dans le fond. Mais le puissant épilogue, douloureux, inattendu (mais pas illogique), est d'une grande force cinématographique.
L'Histoire de Souleymane (Boris Lojkine, 09/10/2024) LLL (n°7 Télérama)
Le titre, d'une simplicité apparente, est plus équivoque qu'il n'y paraît. On suit trois jours de la vie quotidienne de Souleymane, arrivé de Guinée sans papiers, et qui prépare l'entretien qu'il doit passer avec l'Ofpra, tout en étant livreur à domicile pour une plateforme, grâce à un prête-nom qu'il doit rémunérer. La plus grande partie du film tient du dispositif : rester collé en permanence aux basques de son principal protagoniste (Abou Sangare, intense), lors de ses impressionnantes courses à vélo dans Paris, mais aussi dans ses interactions parfois douloureuses avec les autres personnages. La dernière partie est filmée différemment, dans un champ - contrechamp faussement simple là-aussi, puisqu'il permet le déploiement d'une parole longtemps différée, d'autant plus que Souleymane préférait servir au départ un autre récit. Au final, une alternative aux discours anti-humanistes des plateaux télé.
A son image (Thierry De Peretti, 04/09/2024) LLL (n°5 Télérama)
Même s'il dure un peu moins de deux heures, le nouveau film de Thierry De Peretti, adapté d'un roman de Jérôme Ferrari, tient de la fresque, en observant comment Antonia, une jeune photo-journaliste recrutée par Corse-Matin, va traverser les années 1980 et 1990 ponctuées par la violence politique. Un des intérêts de l'oeuvre est de corsifier le regard, en donnant accès à des points de vue peu présents ou peu développés en métropole. Il "n'excuse" rien, mais montre les tragédies endurées par les peuples voulant légitimement disposer d'eux-mêmes. La forme n'est pas forcément aussi ample que le fond, mais il y a du romanesque dans ce récit, à travers les amours et amitiés de la jeune femme (Clara-Maria Laredo, en tête d'un casting majoritairement corse).
Flow (Gints Zilbadolis, 30/10/2024) LLL (n°8 Télérama)
Un film d'animation qui se déroule après un déluge. Une poignée d'animaux tente de survivre à la montée des eaux, dont un chat, qu'on ne quittera pas, et qui devra apprendre à ne plus avoir peur de se mouiller. Aucun animal humain à l'horizon, les personnages ne parlent pas, ils miaulent, aboient etc... Peu d'anthropomorphisme dans leurs comportements, qui ont l'air plausibles au niveau éthologique. Cela rend très vivante l'histoire (car il y en a quand même une). On retient son souffle pour mieux entendre celui des animaux, à l'intérieur d'une belle création sonore. Visuellement, la réalisation privilégie des plans séquences qui auraient été virtuoses en prises de vue réelles. Le petit bémol, à mon goût, réside dans le graphisme 3D, qui cherche un peu trop le trompe-l'oeil (dans tout ce qui entoure les protagonistes), sans trouver un style propre, alors que Gintz Zilbalodis a participé à tous les postes de la production.
Emilia Pérez (Jacques Audiard, 21/08/2024) LL (n°11 Télérama)
Un narcotrafiquant mexicain engage une jeune avocate d'un cabinet (peu regardant sur les personnes qu'il défend) pour trouver les médecins qui l'aideront à changer de sexe... et peut-être de vie. Entièrement tourné en studio, le film témoigne d'une recherche esthétique à chaque plan, ou au moins chaque numéro. Car il s'agit d'une comédie musicale ! La principale réserve concerne les chansons (signées Camille et Clément Ducol) : s'il est de coutume dans ce genre cinématographique qu'elles traduisent l'état d'âme des protagonistes, ici elles semblent trop explicites, trop claires pour un film noir. Jacques Audiard fait néanmoins mieux que ses derniers films, et le prix collectif d'interprétation reçu à Cannes (Karla Sofia Gascon, Zoe Saldana, Selena Gomez et Adriana Paz) est mérité.
The Apprentice (Ali Abbasi, 09/10/2024) LL (n°10 Télérama)
L'origine du mal(e). Il ne s'agit pas ici d'une réflexion à la Hannah Arendt, mais du récit de la rencontre entre Donald Trump, alors magnat de l'immobilier dans l'entreprise alors dirigée par son père, et Roy Cohn, un avocat qui a commencé sa carrière auprès du sénateur McCarthy. Entre le milieu des années 70 et le milieu des années 80, ce dernier va lui enseigner ses trois "principes" : attaquer, tout nier en bloc, ne jamais reconnaître la défaite. Le scénario a été écrit par un journaliste politique, Gabriel Sherman. Dans ce rôle de mentor, Jeremy Strong aurait pu obtenir le prix d'interprétation à Cannes. Et pourtant l'écriture des personnages, présentés comme constamment inhumains, en manquant de finesse, risque de rater sa cible et d'être contreproductive.
Le Comte de Monte-Cristo (Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière, 26/06/2024) L (lecteurs jeunes Télérama)
Edmond Dantès, emprisonné après une accusation à tort de trahison, finit par s'évader, avec une soif de vengeance envers ses ennemis... Le scénario, adapté d'Alexandre Dumas, aurait dû captiver, mais le récit souffre d'une réalisation à la truelle. Le souffle recherché est éventé par des centaines de plans filmés au drone sur fond de musique pompière. Cet emploi de grands moyens n'arrive jamais à créer une grande mise en scène. Dommage.
La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer, 31/01/2024) 0 (n°9 Télérama)
Auschwitz comme si vous n'y étiez pas. L'horreur absolue réduite à un bruit de fond, et à quelques éléments épars ostensiblement montrés. A peine moins pire dans la maladresse que l'option inverse de la reconstitution calamiteuse des camps dans le biopic d'Olivier Dahan sur Simone Veil. Comme si la banalité du Mal désignait d'abord le micro-climat de la vie de famille d'un tortionnaire nazi, plutôt que le fait que beaucoup de personnes ont participé à engendrer ce Mal, même à un petit niveau (ce que montrait davantage La Passagère d'Andrzej Munk et Witold Lesiewicz, restauré l'an dernier et qui vient d'être disponible en DVD). La musique vocale concrète qui accompagne le générique final résume l'abjection du film : s'arroger le droit de faire un art prétendument conceptuel avec une telle réalité.
The Substance (Coralie Fargeat, 06/11/2024) (n°6 Télérama)
Pas vu.
1. Les Graines du figuier sauvage (Mohammad Rasoulof, Iran/Allemagne)
2. Le Roman de Jim (Arnaud et Jean-Marie Larrieu, France)
3. Los Delincuentes (Rodrigo Moreno, Argentine)
4. L'Affaire Nevenka (Iciar Bollain, Espagne)
5. Averroès et Rosa Parks (Nicolas Philibert, France)
6. Guérilla des Farc, l'avenir a une histoire (Pierre Carles, France)
7. Miséricorde (Alain Guiraudie, France)
8. La Grâce (Ilya Povolotsky, Russie)
9. Ernest Cole, photographe (Raoul Peck, France/Etats-Unis)
10. They shot the piano player (Fernando Trueba, Javier Mariscal, Espagne/Portugal)
11. Les Fantômes (Jonathan Millet, France)
12. En fanfare (Emmanuel Courcol, France)
13. Le Procès du chien (Laetitia Dosch, Suisse/France)
14. Sauvages (Claude Barras, France/Suisse/Belgique)
15. Vivre, mourir, renaître (Gaël Morel, France)
Viennent ensuite (top alternatif) : Borgo (Stéphane Demoustier, France), All we imagine as light (Payal Kapadia, Inde), Trois amies (Emmanuel Mouret, France), Les Carnets de Siegfried (Terence Davies, Grande-Bretagne), Une famille (Christine Angot, France), L'Homme d'argile (Anaïs Tellenne, France), Marcello mio (Christophe Honoré, France), The Summer with Carmen (Zacharias Mavroeidis, Grèce), A man (Kei Ishikawa, Japon), Madame Hofmann (Sébastien Lifshitz, France), Juré n°2 (Clint Eastwood, Etats-unis), La Prisonnière de Bordeaux (Patricia Mazuy, France), Vingt dieux (Louise Courvoisier, France), La Mère de tous les mensonges (Asmae El Moudir, Maroc), No other land (Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor, Hamdan Ballal, Palestine)...
Dernières sorties :
- Bien : Ernest Cole, photographe (Raoul Peck), Mon inséparable (Anne-Sophie Bailly)
- Pas mal : Joli joli (Diastème), Noël à Miller's Point (Tyler Taormina), Les Reines du drame (Alexis Langlois), Le Beau rôle (Victor Rodenbach)
- Bof : Les Femmes au balcon (Noémie Merlant)
- Hélas : The Substance (Coralie Fargeat)
ERNEST COLE, PHOTOGRAPHE (Raoul Peck, 25 déc) LLL
Raoul Peck alterne fictions documentées et documentaires très narratifs. Ce film-ci, Œil d'or au dernier festival de Cannes, fait partie des seconds. Ernest Cole est le premier photographe sud-africain à avoir montré au monde entier la réalité de l'apartheid. Raoul Peck livre en voix off le point de vue de Cole, en se basant sur son livre House of Bondage, publié en 1967, et qui lui vaut son exil aux Etats-Unis, mais aussi aux propos rapportés par ses proches. La plupart des images, parfois analysées avec précision, proviennent de dizaines de milliers de négatifs pris par Cole lui-même, et découverts en 2017 dans le coffre d'une banque suédoise. Méditation puissante, et nécessaire par les temps qui courent, sur l'apartheid, le racisme colonial, et l'exil.
MON INSEPARABLE (Anne-Sophie Bailly, 25 déc) LLL
Mona vit toujours avec son grand fils Joël, adulte mais "différent". Celui-ci tombe amoureux d'Océane, qui travaille dans le même établissement spécialisé (ESAT) que lui. Mona apprend l'existence de cette relation lorsqu'Océane se découvre enceinte... Sur le papier, le pitch pouvait inspirer de la méfiance, si l'on anticipait un traitement conventionnel du sujet. Mais d'une part, le sujet n'est peut-être pas exactement celui qu'on croit, et d'autre part l'écriture au cinéma, c'est aussi de la mise en scène. Anne-Sophie Bailly, dont c'est le premier long métrage, nous propose des scènes autres que celles qu'on attend, ce qui les rend la plupart du temps crédibles, d'autant plus que Laure Calamy est dirigée comme les autres interprètes (Charles Peccia Galletto, Julie Froger) avec doigté, et que la caméra se tient dans chaque séquence à une juste distance qui permet en particulier une progression du regard sur les personnages auxquels la réalisatrice offre peu à peu de la place pour exister...
AU COEUR DES VOLCANS (Werner Herzog, 18 déc) LLL
Un documentaire qui rend hommage aux vulcanologues Katia et Maurice Kraftt. Le projet tient presque de l'évidence, tant le cinéaste allemand de Aguirre, la colère de Dieu ou Fitzcarraldo est lui-même une sorte de tête brûlée, comme les deux scientifiques qui périrent suite à une coulée pyroclastique près du mont Unzen, au Japon, en 1991. L'autre point commun, c'est qu'ils aiment filmer : les époux Kraftt plutôt pour sensibiliser le grand public et les décideurs chargés de prendre en compte les risques liés aux phénomènes éruptifs, et Herzog dans une démarche d'abord cinématographique. Les deux aspects ne sont cependant pas étanches : certaines images filmées par les Kraftt peuvent être fascinantes, et il y a du fond dans la quête et l'enquête d'Herzog.
JOLI JOLI (Diastème, 25 déc) LL
Promesse de bulle pétillante, qui sort opportunément le 25 décembre, il s'agit d'un feel good movie assumé sous les atours d'une comédie musicale qui accompagne les débuts sur grand écran de la chanteuse Clara Luciani. Les chansons sont signées Alex Beaupain, comme pour Les Chansons d'amour de Christophe Honoré. Mais autant le film d'Honoré était travaillé par Demy et la Nouvelle Vague, autant celui de Diastème est un musical théâtral, à l'américaine. On se réjouit de voir le mordant de l'écriture de Beaupain (excellentes paroles) serti dans un écrin musical plutôt lyrique. Des réserves toutefois : derrière les clins d'oeil cinéphiles, un scénario d'une grande banalité, une chanson rappelant trop les Rap-tout des Inconnus, et un des morceaux est musicalement très proche du tango du malaise de Jeanne et le garçon formidable, comédie musicale française autrement plus profonde...
NOËL A MILLER'S POINT (Tyler Taormina, 11 déc) LL
La sortie en fin d'année de ce film américain indépendant n'est pas fortuite. Il est pourtant à contre-temps des tendances lourdes de l'audiovisuel actuel : alors que l'heure est aux scénarios bétonnés, ce film-ci offre peu de rebondissements, même si on découvre petit à petit la situation familiale au gré de conversations qu'on surprend comme par effraction (elles ont commencé avant le début de la scène et se prolongent après). Si le film est peu passionnant, le style séduit : par son attention portée successivement à tous les personnages, il propose un joli bouquet entremêlé de portraits individuels réalisés en groupe, et, dans une deuxième partie, la discrète échappée de deux cousines parties rejoindre leur bande d'amis constitue une respiration bienvenue...
LES REINES DU DRAME (Alexis Langlois, 27 nov) LL
Racontée depuis 2055 (!), la romance plus ou moins clandestine entre deux chanteuses qui ont fait des choix artistiques aux antipodes : la gagnante d'une émission de télé-crochet au milieu des années 2000, qui se conforme à tout ce que l'industrie attend pour assurer un carton commercial, et une punkette féministe queer, rageuse en public, sensible en privé, sincère tout le temps, qui cultive bec et ongles son intégrité politique et musicale (et conjugue radicalité affichée avec pudique aménité). Malheureusement pour nos oreilles, c'est la première qui est au centre du film. Ce premier long métrage veut tellement embrasser tous les personnages qu'il donne l'impression d'une absence de point de vue, et le côté satirique, un peu bâclé, manque de profondeur...
LE BEAU RÔLE (Victor Rodenbach, 18 déc) LL
L'argument principal du film, une comédie romantique dans laquelle un comédien est tenté par une infidélité professionnelle par rapport au travail en commun avec sa compagne metteuse en scène (il a joué dans tous ses spectacles), a des affinités involontaires avec Septembre sans attendre de Jonas Trueba, autrement plus original sur le fond et plus convaincant sur la forme. Sur le travail théâtral, Va savoir de Jacques Rivette, par exemple, était plus troublant et abouti. Les premiers rôles sont cependant bien interprétés (Vimala Pons, William Lebghil, Jérémie Laheurte, Pauline Bayle...), et ce premier film d'un scénariste de télévision comporte notamment une bonne idée visuelle : des échanges de regard complices sous-titrés à l'écran...
LES FEMMES AU BALCON (Noémie Merlant, 11 déc) L
J'avais envie d'aimer cette satire du patriarcat et des violences sexistes et sexuelles coécrite par l'excellente Céline Sciamma. A l'exception d'une scène de viol conjugal qui semble d'un réalisme glaçant, le reste tient plutôt du Grand-Guignol. Le choix d'adopter un style de série Z horrifique semble assumé, mais le résultat peine à convaincre, formellement comme sur le fond, car par ce traitement le film rate peut-être une partie de sa cible, à savoir un sexisme qui serait plus insidieux... La crédibilité est déjà entamée dès la première scène, où il est censé faire plus de 40 °C dehors, et pourtant tous les habitant.e.s de l'immeuble laissent entrer la chaleur en ouvrant en grand les porte-fenêtres...
THE SUBSTANCE (Coralie Fargeat, 6 nov) 0
Une présentatrice télé est remerciée le jour de son cinquantième anniversaire. Cependant, elle fait l'acquisition d'un produit miracle qui lui fait endosser une semaine sur deux la peau d'un double d'elle-même plus jeune et sexy... Le film a eu le prix du scénario à Cannes. Or c'est peut-être ce qu'il y a de pire, compte tenu du sens que lui donne la mise en scène. En effet, si l'interprétation satirique de Dennis Quaid en producteur bas de plafond est une sorte de caution féministe du film, en revanche les codes du body horror renforcent l'âgisme soit-disant dénoncé, en montrant le consentement du personnage principal à se conformer aux canons stéréotypés de la femme-objet, et avec une vision de la vieillesse envisagée nécessairement comme une monstruosité (avec le paradoxe de la faire interpréter par Demi Moore).
NB : "Guérilla des Farc, l'avenir a une histoire" de Pierre Carles et "Vingt dieux" de Louise Courvoisier, toujours à l'affiche, sont de vraies réussites mais ont déjà été évoqués dans le précédent billet...
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Il n'y a pas que le ciné dans la vie
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