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Suite et fin des films du printemps 2017

  • Bravo : Visages villages (Agnès Varda et JR)
  • Bien : Souffler plus fort que la mer (Marine Place), Le Jour d'après (Hong Sang-soo), Ava (Léa Mysius)
  • Pas mal : Ce qui nous lie (Cédric Klapisch), L'Amant d'un jour (Philippe Garrel), Rodin (Jacques Doillon), Retour à Montauk (Volker Schlöndorff)
  • Bof : Creepy (Kiyoshi Kurosawa), Drôles d'oiseaux (Elise Girard), L'Amant double (François Ozon)

VISAGES VILLAGES (Agnès Varda et JR, 28 juin) LLLL
Dès le générique, excellent, on est prévenu : l'association entre Agnès Varda, cinéaste aussi majeure qu'inclassable, et JR, "street artist", va faire des étincelles. L'idée de départ est de partir à la rencontre d'inconnu-e-s dans les villages français (dans le bassin minier ou des régions agricoles), de les photographier grâce à leur camion-photomaton, et de les exposer en très grand, de façon plus ou moins éphémère, par collage, sur un lieu emblématique. La technique, la créativité de JR sont impressionnantes, mais la crédibilité de la démarche vient surtout de la générosité d'Agnès Varda. Comme dans Les Glaneurs et la glaneuse, c'est elle qui est la plus douée pour réaliser des rencontres émouvantes, mettre en lumière des personnes qui n'y sont pas habituées, les respecter, restituer leur personnalité, leur dignité et leur mémoire. Elle y met du sien, en assumant sa vulnérabilité et ses problèmes de vue (elle voit de plus en plus flou), tout en étant au meilleur de sa forme au niveau du montage, intuitif, d'une folle liberté. Si on gratte un peu, la politique n'est jamais très loin. Un des films les plus emballants de l'année, d'une inventivité aussi grande que sa sensibilité.

SOUFFLER PLUS FORT QUE LA MER (Marine Place, 10 mai) LLL
Malgré sa courte durée (1h25) et la simplicité de son scénario (sur une île au large de la Bretagne, une famille de pêcheurs est pressée par la banque de vendre son bateau, son outil de travail, pour toucher la prime à la casse et éponger ses dettes), ce premier long métrage de fiction de Marine Place ne manque pas de souffle. Malgré son point de départ naturaliste, le film se hisse nettement au-dessus de la moyenne, grâce à une mise en scène très inspirée, très maîtrisée et pourtant sans ostentation. On ne le voit pas venir, mais certaines scènes qu'on croyait banales au départ (par exemple une réunion dans un bistrot) nous surprennent et nous submergent. Dans cette fable, tout semble vrai (par exemple Corinne Masiero a l'air d'avoir vécu toute sa vie dans l'île), et il n'y a pas d'autre musique que celle jouée par les personnages, surtout par Julie (Olivia Ross, épatante), l'héroïne en quête d'émancipation qui ne se sépare presque jamais de son saxophone (soprano). Dommage que ce beau film ne bénéficie que d'une sortie en catimini...

LE JOUR D'APRES (Hong Sang-soo, 7 juin) LLL
Par une certaine paresse journalistique, le cinéma de Hong Sang-soo a souvent été qualifié chez nous de rohmérien, mais ici ce néologisme est parfaitement adapté. C'est le premier jour de travail pour Areum (Kim Min-hee, l'héroïne de Mademoiselle et Un jour avec, un jour sans), engagée dans une petite maison d'édition comme unique employée en remplacement d'une femme qui avait une liaison avec Bongwan, son patron. Un quiproquo éclate avec la femme légitime de ce dernier. Cela pourrait être un vaudeville, mais c'est plutôt un conte d'hiver cruel pour les personnages mais plaisant pour les spectateurs, a fortiori s'ils font attention à la mise en scène très élaborée du cinéaste, malgré le minimalisme apparent du dispositif. Ici, pas de champ/contre-champ : les discussions à deux sont filmées de profil (la femme à gauche de l'écran, l'homme à droite), les discussions à 3 aussi, mais l'homme apparaît cette fois à gauche de l'écran ! Le cinéaste zoome parfois pour isoler un des personnages. Ces motifs tissent des sortes de rimes entre les différentes situations (Hong Sang-soo aime bien les fausses répétitions). Si on ajoute la réussite du noir et blanc, tout ça donne un relief remarquable et parfois inattendu à une histoire qui aurait pu être banale.

AVA (Léa Mysius, 21 juin) LLL
Ava a 13 ans, mais est déjà pubère (et interprétée par Noée Abita, une comédienne plus âgée et épatante, une sorte de petite soeur d'Adèle Exarchopoulos). Elle est en vacances avec sa mère (célibataire et dragueuse) au bord de la mer, lorsqu'elle apprend qu'elle va perdre la vue plus vite que prévu, à commencer par la vision en lumière basse. Elle est bien décidée à profiter à fond de son été. Le premier long métrage de Léa Mysius aurait pu être une chronique naturaliste, sur la perte d'un sens majeur et très cher à tous les cinéphiles (la vue) et la découverte de nouveaux sens et de la sensualité. Mais, peu à peu, avec notamment un grand chien noir (qu'on découvre dès la première scène), appartenant à un jeune marginal, le film glisse de la réalité à quelque chose de moins immédiat et beaucoup plus romanesque. Un coup d'essai qui joue sur des changements de tonalité, et nourri par certains plans d'une grande inventivité visuelle, mais aussi par une B.O. remarquable et au registre étendu.

CE QUI NOUS LIE (Cédric Klapisch, 14 juin) LL
A la mort de son père, Jean, qui était installé en Australie, revient en France sur les terres viticoles de son enfance, où il retrouve son frère et sa soeur qui les cultivent et à qui il n'avait pas donné de nouvelles depuis des années. Il décide de rester pour les vendanges... Bien sûr, on n'échappe pas à des passages obligés sur les problématiques d'une certaine bourgeoisie de province (transmission, pérennité du domaine...). Mais Cédric Klapisch verse aussi une larme de social, de féminisme et d'écologie. Et, surtout, l'essentiel est ailleurs : il s'agit plutôt de portraiturer un âge de la vie, où la jeunesse laisse poindre une maturité naissante. Formellement, ce n'est pas un grand cru, mais ce n'est pas non plus de la piquette, grâce notamment à un trio d'acteurs épatants (Ana Girardot, Pio Marmaï, François Civil) qu'on déguste bien frais.

L'AMANT D'UN JOUR (Philippe Garrel, 31 mai) LL
Parité respectée dans l'équipe de scénaristes qui a (bien) écrit ce film : Caroline Deruas (la réalisatrice prometteuse de L'Indomptée), Arlette Langmann, Jean-Claude Carrière et Philippe Garrel lui-même. Jeanne, une jeune femme d'environ 23 ans, revient, après une rupture sentimentale, chez son père, un prof de fac qui a pour nouvelle compagne Ariane, une jeune femme du même âge qu'elle. L'histoire est un prétexte à une nouvelle réflexion sur l'engagement, la fidélité, la jalousie et les rapports homme-femme, dans la lignée des deux précédents films du cinéaste (La Jalousie et L'Ombre des femmes). Mais il stylise à la fois trop (ce film-ci peut sembler stratosphérique, alors que Garrel a su parfois entrelacer passions amoureuses, changement social et radicalités politiques, comme dans Les Amants réguliers) et trop peu (le noir et blanc de Renato Berta est ici moins tranchant que celui du regretté William Lubtchansky).

RODIN (Jacques Doillon, 24 mai ) LL
Autant prévenir tout de suite : ceux qui espèrent un biopic de prestige, avec scénario rebondissant et musique soulignant des scènes spectaculaires, en seront pour leurs frais (ce qui explique peut-être le mauvais accueil du film à Cannes par la presse anglo-saxonne). Ce qui intéresse Doillon, c'est de voir Rodin (Vincent Lindon, très bien) au travail, à partir du moment où il reçoit sa première commande de l'Etat. Il n'y a aucune dramaturgie forte, à part l'évolution de ses relations - patriarcales - avec les femmes de sa vie, Camille Claudel (Izia Higelin) et la fidèle Rose (Séverine Caneele, très changée par rapport à ses débuts). Mais il y a des scènes passionnantes sur sa pratique artistique, qui a bousculé les attentes de certains de ces contemporains. La caméra de Doillon est moins virtuose, plus sobre qu'à l'accoutumée, dans cette oeuvre de commande honorable mais parfois flottante.

RETOUR A MONTAUK (Volker Schlöndorff, 14 juin) LL
Max Zorn est un écrivain allemand renommé qui débarque à New York, accompagné de sa jeune épouse et de son attachée de presse pour promouvoir son dernier livre. Il en profite pour retrouver la source d'inspiration de ce roman, Rebecca, qu'il avait aimée dix-sept ans plus tôt. Dans le rôle principal, Stellan Skarsgard (un habitué des films de Lars Von Trier) excelle, à l'heure du bilan existentiel, entre remords (avoir fait du mal) et regret (avoir laissé passer quelque chose). Nina Hoss est moins impériale que prévu, ce qui permet aux deux autres femmes (jouées par Suzanne Wolff et Isi Laborde) d'exister, dans une interprétation homogène. Par certains aspects, le film peut rappeler Sils Maria d'Assayas, mais en beaucoup moins intense, basé un peu trop sur les dialogues (avec digression convenue sur les difficultés de l'Europe) et une musique au bord du pléonasme.

CREEPY (Kiyoshi Kurosawa, 14 juin) L
Un ancien policier, devenu professeur en criminologie après avoir été blessé par un serial killer, s'installe avec son épouse dans un nouveau quartier. Alors qu'un étudiant lui demande de s'intéresser à une enquête non résolue sur des disparitions, il fait connaissance, avec sa femme, de leurs nouveaux voisins... Au début, on pense avoir retrouvé le meilleur Kurosawa, qui n'a pas son pareil pour créer des situations troubles, et créer l'angoisse rien que par la mise en scène (jeux de lumière, souffle dans les rideaux...). Mais, malheureusement, il résout un peu trop vite l'intrigue, évoluant avec des ficelles un peu trop grosses vers une farce grotesque assez maladroite.

DRÔLES D'OISEAUX (Elise Girard, 31 mai) L
Le premier long métrage de fiction d'Elise Girard, Belleville Tokyo (2011), était prometteur. Malheureusement, celui-ci est une caricature de film germano-pratin. Une jeune provinciale dont on ne sait à peu près rien débarque à Paris et rencontre un vieux libraire qui lui offre le gîte (auparavant, elle squattait le canapé d'une amie) et un job. Elise Girard s'est entourée de Renato Berta à la lumière et Bertrand Burgalat à la musique, et on est content de retrouver Jean Sorel (excellent dans Sandra de Visconti) et Virginie Ledoyen (dans un tout petit rôle), mais ça ne suffit pas à compenser la vacuité de l'ensemble. Même l'irruption dans le récit de militants antinucléaires donne l'impression d'être hors sol.

L'AMANT DOUBLE (François Ozon, 26 mai) L
François Ozon a voulu réaliser un thriller psycho-érotique, autour de la notion de double. Dès le début, il montre un escalier en colimaçon, façon d'évoquer Sueurs froides (Vertigo) d'Hitchcock. Un clin d'oeil écrasant pour ce film roublard, qui raconte la relation compliquée entre un psy (Jérémie Renier), le personnage double de l'histoire (encore qu'il y en a peut-être d'autres...) et Chloé, une patiente se plaignant de maux de ventre (Marine Vacth). Le scénario, inspiré d'un roman de Joyce Carol Oates (écrit sous pseudonyme), n'est pas mauvais, mais François Ozon en fait pourtant une suite de scènes impossibles : à cause de sa mise en scène superficielle, à peu près rien ne marche au premier degré. Ambitieux mais raté.

Version imprimable | Films de 2017 | Le Lundi 26/06/2017 | 0 commentaires




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