- Bravo : Les Fantômes d'Ismaël (Arnaud Desplechin)
- Bien : Tunnel (Kim Seong-Hun), Après la tempête (Hirokazu Kore-Eda), I am not your negro (Raoul Peck), Alien : Covenant (Ridley Scott), Get out (Jordan Peele)
- Pas mal : Glory (Kristana Grozeva, Petar Valchanov), De toutes mes forces (Chad Chenouga), Cessez-le-feu (Emmanuel Courcol)
- Bof : Voyage of time (Terrence Malick), Problemos (Eric Judor)
LES FANTÔMES D'ISMAËL (Arnaud Desplechin, 17 mai) LLLL
Ismaël (Mathieu Amalric) est un cinéaste, retiré près de l'océan pour terminer l'écriture d'un film, seulement accompagné de Sylvia (Charlotte Gainsbourg), sa compagne astrophysicienne. Le principal fantôme, c'est Carlotta (Marion Cotillard), son ex-épouse peinte sur un tableau accroché au mur, qui a disparu sans laisser de traces 21 ans plus tôt, et qui surgit sur la plage, bien vivante, pour renouer avec Ismaël. Leurs interactions vont faire, comme on l'imagine, des étincelles, mais le film est beaucoup plus riche que ça, et cette situation de départ un poil trop écrite. Romanesque, il raconte aussi une histoire de diplomate ou d'espion (un certain Dédalus, comme dans d'autres Desplechin), dont on peine à comprendre dès le début le rapport avec l'intrigue principale. Faussement flottant au départ, le film peu à peu s'emballe et s'amuse à rassembler toutes les pièces du puzzle dans une deuxième moitié assez irrésistible. Rien n'est anodin, tous les détails finissent par compter. Le montage est exceptionnel, et la mise en scène a ses audaces (un voyage en train vers Roubaix filmé de façon très originale, un exemple parmi beaucoup d'autres). Le drame sentimental s'aère par des éléments de comédie d'un humour très singulier (autodérision ?) et jubilatoire. Un des meilleurs films de l'année, qui rejoint Rois et reine et Un conte de Noël parmi les plus grandes réussites d'Arnaud Desplechin qui montre là son amour du cinéma, offrant en une seule séance une richesse que des scénaristes de série télévisée déclineraient en de multiples épisodes...
TUNNEL (Kim Seong-Hun, 3 mai) LLL
En chemin pour fêter l'anniversaire de sa fille, Jung-So se retrouve coincé dans sa voiture par l'éboulement d'un tunnel routier heureusement peu fréquenté. L'opération de sauvetage va s'avérer assez compliquée... C'est, au départ, un film-catastrophe délesté de la boursouflure de ses homologues hollywoodiens : il n'y a qu'une victime recensée à secourir. Cela n'empêche pas la mise en scène d'être très efficace (avertissement aux spectateurs les plus claustrophobes). On s'attache aussi au chef de l'équipe de sauvetage, mais là non plus, aucune glorification (on n'est pas chez Eastwood). En effet, les contraintes inhérentes à l'exercice sont peu à peu redoublées par des difficultés d'un autre ordre : malfaçons dans la construction du tunnel, gouvernement peu scrupuleux et uniquement soucieux de son image, couverture médiatique indécente compliquant le tout... Au final un grand film à suspense, mais aussi une satire, qu'on devine réaliste, de la société coréenne.
APRES LA TEMPETE (Hirokazu Kore-Eda, 26 avr) LLL
Ryota est rattrapé par le même vice que son père, récemment décédé : une passion pour les jeux d'argent, avec ses corollaires (les tristes mensonges et stratagèmes pour soutirer de l'argent à son entourage). Depuis son unique roman à succès, il accumule les désillusions : il a perdu sa femme et la garde de son fils, et est devenu détective privé pour gagner sa vie, rembourser ses proches et payer la pension alimentaire. Une nuit de tempête, il se retrouve à cohabiter sous le même toit avec sa mère, son ex-femme et son fils... Bien sûr, on est en terrain assez connu : Hirokazu Kore-Eda continue son observation des structures familiales dans le Japon contemporain, mais retrouve une finesse de trait et un discret mordant digne de certains de ses meilleurs films (Still walking). Une portée presque philosophique est apportée par petites touches par le personnage de la grand-mère, interprétée par Kirin Kiki (Les Délices de Tokyo), notamment dans ses conversations avec Ryota...
I AM NOT YOUR NEGRO (Raoul Peck, 10 mai) LLL
On connaissait les engagements du cinéaste Raoul Peck à travers certaines réalisations antérieures, comme la fiction consacrée à Lumumba (2000). Le revoici en tant que documentariste, à travers un siècle d'histoire des Etats-Unis vu à travers le sort réservé aux Afro-américains. C'est la forme qui fait la force et l'originalité du documentaire. La voix off est entièrement composée d'un texte inédit du grand écrivain noir américain James Baldwin, intitulé "Remember this house", projet inachevé d'écriture autour de trois leaders de la lutte pour les droits civiques, Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King, tous assassinés avant 40 ans. Les images, toutes en noir et blanc, sont des archives télévisuelles, des extraits de films et quelques images d'actualité récente. Le texte de Baldwin est remarquable, pugnace, sage et profond à la fois. Un film audacieux (imaginerait-on un tel documentaire sur la France avec des textes d'Aimé Césaire ou Frantz Fanon ?).
ALIEN : COVENANT (Ridley Scott, 10 mai) LLL
Plus de trente ans après Alien, le huitième passager, Ridley Scott a voulu enrichir son univers en réalisant un ou des prequels au film initial. Cela a donné d'abord Prometheus il y a 5 ans, pas désagréable, mais inégal, qui souffrait peut-être d'un trop grand nombre de personnages, pas assez creusés. Alien : Covenant, franchement plus réussi, se situe une douzaine d'années après l'action de Prometheus, et commence à régler les problèmes de sureffectifs dès les 10 premières minutes. Du coup, les personnages restants sont plus intéressants, plus développés (il n'y a pas que les êtres humains : les deux androïdes "frères" joués par Michael Fassbender sont parmi les plus ambigus), sans que cela ralentisse le film qui régénère un style de science-fiction horrifique. Le film pourrait presque se suivre indépendamment des autres, l'histoire limpide tournant autour de l'exploration d'une exoplanète dans la zone d'habitabilité, mais qui va se montrer hostile... Prometheus et ce film-ci bénéficient des mêmes effets spéciaux, mais la mise en scène est beaucoup mieux réussie dans celui-ci, et l'accompagnement musical aussi (merci Wagner...).
GET OUT (Jordan Peele, 3 mai) LLL
Un jeune Afro-américain est présenté à sa belle-famille blanche par sa compagne très amoureuse, lors d'un week-end à la campagne dans la riche demeure familiale. Elle ne leur a pas dit qu'il était black. Le beau-père le rassure tout de suite en assurant qu'il avait voté deux fois pour Obama. Cependant, la formalité va très vite se révéler pleine de dangers... Il fallait du culot pour oser fabriquer un film de genre (horreur mais pas gore) avec en toile de fond le racisme persistant de la société américaine. Le fin mot de l'histoire n'est pas forcément ce qu'il y a de plus convaincant, mais le film est assez malin dans sa mise en scène constamment alerte, et avec un humour (noir) tenu jusqu'au bout.
GLORY (Kristana Grozeva, Petar Valchanov, 19 avr) LL
Tsanko, un employé chargé de l'entretien des chemins de fer bulgares, découvre à proximité des voies un sac rempli de billets, et prévient la police. L'information n'échappe pas à des cadres du ministère des transports. Ils organisent une cérémonie de récompense pour redorer le blason du ministre et faire oublier d'autres affaires. C'est là que les ennuis commencent pour Tsanko... Dans ses meilleurs moments, le film peut faire penser aux comédies italiennes des années 50-60, où un candide sert de révélateur des vices d'une société, tout comme à l'humour à froid des films roumains contemporains de Mungiu ou Porumboiu. Mais avec moins de rigueur formelle, et des facilités un peu usées (par exemple, avoir chargé Tsango en personnage bègue et très naïf).
DE TOUTES MES FORCES (Chad Chenouga, 3 mai) LL
Le titre est assez nul, mais le film ne l'est pas du tout. Il s'agit de l'histoire d'un lycéen qui va perdre sa mère droguée aux médicaments, et va être placé dans un foyer. S'il annonce la mort de sa mère à ses camarades issus de milieux assez bourgeois, il leur ment en prétendant être hébergé chez son oncle. Le scénario et l'interprétation (entre autres Khaled Alouach dans le rôle principal, Yolande Moreau ou Jisca Kalvanda - révélée par Divines) sont d'une grande finesse. Malheureusement ces qualités sont mal servies par une mise en scène un peu trop quelconque, qui n'arrive pas à se distinguer vraiment d'un téléfilm édifiant. A voir néanmoins pour ceux qui sont plus sensibles au fond qu'à la forme.
CESSEZ-LE-FEU (Emmanuel Courcol, 19 avr) LL
Cinq ans après la fin de la Première Guerre mondiale, Georges, parti en Afrique pour oublier les tranchées, rentre à Paris où il retrouve son frère Marcel, revenu choqué du conflit, et qui a perdu l'usage de la parole et apprend la langue des signes. C'est le premier long métrage en tant que réalisateur d'Emmanuel Courcol, qui a déjà été scénariste pour Philippe Lioret. L'intention est belle, même s'il y a des maladresses (la partie africaine ne tranche pas frontalement avec certains clichés coloniaux). Mais le scénario est assez prévisible, et la mise en scène un peu trop sage. Reste un quatuor de très bons interprètes qu'on prend plaisir à voir jouer ensemble : Romain Duris, Grégory Gadebois, Céline Sallette et Julie-Marie Parmentier.
VOYAGE OF TIME (Terrence Malick, 4 mai) L
Le nouveau film de Terrence Malick se voudrait à la fois documentaire et poème. Côté documentaire, on a droit à une évocation chronologique de l'histoire de l'Univers et de la vie sur Terre, avec des images se voulant spectaculaires (et qui le sont parfois). Le problème c'est qu'on a déjà vu mille fois mieux il y a déjà trente ans, grâce à la télévision japonaise, avec la série La Planète miracle, avec des images de synthèses très inspirées et des commentaires scientifiques roboratifs. Ici, aucun éclairage savant mais, et c'est le côté poétique, une voix off (lue par Cate Blanchett) finalement assommante de conformisme, d'emphase et de prétention. Difficile après cela de revoir dans les meilleurs dispositions Tree of life...
PROBLEMOS (Eric Judor, 10 mai) L
Un citadin un peu beauf est invité à passer quelques jours dans une "ZAD" (zone à défendre), zone humide menacée par un projet de parc aquatique. Certes le film échappe à la mode de la comédie industrielle un peu réac, mais ce n'est pas non plus de l'humour engagé. Le scénario a été coécrit par Blanche Gardin (humoriste plutôt progressiste) et Noé Debré (propagateur de clichés faciles qui avait notamment co-écrit Dheepan), et de cette confrontation ne sort presque rien. Rien n'est crédible. Par exemple c'est une zone humide, mais sans boue (il y fait toujours beau et chaud). Dans ce Club Med pour gauchistes, les coups de théâtre sont abracadabrants, l'absurde y est puéril (n'est pas Quentin Dupieux ou Benoît Forgeard qui veut). Mise en scène inexistante. Seule idée à sauver : un enfant qui n'a ni prénom ni sexe (pour qu'il puisse choisir lui-même plus tard). Et un embryon de réflexion sur la difficulté que peuvent avoir des altermondialistes, même radicaux, à se déprendre définitivement de l'aliénation individualiste et consumériste. Dommage (problemos en effet).
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