S'identifier

Films du début de printemps 2017

  • Bravo : Corporate (Nicolas Silhol)
  • Bien : L'Autre côté de l'espoir (Aki Kaurismaki), Patients (Grand Corps Malade, Mehdi Idir), Félicité (Alain Gomis)
  • Pas mal : Lettres de la guerre (Ivo M. Ferreira), The Lost city of Z (James Gray), Pris de court (Emmanuelle Cuau)
  • Bof : Fantastic birthday (Rosemary Myers), Orpheline (Arnaud Des Pallières)

CORPORATE (Nicolas Silhol, 5 avr) LLLL
Emilie est DRH dans le secteur financier d'une multinationale, lorsque l'un des collaborateurs de ce service se suicide sur son lieu de travail. Elle va d'abord tenter de défendre son entreprise et sauver sa peau, alors qu'une enquête est ouverte... Pour son premier film, Nicolas Silhol signe un thriller politique et social d'une grande tension. D'autres rares films ont déjà traité un sujet similaire (l'excellent Sauf le respect que je vous dois (2006) de Fabienne Godet avec Olivier Gourmet), mais la première audace de celui-ci est d'avoir pris une DRH comme personnage principale (Céline Sallette est extraordinaire dans ce rôle d'abord antipathique). La deuxième audace est d'avoir donné un des autres rôles principaux à une inspectrice du travail (Violaine Fumeau), corps de métier quasi-absent du cinéma. Mais ces rôles très incarnés, et jamais manichéens, n'empêchent pas le cinéaste d'interroger, outre les responsabilités individuelles, celle de la "superstructure" (pour reprendre un terme marxiste) ou du "système" (mot à la mode ces derniers temps), à savoir ici le "lean management" (management du dégraissage) assumé par les dirigeants de l'entreprise pour se séparer de certains collaborateurs sans avoir à les licencier (et leur payer des indemnités). Un film remarquable tant dans la mise en scène formelle que dans le traitement du sujet.

L'AUTRE COTE DE L'ESPOIR (Aki Kaurismaki, 15 mar) LLL
Dans cette nouvelle tragi-comédie, on suit en alternance les trajectoires de Khaled d'une part, un réfugié syrien qui va tenter d'obtenir l'asile en Finlande et d'avoir des nouvelles de sa soeur, et d'autre part de Vikström, un VRP qui rompt avec sa femme alcoolique et son ancienne vie de petit soldat du capitalisme pour racheter un petit restaurant (dans lequel on n'a pas forcément envie de manger). Bien sûr, les deux trajectoires vont finir par se croiser... Aki Kaurismaki donne l'impression d'hésiter entre réaliser un film humaniste d'une brûlante actualité et un film d'auteur très stylisé. En effet, on reconnaît dès les premiers plans sa mise en scène dans le travail sur la lumière, les couleurs, on croise des figures connues de son univers (Kati Outinen, des papys du rock etc...), mais la greffe ne prend pas complètement entre ce style intemporel et l'urgence du propos politique. C'est donc un très beau film, mais qui marquera moins que certaines grandes réussites antérieures (L'Homme sans passé) et risque de ne parler qu'aux convaincus d'avance, cinéphiles et citoyens du monde...

PATIENTS (Grand Corps Malade, Mehdi Idir, 1er mar) LLL
Avec l'aide de Mehdi Idir, le réalisateur de ses clips, Grand Corps Malade livre un premier film qu'on devine largement autobiographique, autour d'un jeune homme qui, après un accident de plongeon, se retrouve tétraplégique incomplet. Alors bien sûr il ne se prend pas pour Kubrick ou Orson Welles, mais, mis à part les trois premières minutes en caméra subjective, il n'y a pas de maladresse formelle. Et, à défaut de virtuosité dans l'utilisation de la grammaire cinématographique, Grand Corps Malade maîtrise superbement les registres de langue de ses personnages. Il arrive à tenir son film à bonne distance des deux écueils liés à son sujet, à savoir une trop grande prudence d'un côté ou un volontarisme comique démago (façon Intouchables) de l'autre. Au contraire, Patients fait une utilisation intelligente d'humour, à la bonne dose (ni trop ni trop peu). Et bénéficie de l'excellente prestation de ses jeunes interprètes (Pablo Pauly, Soufiane Guerrab, Nailia Harzoune, Franck Falise, Moussa Mansaly).

FELICITE (Alain Gomis, 29 mar) LLL
Félicité est une chanteuse de bar fière et indépendante. Mais tout va basculer lorsqu'elle va devoir réunir en urgence une somme importante pour payer une opération à son fils victime d'un grave accident de la route. Félicité se lance alors dans une course effrénée à travers la ville. Résumées comme cela, les prémices de ce film peuvent faire penser à ceux des Dardenne. Or le film est plus singulier. S'il y a bien, surtout dans la première partie, un essai de cinéma-vérité, presque documentaire sur Kinshasa, le film mute en quelque chose de moins naturaliste, moins rationnel, plus intime. Au départ, on pense que la forme du film est un point faible, avec une caméra à l'épaule souvent hésitante. Mais petit à petit, la forme devient plus aboutie, grâce à la musique, écartelée entre la fusion électro-traditionnelle du groupe Kasaï Allstars et le répertoire classique de l'Orchestre symphonique de Kinshasa, mais aussi grâce au montage, qui peu à peu mêle au trivial des scènes oniriques et spirituelles.

LETTRES DE LA GUERRE (Ivo M. Ferreira, 12 avr) LL
Au début des années 1970, le futur grand écrivain Antonio Lobo Antunes est envoyé en Angola, en tant que jeune médecin, en pleine guerre coloniale. Tous les jours il écrit des lettres à sa femme enceinte, restée à Lisbonne. Contrairement à la convention cinématographique la plus courante, ces échanges épistolaires ne sont pas lus en voix off par le comédien qui en incarne l'auteur, mais par une voix féminine qui représente la destinataire. Sur l'écran, les plans illustrent le propos, angoissant, mélancolique, politique, poétique ou amoureux, avec des dialogues réduits au minimum, et des images en noir en blanc qui font penser à Tabou, le chef d'oeuvre de Miguel Gomes. Mais autant ce dernier avait une vraie force dramatique, narrative et une grande puissance cinématographique, autant le film d'Ivo M. Ferreira n'arrive pas vraiment à aller au-delà de son matériau littéraire, réussissant tout de même un joli exercice de style.

THE LOST CITY OF Z (James Gray, 15 mar) LL
James Gray change radicalement d'univers en racontant l'histoire vraie de Percival Fawcett, un major de l'armée britannique, qui est envoyé au début du XXè siècle en Amazonie pour cartographier la frontière entre le Brésil et la Bolivie et éviter un conflit néfaste aux profits des colons qui exploitent le caoutchouc. Dès sa première expédition, il est persuadé d'avoir découvert au coeur de la jungle les traces d'une civilisation perdue. Il rêve d'y retourner, bien que ces longues missions le privent de profiter de ses enfants et de sa femme (Sienna Miller, qui donne de la personnalité à son personnage en quelques scènes). Petit à petit, James Gray arrive à nous intéresser à son sujet. Mais la forme est plus mitigée : les belles images de Darius Khondji semblent parfois contre-productives, et son personnage principal (interprété par Charlie Hunnam, aux faux airs de Brad Pitt) garde une coiffure impeccable, dans la jungle comme au fin fond des tranchées de la Première Guerre mondiale...

PRIS DE COURT (Emmanuelle Cuau, 29 mar) LL
Nathalie, une joaillère qui élève seule ses deux fils (elle est veuve), débarque à Paris pour rejoindre le poste qu'on lui a promis, mais l'employeur se ravise et elle est obligée de chercher un autre travail. Elle cache ce fait à ses enfants, mais l'aîné s'en aperçoit, tandis qu'il se laisse entraîner par un camarade de lycée vers une situation délicate... On est content de retrouver la cinéaste Emmanuelle Cuau, qui avait si bien réussi Très bien, merci (avec Gilbert Melki, encore de la partie ici). Ici, elle dirige à merveille Virginie Efira (qui s'est fait la tête de Gena Rowlands chez Cassavetes). Mais le film souffre d'invraisemblances, comme si la réalisatrice n'avait pas su trouver de solutions dans le scénario ou la mise en scène pour crédibiliser toutes les scènes liées à l'intrigue policière.

FANTASTIC BIRTHDAY (Rosemary Myers, 22 mar) L
Une adolescente, qui refuse de grandir, est obligée de fêter son quinzième anniversaire par ses parents. Elle doit faire face à la méchanceté de certaines filles de sa classe et ne sait pas trop quoi faire de l'amitié d'un garçon aussi lunaire qu'elle. Il y a des choses assez drôles, et on pense dans les meilleurs moments à une sorte de Moonrise kingdom (Wes Anderson) transposé dans les années 70 en Australie : uniformes ingrats, disco, sortie émouvante de l'enfance etc. Mais le film en fait tellement trop qu'il frôle l'insignifiance. Et c'est au moment où il prend une direction un peu plus convaincante qu'il s'arrête ! Un petit ratage sympathique mais frustrant.

ORPHELINE (Arnaud Des Pallières, 29 mar) L
Arnaud Des Pallières a choisi de raconter quatre moments clés d'une femme jeune (à environ 30, 20, 14 et 7 ans), en faisant appel à quatre actrices différentes qui ne se ressemblent pas physiquement, dont trois d'entre elles sont proches en âge et parmi les meilleures de leur génération (Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot). Ce pari là fonctionne, de par la grammaire cinématographique et la structure narrative de l'ensemble. En revanche, curieusement, tous les autres aspects du film (les mauvaises rencontres, les éléments de polar poisseux) paraissent théoriques, arbitraires, tellement la mise en scène est sèche, comme vaine. Dommage...

Version imprimable | Films de 2017 | Le Mardi 18/04/2017 | 0 commentaires




Archives par mois


Liens cinéphiles


Il n'y a pas que le ciné dans la vie

Des liens citoyens