- Bien : Paris pieds nus (Dominique Abel, Fiona Gordon), 20th century women (Mike Mills), American honey (Andrea Arnold), Certaines femmes (Kelly Reichardt), Moonlight (Barry Jenkins)
- Pas mal : L'Indomptée (Caroline Deruas), Dans la forêt (Gilles Marchand), Le Secret de la chambre noire (Kiyoshi Kurosawa)
PARIS PIEDS NUS (Dominique Abel, Fiona Gordon, 8 mar) LLL
Employée dans une petite bourgade au fin fond du Canada, Fiona s'inquiète pour sa tante Martha installée à Paris. Elle débarque dans la capitale française, et va partir à la recherche de la vieille dame, en étant suivie malgré elle par Dom, un SDF plus ou moins égoïste... Cela faisait six ans qu'on n'avait plus de nouvelles du duo Dominique Abel et Fiona Gordon. Ici, on retrouve avec plaisir une fraîcheur d'inspiration digne de leur coup d'essai (L'Iceberg). L'intérêt de leurs films ne réside jamais dans le scénario littéral mais dans le style burlesque, la fragilité des corps et de leurs mouvements qui dessinent une certaine condition humaine, dans une tradition humaniste qui part de Chaplin pour arriver jusqu'à Kaurismaki. Mais l'influence française est aussi présente, avec l'arrivée dans leur univers de Pierre Richard, ou dans leur proximité avec les prouesses circassiennes de clowns-acrobates (auxquelles Pierre Etaix était attaché). Dans un registre inhabituel pour elle, Emmanuelle Riva excelle en tante Martha, dans un de ses ultimes rôles...
20TH CENTURY WOMEN (Mike Mills, 1er mar) LLL
En 1979, à Santa Barbera, Dorothea (Annette Bening), une femme célibataire dans la cinquantaine, élève seule Jamie (Lucas Hade Zumann), son fils de 15 ans. Pour parfaire son éducation, elle demande de l'aide à Abbie (Greta Gerwig), une photographe trentenaire un peu tourmentée, et à Julie (Elle Fanning), une jeune fille de 17 ans, confidente dégourdie de Jamie, qui s'incruste régulièrement dans sa chambre. Le scénario, plus ou moins autobiographique, est parsemé de touches intimes très bien senties (d'où une certaine universalité malgré l'environnement bohême), tout en inscrivant son récit dans l'Histoire en marche, dans un moment où la contre-culture et les mouvements pour l'égalité et l'émancipation n'ont pas encore été contrecarrés par le virage néolibéral et réactionnaire des décennies suivantes. L'interprétation est magnifique. Dommage qu'à Lille ce film d'une éducation aux accents parfois féministes ait été retiré de l'affiche dès le 8 mars, journée internationale de défense des droits des femmes...
AMERICAN HONEY (Andrea Arnold, 8 fév) LLL
Star, une adolescente d'à peine 18 ans, en délicatesse avec sa famille alcoolique, part rejoindre un groupe de jeunes guère plus âgés. Ils sillonnent le fin fond des Etats-Unis afin de vendre en porte à porte des abonnements pour des magazines... Pour son premier film américain, la britannique Andrea Arnold frappe assez fort, et a d'ailleurs obtenu le prix du jury à Cannes (pour la troisième fois, après Red road et surtout Fish tank). La réalisatrice n'élude pas l'idéologie très libérale derrière cette activité (faire beaucoup d'argent à tout prix) ni l'exploitation des jeunes, mais le film ne se limite pas à cette dimension là. Il captive également en tant que road movie ou comme récit d'initiation amoureuse. La caméra à l'épaule n'est jamais ostentatoire, et la place importante de la musique ne fait pas pour autant du film un long clip. Dans sa durée, il trouve son équilibre et sait mêler l'élan de la jeunesse, l'intime, le groupe et l'observation sociale.
CERTAINES FEMMES (Kelly Reichardt, 22 fév) LLL
Depuis une dizaine d'années, Kelly Reichardt nous a habitués à proposer des films minimalistes imprégnés des grands espaces américains (westerns ou autres), au risque parfois de prendre la pose voire de lasser sur la durée complète d'un long métrage. Cette fois-ci, sans se renier, elle évite l'écueil avec ces trois récits distincts (inspirés de nouvelles de l'écrivaine Maile Leloy) et ces quatre portraits de femmes (interprétées par trois actrices reconnues : Laura Dern, Michelle Williams et Kristen Stewart, et une qui mériterait de l'être : Lily Gladstone). Malgré un fil conducteur peu évident, ces histoires arrivent à nous toucher, à nous captiver, par la grâce de la mise en scène, jamais dans le cliché, toujours alerte, infiniment parlante alors que les dialogues sont parcimonieux.
MOONLIGHT (Barry Jenkins, 1er fév) LLL
C'est l'histoire de Chiron, un gamin d'un quartier défavorisé de Miami, un Noir élevé par sa mère, célibataire et droguée. Au grand dam de celle-ci, un dealer va tenter, avec sa compagne, de le protéger et de devenir une sorte de père de substitution. On suit la trajectoire de Chiron à trois âges distincts : à 9 ans, à 17 ans, et à l'âge adulte une dizaine d'années plus tard. Si la mise en scène fait le choix de respecter la chronologie, elle prend le temps de creuser les personnalités de ses personnages. La violence sociale est multiforme puisque Chiron se découvre une orientation sexuelle elle-aussi minoritaire (on est dans la problématique intersectionnelle), mais le film n'est jamais tapageur, préférant miser, sans édulcorer le propos, sur la subtilité, en témoigne l'excellente interprétation de Mahershala Ali dans le rôle du mentor de l'enfant et de l'adolescent.
L'INDOMPTEE (Caroline Deruas, 15 fév) LL
Deux jeunes femmes ont réussi le concours d'entrée de la villa Médicis, la résidence d'artistes français au coeur de Rome. L'une, Axèle, est photographe, l'autre, Camille, veut gagner ses galons dans la littérature et ne plus être seulement l'épouse d'un écrivain reconnu. Camille choisit pour sujet d'écriture l'histoire de la première femme pensionnaire de la résidence, un siècle plus tôt. Le lieu est évidemment en lui-même un personnage du film. Ce premier long métrage est presque un film de genre, car dès le départ, il a des accents fantastiques. Un exercice de style prometteur, pas complètement abouti et aux modestes moyens, mais qui bénéficie de l'interprétation subtile de Clotilde Hesme et intriguante de Jenna Thiam.
DANS LA FORÊT (Gilles Marchand, 15 fév) LL
Après l'échec artistique et commercial de L'Autre monde, Gilles Marchand retrouve une certaine forme avec ce nouveau film. Il était une fois deux garçons, Benjamin (11 ans) et Tom (8ans), qui vont passer des vacances d'été chez leur père, divorcé et installé en Suède. Au bout de quelques jours, celui-ci leur propose de rejoindre une grande cabane perdue au milieu de la forêt, près d'un lac. C'est une sorte de conte, avec une angoisse sourde : Tom a des prémonitions et par moments des dons de télépathe, et son père lui glisse d'étranges confidences ("Je ne dors jamais"). La force du film réside dans sa capacité de suggestion, même si c'est aussi sa limite (il aurait peut-être gagné à trancher davantage).
LE SECRET DE LA CHAMBRE NOIRE (Kiyoshi Kurosawa, 8 mar) LL
Un jeune intérimaire (Tahar Rahim) découvre un ancien photographe de mode (Olivier Gourmet) retiré dans un vieux manoir en région parisienne. Veuf, ce dernier tente de retrouver la patine des photographies d'un autre siècle en réalisant des daguerréotypes de sa fille (Constance Rousseau) en costume d'époques. Les temps de pose exigées par cette technique dépassent parfois une heure, et un curieux instrument métallique aide le modèle à rester immobile. La première moitié du film, d'une envoûtante étrangeté, est très réussie. Mais, une séquence clé dans un escalier fait basculer le film dans un fantastique paradoxal guère convaincant. Il y a toujours beaucoup de malice dans la mise en scène, mais cela ne suffit pas forcément à faire croire à ce qu'on voit, et à le rendre intéressant. Une demi-réussite ou un demi-échec...
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