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Les films de début 2017

  • Bravo : Loving (Jeff Nichols)
  • Bien : Lumière ! L'aventure commence (Thierry Frémaux), Et les Mistrals gagnants (Anne-Dauphine Julliand) Grave (Julia Ducournau), Le Concours (Claire Simon), Compte tes blessures (Morgan Simon), Harmonium (Kôji Fukada), Chez nous (Lucas Belvaux), Primaire (Hélène Angel), Corniche Kennedy (Dominique Cabrera), Yourself and yours (Hong Sang-soo)
  • Pas mal : La Femme qui est partie (Lav Diaz), Entre les frontières (Avi Mograbi), Noces (Stephan Streker), Neruda (Pablo Larrain), La La Land (Damien Chazelle)
  • Bof : Jackie (Pablo Larrain)

LOVING (Jeff Nichols, 15 fév) LLLL
Loving est le nom de famille authentique de Richard et Mildred, après leur mariage en 1958. Le hic, c'est qu'il est blanc, tandis qu'elle est noire, et que les mariages "inter-raciaux" sont illégaux dans l'Etat de Virginie dans lequel ils résident... Il y a de multiples façons d'évoquer ce nouveau film de Jeff Nichols. On pourrait dire qu'il s'agit d'une histoire d'amour interdite dans une époque révolue, comme dans le récent et très beau Carol de Todd Haynes, mais le style est très différent. La mise en scène ne s'attarde pas sur le travail de reconstitution (suggérant que le propos du film n'est pas sans rapport avec des problématiques actuelles). Comme dans ses films précédents, il montre un autre visage de l'Amérique, les paysages ruraux où vivent une partie de la classe ouvrière (Richard est maçon). Mais Jeff Nichols a l'art de la soustraction (comme dans le récent Midnight special) : il suggère beaucoup avec peu. Cette belle histoire est donc mise en valeur par un écrin à la fois lyrique et sobre : beau travail, avec ses fidèles collaborateurs, sur l'image, la musique (jamais dans la surenchère) ou le montage (idéale durée des plans). Un classique instantané, grand oublié du palmarès cannois (avec Aquarius et Julieta).

LUMIERE ! L'AVENTURE COMMENCE (Thierry Frémaux, 25 jan) LLL
Une anthologie de "vues" réalisées par les frères Lumière entre 1895 et 1905 et restaurées avec soin. On y retrouve les tubes La Sortie des usines Lumière et L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat, ainsi qu'une centaine d'autres films. On est frappé par la qualité et la modernité de leur style, très reconnaissable (j'avais déjà vu d'eux des courts-métrages en relief tournés dans les années 1930). Sans montage et compte tenu des techniques de l'époque, ils n'avaient que 50 secondes pour convaincre. D'où notamment une composition des plans parfaite (qui se double, pour nous, d'un aspect documentaire historique évident). Les commentaires de Thierry Frémaux, actuel délégué général du festival de Cannes et directeur de l'Institut Lumière (qui défend les films du patrimoine cinématographique), sont chaleureux et instructifs sans jamais être envahissants. Un voyage dans le temps qui mérite le déplacement.

ET LES MISTRALS GAGNANTS (Anne-Dauphine Julliand, 1er fév) LLL
Le sujet peut paraître au choix casse-gueule ou au contraire être suspecté de céder à l'émotion facile. Mais depuis quand devrait-on juger un film de cinéma à ce qu'il semble être sur le papier, et non pas au résultat sur l'écran ? Alors oui la documentariste, dont c'est le premier film, s'intéresse à une demi-douzaine d'enfants gravement malades (elle a des raisons personnelles de le faire). Mais elle ne livre aucune explication superflue, préférant nous embarquer dans leurs sillons grâce à un montage enlevé et une réalisation sans détours mais respectueuse, toujours à la bonne distance. Certaines séquences prennent une hauteur presque philosophique en filmant le bonheur possible malgré la maladie (et une espérance de vie parfois faible), quel que soit l'âge, même si les enfants ont peut-être un appétit pour le présent plus important. Aucun chantage à l'émotion, la musique est utilisée de façon très parcimonieuse, mis à part une sorte de nouveau clip de la chanson de Renaud qui donne son titre au film, sur de belles images d'échappées en vélo... Un documentaire d'une apparente simplicité, mais aux antipodes du racolage redouté.

GRAVE (Julia Ducournau, 15 mar) LLL
Justine est bonne élève et végétarienne. Après le bac, elle intègre l'école vétérinaire où sa soeur aînée poursuit également ses études. Mais, lors d'une épreuve de bizutage, elle découvre sa vraie nature... Le premier long métrage de cinéma de Julia Ducournau (qui a déjà tourné un téléfilm) est un film de genre, proche de l'horreur, bien que ce soit une étiquette beaucoup trop réductrice. Car si la mise en scène assume ses effets, dans le travail sur le son, la musique ou, au départ, certaines manifestations organiques à la Cronenberg, le film évolue vers quelque chose de plus ample. Il y a un côté récit initiatique (c'est aussi un teen movie), qui se nourrit de la complexité des personnages (bien servis par les compositions de Garance Marillier, Ella Rumpf et Rabah Naït Oufella), tout en ayant une réflexion sous-jacente et non binaire sur ce qui fait l'humain et l'inhumain. Une réussite dans son genre.

LE CONCOURS (Claire Simon, 8 fév) LLL
Claire Simon s'intéresse aux différentes étapes du concours d'entrée à la Fémis, la plus grande école de cinéma en France, environ 1200 candidats pour 60 admis. Il y a une épreuve écrite en temps limité (une analyse d'une scène de Shokuzai de Kiyoshi Kurosawa !), puis plusieurs oraux, où les candidats ont déjà choisi leur spécialité (réalisation, scénario, distribution...). Claire Simon filme à la manière de Frederick Wiseman (observation d'une institution, pas de voix off ni de sous-titrage explicatif). Les scènes de délibération introduisent des problématiques passionnantes. Certains ont extrapolé à partir de ce documentaire une critique plus générale de la prétendue "méritocratie républicaine" à la française (en fait la reproduction des élites). C'est en effet un des aspects centraux du film, mais celui-ci invite à des lectures plus larges, notamment sur les spécificités d'un concours artistique (et non administratif), qui implique une certaine souplesse des critères d'évaluation (Dreyer était-il bon à l'oral ? Un candidat très brillant dans une épreuve et très moyen dans une autre n'a-t-il pas plus besoin de l'école qu'un autre candidat plutôt bon partout et issu de Sciences-Po ?).

COMPTE TES BLESSURES (Morgan Simon, 25 jan) LLL
Voici un film court (1h20) mais qui a le temps d'impressionner. Un jeune homme de 24 ans (Kévin Azaïs, plus rugueux que dans Les Combattants), vit encore chez son père veuf (poissonnier). Sans diplôme ni travail, il chante dans un groupe de hard rock et se couvre de tatouages. Sa situation va évoluer quand son père quadragénaire lui présente sa nouvelle compagne, une jeune femme d'une petite trentaine d'années (Monia Chokri, révélée par Les Amours imaginaires de Xavier Dolan). La mise en scène de Morgan Simon rappelle un peu la découverte du cinéma d'Erick Zonca (dont on espère avoir des nouvelles bientôt) : même aisance pour mêler l'intime et le social sans que l'intention soit trop explicite à l'écriture, même brio pour donner de la chair aux interactions entre les personnages. Cela donne un joli crescendo, jusqu'à un point culminant audacieux (qu'on ne révèlera pas). Dès son premier long métrage, Morgan Simon sort de sa zone de confort et fait preuve d'une indéniable personnalité.

HARMONIUM (Kôji Fukada, 11 jan) LLL
Toshio et sa femme vivent avec leur fille de 10 ans une vie paisible (qu'on devine monotone) dans une banlieue japonaise. Ils communiquent peu entre eux, Toshio paraissant se réfugier dans son travail à l'atelier qu'il a aménagé dans son sous-sol. Un jour, Toshio reçoit la visite d'un homme tout en blanc (d'autant plus étrange qu'il est interprété par Tadanobu Asano, le revenant de Vers l'autre rive), un ancien ami qui sort de prison. Sans en parler à sa femme, il lui offre emploi, gîte et couvert. L'intrus semble bien s'intégrer, apprenant l'harmonium à la fillette et inspirant de plus en plus confiance à l'épouse... Après Au revoir l'été, chronique intimiste sur l'adolescence, Kôji Fukada change de registre et passe au thriller psychologique. Alors certes les révélations sont à peu près celles que l'on attend (ou que l'on redoute), mais cela n'empêche pas la tension de monter inexorablement aux moments où il le faut, grâce à une mise en scène efficace (bien qu'elle n'en fasse jamais trop).

CHEZ NOUS (Lucas Belvaux, 22 fév) LLL
Pauline (Emilie Dequenne, formidable composition), infirmière à domicile dévouée, connue de tous dans la petite ville de Hénart, est approchée par un de ses amis médecins (André Dussolier) pour devenir la prochaine tête de liste aux élections municipales du Rassemblement National Populaire, un mouvement créé par sa charismatique dirigeante (Catherine Jacob) pour dédiaboliser le Bloc Patriotique, le parti d'extrême droite fondé par son père... Si ça vous rappelle quelque chose, c'est fait exprès ! Le film montre bien les techniques de recrutement de l'extrême droite française dans les anciens bassins industriels, les manipulations, les relations duales avec les gros bras. Mais il ne sombre jamais dans la caricature pour spectateurs convaincus d'avance. Les personnages sont complexes, réalistes, comme si le but du réalisateur était de dessiller le regard des électeurs FN, sans leur faire la leçon ni les braquer. Par son point de vue de cinéaste, Lucas Belvaux a eu, contrairement à Manuel Valls, l'intelligence de faire la différence entre tenter de comprendre et excuser...

PRIMAIRE (Hélène Angel, 4 jan) LLL
Une jeune enseignante de CM2, passionnée et dévouée, entreprend de sauver un de ses élèves, quitte à prendre des risques... Je n'ai pas vu les trois premiers films d'Hélène Angel, mais ils avaient la réputation d'être noirs et de flirter avec le fantastique. Ici, c'est une immersion davantage "ligne claire" dans une certaine réalité, ce qui n'exclut pas le lyrisme, car c'est aussi un film sur l'engagement. Sur le papier, on pourrait craindre une résurrection des sympathiques téléfilms avec Gérard Klein (émouvants mais où tout est un peu trop à sa place). Ici, si l'émotion prend, c'est que le film est beaucoup moins scolaire que prévu. Le principal rehausseur de goût reste Sara Forestier, qui joue l'institutrice avec beaucoup de convictions, sans vampiriser le film pour autant (les autres personnages gardent de la place pour exister).

CORNICHE KENNEDY (Dominique Cabrera, 18 jan) LLL
Des filles et des garçons trompent l'ennui en venant plonger le long de la Corniche Kennedy, à Marseille. Ils sont observés par Suzanne, une lycéenne d'un quartier chic avoisinant, qui brûle de les rejoindre. La police n'est pas très loin non plus... En adaptant un roman de Maylis De Kerangal, Dominique Cabrera, qui est également documentariste, a su donner forme à l'appétit de vie de cette jeunesse, mais aussi nous immerger avec l'intrigue policière (pas si maladroite que ça) dans le coeur de la cité phocéenne (un peu comme La Ville est tranquille de Robert Guédiguian, mais en beaucoup moins noir). Elle a su mélanger les talents d'actrices confirmées - Aïssa Maïga, qui campe une flic très convaincante, et Lola Créton (Un amour de jeunesse) en lycéenne de "bonne famille" - avec des nouveaux venus - les jeunes Kamel Kadri et Alain Demaria - qu'on n'oubliera pas...

YOURSELF AND YOURS (Hong Sang-soo, 1er fév) LLL
Prévenons d'emblée : c'est un exercice de style, à la limite de la théorie, mais une expérience de spectateur intéressante. Youngsoo, un peintre, se dispute avec Minjung, sa petite amie, parce qu'on lui a rapporté qu'elle s'était remise à boire sans limites, alors qu'ils avaient convenu ensemble qu'elle se limiterait à 5 verres de soju et 2 bières par jour... Les jours suivants, Youngsoo cherche à se rabibocher avec Minjung, introuvable. Plusieurs hommes pensent la reconnaître dans des bars, mais dans chaque cas la jeune femme (à chaque fois interprétée par Lee Youyoung) nie. Minjung a-t-elle une soeur jumelle, des sosies ? Hong Sang-soo joue beaucoup sur l'indécidabilité concernant l'identité du ou des personnage(s) féminin(s), une pareille ambiguïté concernant également le statut de certaines scènes. Mais le sens du film est donné par l'évolution de Youngsoo, qui devra apprendre à aimer sans prétendre tout connaître de l'autre (voir le dénouement malicieux que je ne raconterai pas).

LA FEMME QUI EST PARTIE (Lav Diaz, 1er fév) LL
1997 aux Philippines. Horacia est une ancienne institutrice qui vient de passer trente ans en prison pour un crime qu'elle n'a pas commis. Elle a été libérée suite aux aveux d'une autre détenue, incarcérée pour un autre meurtre, et qui a écrit avoir agi pour le compte de Carlos Trinidad, une des personnalités les plus riches de l'archipel, un ancien prétendant éconduit d'Horacia. Cette dernière renoue avec sa fille et cherche à se venger du commanditaire du meurtre qui a bouleversé sa vie. En repérages, elle croise des marginaux auxquels elle s'attache... On n'oubliera pas de sitôt ces personnages, servis par un beau noir et blanc. En revanche, je ne suis pas sûr que le hiératisme de certains plans et la durée totale du film (3h45) se justifient entièrement, même si l'écoulement du temps dans le film peut faire écho à la patience qu'a dû acquérir Horacia.

ENTRE LES FRONTIERES (Avi Mograbi, 11 jan) LL
C'est une sorte de prison sans les murs, située à Horot, en Israël. S'y regroupent des demandeurs d'asile africans (soudanais, érythréens) que l'Etat hébreu, malgré les conventions internationales, ne reconnaît pas comme réfugiés (les autorités parlent de personnes "infiltrées" !). Ils doivent pointer trois fois par jour, ce qui les empêche de s'éloigner ou de travailler. Avi Mograbi ne se contente pas de filmer cette absurdité : avec le metteur en scène Chen Alon, il organise des ateliers inspirés du Théâtre de l'Opprimé, dans lesquels les migrants rejouent leur propre expérience. Puis des citoyens israéliens rejoignent la troupe, et chacun joue le rôle de l'autre. C'est donc un documentaire à plusieurs étages, intéressant même si du coup la démarche a la limite de diluer le propos ou de le rendre un poil brouillon.

NOCES (Stephan Streker, 22 fév) LL
Zahira a 18 ans et aime sa vie en Belgique. Enceinte, elle décide d'avorter, avec l'approbation de sa famille. Mais cette dernière entreprend de lui imposer un mariage traditionnel. Zahira compte sur l'aide de son grand frère très aimant... Ce n'est pas qu'une affaire de religion : au-dessus de celle-ci, il y a la tradition, encore au-dessus il y a l'honneur, et au-dessus de tout il y a le sauvetage des apparences... Librement inspiré d'un fait divers, le film demeure à mi-chemin du téléfilm édifiant et de la tragédie grecque, mais a le mérite d'envelopper tous les personnages d'un même regard empathique, sans asséner de jugement. Et le casting est réussi, avec les interprétations remarquées de Lina El Arabi et de Sébastien Houbani.

NERUDA (Pablo Larrain, 4 jan) LL
Pablo Larrain réalise son anti-biopic sur Pablo Neruda, le grand poète et sénateur communiste chilien. Il raconte les années, à partir de 1948, où il fut contraint à l'exil, désigné persona non grata par Gonzalez Videla, le président "populiste" (selon le terme employé dans le film) qu'il a contribué à faire élire. Sa traque est personnifiée par un curieux inspecteur de police nommé Oscar Peluchonneau. Le film n'est pas sans intérêt, mais le problème est le manque de subtilité de la mise en scène. Les (bonnes) intentions du réalisateur, comme dans certains de ses films précédents, pèsent des tonnes, par exemple : regardez comme je ne fais pas une hagiographie en montrant un Neruda à la fois bon vivant et soucieux de construire sa légende et de passer à la postérité, regardez comme mon film n'est pas seulement réaliste mais sait aussi convoquer l'imaginaire...

LA LA LAND (Damien Chazelle, 25 jan) LL
Mia et Seb cachetonnent à Los Angeles. Elle cherche à devenir comédienne, tandis que lui, pianiste de son état, aspire à consacrer sa vie au service d'un jazz pur et dur. Ils se rencontrent... Que vaut cette nouvelle comédie musicale ? Il y a un petit peu de Demy dans l'esprit (le film est défendu par Agnès Varda), avec une histoire d'amour rendue difficile par la tension entre idéalisme et réalité. Mais le style n'a rien à voir : il est certes moins problématique que celui d'un Rob Marshall (Chicago), mais est très loin de l'élégance de l'âge d'or (Donen, Minnelli, Cukor etc...). Heureusement, il y a quelques moments plus inspirés : comme dans Magic in the moonlight, il est payant d'emmener Emma Stone dans un planétarium... On pense d'ailleurs à plusieurs reprises à Woody Allen (de Tout le monde dit I love you à Café Society), mais en moins accompli et moins grâcieux. Après Whiplash, Damien Chazelle continue de faire le malin. Pour le cinéma, il faudra encore attendre.

JACKIE (Pablo Larrain, 1er fév) L
Quelques jours dans la vie de Jackie Kennedy, avant, pendant et après l'assassinat de son mari et président des Etats-Unis. Le montage est assez habilement déstructuré, mais ne parvient pas à sauver l'emphase du film. Il y a tout d'abord le pompiérisme de la musique (un supplice pour les oreilles). Et la lourdeur coutumière du cinéaste chilien (excepté le plutôt réussi No), qui se coltine le sang, les larmes, les enfants si innocents, et les interrogations égocentriques ou mystiques (et Dieu dans tout ça ?). Pénible, malgré une petite réflexion sur la dialectique vérité/légende, et les efforts de Natalie Portman dans le rôle titre.


Version imprimable | Films de 2017 | Le Mardi 14/02/2017 | 0 commentaires




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