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Suite des films du printemps 2019

  • Bravo : Douleur et gloire (Pedro Almodovar)
  • Bien : Le Jeune Ahmed (Jean-Pierre et Luc Dardenne), Être vivant et le savoir (Alain Cavalier), Quand nous étions sorcières (Nietzchka Keene), Parasite (Bong Joon-ho), L'Autre continent (Romain Cogitore), Fugue (Agnieszka Smoczynska), Sibyl (Justine Triet), Passion (Ryûsuke Hamaguchi)
  • Pas mal : Yves (Benoît Forgeard), The Dead don't die (Jim Jarmusch), Monrovia, Indiana (Frederick Wiseman), Les Plus belles années d'une vie (Claude Lelouch)
  • Bof : Les Particules (Blaise Harrison)

DOULEUR ET GLOIRE (Pedro Almodovar, 17 mai) LLLL
Salvador est cinéaste vieillissant. Il doit surmonter les douleurs, physiques ou psychiques, qui le tiennent éloigné des plateaux de tournage. Un ciné-débat est organisé à la Cinémathèque pour la restauration d'un de ses premiers films, qu'il n'a pas revus depuis trente ans, après s'être brouillé avec l'acteur principal. Des souvenirs plus anciens, de l'enfance, remontent aussi à la surface... Dit comme ça, le synopsis peut ressembler à celui des Fraises sauvages de Bergman, mais la manière est on ne peut plus almodovarienne. Le cinéaste de Parle avec elle ou de Julieta n'a pas son pareil pour tisser des fils narratifs disparates, mélangeant plusieurs époques et/ou plusieurs statuts (réalité ou création) et passer des uns aux autres en toute fluidité. Evidemment, dans le rôle de Salvador, Antonio Banderas est exceptionnel (prix d'interprétation mérité à Cannes, si ce n'est que ça prive une nouvelle fois le cinéaste de la Palme d'or), mais c'est l'ensemble de la direction artistique qui est à saluer : musique (due au fidèle Alberto Iglesias), photographie (couleurs saturées à la Douglas Sirk pour accompagner les aspirations généreuses des personnages), décors (superbe trouvaille de la maison troglodyte, mais l'appartement contemporain n'est pas banal non plus). Devant tant de beauté, gare à l'évanouissement !

LE JEUNE AHMED
(Jean-Pierre et Luc Dardenne, 22 mai) LLL
Ahmed a 13 ans, vit en Belgique chez sa mère, avec son frère et sa soeur. Mais c'est aussi un musulman qui se radicalise au contact d'un imam extrêmiste, qui glorifie la mort du cousin d'Ahmed. Mais le film ne pose jamais la question du pourquoi (en est-il arrivé là), mais celle du comment (peut-on l'aider à revenir au présent du côté de la vie). Contrairement au dernier Téchiné, parfois démonstratif dans l'énonciation d'un point de vue humaniste, chez les Dardenne, il n'y a pas d'explication superflue. La caméra accompagne les personnages dans leur trivialité, leurs contradictions réelles ou apparentes. Ils sont regardés pour ce qu'ils sont, ils ne sont pas des symboles, et n'ont pas à prendre en charge des problématiques qui sont plus grandes qu'eux. Le film est très concret, ce qui ne l'empêche pas d'être stylisé (il est plutôt plus proche de Bresson que de Pialat ici). La fin peut sembler une petite concession à la facilité, mais ne gâche pas l'impression générale d'un film qui certes traite d'un sujet important, mais n'oublie pas d'en faire du cinéma (prix de la mise en scène à Cannes).

ÊTRE VIVANT ET LE SAVOIR (Alain Cavalier, 5 juin) LLL
Au départ, Alain Cavalier a proposé à son amie la romancière Emmanuèle Bernheim d'adapter son roman Tout s'est bien passé. En se filmant mutuellement à l'aide de petites caméras, comme Cavalier et Vincent Lindon l'avaient fait dans Pater, elle interprèterait son propre rôle, tandis qu'Alain Cavalier interprèterait celui de son père, paralysé après un accident cardio-vasculaire, et qu'Emmanuèle a aidé à mettre fin à ses jours. Mais le dispositif a volé en éclats, les circonstances en ayant décidé autrement, la romancière devant elle-même se battre contre un cancer... Le film est donc tout autre que celui qui était initialement envisagé, mais pas moins intéressant, le cinéaste n'ayant pas son pareil pour livrer un journal intime courageux, pudique, entre poésie et abstraction symboliste. En effet, dans son atelier, les natures mortes, savamment composées comme dans Le Paradis, ont le don puissant d'interpeller la vie...

QUAND NOUS ETIONS SORCIERES (Nietzchka Keene, 8 mai) LLL
Tourné en 1989, ce film qui semble sorti de nulle part arrive enfin en salles en France. C'est la fructueuse rencontre entre un conte de Grimm (le film est librement adapté du Conte du genévrier), une cinéaste américaine (Nietzchka Keene, depuis disparue) et une chanteuse islandaise (Björk, qui n'avait pas encore entamé sa carrière solo triomphale puis expérimentale). Au Moyen âge, Katla et Margit sont deux soeurs bannies d'un territoire inconnu où leur mère sorcière a été brûlée. Elles finissent par trouver refuge chez un homme, parent isolé d'un petit garçon... La grande soeur tente de séduire l'homme, tandis que la plus jeune se lie à son fils. Le noir et blanc magnifie les paysages islandais (qu'on croyait à tort faits pour la couleur) et sert parfaitement la poésie de l'ensemble, entre merveilleux métaphysique et cruauté médiévale.

PARASITE (Bong Joon-ho, 5 juin) LLL
Ki-woo, jeune adulte au sein d'une famille pauvre (ses deux parents sont au chômage), tient peut-être la chance de sa vie lorsqu'un copain le recommande pour donner des cours particuliers d'anglais à la fille de la richissime famille Park. L'expérience étant concluante, il ne compte pas s'arrêter là... On sait depuis The Host (2006) que Bong Joon-ho n'est jamais aussi bon que lorsqu'il mélange les genres. C'est indubitablement le cas ici, et c'est sans doute ce qui a été récompensé à Cannes (Palme d'or). Le film tient surtout de la farce sur le fossé entre classes sociales opposées. Il fait une utilisation optimale des décors, et de l'interprétation de Song Kang-ho (qui joue le père de Ki-woo). Pour le reste, il s'appuie surtout sur des coups de force scénaristiques, que la mise en scène, aussi inventive soit-elle, ne fait qu'appuyer. C'est un exercice de style brillant, à défaut d'avoir l'amplitude et la subtilité des chefs d'oeuvre.

L'AUTRE CONTINENT (Romain Cogitore, 5 juin) LLL
Maria (Déborah François) et Olivier (Paul Hamy) ont 30 ans, sont guides touristiques à Taïwan. Elle est libre, conquérante. Il semble plus lent, réservé mais parle quatorze langues. Leurs différences enrichissent leur relation, jusqu'à ce que la maladie s'immisce brutalement... Sur le papier, on peut raisonnablement craindre le pire, entre chronique de la mondialisation heureuse et trame de mauvais mélodrame. Or, sur l'écran, il n'en est rien, grâce au miracle de la mise en scène de Romain Cogitore, qui n'en est pourtant qu'à son deuxième film. Alors, certes, nos deux héros s'aiment en français, en chinois et en néerlandais, mais le cinéaste ne souligne jamais l'émotion, et livre au contraire des scènes qui misent sur l'intelligence du spectateur, en déjouant constamment les attentes. La preuve qu'au cinéma l'important n'est pas forcément le sujet, mais son traitement.

FUGUE (Agnieszka Smoczynska, 8 mai) LLL
Alicja est devenue amnésique et ignore comment elle en est arrivée là (le spectateur également, il la découvre, dans une première scène impressionnante, marcher en titubant sur des rails, sortir d'un tunnel, et tenter de se hisser sur un quai de gare...). Jusqu'au jour où sa famille la retrouve, alors qu'elle n'avait plus de nouvelles d'elle depuis deux ans. La voilà contrainte d'endosser les rôles de mère, de femme et de fille auprès de parfaits inconnus... Si le film tente de démêler le mystère, il s'attache surtout aux difficultés du présent (comment donner à son héroïne un nouveau départ). Les situations sont équivoques, et la mise en scène d'une froide rigueur. Le film n'est pas toujours aimable, mais reste longtemps en mémoire, grâce notamment au travail de Gabriela Muskala, à la fois interprète principale et scénariste.

SIBYL (Justine Triet, 24 mai) LLL
Sibyl est une psychanalyste au passé tumultueux (ancienne alcoolique). Plus posée, elle décide de suspendre son travail d'analyste pour se lancer dans un nouveau roman, encouragée par son éditeur. Elle accepte in extremis de suivre Margot, une jeune actrice qui a une liaison avec Igor, un acteur, celui-ci étant en couple avec la réalisatrice d'un film dans lequel Margot et Igor se partagent la vedette... Après La Bataille de Solferino et Victoria, Justine Triet livre un film qui n'hésite pas devant les ruptures de ton, et qui frôle la surcharge dans sa dernière partie (les scénaristes se sont fait plaisir). Tous les seconds rôles sont importants (et joués par la crème des interprètes européens : Adèle Exarchopoulos, Sandra Hüller, Gaspard Ulliel, Laure Calamy), mais c'est l'interprétation de Virginie Efira, impressionnante dans un rôle ambivalent, dans une performance à la Gena Rowlands, qui emporte tout.

PASSION (Ryûsuke Hamaguchi, 15 mai) LLL
Passion est le deuxième film de Ryûsuke Hamaguchi à sortir sur les écrans français cette année, après Asako I & II, mais c'est en réalité son premier film, réalisé en 2008. Lors d'un dîner, un jeune couple, à peine trentenaire, annonce son mariage à quelques amis. Le film consistera à observer l'onde de choc... Le titre et l'argument initial du film ne sont pas sans rappeler Bergman, mais c'est une fausse piste. Le scénario a davantage à voir avec Les Nuits de la pleine lune de Rohmer, tandis que le style peut évoquer le cinéma de Hong Sang-soo, en beaucoup moins alcoolisé. Ce n'est pas encore la déflagration de Senses, mais ce petit précis sentimental et cruel, réalisé en quelque jours, mérite le détour.

YVES (Benoît Forgeard, 26 juin) LL
Jérem est un rappeur qui s'installe dans la maison de sa mamie pour y écrire et composer son premier album. Il fait la rencontre de So, une commerciale de l'entreprise Digital Cool, qui le persuade de prendre à l'essai Yves, un réfrigérateur intelligent. Celui-ci sait "ce qui est bon pour vous", commande lui-même les produits alimentaires, distille des conseils diététiques, sans se limiter à ce domaine... Après le réjouissant programme de courts-métrages Réussir sa vie et le premier long Gaz de France, Benoît Forgeard continue d'offrir un cinéma décalé et iconoclaste, satirique (même si la critique de l'intelligence artificielle reste souriante). Il est un peu inégal aussi (il y a boire et à manger, mais après tout c'est logique), mais entre deux délires un poil immatures vise plutôt juste sur l'époque.

THE DEAD DON'T DIE (Jim Jarmusch, 15 mai) LL
Jim Jarmusch fait son film de zombie. Cela démarre très doucement, mais comme dans une mer un peu fraîche, une fois qu'on y est, elle est plutôt bonne. Il faut dire que la distribution est royale : Bill Murray, Adam Driver, Tilda Swinton, Chloé Sévigny, Danny Glover, Iggy Pop. Dans l'univers de Jarmusch, les policiers restent placides en toute circonstance (on voit que ça ne se passe pas en France). Il y a aussi un message écolo (même s'il reste assez convenu). Pas de quoi s'enflammer, mais pas non plus de quoi bouder son plaisir : le film me convainc même davantage que les vampires bien trop snobs de Only lovers left alive.

MONROVIA, INDIANA (Frederick Wiseman, 24 avr) LL
Frederick Wiseman continue d'explorer l'autre versant de l'Amérique. Après In Jackson Heights, qui montrait comment un quartier populaire et cosmopolite était transformé par la gentrification, le cinéaste s'intéresse à la ruralité, plus exactement dans une commune très blanche qui a majoritairement voté pour Trump en 2016. Sa méthode n'a pas changé : aucune indication ou aucun commentaire en voix off. Tout repose donc sur le montage, qui est un peu moins alerte qu'à l'accoutumée. D'où des scènes en général intéressantes mais qui paraissent flottantes, par manque de liant.

LES PLUS BELLES ANNEES D'UNE VIE
(Claude Lelouch, 22 mai) LL
On n'a pas envie de dire de mal de ce film, qui organise les retrouvailles des personnages vedettes de Un homme et une femme cinquante ans après. Les deux comédiens arrivent à faire passer quelque chose dans les scènes qu'ils ont ensemble. Des souvenirs de cinéma, pas seulement le film originel de Lelouch, mais aussi Lola pour l'une ou Ma nuit chez Maud pour l'autre. Mais justement, c'est le cinéma qui manque ici : les plans ont peu de profondeur, beaucoup de champ/contre-champ (on dira que Lelouch a appris la sobriété), et des extraits du film culte parfois gâchés par des chansons un peu gnangnan (signées Didier Barbelivien ou Calogero).

LES PARTICULES (Blaise Harrinson, 5 juin) L
Une chronique de l'adolescence autour d'un élève de Terminale Scientifique dans un lycée du pays de Gex, non loin de l'accélérateur de particules du CERN. Pour son premier long métrage de fiction, le réalisateur Blaise Harrinson, venu du documentaire, arrive avec de l'ambition. Malheureusement, s'il multiplie les pistes et les propositions, il n' en explore vraiment aucune. Du coup, son goût pour l'abstraction paraît assez vain. Peu convaincant et inabouti, mais pas sans talent (on verra bien au deuxième film).

Version imprimable | Films de 2019 | Le Dimanche 23/06/2019 | 0 commentaires




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