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Des films du printemps 2019

  • Bien : Working woman (Michal Aviad), El Reino (Rodrigo Sorogoyen), Liz et l'oiseau bleu (Naoko Yamada), 90's (Jonah Hill), La Lutte des classes (Michel Leclerc)
  • Pas mal : Les Oiseaux de passage (Ciro Guerra, Cristina Gallego), Curiosa (Lou Jeunet), Green book (Peter Farrelly), Genèse (Philippe Lesage), Simetierre (Kevin Kölsch, Dennis Widmyer)
  • Bof : L'Adieu à la nuit (André Téchiné)

WORKING WOMAN (Michal Aviad, 17 avr) LLL
Orna est une jeune femme qui vient d'être recrutée par une agence immobilière, avec peut-être des possibilités de carrière. C'est essentiellement elle qui ramène l'argent à la maison, alors que son mari peine à faire décoller son restaurant qui vient d'ouvrir. Orna se révèle douée pour le marketing et plaît au chef qui l'a recruté. Professionnellement, mais pas que... Petit à petit, ce supérieur se fait de plus en pressant : un baiser volé, des coups de fil le soir... Le film sort chez nous quelques semaines seulement après Comme si de rien n'était d'Eva Trobisch, où une jeune femme violée choisissait le déni. La cinéaste Michal Aviad choisit de dépeindre une femme qui tente de lutter, tout en essayant de préserver sa situation sociale. Elle choisit d'étirer les scènes, afin de créer une tension qui ne faiblit jamais, mais aussi de montrer toute la complexité de cette relation toxique. Exercice réussi.

EL REINO (Rodrigo Sorogoyen, 17 avr) LLL
Manuel Lopez-Vidal est un homme politique influent dans sa région. Alors qu'il s'apprête à rejoindre la direction nationale de son parti, il se retrouve impliqué dans une affaire de corruption qui menace un de ses amis les plus proches et peut-être le parti tout entier. Mais Manuel n'est pas disposé à s'avouer vaincu. Il va tout faire pour sauver sa peau, quitte à éclabousser les autres. C'est le début d'un engrenage infernal... L'originalité de ce thriller politique est de se mettre dans les pas d'un corrompu (joué par l'excellent Antonio De la Torre) qui ne veut pas payer pour tous les autres. Après Que Dios nos perdone il y a deux ans, Rodrogo Sorogoyen livre un nouveau film tout en tension. Il a commencé comme script doctor pour des séries, et effectivement c'est le scénario qui impressionne, montrant la vaste étendue des institutions touchées, alors que la mise en scène est certes efficace mais plus monocorde.

LIZ ET L'OISEAU BLEU (Naoko Yamada, 17 avr) LLL
Liz et l'oiseau bleu est un conte, où une jeune fille solitaire se trouve soudain accompagnée d'une amie qui se révèlera être un oiseau, et Liz devra accepter de le laisser s'envoler. C'est aussi une pièce de musique classique que doivent jouer des jeunes filles d'aujourd'hui, dont Nozomi et Mizore, les deux héroïnes de ce nouveau long métrage de Naoko Yamada (réalisatrice du beau Silent voice). L'une est extravertie, l'autre très secrète, l'une joue de la flûte, l'autre du hautbois. Alors, il faut certes un temps d'adaptation dans cet univers très girly (le lycée est non mixte). Mais on ne peut qu'être finalement conquis par la subtilité des relations entre ces adolescentes, leurs choix difficiles (notamment par rapport à leur orientation future, dans l'enseignement supérieur), leurs moindres émotions. Et au final, la musique, sans en faire jamais trop, est au diapason de cette sensibilité.

90'S (Jonah Hill, 24 avr) LLL
Stevie, un jeune ado de 13 ans, est parfois battu par son grand frère. Mais leurs relations sont complexes, Stevie n'hésitant pas à pénétrer dans la chambre de son aîné en son absence, et d'y admirer les objets entassés. Pourtant, c'est dans la rue qu'il va trouver son culte à lui, en observant un groupe de skaters. Il va tenter de les rejoindre, malgré la différence d'âge. Il va s'initier au skate, mais aussi à d'autres plaisirs : d'être en bande, de fumer, de tout faire comme les grands... Du fait de l'âge de son personnage principal, le film s'éloigne des modèles de Gus Van Sant ou Larry Clark et retrouve une certaine innocence perdue, dans ces scènes qui évoluent entre naïveté ou maladresse touchante et rites d'apprentissage, sans évacuer la violence ni tomber dans la mythologie adolescente. Ce premier long métrage a également le mérite et la modestie d'être filmé à hauteur des personnages sans les juger.

LA LUTTE DES CLASSES (Michel Leclerc, 3 avr) LLL
Sofia et Paul quittent leur petit appartement parisien pour une petite maison à Bagnolet, la ville où Sofia a grandi. Ils sont fiers de leurs convictions de gauche. Mais lorsque leur fils Corentin voit certains de ses copains déserter Jean Jaurès, l'école primaire publique du quartier, pour rejoindre Saint Benoît, un établissement privé, ils s'interrogent. Vu le sujet, on aurait pu craindre une comédie démago où l'ironie flirterait avec le ressentiment. C'est mal connaître Michel Leclerc (Le Nom des gens). De façon miraculeuse, il réussit à aborder avec finesse des thèmes si mal traités par les éditorialistes à la mode (les inégalités sociales, les autres discriminations, les crispations identitaires). L'humour passe parfois par des détails très humains, telle la mère (Leïla Bekhti, dans un de ses meilleurs rôles) qui peine à comprendre les compliments de ses proches, ou une institutrice dépassée (jouée par la coscénariste Baya Kasmi) qui ne s'exprime que dans une ahurissante langue de bois, tout en restant touchante. Sans oublier la stratégie peu orthodoxe pour inciter les jeunes à aller au ciné...

LES OISEAUX DE PASSAGE (Ciro Guerra, Cristina Gallego, 10 avr) LL
A la toute fin des années 1960, en Colombie, plusieurs membres d'une famille d'indigènes Wayuu se lancent dans l'export de marijuana, notamment auprès de la jeunesse américaine, dont la demande est croissante. Ils s'enrichissent, tout en essayant de garder la main haute sur les transactions, jusqu'au jour où la guerre des clans devient inévitable et met en péril leurs vies, leur culture et traditions ancestrales... Le nouveau film de Cristina Gallego et Ciro Guerra (L'Etreinte du serpent) est donc une sorte de grande fresque familiale (comme Francis Ford Coppola ou Martin Scorsese les affectionnaient) qui raconte la naissance des cartels de la drogue, vue du côté colombien. Le scénario est intéressant et efficace, même s'il aurait fallu que les cinéastes s'écartent davantage des clichés du genre pour réussir le film mémorable que le sujet aurait mérité.

CURIOSA (Lou Jeunet, 3 avr) LL
Curiosa est un terme qui désigne une oeuvre à caractère érotique. A la fin du 19è siècle, Marie de Heredia est mariée à Henri de Régnier, un poète de la bonne société qu'elle vouvoie et qu'elle n'aime pas. Elle continue à fréquenter son amant, un autre poète et écrivain, Pierre Louÿs, qu'elle tutoie et à qui elle servira de modèle nu pour des photographies en amateur. Ces expériences amoureuses inspireront à Marie un roman, L'Inconstante, qu'elle publie sous pseudonyme masculin. Pour son premier long métrage de cinéma, après une carrière à la télévision, Lou Jeunet ne choisit pas la facilité. Elle réussit à ne pas tomber dans les représentations clichés lors des nombreuses scènes de nu, tandis que la bande originale revisite Debussy en mode électro. Noémie Merlant (Les Drapeaux de papier) confirme sa justesse de jeu et son courage. Le résultat reste fragile, loin de l'intensité et de la profondeur de la Lady Chatterley de Pascale Ferran.

GREEN BOOK (Peter Farrelly, 23 jan) LL
En 1962, Tony Vallelonga est un videur de cabaret italo-américain au chômage technique, pendant la réfection de l'établissement dans lequel il travaillait. Il est alors engagé comme chauffeur par Dr Shirley, un célèbre pianiste noir, lors de sa tournée dans le Sud des Etats-Unis, là où les lois ségrégationnistes sont appliquées. Les deux protagonistes, au départ très éloignés l'un de l'autre, vont apprendre à faire cause commune... L'histoire (vraie) est édifiante. Dans la catégorie des films antiracistes, celui-ci, qui se laisse voir avec intérêt, reste néanmoins inférieur aux films récents de Jordan Peele (Get out), Spike Lee (BlacKKKlansman) ou Boots Riley (Sorry to bother you), que ce soit sur le plan politique ou cinématographique, le film de Peter Farrelly étant assez académique dans sa mise en scène, et assez dépolitisé dans son approche du racisme.

GENESE (Philippe Lesage, 10 avr) LL
Deux figures à peine sorties de l'adolescence. Charlotte (Noée Abita, la révélation de Ava) quitte son petit ami après une dispute sur l'exclusivité ou non des relations amoureuses. Elle s'essaye à des rencontres plus libres. Pendant ce temps, son demi-frère Guillaume tombe amoureux de son meilleur pote, hétérosexuel... Dans son dernier tiers, le film s'intéresse à d'autres enfants et leurs premiers émois pré-amoureux, lors d'une colonie de vacances. Le sujet n'est pas neuf, il est même assez universel (même avec des particularités locales, comme ce lycée non mixte), mais les personnages sont plutôt attachants. Ils sont la raison d'être d'un film dont on peine à comprendre l'intérêt pour lui-même, faute d'une réelle mise en scène.

SIMETIERRE (Kevin Kölsch, Dennis Widmyer, 10 avr) LL
Louis Creed, un jeune médecin de Boston, emménage avec sa femme et ses deux enfants à Ludlow, petite bourgade (fictive) du Maine. Au fond des bois près de sa nouvelle maison, la benjamine Ellie découvre un vieux cimetière pour animaux de compagnie, comme l'explique Jud, leur nouveau voisin... Ce film d'horreur commence très bien, les personnages sont assez réussis, bien écrits et bien interprétés. Cela se gâte un peu dans la deuxième moitié du film. Ce ne sont pas les infidélités au roman qui posent problème, mais plutôt les situations, pourtant prévisibles, qui ne sont pas très bien amenées, et une mise en scène pas toujours heureuse. Sur le fond, le père fait des erreurs de débutant, comme s'il n'avait jamais vu de film d'horreur, tout ça à cause de son amour pour fifille... Il faut reconnaître que la toute fin est savoureuse, et que le film se laisse voir, même s'il est loin d'égaler les meilleures adaptations de Stephen King.

L'ADIEU A LA NUIT (André Téchiné, 24 avr) L
Début de printemps au milieu des cerisiers au sud de la France. Une grand-mère tente d'empêcher son fils, nouveau converti à l'islam "radical" (il va sur internet et non à la mosquée), de partir en Syrie. L'ambition est là, encore que Téchiné a toujours excellé dans le romanesque, mais beaucoup moins dans l'illustration d'un fait divers ou d'une histoire inspirée de l'actualité. Ici, les choix artistiques pèsent des plombes, entre dialogues lourdement significatifs et montage alterné du même acabit. Même l'introduction du film désarçonne : une fictive éclipse totale de soleil visible depuis la France métropolitaine en 2015, peut-être un symbole, mais pas d'une grande finesse. Autant de maladresses malencontreuses et contre-productives qui desservent un propos qui se veut humaniste.

Version imprimable | Films de 2019 | Le Mercredi 08/05/2019 | 0 commentaires




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