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Suite des films de début 2019

  • Bravo : La Flor (Mariano Llinas)
  • Bien : Les Eternels (Jia Zhang-Ke), Sibel (Cagla Zenciri, Guillaume Giovanetti), J'veux du soleil (Gilles Perret, François Ruffin), Dans la terrible jungle (Caroline Capelle, Ombine Rey), Comme si de rien n'était (Eva Trobish), C'est ça l'amour (Claire Burger)
  • Pas mal : Ma vie avec John F. Donovan (Xavier Dolan), Les Témoins de Lensdorf (Amichai Greenberg), Nos vies formidables (Fabienne Godet), Depuis Médiapart (Naruna Kaplan de Macedo)
  • Bof : Us (Jordan Peele), Happy birthdead 2 you (Christopher Landon)

LA FLOR (Mariano Llinas, 6 mar, 20 mar, 27 mar et 3 avr) LLLL
La Flor est un multi-film de 13h30, diffusé en salles en 4 parties, et comprenant en réalité six épisodes. Chaque épisode a son style particulier : la série B d'angoisse (et d'archéologie hantée), le drame conjugal et musical (avec méduse et scorpions), l'espionnage (avec une inspiration sans borne et une voix off particulièrement déchaînée), un film dans le film (le seul épisode qui aurait gagné à être réduit), un hommage à Renoir en grande partie muet, et une aventure dans le désert muette avec intertitres filmée comme à travers des toiles peintes (un joli bouquet final). Chaque épisode est indépendant des autres, mais fait intervenir, à une exception près, le même extraordinaire quatuor d'actrices (Elisa Carricajo, Valeria Correa, Pilar Gamboa, Laura Paredes) qui changent donc de personnages à chaque épisode avec gourmandise. Le tout est un festival de cinéma à lui tout seul, à l'ambition rare, et avec une grande générosité envers le spectateur : ce n'est pas un exercice de style avant-gardiste, c'est plutôt un bouillon de narrations échevelées, comme un pied de nez du cinéma aux séries contemporaines (bien plus normées). S'il fallait donner une idée, on le rapprochera donc davantage d'un Raoul Ruiz (Les Mystères de Lisbonne) que de Miguel Gomes (Les Mille et une nuits). Même le générique final a un intérêt, et est même... renversant !

LES ETERNELS (Jia Zhang-Ke, 27 fév) LLL
C'est le dernier film de la compétition cannoise 2018 à être arrivé sur nos écrans, mais pas le moindre. Jia Zhang-Ke continue d'interroger les mutations de la Chine contemporaine. Il ose une fresque romanesque qui court sur près de 20 ans (de 2001 à aujourd'hui) et suit le destin d'un personnage féminin haut en couleurs (interprétation de haute volée de Zhao Tao). Au départ, Qiao est une fille de mineur et la petite amie de Bin, un petit chef de la pègre locale (le jiang hu, dont elle ne fait pas partie, mais dont elle partage certaines démonstrations du code d'honneur). Plus tard, elle sera amenée à se servir d'une arme et à en payer le prix... Dès lors, rien ne sera plus comme avant. Avec notamment des ellipses cinglantes et un grand travail historique et géographique, le cinéaste livre un grand film sur la transmission (certaines scènes de la fin entretenant un écho non dénué d'amertume avec celles du début), mais aussi sur la façon dont certains membres de la pègre sont devenus avec aisance des capitalistes respectables en col blanc, l'honneur s'étant plus ou moins perdu en cours de route...

SIBEL (Cagla Zenciri, Guillaume Giovanetti, 6 mar) LLL
Dans une vallée proche de la mer Noire en Turquie, les réseaux de communication moderne ne marchent pas ou peu, et pour communiquer d'une plantation à l'autre, les habitants utilisent une langue sifflée qui se transmet depuis des générations. C'est le seul langage que peut utiliser Sibel, une jeune femme muette de 25 ans et par ailleurs fille du maire. Pour se faire accepter, elle tente de chasser le loup qui rôde paraît-il dans la forêt alentour qu'elle connaît comme sa poche. Mais elle y fera une autre rencontre, musclée, celle d'un déserteur qu'elle va soigner et cacher... Bien sûr le film va tourner autour du courage, politique, de la jeune femme et du combat pour son émancipation à l'intérieur d'une société traditionnelle. Mais ce matériau est transcendé par la forme, qui rend ce conte constamment captivant. Damla Sönmez, qui interprète le rôle principal, est une vedette dans son pays, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on comprend pourquoi...

J'VEUX DU SOLEIL (Gilles Perret, François Ruffin, 3 avr) LLL
Sur un coup de tête, le réalisateur Gilles Perret et le député-reporter François Ruffin ont passé une semaine à arpenter les ronds-points à la rencontre de ses occupants. Les médias meanstream dépeignent ces derniers en beaufs, en fachos, en casseurs ? Ils rétablissent l'équilibre en laissant la parole à ces prolétaires, femmes et hommes, aux vies brisées par la soi-disant seule politique économique possible, mais qui ont décidé de relever la tête pour que la honte change de camp. Les témoignages serrent le coeur, mais il y a aussi de l'humour (y compris de la part de Ruffin lorsqu'il endosse le rôle de Macron pour donner le change) et de l'espoir. Le film se veut aussi galvanisant que Merci patron ! de l'un ou Les Jours heureux de l'autre, et constitue même une réponse cinglante aux nombrilistes qui pensent que le salut ne peut venir que des classes les plus éduquées, pourtant trop promptes à la résignation, qui est la meilleure alliée des libéraux. Au contraire les Gilets Jaunes ont au moins eu le mérite de défendre un autre partage des richesses et du travail, une révolution fiscale, un meilleur aménagement du territoire que la spécialisation induite par la mondialisation, et sont d'une certaine manière plus écolos que les divagations d'une écologie centriste qui ne sait plus parler que de solutionnisme à base de banque, de marché carbone et de taxes...

DANS LA TERRIBLE JUNGLE (Caroline Capelle, Ombline Rey, 13 fév) LLL
Les réalisatrices plantent leur caméra dans l'enceinte de La Pépinière, un Institut Médico-Educatif, et vont suivre un groupe d'adolescents, leur quotidien, leurs aspirations, mais aussi des ateliers musicaux. Aucune voix off ne vient asséner de quels troubles ces pensionnaires sont atteints. On peut être d'abord gêné d'être dans la position du voyeur, avant de comprendre que les ados sont totalement partie prenante du projet de film. Dans des cadres amples qui n'enferment jamais les personnages, il y a Léa, ses arabesques chantées et ses conseils avisés, Alexis perpétuellement déguisé, Médéric, composant une reprise très personnelle des Bêtises, les bonds ahurissants de Gaël (lorsqu'il ne peut éviter la crise) ou encore Ophélie qui tire de la musique de tout objet, y compris avec une brosse à dents...

COMME SI DE RIEN N'ETAIT (Eva Trobish, 3 avr) LLL
Au cours d'une fête entre anciens camarades de promo, Janne (re)fait connaissance avec Martin. Ils boivent beaucoup. Plus tard dans la soirée, la vie de Janne bascule lorsqu'elle est violée par Martin. Cependant, elle choisit le déni, elle n'en parle à personne, ni à son compagnon ni à ses proches (le mot viol ne sera d'ailleurs jamais prononcé tout au long du film). Elle maintiendra cette attitude, même lorsqu'elle sera amenée à revoir son agresseur, qui fait partie de son milieu professionnel (l'édition). Contrairement à des clichés répandus, les violeurs ne sont généralement pas des inconnus frustrés qui attendent leurs victimes dans des ruelles sombres un couteau à la main, mais généralement des personnes connues par la victime et qui peuvent être estimées dans leur entourage. Ce premier film est donc plus conforme à la réalité. Il crée une tension bien menée autour de Janne (magnifiquement interprétée par Aenne Schawrz), même si ce parti pris conduit à réduire d'autres personnages à des esquisses.

C'EST CA L'AMOUR (Claire Burger, 27 mar) LLL
Agent de la fonction publique dans une sous-préfecture, voilà comment se présente, à plusieurs reprises, Mario, notamment dans une petite troupe de théâtre dans laquelle il va essayer de se trouver. Car, pour l'instant, il est aussi et surtout un père de famille qui doit élever seul ses deux filles adolescentes, alors que sa femme a besoin de s'éloigner d'eux. Le scénario est loin d'être révolutionnaire, la mise en scène ne fait pas non plus dans l'ostentation, et pourtant il y a une alchimie qui se déploie et rend le film assez attachant. Ce qui frappe, c'est moins ce qui arrive aux personnages que les forces et les vulnérabilités qui les traversent, ils sont formidablement écrits, loin des conventions ou des stéréotypes. Bouli Lanners trouve un de ses meilleurs rôles, mais toujours à l'écoute de ses partenaires de jeu (Cécile Remy-Boutang et les jeunes Justine Lacroix et Sarah Henochsberg).

MA VIE AVEC JOHN F. DONOVAN (Xavier Dolan, 13 mar) LL
Ayant déménagé en Grande-Bretagne, un jeune enfant acteur entretient une relation épistolaire avec la vedette d'une série américaine, qui cache publiquement son homosexualité, et qu'il ne rencontrera jamais. Tous les deux ont des rapports paradoxaux et compliqués avec leurs mères respectives... C'est le premier film de Dolan tourné en langue anglaise, mais on y retrouve avec délice toutes les thématiques de son univers (voire de sa vie personnelle). Sa cinéphilie, populaire, ose faire rimer Kubrick (on entend le Beau Danube bleu lorsqu'un personnage converse au téléphone avec un certain Hal, comme dans 2001...) avec Titanic (on y recueille le récit d'un survivant d'une tragédie). En revanche, il y a des scories, une sorte de clip dans la salle de bain peu convaincant, et une direction d'acteurs qui semble parfois découler d'un soap (moult expressions faciales pour déclamer une demi-phrase...).

LES TEMOINS DE LENSDORF (Amichai Greenberg, 13 mar) LL
Un historien juif orthodoxe enquête sur un massacre qui aurait eu lieu dans le village de Lensdorf en Autriche, au crépuscule de la Seconde Guerre mondiale. Ses recherches s'accélèrent lorsqu'il se voit assigner un ultimatum : faute de preuves tangibles, le site sera bétonné sous quinzaine... Cette course contre la montre n'empêche pas sa quête de devenir également une interrogation sur son identité, à la suite de découvertes sur sa famille... Pour son premier long métrage, Amichai Greenberg a choisi un sujet très vaste et très personnel, forcément intéressant, mais que la mise en scène, trop peu inspirée, n'arrive pas à transcender comme il le faudrait.

NOS VIES FORMIDABLES (Fabienne Godet, 6 mar) LL
Margot, toxicomane d'une trentaine d'années, débarque dans une communauté thérapeutique. Dubitative, elle va y apprendre les vertus de la solidarité... Jusque là, j'avais beaucoup aimé le cinéma de Fabienne Godet (Sauf le respect que je vous dois, Une place sur la terre). Ici, elle a encore su créer une vraie troupe, autour de l'impressionnante Julie Moulier, également co-scénariste. Mais ce travail semble affaibli par la mise en scène, qui adopte un style très proche du documentaire (alors qu'on sait que ce n'en est pas un). Il y a un regain dramatique dans la dernière ligne droite, mais cela arrive un peu tard...

DEPUIS MEDIAPART (Naruna Kaplan De Macedo, 13 mar) LL
La réalisatrice de ce documentaire est abonnée de la première heure à Médiapart, et s'est immergée un an au coeur de la rédaction. Elle a choisi de filmer les journalistes dans leur bureau : le titre du film renvoie à un espace et non à un temps. Il y a des choses intéressantes, mais le film souffre un peu de la période choisie, en devenant un banal journal de la campagne présidentielle, écrasant parfois la singularité de ce média en ligne. Le documentaire donne l'impression d'une grande homogénéité de la rédaction, alors que dans la réalité de ce média les "causes communes" laissent s'exprimer des sensibilités différentes. Un exercice en demi-teinte, qui réserve quelques surprises : on apprend par exemple que Christophe Gueugneau, l'un des journalistes français qui a le mieux couvert la campagne de la France Insoumise, en s'intéressant au fond (contrairement aux médias de masse), est en fait non inscrit sur les listes électorales...

US (Jordan Peele, 20 mar) L
Une famille afro-américaine ayant réussi socialement part en vacances à Santa Cruz, là où la mère a vécu enfant un curieux traumatisme, une trentaine d'années auparavant. Après des coïncidences troublantes, le soir tombé, ils découvrent dans leur allée l'ombre menaçante de quatre personnes qui pourraient bien être des sortes de double... L'ouverture du film est très réussie, mais la suite, qui se veut probablement une critique de la réussite sociale (où on écrase des gens qu'on ne voit pas), souffre d'un manque de rigueur du scénario. Les fausses pistes, distillées ici ou là, semblent plus convaincantes que les vraies, comme si le film s'enroulait sur lui-même au lieu de se déployer. Le résultat n'arrive pas à la hauteur des références convoquées (L'Invasion des profanateurs de sépulture, par exemple).

HAPPY BIRTHDEAD 2 YOU (Christopher Landon, 13 fév) L
Happy Birthdead avait été une jolie surprise, comme un croisement savoureux entre Scream et Un jour sans fin. Christopher Landon tente une suite. Sur le papier, le scénario, qui fait entrer de nouvelles dimensions dans la danse, peut paraître audacieux, mais à l'écran, rien n'est crédible, rien ne fonctionne, tout semble artificiel, y compris les prétextes pseudo-scientifiques abscons (restez poli Carpentier). On s'accroche à l'abattage des jeunes comédiens, Jessica Rothe en tête, mais ça ne suffit pas à dissiper l'impression d'assister à un film pas du tout indispensable.

Version imprimable | Films de 2019 | Le Vendredi 12/04/2019 | 0 commentaires




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