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Festival de La Rochelle 2018

MON FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE LA ROCHELLE 2018


29) ** DE LA VIE DES MARIONNETTES (Ingmar Bergman, 1980)

Enfermé dans une maison close, un client tue la prostituée avec laquelle il devait passer la
nuit. Le film est constitué de douze fragments, avant ou après le passage à l'acte, montés sans
ordre chronologique, pour tenter de comprendre pour quelles raisons un meurtre a été commis.
C'est un puzzle, bavard, qui s'intéresse aux proches du meurtrier (son psy, sa mère, sa femme et
un ami de celle-ci), tourné en noir et blanc (sauf le crime qui a droit à la couleur) avec des
comédiens allemands, et qui tente de réunir une veine expérimentale à la Persona (1966) et une
veine psychologique comme ses drames des années 70. Il en ressort un film plus théorique
qu'entièrement convaincant à l'écran.

28) ** RIVERS AND TIDES (Thomas Riedelsheimer, 2005)

Un documentaire sur l'artiste Andy Goldsworthy au travail, brillante figure du land art,
qui consiste en des sculptures ou installations parfois très éphémères, réalisées au sein d'un
paysage particulier, avec des matériaux naturels trouvés sur place. Le réalisateur a fait profil bas,
la seule voix du commentaire est celle de l'artiste lui-même, dont les créations (et les tentatives
avortées), spectaculaires ou non, sont filmées sans effet de style mais parfois accompagnées d'une
musique planante.

27) ** JUHA (Aki Kaurismäki, 1999)

Juha est un agriculteur qui mène une vie tranquille avec sa femme, jusqu'au jour où
Shemeikka, citadin propriétaire d'une rutilante voiture, tombe en panne devant chez eux. Ce
dernier convainc la femme de Juha de le suivre en ville... C'est une adaptation d'un classique de la
littérature finlandaise, mais c'est aussi le dernier film muet du 20è siècle. Aki Kaurismäki prend
l'exercice de style au sérieux, y apporte les caractéristiques de son univers (jeu sur les ellipses et
les hors-champs) et ses comédiens favoris (Kati Outinen, Sakari Kuosmanen et André Wilms),
sans arriver à transcender la réunion de tous ces ingrédients. La faute à la musique (pas
suffisamment sobre ?). Une curiosité plaisante, toutefois.

26) ** SABINE (Philippe Faucon, 1993)

Agnès, une adolescente de 17 ans s'enfuit de chez elle (son père est alcoolique). Elle
tombe enceinte, doit faire face à une belle-mère intrusive avide de maternité, et fait de mauvaises
rencontres (drogue, prostitution – Sabine est son prénom de travail – et Sida). Adapté d'un journal
autobiographique (La Vie aux trousses d'Agnès Lherbier), le scénario de Philippe Faucon et
William Karel paraît bien chargé. Cette accumulation ne fait pas forcément les bons films.
Heureusement, sa mise en scène retranche beaucoup : sens du détail qui permet des ellipses, pas
de scènes lacrymales ni de grands violons, fin apaisée même si l'on sait qu'il s'agit d'un répit
provisoire. Et, dans le rôle titre, Catherine Klein joue très juste.

25) ** SOURIRES D'UNE NUIT D'ÉTÉ (Ingmar Bergman, 1956)

L'avocat Frederik Egerman, veuf quadragénaire encore séduisant, vient d'épouser Anne,
une jeune femme qui a l'âge de son fils Henrik, étudiant en théologie. Épouse insatisfaite, Anne a
pour confidente Petra, la soubrette, qui ne laisse pas Henrik indifférent. Pendant ce temps,
Frederik retrouve Désirée son ancienne maîtresse, et comédienne de théâtre renommée... Le
générique introductif annonce une comédie romantique d'Ingmar Bergman ! Le scénario pourrait
certes presque relever du vaudeville, mais en plus fin. Il est même par moments d'une acuité
similaire à ses grands drames psychologiques. Le premier succès international de Bergman,
présenté au festival de Cannes en 1956, est mineur, mais plutôt appréciable.

24) *** SHOW PEOPLE (King Vidor, 1928)

Fraîchement débarquée à Hollywood, Peggy est une jeune femme déterminée à devenir
une star de cinéma. Elle rencontre l'acteur comique Billy Boone qui lui met le pied à l'étrier, dans
des comédies, alors qu'elle rêve de devenir une grande tragédienne... Une des premières satires
d'Hollywood par lui-même (un genre en soi, des Ensorcelés de Vincente Minnelli jusqu'au
Mulholland Drive de David Lynch), plus tendre que mordante. Charlie Chaplin fait une courte
apparition dans son propre rôle, tandis que le réalisateur King Vidor et son actrice Marion Davies
font parfois preuve d'autodérision. Le propos brocarde surtout le snobisme qui entourait les
drames muets (alors à leur apogée), par rapport à certaines comédies produites à la chaîne mais
tombant en désuétude...

23) *** LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE (Robert Bresson, 1945)

Délaissée par son amant Jean, Hélène feint de ne plus l'aimer, et comprend avec horreur
qu'il est soulagé de cette révélation mensongère. Ils se séparent, mais Hélène décide de se
venger : elle s'arrange pour que Jean rencontre Agnès, qui fut danseuse de cabaret après la faillite
de sa mère, pour qu'il en tombe amoureux sans rien connaître de son passé... Le second long
métrage de Bresson est une adaptation de Diderot (Jacques le Fataliste) transposée à l'époque
contemporaine du film (avec voitures à essence). Le style de Bresson n'est pas encore à son
apogée : il y a beaucoup d'accompagnements musicaux, et il fait appel à des acteurs
professionnels dont Maria Casarès, excellente, et Paul Bernard, même si ce style naissant tranche
déjà avec les productions de l'époque, plus inspirées du théâtre (dont le génial Les Enfants du
Paradis
de Marcel Carné).

22) *** LA VIE DE BOHÈME (Aki Kaurismäki, 1992)

Marcel Marx, auteur en mal d'éditeur, est expulsé de chez lui. Il rencontre par hasard
Rodolfo, peintre albanais, et Schaunard, un compositeur irlandais. Les trois hommes décident de
partager leur misère et leur ferveur artistique... Aki Kaurismäki s'invite dans un Paris intemporel
(en fait il s'agit de Malakoff) tout en y apportant une partie de son univers (des hommes fauchés,
de l'alcool et un chien). Le scénario, pas plus que ses personnages, ne suit une route bien tracée.
Le film oscille entre des touches de surréalisme (un personnage entend un piano et dit entendre
du violon, un autre prend à la gare d'Austerlitz un train pour Strasbourg, un troisième demande
l'autorisation pour un baisemain à une femme qu'il s'empresse d'embrasser) et des accents plus
mélancoliques.

21) *** LA CIÉNAGA (Lucrecia Martel, 2002)

Mecha est en vacances avec son mari (inexistant), ses enfants et ses domestiques dans une
résidence secondaire près de la commune de La Ciénaga (qui signifie également marécage). Elle
boit trop, et fait une mauvaise chute autour de la piscine... Pour son premier long métrage,
Lucrecia Martel livre un drame choral trouble à l'intérieur d'une famille bourgeoise en
déliquescence, réunie dans une atmosphère suffocante autour d'une piscine (non entretenue). La
réalisatrice mise davantage sur une accumulation de sensations et de malaises que sur un scénario
bétonné par un pool de scénaristes (comme certains le font aujourd'hui). Et la fin en suspension
nous laisse inquiet...

20) *** SHADOWS IN PARADISE (Aki Kaurismäki, 1988)

Nikander est éboueur et veut créer sa propre entreprise. Il tombe amoureux d'Ilona, une
caissière de supermarché qui va se faire virer. Cette dernière, pour se venger, vole la caisse du
supermarché, mais Nikander la remet discrètement à sa place... Ce troisième film d'Aki
Kaurismäki est celui qui va le faire connaître en France. C'est aussi le premier dans lequel il fait
jouer Kati Outinen, sa muse et actrice fétiche. C'est enfin le premier opus de sa trilogie ouvrière
conclue en beauté par La Fille aux allumettes. Dans ce qui s'apparente également parfois à un
brouillon (déjà assez maîtrisé) de Au loin s'en vont les nuages, Kaurismäki narre drôlement une
histoire d'amour contrariée entre deux prolos qui finiront, peut-être, par vivre d'amour, d'eau
fraîche et de « small potatoes »...

19) *** JE NE VOUDRAIS PAS ÊTRE UN HOMME (Ernst Lubitsch, 1918)

Jeune fille rebelle, Ossi ne supporte pas l'autorité. Lorsque son oncle, qui veillait sur son
éducation, s'absente, il est remplacé par un tuteur beaucoup plus rigide. Ossi décide alors de se
déguiser en homme et rejoint une soirée décadente... Dès les premières scènes du film, où on voit
Ossi Oswalda jouer aux cartes, fumer et boire comme un homme, le ton est donné. Ce film
méconnu de la carrière allemande et muette d'Ernst Lubitsch est une comédie satirique sur les
différences et les inégalités dans l'éducation entre les garçons et les jeunes filles. Féministe avant
l'heure mais non manichéen, il montre que cette différenciation des sexes a aussi des
inconvénients même pour les hommes. Très audacieux et en avance sur son temps.

18) *** LA PRINCESSE AUX HUÎTRES (Ernst Lubitsch, 1919)

Jalouse du mariage prestigieux de la fille du magnat du cirage, Ossi, fille du richissime
Quaker, le roi américain de l'huître, ordonne à son père de lui trouver un prestigieux mari. Quaker
charge un entremetteur de lui trouver un prince digne de ce nom. Ce dernier trouve Nucki, un
prince allemand au bord de la faillite. Nucki envoie en reconnaissance son valet Josef, qui en se
faisant passer pour le prince, se fait épouser par Ossi... Cette nouvelle collaboration entre Ernst
Lubitsch et l'actrice Ossi Oswalda (qui a suffisamment de personnalité pour exiger que les
personnages qu'elle interprète portent son véritable prénom) est une comédie satirique sur le
gigantisme supposé des milliardaires américains : ils mobilisent, dans des décors furieusement
géométriques, des dizaines de domestiques pour chacun de leurs faits et gestes (le bain d'Ossi est
une scène d'anthologie), jusqu'à l'absurde. Enfin, le scénario est savoureux, dans le sens où le
happy end et la morale conjugale sont certes saufs mais in extremis...

17) *** EN LIBERTÉ ! (Pierre Salvadori, 2018)

Yvonne, jeune inspectrice de police, découvre que son mari, le capitaine Santi, héros local
tombé au combat, n’était pas le flic courageux et intègre qu’elle croyait mais un véritable ripou.
Déterminée à réparer les torts commis par ce dernier, elle va croiser le chemin d’Antoine
injustement incarcéré par Santi pendant huit longues années... Dans ce film très éloigné des
comédies industrielles formatées, l'humour emprunte des registres si variés qu'on ne sait pas
toujours d'où il va surgir ni quelles formes il va prendre : comique de répétition (la parodie de
mauvais film d'action est pénible la première fois, mais est très drôle une fois qu'on a compris de
quoi il s'agissait – le récit qu'Yvonne fait le soir à son fils des exploits de son père – et les
variations à suivre), humour noir voire macabre, comique de situation ou à l'opposé très humain
en exagérant les défauts ou caractères des personnages comme dans une comédie romantique ou
à l'italienne. Mention spéciale aux comédiens, Adèle Haenel et Damien Bonnard en particulier.

16) *** ELLA CINDERS (Alfred E. Green, 1926)

Ella est forcée d'assurer les tâches ménagères de la famille Cinders et d'assurer le confort
de ses deux belles-soeurs. À l'annonce d'un concours pour le casting d'un film, Ella tente sa
chance... Ella Cinders est l'anagramme de Cinderella (Cendrillon en anglais), et le scénario y fait
allusion, parfois. On pense également à Chaplin, notamment avec une séquence de danse avec les
mains qui rappelle celle des petits pains dans La Ruée vers l'or, sorti l'année précédente. D'une
manière générale, on peut saluer l'inventivité des gags (par exemple celui sur l'importance du
regard dans le cinéma muet). Mais la réussite du film repose avant tout sur les épaules de Colleen
Moore, actrice formidable aujourd'hui oubliée, d'une grande finesse et qui, avec sa coupe à la
garçonne, a été une « précur-soeur » de Louise Brooks, en version comique.

15) *** CENTRAL DO BRASIL (Walter Salles, 1998)

À la gare de Rio de Janeiro, Dora, ex-institutrice à la retraite, arrondit ses fins de mois en
étant écrivaine publique. Peu scrupuleuse, elle jette certaines lettres au lieu de les envoyer. Josué,
un garçon de 10 ans qui était venu la voir pour écrire une lettre à son père, revient vers elle après
la mort accidentelle de sa mère... Des scènes quasi-documentaires s'invitent à l'intérieur d'une
trame fictionnelle classique (un gamin livré à lui-même à la recherche de son père), qui
témoignent du désir de filmer la réalité sociale du Brésil, après 20 ans de dictature. Les cinq
dernières minutes sont un peu tire-larmes, mais ce n'est jamais le cas de l'interprétation (dont
Fernanda Montenegro, qui a reçu le prix d'interprétation à Berlin en plus de l'Ours d'or décerné au
film) qui reste à la fois convaincante et d'une grande dignité.

14) *** MONIKA (Ingmar Bergman, 1954)

Le film est sorti en France dès 1954, mais n'accéda à la notoriété qu'en 1958 lors de sa
reprise. Auparavant, il n'avait été distribué que dans des circuits spécialisés, à cause de scènes
dénudées osées pour l'époque. C'est un film de réalisme social (la rencontre et le quotidien
difficile de deux jeunes personnes de condition modeste), troué par une parenthèse enchantée,
édénique sur une île, le temps d'un été. Parfois intitulé Un été avec Monika ou Monika et le désir,
le film est happé par son actrice Harriett Andersson (la future soubrette de Sourires d'une nuit
d'été
), dont un long regard – caméra est resté célèbre.

13) *** AU LOIN S'EN VONT LES NUAGES (Aki Kaurismäki, 1996)

Il est conducteur de tram, elle est maître d'hôtel. Ils sont tous les deux licenciés...
Kaurismäki avait déjà réalisé une histoire d'amour contrariée par les réalités du monde du travail
(Shadows in Paradise), et le chômage était déjà un point de départ de J'ai engagé un tueur. Le
chômage est ici le sujet principal du film, mais les ingrédients réalistes du fond sont
contrebalancés par une forme tout sauf naturaliste. Les difficultés des personnages (formidables
de dignité) sont traitées avec un léger décalage burlesque (dialogues parcimonieux, langage des
corps, importance du hors champ). Revu avec plaisir.

12) *** J'AI ENGAGÉ UN TUEUR (Aki Kaurismäki, 1991)

Superbe exercice de style de comédie mélancolique et pince-sans-rire, où Jean-Pierre
Léaud campe un dégoûté de la vie qui engage un tueur car il n'arrive pas à se suicider lui-même,
mais qui va peut-être changer d'avis lorsqu'il rencontre une femme qui survit en vendant des
fleurs. Kaurismäki s'expatrie à Londres, mais son style est bel et bien là : ironie sociale (le
licenciement tragi-comique du héros), plans fixes peu bavards mais d'une redoutable efficacité,
quelques touches de couleurs saturées dans les décors ou les costumes (le peignoir rouge de la
jeune femme) qui contrastent avec un environnement plus grisâtre et qui peuvent faire penser à
une comédie musicale où on aurait enlevé la musique (sauf une séquence avec Joe Strummer...).

11) *** AMIN (Philippe Faucon, 2018)

Amin, venu du Sénégal pour travailler en France, a laissé au pays sa femme Aïcha et leurs
trois enfants, qu'il ne voit qu'une ou deux fois par an. En France, toute sa vie est absorbée par son
travail et il n'a pour seule compagnie que ses amis du foyer. Jusqu'au jour où il rencontre
Gabrielle... Le cinéma de Philippe Faucon est de plus en plus ample (le succès public et critique
de Fatima y a sans doute contribué). En racontant cette histoire de travailleurs immigrés, il a
tourné à la fois au Sénégal et en France. Loin d'être une abstraction ou une statistique dans des
débats hexagonaux frileux voire nauséabonds, les personnages y acquièrent une vraie épaisseur,
de vraies aspirations et élans sentimentaux. Sans jamais tomber dans la démonstration, Philippe
Faucon aborde de nombreux sujets, dans une ligne claire (avec une superbe photographie) mais
non didactique.

10) *** LES FRAISES SAUVAGES (Ingmar Bergman, 1959)

Isak Borg, un vieux médecin en retraite, est invité à se rendre à Lund, où doit se tenir une
cérémonie de jubilé en son honneur, pour célébrer des décennies de dévouement et de recherches.
Il s'y rend en voiture accompagné de sa belle-fille, momentanément séparée de son fils. Ce road –
movie envahi par les rêves et souvenirs du personnage principal tient surtout du conte
philosophique. L'équilibre trouvé entre les thématiques universelles, existentielles (vie de famille)
ou spirituelles, et entre des séquences aux régimes d'images différents (présent, onirisme) fait tout
le sel d'un film exigeant mais élégant. Côté interprétation, le vieux médecin est interprété
magistralement par le grand réalisateur pionnier du cinéma suédois Victor Sjöström, tandis que
Bibi Andersson (qui jouera l'infirmière du mythique Persona) interprète d'une part une auto –
stoppeuse sympathique qui voyage avec deux garçons qui se disputent sur l'existence de Dieu, et
d'autre part une cousine d'Isak, son premier amour aussi. Revu avec profit.

9) ***(*) LE MYSTÈRE DU LAPIN-GAROU (Nick Park, Steve Box, 2005)

Toute la petite ville est en ébullition car le concours annuel du plus gros légume approche.
Wallace, l'inventeur farfelu et son si lucide et sobrement expressif chien Gromit se chargent de
capturer les nombreux lapins qui menacent la récolte. Pourtant, les légumes disparaissent,
engloutis par un lapin géant... Les premiers court-métrages du studio Aardman (dont les Wallace
et Gromit
) étaient des petits chefs d'oeuvre. Le passage au long, Chicken run, coproduit par les
studios Dreamworks, a été une grande réussite commerciale, même s'il est doté d'une trame
hollywoodienne plus convenue. Avec Le Mystère du lapin-garou, c'est un retour aux sources qui
permet à Wallace et Gromit de passer brillamment le cap du long-métrage. On y retrouve
l'incroyable inventivité et l'humour british, que ce soit dans les grandes lignes ou les moindres
détails. Revu avec (presque) autant de plaisir que la première fois.

8) **** FANNY ET ALEXANDRE (Ingmar Bergman, 1983)

La famille Ekdahl au grand complet fête Noël dans la belle maison d’Helena, la grandmère,
propriétaire du théâtre de la ville. L’un de ses trois fils, Oscar, meurt soudainement après
une répétition d’Hamlet. Sa veuve accepte d’épouser un évêque luthérien, sévère et puritain, pour
donner un père à ses deux jeunes enfants, Fanny et Alexandre… Le film a la richesse d'une
fresque (chaque personnage pouvant générer une intrigue propre), mais surprend par une facture
étonnamment classique, soutenue par une photographie signée Sven Nykvist plus chaude qu'à
l'accoutumée. L'histoire se déroule en 1907, mais on devine une forte teneur autobiographique de
certains détails (rigidité paternelle, passion précoce pour le théâtre, lanterne magique...). Du coup,
ce film peut éclairer les films précédents, mais on peut soutenir exactement l'inverse : ce que l'on
a vu précédemment de lui enrichit la façon dont on perçoit celui-ci.

7) **** L'ARGENT (Robert Bresson, 1983)

Le film est impressionnant sur le fond, notamment les ressorts dramatiques (expression on
ne peut plus adéquate) d'une histoire de faux billets et d'une avidité généralisée qui a des
répercussions différentes pour le lycéen de bonne famille et pour le travailleur de base. Mais la
forme est encore plus saisissante, avec ses ellipses et ses métonymies (filmer une partie, un détail
pour figurer le tout : une course poursuite ramenée à un pied sur l'accélérateur, quelques
encadrures de portes qui suffisent à faire ressentir le milieu social, des gouttes de sang dans un
lavabo pour figurer l'irréparable) sans oublier un travail sonore qui amplifie les sons concrets.

6) **** LA FILLE AUX ALLUMETTES (Aki Kaurismäki, 1990)

Iris travaille dans une usine d'allumettes et rentre le soir chez elle, dans un appartement où
sa mère et son beau-père (qui lui volent parfois sa paie) passent leur temps devant la télé. En
amour, ce n'est guère mieux, elle prend un garçon rencontré dans un bal (où elle avait l'habitude
de faire tapisserie) pour un prince charmant. Comment va-t-elle se réveiller et se révolter ? C'est
un des films les plus noirs d'Aki Kaurismäki, très narratif malgré sa brièveté (1h09). C'est que la
stylisation est ici extrême : pas un plan de superflu (ils sont par ailleurs admirablement
composés), ellipses (limpides), minimalisme qui créé une distanciation ironique sur le sort de
l'héroïne, néanmoins filmée avec empathie, et interprétée par une extraordinaire Kati Outinen. Un
des sommets de la filmographie de l'auteur.

5) **** PICKPOCKET (Robert Bresson, 1959)

L'itinéraire de Michel, jeune homme solitaire fasciné par le vol, qu'il élève au niveau d'un
art, persuadé que certains êtres d'élite auraient le droit d'échapper aux lois (comme le croyaient
les jeunes arrogants de La Corde d'Hitchcock). Le récit a toute l'intensité du présent, tout en étant
narré par une voix off au passé. Le scénario, pour la première fois entièrement écrit par Bresson,
déjoue le genre policier (comme nous l'indique le carton introductif) tout en engendrant du
suspense à l'intérieur des scènes. Une séquence de vol à la tire dans un train donne à voir une
chorégraphie de mains d'une agilité stupéfiante. Le montage est d'une grande économie pour un
maximum d'efficacité. Et la mise en scène regorge de choix singuliers : par exemple, aucune
porte (à part celles de la prison et, une fois, celle de l'appartement de la mère) ne sera montrée
fermée, ni celle de la chambre de Michel, ni celle de son immeuble, ni celle du commissariat, ni
celle de Jeanne (la voisine de sa mère à qui Michel dira, au bout de son périple, dans un final
épatant, la célèbre réplique : « Ô Jeanne, pour aller vers toi, quel drôle de chemin il m'a fallu
prendre
», d'autant plus poignante que chez Bresson le jeu des acteurs, pardon « modèles », n'est
jamais théâtral).

4) **** MOUCHETTE (Robert Bresson, 1967)

Mouchette est une jeune fille pauvre dont le père est ivrogne et la mère gravement
malade. Elle déteste son village, ses camarades de classe (qui se moquent d'elle parce qu'elle
chante faux). Un soir, dans la forêt, elle recueille l'affection d'un braconnier, avant qu'il n'abuse
d'elle. Avec la sobriété qui le caractérise, Bresson raconte un tragique destin, avec de rares répits
(la séquence des auto-tamponneuses, le raccord suivant montre la gifle paternelle). Inspirée d'un
texte de Bernanos, Mouchette est probablement l'un des personnages les plus émouvants de toute
la filmographie de Robert Bresson (et on jurerait qu'elle a été une source d'inspiration pour la
Rosetta des frères Dardenne). De ce fait, bien que hautement représentatif du style du cinéaste, le
film peut toucher bien au-delà du cercle de ses admirateurs habituels. Revu avec plaisir (note
« Bravo » maintenue).

3) **** PERSONA (Ingmar Bergman, 1966)
En plein milieu d'une représentation théâtrale, la comédienne Elisabet Vogler perd l'usage
de la parole. Après un séjour en hôpital, elle s'installe dans la résidence secondaire d'un des
médecins, sur l'île de Farö, seule avec Alma, une jeune infirmière dévouée qui lui fait la
conversation... La première vision m'avait laissé une impression mitigée, peut-être due à un
prologue expérimental qui m'avait désarçonné ou déstabilisé. Mais, à la deuxième vision, le film
devient extrêmement fascinant. L'oeuvre entière peut nourrir de nombreuses interprétations (dans
l'approche jungienne, persona désigne le masque social et alma le subconscient), mais chaque
séquence, chaque plan peuvent être admirés pour leur perfection, la polysémie de sens qu'ils
autorisent parfois. La photographie de Sven Nyqvist, le montage sont eux aussi exceptionnels. On
peut y voir une fusion de deux personnalités, mais ce n'est pas deux qui ne font qu'une, car il
existe de multiples balancements et contradictions. Bergman a écrit et réalisé de formidables
films d'une grande richesse psychologique, mais passant souvent par le verbe et le théâtral. Mais
Persona s'adresse, lui, directement à l'inconscient. C'est peu de dire qu'il est extrêmement
stimulant. Revu en étant très agréablement surpris (appréciation passant de « Pas mal » à « Chefd’oeuvre
absolu »).

2) **** SCÈNES DE LA VIE CONJUGALE (Ingmar Bergman, 1975)

Johann et Marianne sont mariés depuis une dizaine d'années. Il est professeur, elle est
avocate (spécialisée dans les divorces), et ils ont deux filles. Ils forment un couple apparemment
heureux. Lors d'un dîner, ils assistent à une violente dispute de leurs meilleurs amis dont le
couple est en crise. Ils commencent à s'interroger sur leur propre relation... La première vision de
ce film avait été un grand choc, et, à la deuxième vision, il demeure captivant de bout en bout. On
ne peut qu'être admiratif devant la perfection de chaque plan, dont de redoutables gros plans dus
à Sven Nyqvist. Il est souvent de bon ton de saluer les interprètes d'un film (quelle que soit la
qualité de celui-ci), mais ici Liv Ullmann et Erland Josephson livrent des interprétations
ahurissantes, inégalables (bon courage aux courageux-euses ou inconscient-e-s qui reprennent ces
rôles au théâtre), d'autant plus qu'ils sont seuls à l'écran dans plus de 90 % des scènes... Ce qui est
dit (le terme dialogue est trop réducteur) ou montré ou suggéré est exceptionnel (Bergman est ici
un redoutable et cruel entomologiste). Chef-d’oeuvre revu avec admiration (note maximale
maintenue).

1) **** VOYAGE AU BOUT DE L'ENFER (Michael Cimino, 1979)

Ce film est un chef-d’oeuvre à plus d'un titre : des séquences hallucinées servies par un
chef op' inspiré (Vilmos Zsigmond), l'inoubliable musique de Stanley Myers qui passe l'outrage
du temps, l'interprétation de Robert De Niro, Meryl Streep, John Savage et surtout Christopher
Walken. Mais attention : ce n'est pas vraiment un film typique sur la guerre du Vietnam. La
première image du Vietnam n'intervient qu'au bout de 75 minutes (Apocalypse Now a davantage
les attributs de ce que l'on attend d'un film de guerre). Voyage au bout de l'enfer doit plutôt se
voir comme une grande fresque romanesque, autour d'ouvriers sidérurgistes d'origine russe. Il
fallait oser, dans un film américain à grand spectacle, la longue séquence du mariage orthodoxe.
Leur intégration est réussie : ils sont aussi patriotes que les autres, et sont fiers de partir à la
guerre. Leur bellicisme va se heurter à la réalité. Chaque détail peut prendre une signification
hautement symbolique. Avant l'enfer, deux gouttes de vin malencontreusement échappées vont
s'avérer prémonitoires. Le conflit n'est pas montré par des scènes de guerre réalistes mais par les
séquences de roulette russe, allégoriques de l'horreur, l'arbitraire, la folie de la guerre. Il faut aussi
évoquer les deux scènes de chasse au cerf, avant et après les scènes au Vietnam, qui se répondent
et montrent l'évolution de Michael face à l'acte de tuer... Les scènes finales (le film prend du
temps pour raconter l'après conflit pour ses personnages) sont douloureuses, désenchantées, où
Cimino montre, encore une fois par l'allégorie, que dans le melting pot américain, on ne fait pas
d'omelettes sans casser des oeufs (et avec des larmes). Film toujours aussi magistral à chaque
nouvelle vision.

Version imprimable | Festival de La Rochelle | Le Mardi 23/07/2019 | 0 commentaires




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