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Suite des films du printemps 2016

  • Bien : La Loi de la jungle (Antonin Peretjatko), Julieta (Pedro Almodovar), Illégitime (Adrian Sitaru), Le Lendemain (Magnus von Horn), 600 euros (Adnane Tragha), La Saison des femmes (Leena Yadav)
  • Pas mal : John From (Joao Nicolau), Folles de joie (Paolo Virzi), Ma loute (Bruno Dumont)
  • Bof : Money monster (Jodie Foster), Elle (Paul Verhoeven)

LA LOI DE LA JUNGLE
(Antonin Peretjatko, 15 juin) LLL
Un stagiaire (Vincent Macaigne) au ministère de la Norme est envoyé en Guyane pour homologuer... Guyaneige, la première piste de ski d'Amazonie, financée entre autres par la Banque mondiale du Sport et le Qatar ! Sur place il rencontre une autre stagiaire, spécialiste des jardins à la française (Vimala Pons). Ensemble, ils vont affronter l'absurdité de la situation... Après un coup d'essai qui aura enthousiasmé ceux qui l'ont vu (La Fille du 14 Juillet), Antonin Peretjatko confirme son talent et tente avec ce deuxième film d'aller encore plus loin. C'est vrai au sens propre, bien entendu, mais pas seulement. Les deux films sont assez différents visuellement : La Fille du 14 Juillet était assez graphique, très pop, celui-ci se nourrit des paysages et de la faune locales. Leur point commun est de mêler un burlesque irrésistible et une satire politique libertaire : ici on trouve une critique corrosive d'un grand projet inutile et imposé, de l'impérialisme français et européen, de la finance et de la bureaucratie... Une sorte de rejeton improbable des classiques de Werner Herzog (Aguirre, Fitzcarraldo) et des OSS 117. Bref, un film culte à ne pas louper.

JULIETA (Pedro Almodovar, 18 mai) LLL
Julieta, la cinquantaine, s'apprête avec son compagnon à quitter Madrid pour le Portugal, lorsqu'elle croise par hasard une jeune femme qui lui donne de maigres nouvelles de sa fille. Elle est bouleversée, elle n'a pas vue cette dernière depuis des années... C'est le début du nouveau film de Pedro Almodovar, qui revient au drame après une parenthèse-récréation de série B érotique (Les Amants passagers). Il adapte plusieurs nouvelles d'Alice Munro, d'où un récit à tiroirs, riche en flash-back, ellipses et accélérations (presque un peu trop : le film pourrait durer 20 minutes de plus et développer davantage certains rebondissements). Les amateurs de Tout sur ma mère et Parle avec elle seront en terrain connu : sans tout à fait atteindre ces deux sommets, Almodovar revisite cette veine là, en saturant les couleurs et en magnifiant ses actrices (dont Emma Suarez et Adriana Ugarte dans le rôle-titre à deux âges différents), avec une mise en scène impressionnante de maîtrise, moins exubérante, plus sobre (mais pas moins émouvante) et propice à explorer des thèmes plus mûrs (transmission, culpabilité).

ILLEGITIME (Adrian Sitaru, 8 juin) LLL
Il y a tout d'abord un repas de famille où les grands enfants semblent apprécier la discussion philosophique initiée par leur père veuf sur le temps, physique ou subjectif. Jusqu'au moment où ils apprennent que ce dernier, en tant que médecin, aurait empêché des femmes d'avorter, voire les aurait dénoncées à l'époque de Ceausescu. Ce thème peut faire penser à 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu, mais c'est plutôt une fausse piste, à la fois sur le fond et sur la forme. Car on apprend vite que les deux enfants les plus scandalisés par la révélation sur le passé de leur père, des jumeaux de 22 ans, frère et soeur, entretiennent une relation incestueuse. Dont il faudra assumer les possibles conséquences. Adrian Sitaru livre donc un récit à tiroirs, moraliste mais jamais moralisateur : la beauté et le coup de force du film est de ne jamais remettre en cause la légitimité des sentiments des uns envers les autres. La forme évite aussi toute pesanteur solennelle : caméras portées, et nombre de prises réduites (mais avec des comédiens formidables : Adrian Titieni, Alina Grigore, Robi Urs). Le dénouement est assez surprenant.

LE LENDEMAIN (Magnus von Horn, 1er juin) LLL
Après avoir purgé une peine de deux ans de prison, John, un adolescent, retourne vivre avec son père et son petit frère dans la ferme familiale. Et décide de se réinscrire dans le lycée qu'il avait fréquenté auparavant. Il aspire à un nouveau départ, mais personne n'a oublié ce qu'il a fait... Pour son premier long métrage, Magnus von Horn trouve tout de suite le bon tempo pour raconter son histoire (il ne dévoile pas d'emblée le crime commis par John, distillant au compte-gouttes les informations), et réalise un drame remarquablement tendu. Sans être novatrice, la mise en scène est toujours à la juste distance, et sait suggérer une violence sociale sourde derrière les apparences. L'ensemble de l'interprétation est aussi à saluer, à commencer par Ulrik Munther qui compose un John énigmatique, opaque, qui évite de rendre les coups de peur d'une sanction, et est rongé par la culpabilité, en quête de rédemption.

600 EUROS (Adnane Tragha, 8 juin) LLL
Voici un film très peu distribué, et qui mérite pourtant d'être vu. Les 600 euros du titre, ça pourrait presque être le budget de ce film-guérilla, où le réalisateur est aussi le caméraman, le monteur, tout en étant aussi un des producteurs et des distributeurs. Mais en réalité le titre renvoie au retard de loyers d'un des personnages principaux, un chômeur musicien en galère. C'est presque un film choral, où une demi-douzaine de personnages s'entrecroisent entre mars et mai 2012, en pleine élection présidentielle. Chaque personnage a une vraie caractérisation, mais il n'y a heureusement pas d'effet "panel" : aucun n'est enfermé dans une identité fermée ou unique (c'est comme dans la vraie vie). Par exemple, on croise une étudiante précaire qui est aussi... militante PS (pas vraiment représentative de la sociologie embourgeoisée de ce parti cela dit !). Alors oui il y a des maladresses (liées en partie aux conditions de production : à côté, Merci patron est un blockbuster), mais qui n'empêchent pas le spectateur d'être emporté par ce film d'une belle intégrité et qui se réapproprie une parole souvent confisquée.

LA SAISON DES FEMMES (Leena Yadav, 20 avr) LLL
En Inde, dans un village rural du Gujarat, quatre femmes écrasées par la domination masculine et/ou les traditions se lient peu à peu d'amitié et se rebellent... Elles ont chacune une place et une problématique propre, comme si elles incarnaient chacune une facette différente de la condition féminine et de la plus ou moins grande prise de conscience féministe. Ce schématisme pourrait rendre le film assez démonstratif, surtout que les personnages masculins sont presque tous odieux (y compris le fils de 17 ans de l'une d'entre elles). Mais Leena Yadav assume ce côté rentre-dedans par des partis pris de mise en scène assez éloignés du naturalisme. Bien qu'il s'agisse d'une production indépendante, la cinéaste glisse quelques scènes très chorégraphiées et colorées dignes des films de Bolywood, pour toucher un large public, mais pas seulement. Si le trait est parfois gros, il y a aussi quelques belles fulgurances et moments de cinéma.

JOHN FROM (Joao Nicolau, 25 mai) LL
C'est l'été dans un quartier résidentiel de Lisbonne, où vit Rita, une adolescente d'environ 16 ans. Elle passe ses journées seule alanguie, ou bien accompagnée de Sara, sa meilleure amie qui habite le même immeuble. Puis un jour elle se met dans la tête de vivre une histoire avec un de ses nouveaux voisins, un photographe au moins deux fois plus âgé qu'elle et papa d'une petite fille, qui est responsable dans le centre culturel local d'une exposition sur la Mélanésie. Le film est d'abord réaliste, prosaïque avant de se laisser gagner peu à peu par les fantasmagories de l'héroïne. Visuellement, plastiquement, le film est assez beau, comme un collage ou une suite de vignettes colorées, et compense un scénario assez maigrelet voire creux. On s'amuse également des jeux entre les deux copines : par exemple à l'heure des portables et des SMS, elles se laissent des messages dans des petits papiers glissés au dessus de la porte de l'ascenseur. Un film flottant sur un âge qui ne l'est pas moins.

FOLLES DE JOIE (Paolo Virzi, 8 juin) LL
Après avoir appris à se connaître, deux résidentes d'une institution thérapeutique pour femmes sujettes à troubles mentaux et soumises à des mesures de garde judiciaire prennent la poudre d'escampette. L'une est une ancienne grande bourgeoise mytho et border line (Valeria Bruni Tedeschi, dans un rôle taillé pour elle), l'autre est une dépressive chronique introvertie avec un passé difficile à porter (Micaella Ramazotti, très bien aussi). Le film démarre comme un huis-clos et continue en road-movie, et oscille entre comédie et drame, de telle sorte qu'on pourrait le qualifier de bipolaire. Il ne brille pas particulièrement par sa mise en scène, et il y a quelques maladresses (certaines scènes réellement cocasses ou émouvantes alternent avec d'autres moins précises qui lorgnent davantage vers un mélo façon téléfilm). Mais certains aspects sont assez attachants, de telle manière qu'on en ressort touché.

MA LOUTE (Bruno Dumont, 13 mai) LL
Eté 1910. La famille Van Petegem, grands bourgeois pédants et dégénérés de Tourcoing, s'installe en vacances dans une villa surplombant une baie donnant sur la mer du Nord. C'est là que vit une autre famille, les Brufort, passeurs pour les touristes, pêcheurs de moules et amateurs de chair fraîche... Deux classes sociales opposées que Bruno Dumont figure en caricatures outrées. Pendant une moitié du film, on a la désagréable impression d'assister à un nanar mais très snob. Heureusement, deux jeunes gens parviennent néanmoins à exister, et tombent d'ailleurs amoureux l'un de l'autre : "ma loute", l'aîné des fils Brufort, et Billie, une fille Van Petegem très androgyne, celle qui apporte de l'ambiguïté au film. Et l'emmène ailleurs : petit à petit, on n'est plus dans un P'tit Quinquin déglingué (avec à nouveau un commissaire de police burlesque), mais dans autre chose : vers la fin arrivent des scènes parmi les plus insolites vues cette année. Bruno Dumont ne fait rien comme tout le monde et demeure une énigme.

MONEY MONSTER
(Jodie Foster, 12 mai) L
J'aurais aimé aimer Jodie Foster en tant que cinéaste proposant un thriller avec en toile de fond la finance dérégulée (et même le trading haute fréquence) et la médiocrité des grands médias. C'est en effet l'histoire d'un petit porteur (Jack O'Connell) qui pénètre dans le studio d'une émission financière (sorte de téléachat boursier) pour prendre en otage l'animateur (George Clooney) qui a donné à l'antenne un conseil désastreux. Ce dernier est discrètement assisté par la réalisatrice de l'émission (Julia Roberts). Malheureusement, sur le fond, le film perd peu à peu de consistance (se contentant d'incriminer un escroc particulier plutôt que la dérégulation). Et sur la forme, Jodie Foster multiplie sans soin des plans extrêmement courts, comme si elle était un tâcheron hollywoodien sans talent de mise en scène. Pour être honnête, il y a quand même une vraie tension, mais le film s'évapore aussitôt vu.

ELLE (Paul Verhoeven, 25 mai) L
"Elle" c'est Michèle, chef d'entreprise dans l'édition de jeux vidéo. Un soir, dans son pavillon de banlieue, elle est agressée et violée par un homme cagoulé. Un seul témoin oculaire, placide : son chat. C'est lui qui est filmé lors de la première scène figurant le viol. Paul Verhoeven développe un thriller malsain, avec vrai-faux suspense sur l'identité du coupable et un éventuel nouveau passage à l'acte (Michèle ne porte pas plainte, elle a par ailleurs un passé gratiné), et poncifs déresponsabilisants. Il bénéficie depuis quelques mois d'une aura étonnante par rapport à un art supposé de l'ironie (je ne m'en suis pas aperçu jusque là). Au contraire, le réalisateur n'a rien d'un Chabrol, ne s'est pas bonifié avec le temps, et sa mise en scène est même vraiment impardonnable à certaines séquences. Je sauve néanmoins l'interprétation impressionnante d'Isabelle Huppert dans le rôle-titre, ainsi que la dernière réplique soufflante, énorme, prononcée l'air de rien par Virginie Efira.

Version imprimable | Films de 2016 | Le Samedi 18/06/2016 | 0 commentaires




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