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Films de début de printemps 2016

  • Bien : Café society (Woody Allen), Quand on a 17 ans (André Téchiné), Théo et Hugo dans le même bateau (Olivier Ducastel, Jacques Martineau), Evolution (Lucile Hadzihalilovic), Desierto (Jonas Cuaron), Dalton Trumbo (Jay Roach), In Jackson Heights (Frederick Wiseman), Soleil de plomb (Dalibor Matanic), Truth (James Vanderbilt), Hana et Alice mènent l'enquête (Shunji Iwai)
  •  Pas mal : Kaili blues (Bi Gan), Rosalie Blum (Julien Rappeneau), Maggie a un plan (Rebecca Miller), Marie et les naufragés (Sébastien Betbeder), D'une pierre deux coups (Fejria Deliba), Sky (Fabienne Berthaud), Everybody wants some (Richard Linklater), Baden Baden (Rachel Lang)
  • Bof : Mékong stories (Phan Dang Di), Belgica (Felix Van Groeningen)
  • Hélas : L'Avenir (Mia Hansen-Love)

CAFE SOCIETY (Woody Allen, 11 mai) LLL
Peut-on encore trouver un intérêt à aller voir un nouveau film de Woody Allen, après en avoir vu quarante ? La réponse est oui, vraiment. Le film s'ébroue certes d'abord en terrain familier, et pioche des caractéristiques d'un peu toutes les périodes de sa filmographie : des amours contrariées filmées sans cynisme  qui peuvent faire penser aux Woody Allen des débuts (par ex Annie Hall), l'intrigue principale, assez simple, est étoffée via de nombreux personnages secondaires très réjouissants (avec un côté Coups de feu sur Broadway), un hommage à Hollywood et aux années 30 (comme dans Le Sortilège du scorpion de Jade), le retour dans son cinéma (et dans ses dialogues) de la judéité... Seul manque la veine la plus grinçante du cinéaste, ce qui n'empêche pas le film d'être plein d'esprit. Mais tout ça ne serait qu'un bon film avec d'excellents interprètes (Jesse Eisenberg, Kristen Stewart au premier rang) s'il n'y avait, en plus, la maîtrise de la mise en scène. Woody la travaille davantage depuis qu'il se cantonne derrière la caméra, soit une bonne décennie (seule exception : le ratage de To Rome with love). Ici, d'abord discrète, elle prend peu à peu de l'ampleur et de l'élégance jusqu'à un final de toute beauté : le cinéaste nous surprend encore dans un des plus grands moments de cinéma de l'année.

QUAND ON A 17 ANS (André Téchiné, 30 mar) LLL
On n'est pas sérieux quand on a 17 ans ? Ce nouveau film d'André Téchiné, son meilleur depuis plus de 10 ans, va plutôt montrer le contraire, en tout cas s'agissant de ses deux personnages principaux, Damien et Tom, qu'on va voir grandir au cours de l'année scolaire. Lycéens dans la même classe de terminale, le premier est le souffre-douleur du second, sans raison apparente. L'hospitalisation de la mère de Tom va pousser la mère de Damien (médecin) à accueillir Tom sous son toit... Sans rien dévoiler de l'intrigue et de la façon dont elle progresse, notamment dans la deuxième partie, on peut néanmoins dire que le scénario, coécrit avec Céline Sciamma (Naissance des pieuvres, Tomboy, Bande de filles), est très habile pour échapper aux rails d'un certain psychologisme et dessiner des personnages parfois imprévisibles qui vont pouvoir bénéficier d'une puissante incarnation : Kacey Mottet Klein (déjà vu dans les films d'Ursula Meier), Corentin Fila et Sandrine Kiberlain, une nouvelle fois impeccable.

THEO ET HUGO DANS LE MÊME BATEAU (Olivier Ducastel, Jacques Martineau, 27 avr) LLL
Grand retour du tandem Olivier Ducastel et Jacques Martineau. Six ans après L'Arbre et la forêt, fiction mémorielle un peu figée, ils reviennent avec un projet beaucoup plus radical, qui emprunte à la fois à Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda et à Intimité de Patrice Chéreau. De la première référence ils gardent la forme d'un récit en temps réel (une fin de nuit, entre 4h23 et 6h du matin), de la seconde référence ils gardent l'inversion de la chronologie intime par rapport à la représentation habituelle (entre les deux personnages principaux, la relation est d'abord sexuelle avant que ne surgissent les liens affectifs) et la franchise et la frontalité du regard. Temps réel oblige, la première séquence est une immersion de 20 minutes dans un sex club gay naturiste. Sa longueur inhabituelle peut gêner mais se justifie a posteriori, car elle permet de mieux ressentir ce qui se passe entre les protagonistes pendant l'heure et quart qui suit. Toute aussi immersive est la séquence dans un hôpital (l'un des deux est séropositif, et ils ne se sont pas assez protégés). Ces bouffées de réel n'empêchent pas la mise en scène d'être magnifique, les nombreuses déambulations dans Paris pouvant rappeler Jeanne et le garçon formidable, leur tout premier film, au paradoxe près que Jeanne... était diurne et sombre, alors que Théo et Hugo... est nocturne et plutôt solaire !

EVOLUTION (Lucile Hadzihalilovic, 16 mar) LLL
Nous plongeons dans un village isolé près de l'Océan entièrement peuplé de femmes adultes et de jeunes garçons. Ce n'est là que la moindre bizarrerie de cet étrange film d'atmosphère, le deuxième réalisé par Lucile Hadzihalilovic. Nicolas est un enfant de 11 ans qui s'interroge plus que les autres, par exemple sur le traitement qu'il doit prendre chaque soir, ou sur les activités de l'hôpital où il sera amené à faire un court séjour et à se lier d'amitié avec une jeune infirmière. Toute l'habileté de la cinéaste réside dans le fait de refuser de répondre trop vite aux questionnements du garçon. Le titre du film renvoie aussi bien aux craintes de l'évolution corporelle marquant la fin de l'enfance qu'à une évolution collective de l'espèce humaine. Ce film de genre non formaté mais pouvant aller jusqu'à l'horrifique bénéficie d'un travail plastique impressionnant, tant dans les images (qu'on songe aux vues sous-marines) que dans le son et la musique. Une réussite tout à fait singulière.

DESIERTO (Jonas Cuaron, 13 avr) LLL
Une douzaine de mexicains ont franchi dans le désert la frontière avec les Etats-Unis. Malheureusement pour eux, un chasseur xénophobe, au point d'être déterminé à tuer tout candidat à l'immigration qui passe à sa portée, rôde dans les parages. Il est doté de deux armes redoutables : son fusil et son chien... Jonas Cuaron a d'abord été scénariste, mais heureusement, pour son passage à la réalisation, il n'a pas tenté de sur-dramatiser son film. Celui-ci se situe aux frontières du film de genre (avec un méchant de film d'épouvante, l'essentiel n'étant pas ses ressorts psychologiques mais sa détermination et la menace constante qu'il fait peser sur les autres personnages) et d'une sorte de réalisme, dans l'attention à de multiples détails concrets. Ainsi, la tension permanente ne vient pas d'une avalanche de péripéties mais, comme dans le grand cinéma classique (le final peut aussi faire penser à Duel au soleil de King Vidor !), entièrement de la mise en scène, qui serait parfaite si elle n'était pas trop soulignée par une bande originale efficace mais parfois à la limite du pléonasme. Défaut mineur pour un premier exercice de style assez brillant.

DALTON TRUMBO (Jay Roach, 27 avr) LLL
J'ai hésité avant d'aller voir ce film, un biopic sur Dalton Trumbo, réalisateur à la fin de sa vie d'un unique film, un chef d'oeuvre pacifiste sur la Première Guerre mondiale (Johnny s'en va-t-en-guerre), mais surtout auparavant scénariste blacklisté au moment du maccarthysme, pour son appartenance - réelle ou supposée - au Parti Communiste. Jay Roach n'est pas un très grand réalisateur, souvent cantonné à des comédies plus ou moins fines. Pourtant, ici, il réussit très bien l'exercice. Certes, cette sombre période dans l'histoire d'Hollywood avait été évoquée dès 1976 dans Le Prête nom, un excellent film de Martin Ritt (avec Woody Allen), cinéaste progressiste (Traître sur commande, Norma Rae). Mais ici, ce film tardif assume de mettre des noms propres sur les protagonistes (par exemple John Wayne, Ronald Reagan côté Inquisition, Kirk Douglas ou Otto Preminger de l'autre côté...). Et les scènes de vie privée sont assez belles, y compris une discussion père-fille sur l'idéal communiste. Au final un film grand public solide au niveau narratif et qui remplit très bien son contrat.

IN JACKSON HEIGHTS (Frédérick Wiseman, 23 mar) LLL
Immersion dans Jackson Heights, le quartier le plus cosmopolite de New York, où l'on parle 167 langues. On voit entre autres le travail inclusif mené par les associations et les "communautés" (on est aux Etats-Unis), mais c'est assez réjouissant de voir une synagogue héberger les réunions d'une association LGBT... Le film est une sorte de radioscopie d'un melting pot local réussi, même si les difficultés subies par les nouveaux arrivants (leur exploitation au travail notamment) ne sont pas éludées. Mais la principale menace visant ce quartier réside dans le phénomène de gentrification de la ville : pression foncière pour faire partir les petits commerçants et installer de grandes enseignes, et attirer de nouveaux habitants beaucoup plus riches mais qui ne peuvent plus se loger à Manhattan. Un des mérites de ce documentaire est donc de rappeler que les immigré-e-s des grandes villes sont aussi des perdants de la mondialisation néolibérale (contrairement à certaines thèses diffusées en France). La méthode Wiseman, sans musique ni voix off, fonctionne encore même si on peut ressentir la durée du montage final (3h10) comme aléatoire : il pourrait faire 1/2h de plus ou de moins... 

SOLEIL DE PLOMB (Dalibor Matanic, 30 mar) LLL
Etés 1991, 2001, 2011 : trois histoires d'amour vécues au même endroit, un village de l'arrière-pays balkanique, près d'un lac, et interprétées à chaque fois par les deux mêmes interprètes, les jeunes (ils n'ont pas la trentaine) et intenses Tihana Lazovic et Goran Markovic, même si leurs personnages sont à chaque fois différents. Dans chaque segment, elle est serbe, il est croate. Le premier segment (1991) montre le contexte d'une tension interethnique qui grandit, le deuxième segment (2001) montre les plaies ouvertes (deuils) par la guerre à peine terminée. Ce procédé fonctionne, et loin d'être théorique, il crée de l'émotion. A tel point que le dernier segment (2011), qui se passe aussi dans d'autres lieux et où les deux interprètes principaux ont moins de scènes ensemble, convainc un peu moins que les deux autres. Le film reste néanmoins intéressant jusqu'au bout.

TRUTH (James Vanderbilt, 6 avr) LLL
Le premier film en tant que réalisateur de James Vanderbilt  n'impressionne pas par sa mise en scène, juste fonctionnelle, mais grâce à son scénario (Vanderbilt a déjà écrit celui de Zodiac de David Fincher) il devient de plus en plus passionnant. C'est l'histoire d'une enquête supervisée par la productrice de télé Mary Mapes à quelques mois de l'élection présidentielle de 2004, à propos du favoritisme dont George W. Bush aurait bénéficié au sein de l'armée au début des années 1970, en pleine guerre du Vietnam. Au fond, ce film est assez complémentaire avec Spotlight, le film récemment oscarisé qui montrait une cellule d'investigation d'un newspaper à qui on donnait le temps nécessaire pour bien travailler. Ici, au contraire, ce luxe n'existe pas, et on voit des conditions de travail beaucoup plus difficiles : le sujet doit être prêt en quelques jours pour passer dans 60 Minutes, la mythique émission présentée par Dan Rather pendant plusieurs décennies et qui a déjà inspiré l'excellent Révélations de Michael Mann. Une polémique (une diversion ?) éclate après la diffusion du sujet... Outre l'histoire (vraie), l'interprétation très solide de Cate Blanchett et Robert Redford achève de placer ce thriller politique un peu au-dessus du tout venant.

HANA ET ALICE MENENT L'ENQUÊTE (Shunji Iwai, 11 mai) LLL
Après un déménagement, "Alice" (c'est un diminutif) entre dans son nouveau collège. Elle va apprendre qu'un garçon de la classe supérieure a soudainement disparu l'année précédente, la rumeur disant qu'il aurait été tué par ses quatre "épouses". Intriguée, elle décide d'enquêter pour tenter de voir de quoi il retourne, en tentant d'embarquer Hana, une voisine du même âge qu'elle, mystérieusement recluse chez elle. Shunji Iwai réadapte en animation un de ses propres films. Il utilise le procédé de la rotoscopie, de façon moins spectaculaire que dans certains grands films d'animation récents (Valse avec Bachir, Aloïs Nebel), préférant privilégier une narration à hauteur des personnages. Le résultat est convaincant.

KAILI BLUES (Bi Gan, 23 mar) LL
Un médecin de campagne solitaire tente de récupérer son neveu, le fils de son irresponsable demi-frère. C'est l'un des fils narratifs de ce premier film complexe. Déroutant dans sa première heure, malgré des fulgurances, il prend son envol dans la deuxième partie, un plan-séquence d'environ 40 minutes : la caméra suit le personnage principal qui se rend dans un autre village en empruntant plusieurs moyens de locomotion (on devine que l'opérateur chevauche de temps à autre une moto pour le suivre), mais suit également d'autres personnages. Ce n'est pas seulement la performance qui impressionne, c'est le résultat : le réalisateur prend paradoxalement appui sur l'expérience physique de ce temps continu pour faire survenir d'autres temporalités : le présent est mêlé à des touches de passé, de futur ou de songe (une liberté d'interprétation est laissée au spectateur). L'extrémisme de la forme écrase parfois le reste, mais révèle un cinéaste de grand talent, sous influence de Good bye South, goodbye de Hou Hsiao-hsien pour le fond, et des sortilèges d'Apichatpong Weerasethakul pour la forme.

ROSALIE BLUM (Julien Rappeneau, 23 mar) LL
Vincent, coiffeur de 40 ans vivant dans le même immeuble que sa mère (Anémone, qui cabotine joyeusement), se met à suivre l'épicière de la ville d'à côté, qu'il croit avoir déjà rencontré. Celle-ci s'en rend compte... La seule ressemblance entre le premier film de Julien Rappeneau et le dernier de son père (Jean-Paul) réside dans la musique composée dans les deux cas par... Martin Rappeneau. Sinon les styles sont différents : cette réalisation est moins fine et enlevée que les mises en scènes paternelles, mais il y a des moments assez attachants. Adapté d'une BD (de Camille Jourdy), c'est surtout un film de scénariste : impeccablement bouclé, on croirait qu'il a été fabriqué pour aboutir au dernier plan, qui donne une clé explicative (malicieuse même si elle n'était pas indispensable).

MAGGIE A UN PLAN (Rebecca Miller, 27 avr) LL
Maggie veut faire un enfant toute seule (ses liaisons ne durent alors pas plus de six mois), mais le fait avec John, qui quitte sa femme pour elle. Quelques années plus tard, Maggie veut rendre John à son ex-épouse... L'argument du film n'est certes pas extrêmement original, mais la cinéaste Rebecca Miller, dont j'avais apprécié Les Vies privées de Pippa Lee, a une vraie personnalité. Elle situe son intrigue dans le milieu universitaire new-yorkais, et place donc ses personnages à l'abri de l'insécurité matérielle pour mieux donner de l'importance aux questions existentielles (un peu comme chez Woody Allen, auquel on pense par ailleurs assez souvent, et c'est un compliment). Greta Gerwig est irrésistible : bien dirigée, elle a mûri et affiné son jeu, et convainc davantage dans cette comédie sans prétention que dans certains films qu'elle a coécrits et que Noah Baumbach a réalisés (comme l'ostentatoire Frances Ha).

MARIE ET LES NAUFRAGES (Sébastien Betbeder, 13 avr) LL
Fantaisie à la fois dans la forme et dans le fond, autour des tribulations de deux trentenaires colocataires parisiens (Pierre Rochefort et Damien Chazelle) qui se mettent à suivre une mystérieuse fille du même âge (Vimala Pons, égérie d'un certain cinéma d'auteur français, de La Fille du 14 Juillet à Je suis à vous tout de suite ou encore Comme un avion), décrite comme dangereuse par son ex, un écrivain plus âgé (Eric Cantona, qui aura rarement été aussi convaincant). Le récit oscille entre touches de burlesque, de mélancolie, de décalage (savoureuse apparition d'André Wilms en star musicale vieillissante en plein délire mystique), et navigue entre Paris et l'île de Groix... C'est parfois inégal et un peu gratuit, mais on notera l'excellente B.O. électro-rétro de Sébastien Tellier.

D'UNE PIERRE DEUX COUPS (Fejria Deliba, 20 avr) LL
Zayane, une mère de famille nombreuse de 75 ans, reçoit une lettre lui annonçant le décès d'un homme qu'elle a connu il y a très longtemps en Algérie. Elle, qui n'a pas quitté sa cité depuis des lustres, décide de rendre visite à l'expéditrice du faire-part, à quelques heures de route. Pendant ce temps, ses enfants s'inquiètent de son absence énigmatique (elle n'a laissé qu'un petit mot dans son français approximatif) et finissent par se réunir dans l'appartement de Zayane. C'est le double mouvement d'un film attachant mais à la mise en scène indécise, assez flottante, loin de l'épure d'un Philippe Faucon (compte tenu du sujet on pense parfois à Fatima). La grande diversité des caractères et styles de vie des frères et soeurs (et leurs conjoints, on ne les distingue pas forcément) est une réponse bienvenue à l'essentialisme raciste de certains essayistes français.

SKY (Fabienne Berthaud, 6 avr) LL
Un couple de français en vacances dans le Grand Ouest américain tente de ranimer la flamme conjugale. En vain. Après des avances agressives de trop, Romy (Diane Kruger) assomme son mari (Gilles Lellouche, beauf à souhait) dans la chambre d'hôtel et prend la route... C'est une certaine Amérique qui va être regardée ainsi, à travers les yeux de Romy. On n'est pas loin d'un certain cinéma indépendant (mais pas la tendance new-yorkaise), des visions comme réinventées (l'escapade à Las Vegas par exemple). Le film commence plutôt comme un road movie et finit comme un mélo. Il n'évite pas totalement une certaine vacuité en dépit des (plus ou moins) belles rencontres, mais on peut s'y attacher malgré ses défauts.

EVERYBODY WANTS SOME (Richard Linklater, 20 avr) LL
A la fin de l'été 1980, Jake entre à la fac, prend sa place dans l'équipe universitaire de base-ball. En emménageant dans la résidence qui lui est attribuée, il veut goûter pleinement aux premières joies de l'indépendance. Le film raconte son premier week-end. Richard Linklater est un cinéaste qui enregistre le temps qui passe : il a suivi le même couple pendant plusieurs films (les Before...), a tourné un même film pendant une douzaine d'années (le réussi Boyhood). Ici, on serait bien en peine de trouver des indices qui montreraient que le temps a passé et que le cinéaste raconterait son histoire avec un regard situé plus de trente ans après l'action. On a droit aux vinyles, aux téléphones avec de très longs fils pour passer d'une chambre à l'autre, à la reconstitution d'une époque où le souffle contestataire était retombé (aucun personnage politisé), mais avant l'installation des années fric. Un film pas déplaisant du tout mais très mineur.

BADEN BADEN (Rachel Lang, 4 mai) LL
Une jeune femme de 26 ans, qui fait avec maladresse chauffeur le temps d'un tournage de cinéma en Belgique, revient à Strasbourg le temps d'un été, où elle s'occupe de sa grand-mère, tout en renouant avec des amis et/ou amants. Alors que sa grand-mère est hospitalisée après une chute, elle décide de lui remplacer sa baignoire par une douche adaptée... On s'attache sans peine à l'héroïne, jeune fille un peu paumée, un peu garçon manqué aussi avec ses shorts informes et ses cheveux courts et désordonnés, un personnage bien écrit et bien interprété (Salomé Richard). Pour le reste, ça manque un peu de forme et de fond : peu d'idées cinématographiques (même si dans les meilleurs moments on peut penser à Solveig Anspach ou Bruno Podalydès), et peu d'ancrage dans la vie réelle (aucune complication sociale ou matérielle ne vient perturber la jeune femme, comme si elle vivait dans un cocon avec ses proches).

MEKONG STORIES (Phan Dang Di, 20 avr) L
De jeunes étudiants ou en apprentissage cohabitent dans une résidence bordant le Mékong. Nous sommes au début des années 2000, au moment où le gouvernement met en place un programme de stérilisation pour les hommes qui ont déjà eu des enfants. Le film va s'attacher à certains personnages, surtout à un étudiant en photographie, à sa découverte de la sexualité et à son passage vers l'âge adulte. Mais malgré la sensualité de quelques scènes (cela semble être la canicule), le film a peu à offrir. Le refus de toute dramaturgie et de tout effet facile pourrait être une qualité, mais, ici, l'absence de toute grammaire cinématographique finit par se révéler assez ennuyeuse... et stérile.

BELGICA (Felix Van Groeningen, 2 mar) L
Ce film appartient au sous-genre des films de boîte de nuit d'Europe du Nord, comme Le Temps des rêves. Il est moins problématique que ce dernier, et on peut sauver les séquences de concert (sessions composées par Soulwax) et sa tendresse pour de vrais trognes. Mais le schéma d'ensemble est très convenu voire usé jusqu'à la corde (enthousiasme des débuts - dérapages - retour de bâton), et assez inintéressant dans le sens où l'un des frères gérants du Belgica accumule inexplicablement les erreurs sans y avoir été contraint. De ce fait le film est assez interminable, et la légère embellie de la toute fin semble toute aussi artificielle que la noirceur qui l'a précédée.

L'AVENIR (Mia Hansen-Love, 6 avr) o
Cinquième film de Mia Hansen-Love et première grosse déception (j'ai aimé à des degrés divers tous les autres, mention spéciale aux superbes Le Père de mes enfants et Un amour de jeunesse). C'est le regard politique de la cinéaste qui pose problème ici. Le film commence au moment du mouvement contre la contre-réforme des retraites de 2010, mais vu par le petit bout de la lorgnette : Nathalie (Isabelle Huppert), prof de philo non gréviste, est agacée par un piquet de grève (c'est non démocratique, argument digne d'un Jean-Pierre Pernaut). Nathalie, bien qu'intellectuelle, est totalement coupée des réalités sociales. On s'attend à ce que ça change, une fois que son mari, lui aussi prof de philo et encore plus conservateur, la quitte, et qu'elle va rendre visite à un ancien élève d'une trentaine d'années, qui vit en groupe dans une ferme du Vercors et rédige des textes libertaires. Mais pas vraiment : Mia Hansen-Love, par sa mise en scène, semble épouser le point de vue frileux de Nathalie, selon laquelle les idées radicales (au sens étymologique : aller à la racine des choses) sont forcément stériles et immatures. On peut sauver la dimension "portrait de femme" mais, pour le reste, L'avenir n'est pas brillant, et son état d'esprit semble être : résignez-vous !

Version imprimable | Films de 2016 | Le Mardi 10/05/2016 | 0 commentaires




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