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Suite des films du premier trimestre 2016

  • Bien : The Assassin (Hou Hsiao-Hsien), Suite armoricaine (Pascale Breton), Les Ogres (Léa Fehner), No land's song (Ayat Najafi), Midnight special (Jeff Nichols)
  • Pas mal : La Terre et l'ombre (César Acevedo), Ave, César ! (Joel et Ethan Coen), Jodorowsky's Dune (Frank Pavich), A perfect day (Fernando Leon de Aranoa), Je ne suis pas un salaud (Emmanuel Finkiel), The Revenant (Alejandro Gonzalez Inarritu)

THE ASSASSIN (Hou Hsiao-Hsien, 9 mar) LLL
Chine, IXè siècle. Après des années de formation au sabre et aux arts martiaux, la jeune Nie Yinniang (Shu Qi) revient parmi les siens avec pour mission de tuer le gouverneur de la province de Weibo. Problème : celui-ci est son cousin, avec lequel elle a eu des liens privilégiés des années auparavant... Pour son grand retour, Hou Hsiao-Hsien livre un film qui suit la tradition du wu xia pian (film d'arts martiaux), et en même temps très éloigné de Tigre et dragon, un des succès internationaux du genre. Le rythme est parfois (très) lent (un peu comme dans Les Fleurs de Shanghai), sauf les combats, esquisses rapides mais épurées et fulgurantes. Mais il faut se laisser porter, car ce qui impressionne le plus, ce sont la photographie et la mise en scène. La première est due à Mark Lee Ping-Bin et est un ravissement, notamment dans l'utilisation somptueuse des couleurs, et la seconde est magistrale dans tous les plans, mais avec une mention spéciale à certaines scènes d'intérieur vues (épiées) au moyen de légers travellings à travers des voiles agités par la brise...

SUITE ARMORICAINE (Pascale Breton, 9 mar) LLL
Françoise, qui vit en couple à Paris, accepte un poste d'enseignante en histoire de l'art à la fac de Rennes, où elle avait été étudiante une trentaine d'années plus tôt. C'est aussi l'histoire d'un jeune homme de 19 ans qui étudie la géographie dans la même université, tombe amoureux d'une camarade aveugle, et dont la mère, devenue une marginale qu'il a rejetée quelques années plus tôt, va se rappeler à ses bons souvenirs. Qu'est-ce que ça fait du bien de voir un film dans lequel on pénètre comme en terra incognita. En effet, la cinéaste ne souligne jamais rien, mais brosse un récit qu'on croirait linéaire mais qui permet de voir certaines scènes deux fois à quelques minutes d'intervalle avec un point de vue différent, preuve qu'il y a de discrètes boucles temporelles. Cela colle tout à fait au projet du film construit sur des réminiscences du passé (enfance, période étudiante) et qui tisse des rapports secrets et intimes entre peinture, rock des années 1980, psychanalyse et attachement plus ou moins prononcé à un territoire. Une curiosité énigmatique qui mérite vraiment le détour.

LES OGRES (Léa Fehner, 16 mar) LLL
On ne quitte pas une troupe de théâtre itinérant, qui se déplace en roulottes de ville en ville. Leur spectacle est un "cabaret Tchekhov" et prend d'ailleurs des accents de cirque. Cela démarre sur des chapeaux de roue qui font craindre l'hystérie permanente. Heureusement, bien que mené tambour battant, le film prend le temps de dessiner de vrais personnages (en interaction avec tous les autres), et on s'y attache car derrière les fanfaronnades on devine des fêlures. Opening night de Cassavetes n'est pas loin, mais un peu comme s'il était revisité par un cinéma de la démesure : Fellini ou Almodovar. Léa Fehner emprunte d'ailleurs au cinéaste espagnol Lola Duenas, à qui elle confie le rôle d'une artiste qui revient dans la troupe alors qu'elle avait eu des années auparavant une aventure malheureuse avec le directeur du théâtre (joué par François Fehner, le propre père de la cinéaste). La cinéaste emploie également sa mère et sa soeur dans des rôles marquants, en les mêlant aux acteurs professionnels comme Marc Barbé (génialement surnommé "Monsieur Déloyal") et Adèle Haenel, tout simplement formidables.

NO LAND'S SONG (Ayat Najafi, 16 mar) LLL
En Iran, depuis la révolution de 1979, les femmes n'ont pas le droit de chanter en solo devant un public mixte (elles n'y sont autorisées que devant un public exclusivement féminin). Sara Najafi, la soeur du réalisateur, compositrice vivant à Téhéran, décide de défier la censure et d'organiser un concert avec des chanteuses iraniennes (Parvin Namazi, Sayeh Sodeyfi), tunisienne (Emel Mathlouthi, remarquée pendant le printemps arabe de 2011), et françaises (Jeanne Cherhal et l'inclassable Elise Caron - pour les cinéphiles de longue date c'est la doublure chant de Virginie Ledoyen dans Jeanne et le garçon formidable) réunies pour chanter notamment de magnifiques chants persans odes à la liberté, parfois créés par des femmes et de rendre hommage en particulier à Quamar, une pionnière. Le film suit sur deux ans la préparation de cet événement, les difficultés politiques (parcours du combattant avec l'administration iranienne) comme le travail artistique. Sans révéler la fin, un documentaire émouvant.

MIDNIGHT SPECIAL (Jeff Nichols, 16 mar) LLL
Un enfant est kidnappé par deux hommes armés. Pourtant, il n'a pas peur : l'un des deux est son père (Michael Shannon, acteur fétiche du cinéaste). Celui-ci cherche à protéger son fils, traqué à cause de ses mystérieux pouvoirs surnaturels à la fois par une secte qui l'avait recueillie et par le gouvernement américain... C'est un vrai film fantastique, mais on n'est pas assommé par les effets spéciaux : tout passe par la mise en scène, qui n'a pas besoin de très gros moyens pour être efficace. Le cinéaste, dont les films précédents étaient ancrés dans une certaine réalité (Take shelter, Mud), demande ici au spectateur d'y croire, mais offre en retour un beau film assez sensible et qui convoquera dans la mémoire des cinéphiles des réminiscences de Rencontres du troisième type, E.T. et Melancholia...

LA TERRE ET L'OMBRE (César Acevedo, 3 fév) LL
Un vieux paysan, qui a abandonné les siens il y a des années, revient dans son ancienne maison au chevet de son fils gravement malade. Il y retrouve son ex-épouse, et fait la connaissance de sa belle-fille et de son petit fils. Le foyer est désormais cerné par une immense plantation de cannes à sucre, dont l'exploitation génère poussières et cendres qui menacent la santé des travailleurs et riverains. L'arrière-plan est social (on y voit les dures conditions de travail, dans la plantation, des deux femmes qui assurent les revenus de la famille), mais César Acevedo suit avant tout l'évolution des liens entre ces personnages. Beaux lents travellings en plans-séquences. Un film qui retient l'attention (Caméra d'or à Cannes, prix qui récompense un premier film toutes sections confondues), mais qui a les défauts de ses qualités (un rien trop solennel parfois).

AVE, CESAR ! (Joel et Ethan Coen, 17 fév) LL
Hommage satirique et tendre à l'âge d'or de Hollywood, celui dont tout cinéphile normalement constitué a aimé la crême. Mais ici on voit surtout les autres films, ceux qui étaient produits au kilomètre, quelle qu'en soit la qualité. Le nouveau film des frères Coen est très mineur dans leur imposante filmographie, un film à sketchs (forcément) inégaux. Le plus drôle est celui où un jeune acteur de western (de pur divertissement, pas du Anthony Mann) est placé par le fixeur du studio pour jouer un des rôles principaux d'un film lettré (à la Mankiewicz), alors que toute subtilité lui est étrangère. Le sketch le plus important est celui où la star d'un péplum est enlevée par un groupe de marxistes, et où on s'échappe un peu des pastiches attendus. Globalement pas de quoi pavoiser mais de quoi s'amuser, ce qui ne se refuse pas.

JODOROWSKY'S DUNE (Frank Pavich, 16 mar) LL
Ce documentaire a la particularité d'avoir été projeté à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes en 2013, dans la même sélection que La Danza de la realidad, le dernier film à ce jour d'Alejandro Jodorowsky. Il raconte le projet avorté par ce dernier d'une adaptation du roman SF Dune dans les années 70. En grand gourou, Jodorowsky a réussi à convaincre Mick Jagger (pour le rôle principal), Salvador Dali (pour celui de l'empereur de l'espace), le dessinateur Moebius, les groupes Pink Floyd et Magma... Mais l'argent a manqué, Hollywood ne voulant pas en entendre parler, compte tenu de la personnalité du réalisateur des barrés El Topo et La Montagne sacrée... Sur le fond, ce documentaire retient l'attention. Mais la forme conventionnelle évoque trop une sorte de bonus promotionnel pour DVD, contrairement par exemple à l'inventivité du documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea sur L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot, autre film qui n'ira pas jusqu'à son terme.

A PERFECT DAY (Fernando Leon de Aranoa, 16 mar) LL
48 heures quelque part dans les Balkans au milieu des années 1990. Une équipe d'une ONG s'occupant de l'assainissement de l'eau doit sortir un cadavre pendu dans un puits... Le plus réussi, même s'il faut un peu de temps pour l'apprécier, c'est le ton du film, mélange détonnant de comédie, de drame, de road movie et de film de guerre. On s'attache peu à peu aux membres de l'équipe, jouée par un casting international : Benicio del Toro, Tim Robbins (méconnaissable), Mélanie Thierry, Olga Kurylenko et Fedja Stukan. Mais si aucun ne tire la couverture à lui, il faut signaler que les personnages masculins sont mieux écrits que les deux personnages féminins (une ingénue qui découvre le terrain et une ex de l'un des membres de l'ONG). Autre réserve : on ne voit pas tant que ça la population civile (comme si elle faisait aussi partie du décor).

JE NE SUIS PAS UN SALAUD (Emmanuel Finkiel, 24 fév) LL
Eddie est un homme jeune, chômeur, qui manque cruellement d'estime de soi, et il est également séparé de sa femme. Un soir il est agressé. Son statut change, surtout qu'il s'empresse de désigner Ahmed comme son agresseur. Sauf que celui-ci est innocent (Eddie a juste remarqué son visage quelques jours plus tôt dans une vidéo d'un exercice à l'ANPE). Au départ, le film est prometteur, d'autant plus qu'Emmanuel Finkiel (Voyages) n'a pas perdu la main et que sa mise en scène, qui utilise beaucoup de vitres, de miroirs, reste sophistiquée. Mais, inexorablement, le film glisse vers les rails attendus d'une noirceur stéréotypée de (télé)film "coup de poing". Si l'inconfort du film, dans le portrait non pas d'un salaud mais d'une lâcheté ordinaire, est à mettre à son crédit, sa lourdeur (inhabituelle chez Finkiel) l'empêche d'être une vraie réussite.

THE REVENANT (Alejandro Gonzalez Inarritu, 24 fév) LL
Inarritu aime les défis. Après Birdman, et la virtuosité de la caméra qui donnait l'impression visuelle d'un plan-séquence unique d'une heure et demi (de façon assez gratuite car au niveau scénario il n'y avait pas unicité de temps), voici The Revenant, qui raconte l'histoire d'un trappeur dans les années 1820 qui est grièvement blessé par un ours, et laissé pour mort par ses coéquipiers. Tout seul il doit survivre, avant peut-être de se venger... On peut admirer le film techniquement, pour les éprouvantes conditions de tournage ou pour l'importance des effets spéciaux. Le problème, c'est que du coup certaines scènes sont trop extrêmes pour être crédibles. Et on se passerait bien, également, de certains flash-backs ou visions oniriques qui font penser aux scories discutables de certains films de Terrence Malick (Nouveau monde, Tree of life), les deux cinéastes ayant d'ailleurs le même directeur de la photographie.

Version imprimable | Films de 2016 | Le Dimanche 20/03/2016 | 0 commentaires




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