- Bien : Ce sentiment de l'été (Mikhaël Hers), Merci patron ! (François Ruffin), Un jour avec, un jour sans (Hong Sang-soo), Le Trésor (Corneliu Porumboiu)
- Pas mal : Les Saisons (Jacques Perrin, Jacques Cluzaud), Chocolat (Roschdy Zem), Anomalisa (Charlie Kaufman, Duke Johnson)
- Bof : Le Temps des rêves (Andreas Dresen)
CE SENTIMENT DE L'ETE (Mikhaël Hers, 17 fév) LLL
En plein été, Sasha, une jeune femme d'une trentaine d'années, meurt brusquement. Le film suit l'évolution, pendant trois été successifs de Lawrence, son compagnon, et de Zoé, sa soeur. Le film ne regorge pas d'éléments narratifs, il est plutôt impressionniste, accompagnant le travail de deuil des deux personnages principaux, ainsi que des parents de Sasha et Zoé. Comme Lawrence est traducteur et fils de diplomate, le récit se déroule dans trois grandes villes internationales (Berlin, Paris, New York), que Mikhaël Hers filme paradoxalement comme des petites villes, avec prédilection pour les espaces verts, notamment. Mais ce qui frappe ici, surtout, c'est l'extrême délicatesse avec laquelle sont regardés les personnages (formidables interprètes : Anders Danielsen Lie, Judith Chemla, Marie Rivière, déjà complice de Memory lane, l'excellent premier long-métrage du réalisateur, et Féodor Atkine). Visuellement, le film est une splendeur, avec un grain de l'image très travaillé, des couleurs assez chaudes pour réchauffer les visages et enregistrer les lumineuses traces de l'absence, comme, peut-être, les fragiles promesses de la vie qui continue.
MERCI PATRON ! (François Ruffin, 24 fév) LLL
Cela commence comme un portrait au vitriol de Bernard Arnault, première fortune de France et patron du groupe LVMH, à travers les dégâts sociaux qu'il a causés avec les dépeçages successifs et autres. D'emblée le ton est donné avec un François Ruffin (de l'excellent journal satirique Fakir) qui pastiche les questions des journalistes de l'idéologie dominante pour faire réagir au quart de tour les anciennes employées et syndicalistes. Mais il va surtout s'intéresser à un couple au chômage depuis 4 ans, anciens employés de Ecce, une entreprise du groupe LVMH qui a été délocalisée en Pologne. Endettés, ils risquent de tout perdre. Ruffin leur propose un stratagème pour faire raquer leur ancien patron... Avec beaucoup de culot et d'humour, ce film d'intervention (expression qu'on croirait inventée pour ce film) matérialise admirablement la lutte des classes, et la nécessité de la construction de rapports de force (même virtuels). Ruffin a un certain sens du spectacle et de la mise en scène, et son film n'a rien à envier aux meilleurs Michael Moore ou Pierre Carles (savoureuses séquences en caméra cachée). Mieux : il redonne une certaine pêche.
UN JOUR AVEC, UN JOUR SANS (Hong Sang-soo, 17 fév) LLL
Un cinéaste arrive dans la petite ville de province de Suwon la veille d'une projection-débat d'un de ses films. Il fait la connaissance d'une jeune apprentie-peintre. Cela ressemble aux synopsis d'à peu près tous les derniers films d'Hong Sang-soo. Sauf qu'ici son cinéma est revitalisé par un principe que ne renierait pas le Resnais de Smoking / No smoking : recommencer son film au bout d'une heure (une caractéristique de ses premières réalisations), et rejouer la même histoire, mais avec de subtiles variations aboutissant à une vraie bifurcation. Partant de là, le spectateur est donc attentif aux moindres détails lors de la première partie, mais c'est surtout lors de la seconde partie que son plaisir peut se déployer à plein. Les scènes sont d'abord quasi-identiques mais filmées sous un autre angle de vue, puis de légers déplacements de l'attitude du personnage principal finissent par changer la donne... Le tout est une sorte de conte moral autour d'une certaine honnêteté voire sincérité. In soju veritas.
LE TRESOR (Corneliu Porumboiu, 10 fév) LLL
Un soir, Costi, modeste employé de bureau vivant avec sa femme et son fils à Bucarest, reçoit la visite d'un voisin très endetté, qui lui propose de l'aider à retrouver un possible trésor caché dans la maison familiale de son arrière grand-père, une demeure confisquée après la guerre par la dictature communiste, transformée en boîte à strip-tease après la chute du régime, avant d'être rendue à la famille. Costi, qui lit l'histoire de Robin des Bois à son enfant, accepte, à condition de partager le butin bien entendu. Ils sont aidés par un professionnel et son détecteur de métaux... On retrouve l'humour à froid du cinéaste de Policier, adjectif (notamment) dans la mise en scène de plans-séquences inimitables et dans des dialogues incidemment très révélateurs. Peut-être que la fin affadit un peu le côté satirique (c'est un conte), mais le film est assez malicieux dans ses détails jusqu'au bout.
LES SAISONS (Jacques Perrin, Jacques Cluzaud, 27 jan) LL
Troisième documentaire animalier de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud. Après les oiseaux migrateurs et la faune des profondeurs des océans, ils s'intéressent cette fois aux animaux sauvages terrestres, surtout ceux des forêts. Certaines séquences, impressionnantes, sont de véritables prouesses techniques (par exemple travellings virtuoses pour accompagner les courses parfois longues des prédateurs sur leurs proies). Le film est avant tout conçu comme un spectacle. Les maigres commentaires de Jacques Perrin en voix off portent un message écologique qui reste assez superficiel (digne de Yann Arthus-Bertrand). Il est vrai que le film est curieusement coproduit par Center Pacs, entreprise qui ne peut pas prétendre défendre ni la forêt ni la biodiversité...
CHOCOLAT (Roschdy Zem, 3 fév) LL
L'ascension et la chute du premier artiste de cirque noir, dans les années 1900. Mais son succès est ambigu, en effet sur la piste Chocolat (c'est son nom de scène, qui inspirera une expression du langage courant) est toujours le souffre-douleur de son partenaire Footit, le clown blanc expérimenté qui conçoit les numéros. Formellement, le film est sans grande inspiration, et le récit est mené de façon chronologique. Mais l'histoire est intéressante et, incidemment, Roschdy Zem fait toucher du doigt le racisme insidieux (celui qui n'est pas toujours conscient de l'être) dans la France période coloniale. Et aux côtés de James Thiérée et Omar Sy, qui assurent, Roschdy convoque de très bons seconds rôles : de Clotilde Hesme à Olivier Gourmet et Alex Descas (l'ami noir à la conscience politique affûtée), en passant par les frères Podalydès choisis pour incarner malicieusement les frères Lumière...
ANOMALISA (Charlie Kaufman, Duke Johnson, 3 fév) LL
Vie de merde version friquée : telle pourrait être l'état d'esprit initial de ce film d'animation pour adultes. Le personnage principal est un auteur d'un best-seller de conseils en marketing, venu tenir une conférence à Cincinatti. On suit son installation dans un hôtel luxueux. Sa vie semble grisâtre, dépourvue de sens, mais on ne le plaindra pas. Jusqu'à ce qu'il rencontre une modeste téléopératrice qui n'arrête pas de se déprécier mais retient son attention par la qualité de sa voix : d'ailleurs tous les autres personnages, hommes ou femmes, sont doublés par la même voix... Ce film co-réalisé par Charlie Kaufman, génial scénariste de Dans la peau de John Malkovich et Eternal sunshine of the spotless mind, agace d'abord par sa raideur artificielle qui se prête à des interprétations très diverses (critique des modes de vie capitalistes, description d'une maladie mentale...), mais séduit par le réalisme certain de ses scènes d'aventure nocturne.
LE TEMPS DES RÊVES (Andreas Dresen, 3 fév) L
A choisir des sujets casse-gueules, il fallait bien que ça arrive : après de belles réussites (Septième ciel, Pour lui), Andreas Dresen rate son film. L'histoire d'une bande de copains enfants sous la RDA et qui ont autour de 18 ans, l'âge des premières virées nocturnes et petites (ou grosses) conneries, lorsque l'Allemagne est réunifiée. Sur la forme Andreas Dresen change de style, mais en vain : il n'y a pas vraiment de point de vue, c'est filmé n'importe comment, et il multiplie des plans plus ou moins glauques ni faits ni à faire.
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