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Les films de tout début 2016

  • Bravo : Carol (Todd Haynes), Peur de rien (Danielle Arbid)
  • Bien : J'avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd (Laetitia Carton), Les Délices de Tokyo (Naomi Kawase), La Fille du patron (Olivier Loustau), Janis (Amy Berg), Spotlight (Tom McCarthy)
  • Pas mal : Les Premiers, les derniers (Bouli Lanners), Gaz de France (Benoît Forgeard), Chorus (François Delisle), Le Garçon et la Bête (Mamoru Hosoda)
  • Bof : Bang Gang (Eva Husson)


CAROL (Todd Haynes, 13 jan) LLLL
Il y a treize ans, Todd Haynes avait réalisé Loin du paradis, un mélodrame se situant dans les années 50. La mise en scène était inspirée des films sophistiqués de Douglas Sirk réalisés à l'époque, mais le fétichisme dans l'utilisation assez théorique des couleurs (rouges flamboyants) ne parvenait pas à égaler l'émotion des chefs d'oeuvre du maître (comme Le Mirage de la vie). Dans Carol, la forme est encore incroyablement soignée (mouvements d'appareil, lumière, costumes etc), mais cette fois-ci l'émotion prend. Le cinéaste ne prend pas de haut ses personnages en entomologiste omniscient, il est en empathie avec elles. Du coup il insuffle la vie dans cette histoire d'amour à New-York au début des fifties, entre Carol et Therese, deux femmes de classes sociales différentes et d'âge différents, amour contrarié par les convenances sociales (les mots n'existaient même pas encore pour décrire ce type de relation). Les interprétations de Cate Blanchett et Rooney Mara sont indissociables l'une de l'autre, et la décision du jury cannois d'en récompenser une seule est assez incompréhensible.

PEUR DE RIEN (Danielle Arbid, 10 fév) LLLL
Pour son premier tournage en France, la cinéaste Danielle Arbid revient à une veine autobiographique, douze ans après le beau Dans les champs de bataille. Elle y raconte l'histoire de Lina, une jeune Libanaise qui débarque en France à l'âge de 18 ans, vers le mitan des années 1990, pour poursuivre ses études dans une fac parisienne. C'est un parcours initiatique que l'on découvre : l'oncle déjà installé ici et dont elle s'éloigne rapidement, une camarade de promo qui l'invite à une fête un peu particulière, les relations avec les garçons, la découverte de professeurs d'arts et de lettres assez épatants (mention spéciale à Dominique Blanc). Le film est très haut en couleurs (du vrai cinéma), les personnages sont loin des clichés, les difficultés de ce parcours de combattante n'empêche pas une bonne dose d'humour, l'époque est finement restituée (conversations, musique), sans oublier le courage et l'inconscience de la jeunesse (d'où le titre). La jeune actrice principale, Manal Issa, est formidable, avec il est vrai de très bons partenaires (Paul Hamy, Damien Chapelle, Vincent Lacoste).

J'AVANCERAI VERS TOI AVEC LES YEUX D'UN SOURD (Laetitia Carton, 20 jan) LLL
Le film se clôt avec une certaine ferveur sur un atelier avec la chanteuse Camille : paradoxalement la musique n'est pas étrangère au monde des sourds, comme en témoignait déjà la séquence d'ouverture du formidable Pays des sourds (Nicolas Philibert, 2003). Le beau documentaire de Laetitia Carton est une nouvelle immersion parmi ce "peuple" (mot qu'elle utilise en voix off), comme une lettre adressée à Vincent, un ami malentendant disparu il y a dix ans. Le film explore plusieurs réalités : sourds nés dans une famille d'entendants, sourds nés dans une famille de sourds, entendants nés dans une famille de sourds... Mais c'est surtout une défense de la langue des signes, qui a failli s'étioler avec les méthodes "oralistes" et les velléités médicales de pallier techniquement et partiellement le "handicap" (sans se soucier de l'avis des intéressé-e-s). Cette langue des signes n'est pas seulement un moyen de communication, c'est aussi une culture riche et autonome, à défendre contre les faux discours réacs qui confondent universalisme avec rigidité uniformisatrice.

LES DELICES DE TOKYO (Naomi Kawase, 27 jan) LLL
Dans une petite patisserie de Tokyo, un quadra solitaire (sur)vit en vendant des dorayakis, sorte de petites crêpes fourrées aux haricots rouges confits. Un jour, Tokue, une adorable septuagénaire vient lui proposer son aide. Il finit par accepter, s'étant rendu compte que sa recette est bien meilleure. Les clients affluent, dont un groupe de collégiennes... Cela commence comme un conte culinaire qui frôlerait le pittoresque et la mièvrerie, mais c'est une fausse piste. Le véritable enjeu du film apparaît plus tard, l'histoire d'une mise au rebut de la société... Du coup, la petite leçon de vie et de spiritualité gagne en profondeur. Dans un style plus mineur que son ample film précédent (le beau Still the water), la cinéaste se laisse aller à une palette d'émotions simples mais vraies et communicatives.

LA FILLE DU PATRON (Olivier Loustau, 6 jan) LLL
Vital (Olivier Loustau lui-même), ouvrier d'une quarantaine d'années dans une petite usine textile, est séduit par Alix (Christa Théret, de mieux en mieux), jeune femme venue réaliser une étude en ergonomie dans l'entreprise, qui n'est autre que la fille du patron. Alix choisit Vital comme "cobaye", celui-ci étant par ailleurs entraîneur de l'équipe de rugby qualifiée pour la phase finale du championnat de France inter-entreprises. Un peu comme le personnage principal de Ressources humaines, l'idéaliste Alix va ouvrir les yeux sur les réalités du monde économique et de la course à la productivité. Ce premier film est certes beaucoup moins frontalement politique que celui de Laurent Cantet, mais séduit par sa description chaleureuse du monde ouvrier (surtout sa partie masculine ici), et les petits défauts sont contrebalancés par la sensualité et la fluidité de l'ensemble.

JANIS (Amy Berg, 6 jan) LLL
Un documentaire sur Janis Joplin, qui sort moins d'un an après celui sur Amy Winehouse (lui aussi sobrement intitulé du prénom de la chanteuse, Amy) et de la reprise en salles de The Rose (1980), une fiction dont le personnage principal est une rockeuse à la voix éraillée plus ou moins inspirée de Joplin (formidable Bette Midler). Les médias semblent avoir une responsabilité moindre dans la trajectoire de Janis que dans celle d'Amy, toutes deux mortes à 27 ans. Dès son adolescence, Janis Joplin apprend à lutter pour défendre ses idées contre les préjugés racistes et sexistes. Dès lors, la reconnaissance qu'elle recherche souligne à la fois un accomplissement artistique (formidable archive du festival de Monterey) et une revanche personnelle. Amy Berg opte pour une forme assez conventionnelle (qui ne marquera pas forcément les esprits), mais les lettres de Janis à ses parents sont assez touchantes.

SPOTLIGHT (Tom McCarthy, 27 jan) LLL
Spotlight est le nom d'une cellule de journalistes d'investigation du Boston Globe. Nous sommes en 2001, et ils vont enquêter pendant des mois sur des prêtres coupables d'abus sexuels sur mineurs et plus ou moins couverts par la hiérarchie écclésiastique qui étouffe les affaires. Très classique, ce film-dossier (basé sur des faits réels) qui célèbre un style de journalisme en voie de disparition a d'abord le désavantage de venir après beaucoup d'autres (citons pour les années récentes Révélations de Michael Mann ou Zodiac l'un des rares films adultes de David Fincher). Néanmoins, on se laisse prendre au jeu, aidé notamment par de très bons interprètes (Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams, Liv Schreiber, Stanley Tucci) qui ne cherchent pas la performance mais se mettent assez sobrement au service de la narration. Un peu besogneux peut-être mais du bon boulot.

LES PREMIERS, LES DERNIERS (Bouli Lanners, 27 jan) LL
Deux chasseurs de prime sont chargés de récupérer pour le compte d'un milliardaire (qui restera dans l'ombre) un téléphone portable compromettant. Vu de loin, il y a de belles choses dans ce geste cinématographique : Bouli Lanners continue de filmer les paysages belges comme un grand espace de western moderne, il met au premier plan des personnages marginaux, choisit avec soin ses interprètes (Suzanne Clément est formidable). L'intention est là, mais le résultat me semble néanmoins inférieur aux réalisations précédentes (dont le beau Les Géants) : il a tendance à être plus théorique, plus rigide, sans égaler ni la rigueur d'un Jean-Pierre Melville ni le décalage grinçant du duo Delépine - Kervern (auquel on pense par moments).

GAZ DE FRANCE (Benoît Forgeard, 13 jan) LL
Dans un futur proche, les Français élisent comme Président de la République "Bird", un chanteur. "La rigueur en chantant" c'est lui, et il a les traits du savoureux Philippe Katerine. Mais il accumule les bourdes, et son plus proche conseiller (l'excellent Olivier Rabourdin), réunit une cellule de crise avec un échantillon de vrais gens (excentriques). Cela commence comme une satire de la politique réduite à de la communication, mais cela bascule dans quelque chose de plus insolite et absurde au fur et à mesure que l'équipe s'enfonce dans les sous-sols de l'Elysée (avec décors en écrans LCD). Malheureusement le film donne l'impression de ne pas tenir la distance, et Benoît Forgeard, auteur d'excellents court-métrages (certains réunis dans le programme Réussir sa vie sorti en 2012), ne convainc pas totalement pour son passage au long.

CHORUS (François Delisle, 20 jan) LL
Chacun de son côté, Christophe et Irène tentent de surmonter la disparition inexpliquée de leur enfant à l'âge de 8 ans, lui noyant son chagrin dans l'océan au Mexique entre deux petits boulots, elle restant à Montréal et s'investissant dans une chorale. Au bout d'une dizaine d'années, l'affaire rebondit avec les révélations d'un pédophile incarcéré pour une autre affaire. Ce rebondissement oblige Christophe et Irène à se retrouver... Le plus réussi c'est la photographie en noir et blanc qui grandit ces personnages accablés par le sort. Le film est trop lesté pour convaincre vraiment, mais on peut aussi reconnaître que la barque est très chargée mais ne chavire pas.

LE GARCON ET LA BETE (Mamoru Hosoda, 13 jan) LL
Ren a 9 ans quand sa mère se tue dans un accident (ils étaient déjà séparés du père). Confié à des parents éloignés, il s'enfuit aussitôt. Sans l'avoir prémédité, il rejoint un monde parallèle, celui des Bêtes. En réalité, il s'agit d'une sorte de société médiévale très anthropomorphique (on est assez éloigné de la sauvagerie mystérieuse des Enfants loups Ame & Youki, le précédent film de Mamoru Hosoda). Il va devenir le disciple d'un ours autodidacte dans le maniement du sabre et la maîtrise de la Force (oui on dirait Star Wars, l'ours veut d'ailleurs succéder à un Seigneur qui a la sagesse de maître Yoda). Trop rétif au style visuel du film pour être captivé par ce récit d'initiation, je signale tout de même pour celles et ceux à qui ça plaira un final assez épique (ou carabiné) qui convoque Moby Dick.

BANG GANG (Eva Husson, 13 jan) L
Par dépit amoureux, une lycéenne propose à ses camarades de classe, lors d'une soirée, des jeux collectifs style "Action ou vérité mais où il n'y aurait que de l'action". Par dépit artistique, une jeune réalisatrice veut proposer un teen movie français à l'américaine qui rendrait justice aux élans des coeurs et des corps des adolescents. Patatras ! D'abord l'intention est péremptoire : c'est oublier un peu vite d'indéniables réussites (par exemple La Belle personne ou Simon Werner a disparu...). Ensuite Eva Husson, par hésitation, ne semble jamais trouver vraiment les bonnes solutions. Sans finesse psychologique ni vraie sensualité (malgré l'engagement des interprètes), le film racole un peu sans rien assumer, et le retour de bâton final n'est pas la moindre des maladresses.

Version imprimable | Films de 2016 | Le Dimanche 07/02/2016 | 0 commentaires




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