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Les films de novembre 2011 (et quelques autres)

Ne pas oublier "Les Neiges du Kilimandjaro" et "Tous au Larzac" déjà prélablement chroniqués !

  • Bien : Il était une fois en Anatolie (Nuri Bilge Ceylan), Le Havre (Aki Kaurismaki), L'Art d'aimer (Emmanuel Mouret), L'Exercice de l'Etat (Pierre Schoeller), Les Géants (Bouli Lanners)
  • Pas mal : Toutes nos envies (Philippe Lioret), Bonsaï (Cristian Jimenez), Jeanne captive (Philippe Ramos)
  • Bof : Time out (Andrew Niccol), Les Aventures de Tintin : Le secret de la Licorne (Steven Spielberg), La Femme du Vème (Pawel Pawlikowski)

IL ETAIT UNE FOIS EN ANATOLIE (Nuri Bilge Ceylan, 2 nov) LLL
Cela commence comme un polar. Trois véhicules sillonnent à la nuit tombée les steppes turques, à la recherche d'un cadavre. Mais assez vite, on s'aperçoit que l'enjeu du film est plus profond que cela. Au fil des pérégrinations et des discussions, on apprend à connaître tous ces personnages : procureur, médecin légiste, commissaire, criminel présumé... Une méditation sur l'âme humaine (notamment via une discussion récurrente entre le procureur et le médecin légiste) et la vie en société, comme elle est organisée en Turquie ou ailleurs. La forme est au diapason : le film dure 2h37, mais on ne voit pas le temps passer, hypnotisés par des plans d'une grande densité et d'une grande beauté formelle (comme toujours chez Nuri Bilge Ceylan), qui concourent à la tension constante. Sans doute la plus grande réussite du cinéaste à ce jour, logiquement récompensée au dernier festival de Cannes (Grand-Prix du jury ex-aequo).

LE HAVRE (Aki Kaurismaki, 21 déc) LLL
Décidément, la ville du Havre continue de fasciner les cinéastes du nord de l'Europe. Après Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy (La Fée), c'est au tour d'Aki Kaurismaki d'y installer sa nouvelle fable sociale. Marcel Marx (André Wilms) est un cireur de chaussures qui vit de façon modeste avec sa femme Arletty (Kati Outinen). Son existence tranquille va être ébranlée par le jeune Idrissa, échappé d'un conteneur plein de clandestins africains et qui trouve refuge chez lui, alors qu'Arletty est hospitalisée... Le sujet est on ne peut plus contemporain et tragique, mais Aki Kaurismaki en fait un conte intemporel, en même temps qu'un précipité du meilleur de son univers. On reconnaît les couleurs saturées à souhait, la dignité magnifique des marginalisés du système, un rockeur au grand coeur en tête (Little Bob), la fraternité et l'espérance des gens de peu... Et pour son premier tournage en France, le cinéaste s'est amusé à convoquer pour les seconds rôles Jean-Pierre Darroussin, Pierre Etaix, Jean-Pierre Léaud. Un joli cadeau !

L'ART D'AIMER (Emmanuel Mouret, 23 nov) LLL
Beaucoup de personnages dans le nouveau film d'Emmanuel Mouret. Pour autant ce n'est pas un film choral, mais plutôt un film à sketches. Dénominateurs communs : le sentiment amoureux et la sexualité, disséqués dans leurs maladresses ou leurs paradoxes apparents. Emmanuel Mouret possède surtout l'art de décaler. On s'amuse de ces personnages qui commentent la plupart du temps avec une désarmante sincérité leurs moindres faits et gestes (mention spéciale à Frédérique Bel, une habituée du cinéaste, mais il faudrait citer aussi François Cluzet, Judith Godrèche, Laurent Stocker, Julie Depardieu, Gaspard Ulliel, Elodie Navarre...). Formellement, le film est assez théâtral, les personnages entrant et sortant du cadre sans cesse (caméra malicieuse). Bref une comédie modeste, élégante et savoureuse.

L'EXERCICE DE L'ETAT (Pierre Schoeller, 26 oct) LLL
Et si le film corrosif sur la politique montré à Cannes cette année, c'était celui-là (et non La Conquête) ? Aucun souci de ressemblance ici, mais de vraisemblance certainement. Un ministre des Transports, plutôt de centre-droit à l'intérieur d'un gouvernement néolibéral, s'oppose au projet de privatisation des gares proposé entre autres par son collègue des Finances... Que va-t-il rester des convictions politiques dans l'exercice du pouvoir ? C'est le sujet de ce film, ouvert à diverses interprétations, c'est sa force et sa faiblesse. Olivier Gourmet est magistral dans le rôle principal, Michel Blanc est également excellent dans le rôle de son chef de cabinet. La morale que je tire subjectivement du film, à six mois des échéances de 2012, ce serait qu'aucune personnalité du Front de Gauche n'aurait intérêt à accepter un poste ministériel dans un gouvernement dominé par un PS qui veut donner du sens à la rigueur...

LES GEANTS (Bouli Lanners, 2 nov) LLL
Abandonnés à leur sort par leur mère, deux frères adolescents, en vacances dans la maison de leur grand-père, doivent subvenir seuls à leurs besoins, et font la connaissance d'un voisin du même âge ou presque (ils ont tous les trois entre 13 et 15 ans). Plutôt que de suivre un scénario ultrabalisé, le film vagabonde nonchalamment au gré de scènes parfois déroutantes mais souvent convaincantes, à l'image de l'adolescence masculine, un thème que le cinéaste a bien apprivoisé. Dénué de toute belgitude folklorique, le film déroule son action dans la campagne wallonne, magnifiée par le Scope. Si l'arrière-plan, notamment social, est assez cruel, Bouli Lanners assume un côté conte initiatique et fait référence explicitement à La Nuit du chasseur (même si les registres des deux films sont très différents). Géant non mais réussi oui.

TOUTES NOS ENVIES (Philippe Lioret, 9 nov) LL
Claire (Marie Gillain), juge d'instance révoltée par les drames du surendettement, prend fait et cause pour Céline (Amandine Dewasmes), jeune mère célibataire acculée par les organismes de crédit. Elle demande l'aide de Stéphane (Vincent Lindon), juge chevronné mais désenchanté. Leur collaboration va se renforcer face aux urgences, sociale ou d'un autre ordre... Philippe Lioret, bon faiseur parfois très inspiré (Mademoiselle, Welcome), signe ici un mélodrame sobre et pudique, avec des interprètes attachants, au diapason de cette exigence. Si réserve il y a, elle ne concerne pas la forme, mais plutôt le fond : juridiquement parlant, la lettre adressée à la Cour de justice des communautés européennes semble très naïve, et ce qui s'en suit aussi...

BONSAÏ (Cristian Jimenez, 9 nov) LL
Une chronique sentimentale, mais aussi littéraire et même botanique. Eternel étudiant, Julio, secrétaire précaire, décide d'écrire un roman, faisant croire à sa voisine, avec qui il est plus ou moins en couple, qu'il n'est pas de lui. Il s'inspire de son premier amour avec Emilia, 8 ans plus tôt, lorsque chacun faisait croire à l'autre qu'il avait lu Proust... Construit en petits chapitres, le film fait de nombreux (trop ?) allers-retours entre passé et présent. Faute d'un style suffisamment enlevé (n'est pas Rohmer ou Woody Allen qui veut !), on a parfois le sentiment de suivre des personnages enfermés dans leur bulle. Mais le film touche plus d'une fois et distille un indéniable charme.

JEANNE CAPTIVE (Philippe Ramos, 16 nov) LL
Après Capitaine Achab, Philippe Ramos s'attaque à un autre mythe : Jeanne d'Arc. Si en matière de narration il fait les mêmes choix de séquences qui font bloc entre deux ellipses, le cinéaste change un peu de style, avec moins de plans-séquences et plus de gros plans. Cela sied plutôt bien au sujet : la période de captivité de Jeanne d'Arc, passée du statut de quasi sainte à celui d'hérétique. Il y a les passages obligés (les voix, qu'elle n'entend plus, le bûcher). Le résultat est néanmoins plus fragile qu'à l'accoutumée et moins subtile (bonjour le mysticisme), même si la sensualité de Clémence Poésy et la puissance des images (loin de toute reconstitution ripollinée) est à porter au crédit du film.

TIME OUT (Andrew Niccol, 23 nov) L
Quatrième film d'Andrew Niccol, et première déception. Ce n'est pas dû au thème traité. Time is money, littéralement. Le temps est devenu l'unité monétaire. Au-delà de l'âge de 25 ans, il faut payer pour vivre. Et tant qu'on vit, on garde l'apparence de ses 25 ans... Le film se veut une critique de l'accumulation capitaliste et de la société inégalitaire engendrée, ainsi qu'une réflexion sur la quête de l'immortalité. Sur le papier, c'est très bien. Sur l'écran, on voit une série B assez désincarnée, très peu inventive, et pas à la hauteur de son sujet ni des précédents films du réalisateur.

TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE (Steven Spielberg, 26 oct) L
C'est comme si Steven Spielberg avait perdu ses talents de conteur, ne savait plus jouer avec l'attente des spectateurs (comme au temps de Rencontres du troisième type par exemple, que j'ai revu récemment). Il a voulu profiter de la 3D pour filmer des scènes de poursuite avec des angles impossibles en prises de vues réelles : cela fait l'effet d'une surenchère qui mine tout sentiment de vraisemblance. La VO n'arrange rien : Tintin se prononce "tinne-tinne" et les Dupondt s'appellent Thomson. Reste le procédé de la motion capture, qui donne une réelle expressivité aux visages, surtout celui du capitaine Haddock.

LA FEMME DU VEME (Pawel Pawlikowski, 16 nov) L
Tom, un écrivain américain séparé de sa femme et de sa fille, vient à Paris. C'est le début d'une sorte de descente aux enfers, entre hôtels miteux et parkings souterrains douteux... Le réalisateur, dont j'avais beaucoup aimé My summer of love (2005), sait planter un décor, certains personnages (comme la jeune employée polonaise de l'hôtel). Mais l'histoire, déjà hésitante pendant la première heure, va basculer dans le n'importe quoi (et le déjà vu) dans la dernière ligne droite. Dommage !

Version imprimable | Films de 2011 | Le Mercredi 30/11/2011 | 0 commentaires




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