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Les films de l'été

  • Bien : Eté 93 (Carla Simon), Une femme fantastique (Sebastian Campos Lelio), 120 battements par minute (Robin Campillo), Djam (Tony Gatlif), Avant la fin de l'été (Maryam Goormaghtigh), La Planète des singes - Suprématie (Matt Reeves), Le Vénérable W. (Barbet Schroeder)
  • Pas mal : Love hunters (Ben Young), Le Caire confidentiel (Tarik Saleh), Transfiguration (Michael O'Shea), Suntan (Argyris Papadimitropoulos), Dunkerque (Christopher Nolan)
  • Hélas : Une femme douce (Sergueï Loznitsa)


ETE 93 (Carla Simon, 19 juil) LLL
Frida a 6 ans lorsque ses parents meurent. En cet été 1993, elle doit quitter Barcelone pour aller vivre chez son oncle et sa tante à la campagne. Dans sa nouvelle famille, Frida va devoir trouver sa place, le couple ayant déjà une petite fille plus jeune, sa cousine Anna... Le décor est presque celui d'un conte, entre la vieille maison (et ses coupures d'électricité) et la forêt environnante, très dense. Mais le traitement est naturaliste. Le secret autour de la mort des parents, on le devine par petites touches, sans scènes sur-signifiantes ni grands violons. Mise à part cette retenue, l'autre parti pris du film, c'est une mise en scène qui ne s'écarte jamais du point de vue de l'enfant : on n'entend par exemple jamais de discussions d'adultes en aparté que Frida ne serait pas en mesure d'entendre. Toute l'interprétation est formidable, de Laia Artigas (Frida) et Paula Robles (Anna) à Bruna Cusi et David Verdaguer (les parents adoptifs). Un premier film sobre mais fort, dont une mention au générique nous apprendra la teneur autobiographique...

UNE FEMME FANTASTIQUE (Sebastian Campos Lelio, 12 juil) LLL
Marina et Orlando sont unis par un parfait amour. Elle cumule plusieurs petits boulots (serveuse, chanteuse de salsa), alors que lui est un entrepreneur en pleine réussite professionnelle. Mais ce n'est pas la différence de classe qui va les séparer, mais une rupture d'anévrisme. Orlando avait 57 ans, une vingtaine d'années de plus que Marina, qui est transsexuelle. Elle va devoir se battre pour défendre le droit de faire son deuil, face à la famille d'Orlando qui n'a jamais accepté cette relation, et en particulier son ex-épouse, qui la voit comme une "chimère", une perversion de l'homme qu'elle aimait. Le scénario aurait pu être tourné par Almodovar il y a une quinzaine d'années, mais Sebastian Lelio en fait d'abord un nouveau portrait de femme, après Gloria (2014). Alors que la plupart des personnages auxquels se heurtent Marina se demandent où elle en est dans sa transformation, le cinéaste, lui, la respecte dans l'identité qu'elle s'est choisie et ne répond jamais à la question. Le film est lui-même un peu "transgenre", passant du drame au thriller, du film de fantômes au film musical...

120 BATTEMENTS PAR MINUTE (Robin Campillo, 23 aou) LLL
Au début des années 1990, alors que le sida tue depuis une dizaine d'années, les militants d'Act Up – Paris multiplient les actions pour lutter contre l'indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être impressionné par la radicalité de Sean... Dans ce troisième film en tant que cinéaste de Robin Campillo, tout ce qui tient de la reconstitution du militantisme d'Act Up – Paris est très réussi. On y est. Quand l'intrigue se ressert autour d'une histoire d'amour à durée déterminée, l'émotion suscitée reste contenue, car on sait dès le départ quelle direction cela va prendre, sans qu'il y ait surcroît de style (le film joue à fond le registre du cinéma-vérité, à l'opposé des Revenants, son premier film très stylisé). Avec des enjeux analogues, Olivier Ducastel et Jacques Martineau avaient frappé plus fort dans Jeanne et le garçon formidable, avec un formidable travail sur le hors-champ. Heureusement, ici, un ultime pied-de-nez rehausse le tout in extremis. Grand-prix au dernier festival de Cannes.

DJAM (Tony Gatlif, 9 aou) LLL
Djam est le prénom d'une jeune grecque qui voyage de l'île de Lesbos à Istanbul pour tenter de trouver une pièce de bateau. En Turquie, elle rencontre une française un peu paumée qui dit être venue faire du bénévolat auprès des réfugiés... C'est un grand retour en forme pour Tony Gatlif, avec ce road movie et conte musical au son du rebetiko. Il s'agit aussi d'un film d'actualité, qui évoque non seulement la crise économique en Grèce mais aussi le drame des réfugiés, venus de Syrie ou d'ailleurs. Mais, heureusement, il n'est pas figé par son grand sujet (il a retenu la leçon de Liberté, évocation nécessaire mais un peu trop scolaire du sort des tziganes pendant la Seconde guerre mondiale). Au contraire, il retrouve une forme plus libre et tumultueuse, entre fougue et mélancolie. Son héroïne, pleine d'insolence et de jeunesse intrépide, est incarnée par Daphné Patakia, qui porte le film : elle interprète elle-même les morceaux chantés par son personnage, elle danse, elle parle grec et français, comme le symbole d'une vie que la mort, et les huissiers, ne parviendront pas à saisir...

AVANT LA FIN DE L'ETE (Maryam Goormaghtigh, 12 juil) LLL
Après plusieurs années d'études à Paris, Arash annonce à ses deux amis Hossein et Ashkan qu'il compte rentrer en Iran. Espérant le faire changer d'avis, ces deux derniers organisent une virée d'une semaine à travers les routes du sud de la France... La comédie sur une amitié masculine (mais filmée par une femme) se double d'un road movie, d'une comédie romantique réaliste, où d'éventuelles relations sentimentales permettraient d'effacer le sentiment d'écartèlement généré par l'exil. Derrière la légèreté apparente survient des éléments plus mélancoliques ou dramatiques (on apprend par exemple pourquoi l'un des trois a pris volontairement beaucoup de poids). Au générique, on comprend à quel point cette fiction flirte avec le réel : comme dans un documentaire, l'équipe est très réduite (la cinéaste Maryam Goormaghtigh signe elle-même les images). Et les cinq interprètes (dont les deux françaises rencontrées en cours de route) ont gardé leurs véritables prénoms, tandis que leurs noms de familles ne sont pas divulgués...

LA PLANETE DES SINGES - SUPREMATIE (Matt Reeves, 2 aou) LLL
Disons le d'emblée : l'adaptation en 1968 du roman de Pierre Boulle par Franklin J. Schaffner est un très grand classique, et tout autre film s'y référant peut paraître superfétatoire. J'ai néanmoins accepté de voir celui-ci. Les cartons introductifs permettent de suivre l'histoire même lorsqu'on n'a pas vu les deux premiers volets de cette nouvelle trilogie, qui tente d'imaginer comment on en est arrivé au dernier plan saisissant du film originel. Formellement, c'est une grande réussite (bande originale de qualité, ampleur des décors, grande expressivité des créatures numériques, en particulier de César, chef singe dont la grande sagesse sera mise à rude épreuve après la mort de sa femme et d'un de ses fils). Et, à l'intérieur de ce divertissement familial, sont introduites des références politiques et/ou cinéphiles, avec le rappel des méfaits de l'impérialisme et de la colonisation (sur un mur est inscrit "Ape-pocalypse now", évocation du film de Coppola renforcé par le personnage de petit colonel cinglé joué par Woody Harrelson) ou du génocide des indiens...

LE VENERABLE W. (Barbet Schroeder, 7 juin) LLL
Barbet Schroeder clôt sa "trilogie du mal", avec ce documentaire sur W. alias Wirathu, un moine boudhiste de Birmanie qui appelle à la haine contre les musulmans, particulièrement la minorité des Rohingyas. Sa notoriété s'est construite lorsqu'il était dans l'opposition à la junte militaire lors de la dictature. Dès lors, son influence déclenche le pire : incendies criminels, meurtres, déplacements de population etc... Le documentaire est très conventionnel dans sa forme, son personnage principal est sans ambiguïté (au contraire de Jacques Vergès, qui jouait sur le droit à tout justiciable d'être défendu dans L'Avocat de la terreur). Sur le fond, il évoque trop rapidement l'extrême passivité de Aung San Suu Kyi (ancienne prix Nobel de la paix), mais il alerte sur le fait que les discours xénophobes et islamophobes, qu'on entend aussi près de chez nous, sont un cancer aux conséquences qui peuvent être désastreuses.

LOVE HUNTERS (Ben Young, 12 juil) LL
On est en Australie, à l'été 1987. Un soir, une jeune fille, de parents divorcés, quitte en douce le domicile de sa mère pour aller danser. Elle accepte de monter dans la voiture d'un charmant couple. Elle a tort... Ce film de séquestration ne gâte pas sa jeune actrice principale, Ashleigh Cummings, contrainte de hurler pendant la moitié de ses scènes. Le couple de psychopathes est plus réussi, avec notamment une Emma Booth inquiétante, tiraillée, presque bouleversante. Si le film se hisse un peu au-dessus du tout venant, il le doit aussi et surtout à la mise en scène et aux cadrages, qui réussissent à captiver, tout en évitant tout voyeurisme gore.

LE CAIRE CONFIDENTIEL (Tarik Saleh, 5 juil) LL
Au Caire, en janvier 2011, une jeune chanteuse est assassinée dans un des grands hôtels de la ville. L'inspecteur Nourredine, chargé de l'enquête, se trouve confronté à des témoins qui se dérobent, dont certains sont haut placés, plus ou moins liés à la garde rapprochée du président Moubarak... C'est un bon polar estival, même s'il manque une ou deux scènes fortes pour captiver totalement les amateurs du genre. En revanche, ce film suédois tourné à Casablanca réussit paradoxalement la contextualisation de la ville, entre la corruption qui gangrène tout le pays, police en tête, et la Révolution égyptienne sur le point d'éclater.

TRANSFIGURATION (Michael O'Shea, 26 juil) LL
Milo, adolescent noir new-yorkais, n'aime que les films de vampires "réalistes", pas les sagas édulcorées comme Twilight. Mais comment sait-il ce qui est crédible ou non ? Dès les premières scènes, où l'on voit Milo boire du sang dans les toilettes (même s'il ne le digère pas), on pressent que cet enfant du ghetto, orphelin de père et de mère, élevé par son grand frère, pourrait être un vampire. Malgré tout, grâce à la mise en scène du cinéaste, qui mêle drame social, familial et récit d'apprentissage (avec sa jeune voisine), on est la plupart du temps plein de compassion pour lui. Il y a des pleins et des déliés, mais l'écriture tente une sorte d'hybridation plutôt réussie entre Moonlight et Grave...

SUNTAN (Argyris Papadimitropoulos, 31 mai) LL
Kostis, quarante-deux ans, débarque sur l'île d'Antiparos, où il est engagé par la municipalité comme médecin généraliste. Il passe un hiver morne et solitaire. Mais tout change lorsque survient l'été et que l'île de 900 habitants se voit envahie par des milliers de touristes. Lors d'une visite à son cabinet, il fait la rencontre de la jeune et séduisante Anna et de ses amis peu farouches... La première partie, où Kostis tente de se régénérer au contact de l'hédonisme d'Anna, est filmée avec brio, on sent que la suite risque d'être cruelle. Mais lorsque le prometteur cinéaste tend le bâton dans l'autre sens, il le fait avec beaucoup moins d'habileté : son personnage principal n'est pas seulement pathétique, il devient difficile à défendre, comme s'il lui retirait son empathie...

DUNKERQUE (Christopher Nolan, 19 juil) LL
Au départ, un épisode méconnu (en tout cas de ce côté de la Manche) de la Seconde Guerre mondiale : le repli en mai 1940 de dizaine de milliers de soldats britanniques de la plage de Dunkerque, pour minimiser les pertes et maximiser les capacités de défense et d'intervention futures. Christopher Nolan propose un montage alterné sur trois terrains de bataille (terre, mer, air) d'une durée différente (respectivement une semaine, un jour, une heure). Même si cela fait quelques étincelles, le tout donne pourtant le sentiment d'un film assez banal, à cause de certains choix artistiques, entre des personnages assez peu approfondis et une incessante musique de jeu vidéo qui empêche le plus souvent l'immersion totale voulue par le réalisateur.

UNE FEMME DOUCE (Sergueï Loznitsa, 16 aou) 0
Une femme vivant seule à la campagne décide d'apporter elle-même un colis à son mari incarcéré (probablement pour un meurtre qu'il n'a pas commis). Je suis allé voir le film par curiosité après avoir apprécié la mise en scène de Sergueï Loznitsa dans une précédente fiction (Dans la brume). Mais le résultat est accablant. Certes il y a quelqu'un derrière la caméra, mais c'est d'une lourdeur qui ferait passer Haneke pour un cinéaste de la légèreté... Cela se voudrait peut-être une critique de la Russie d'aujourd'hui et de toujours, mais c'est surtout un parcours semé d'embûches très répétitives où l'enfer c'est les autres. Le seul personnage à qui le réalisateur prête une dignité, c'est cette femme douce qui a l'avantage d'être le personnage principal (mais dont on n'entendra jamais le nom). La scène du banquet est grotesque et ratée (n'est pas Bunuel ou Fellini qui veut). Prétentieux et interminable.

Version imprimable | Films de 2017 | Le Dimanche 20/08/2017 | 0 commentaires




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