- Bien : Showing up (Kelly Reichardt), Trenque Lauquen (Laura Citarella), Dancing Pina (Florian Heinzen-Ziob), Love Life (Kôji Fukada), L'Odeur du vent (Hadi Mohaghegh), Suzume (Makoto Shinkai), L'Île rouge (Robin Campillo)
- Pas mal : L'Amitié (Alain Cavalier), Fifi (Jeanne Aslan, Paul Saintillan), La Fille d'Albino Rodrigue (Christine Dory), Le Principal (Chad Chenouga), Chien de la casse (Jean-Baptiste Durand)
- Bof : L'Amour et les forêts (Valérie Donzelli)
SHOWING UP (Kelly Reichardt, 3 mai) LLL
Avant-dernier film de la compétition officielle de Cannes 2022 à sortir sur les écrans français, il a semble-t-il déçu quelques cinéphiles qui n'y retrouvaient pas l'aura de certains précédents opus de la cinéaste. Mon ressenti est pourtant tout autre. Certes, au début, j'avais peur de ne pas adhérer, d'autant que le personnage principal n'est pas immédiatement sympathique. On suit Lizzie, une sculptrice, dans les jours qui précèdent une exposition. On la voit faire sa part des tâches administratives, râler contre un problème d'eau dans son logement dont la propriétaire est une collègue de la même structure. Petit à petit, avec des éléments en apparence très simples (ce n'est pas un film à rebondissements), Kelly Reichardt suggère beaucoup et soulève sans avoir l'air d'y toucher des questions très profondes voire existentielles (ce paradoxe de la richesse dans la sobriété aurait mérité un prix de la mise en scène, d'autant que les plans sont admirablement composés). Les non humains y tiennent également une vraie place, que ce soit les animaux, ou les sculptures (auxquelles Lizzie donne des noms). On ne sait pas si Lizzie a du talent, elle est montrée comme une artiste ordinaire, et les résultats obtenus ne sont pas dus uniquement à son travail, mais aussi à une pincée d'aléatoire (tout ne peut être contrôlé). La réussite du film doit également beaucoup à l'interprétation de Michelle Williams, aussi passionnante ici que dans The Fabelmans (où elle avait à l'opposé un rôle assez exubérant !).
TRENQUE LAUQUEN (Laura Citarella, 3 mai) LLL
Il y a quelques années a déboulé sur nos écrans La Flor, multi-film de plus de treize heures, diffusé en 4 séances en salles, et jamais édité en DVD depuis. Les mêmes producteurs nous offrent aujourd'hui ce film de "seulement" quatre heures, distribué en deux parties dûment chapitrées. Le scénario, co-écrit par la réalisatrice Laura Citarella et l'actrice principale Laura Paredes, débute avec la disparition de Laura, une jeune femme qui bouclait ses études de botanique, et qui est recherchée par les deux hommes qui l'aiment : Rafael son compagnon, et Ezequiel son ami et confident, employé de la commune de Trenque Lauquen. Elle avait confié à ce dernier la découverte d'une vieille correspondance érotique cachée dans des livres empruntés à la bibliothèque. C'est un récit gigogne, un jeu de pistes très ouvert qui pourrait receler bien d'autres mystères. Beaucoup d'éléments sont relatés plus que montrés. La force première du film tient justement à la manière dont les récits circulent entre les personnages (avec au passage un éloge de la radio) et entre les différentes temporalités. Mais ce parti pris stylistique a aussi l'avantage de stimuler l'imagination des spectateurs-trices, en particulier dans la deuxième partie...
DANCING PINA (Florian Heinzen-Ziob, 12 avr) LLL
Montage alterné autour de la préparation de deux spectacles, en Allemagne et au Sénégal, créés à l'origine par Pina Bausch. Antidote parfait à certaines fictions dans lesquelles le chemin vers l'excellence artistique passait par des humiliations et un individualisme forcené couplé à un esprit de compétition dans lequel l'autre peut constituer un obstacle. Rien de tout ça dans ce documentaire. L'apprentissage est certes très difficile, très exigeant, mais personne n'est humilié. Les interprètes ne sont pas poussés vers la perfection absolue, mais plutôt vers un engagement sincère, où peut s'exprimer toute leur individualité. C'est le contraire de l'individualisme (qui nie l'individualité des autres) car cette expression d'individualité se fait au service de l'oeuvre, en étroite coordination avec le reste de la troupe. L'éternelle dialectique entre l'individu et le collectif, mais qui tient aussi au style de Pina Bausch (pour lequel il faut apprendre à ne pas tout contrôler).
LOVE LIFE (Kôji Fukada, 14 juin) LLL
Souvent, dans ses films, Kôji Fukada fait subir un choc à une famille, et il observe le résultat, tout en variant les genres. Ici, le cinéaste prolifique opte clairement pour le drame, en faisant vivre une terrible épreuve à un couple d'actifs assez jeunes. Pour des raisons qu'on ne détaillera pas, les deux protagonistes ne sont pas affectés exactement de la même manière par l'onde de choc, et la situation est d'autant plus délicate que des ex resurgissent des deux côtés. Sur le fond, l'étude de sismographe est très subtile, et les interprètes savent transcrire les sentiments complexes qui traversent leurs personnages. La forme est également réussie, et on saluera la force du dernier plan (l'une des plus belles fins vues ces derniers temps), qui montre qu'une séquence bien filmée peut se révéler plus éloquente que bien des lignes de scénario...
L'ODEUR DU VENT (Hadi Mohaghegh, 24 mai) LLL
Dans un village reculé d'Iran, un électricien (interprété par le réalisateur lui-même), chargé de rétablir le courant, découvre les conditions de vie d'un père et de son fils, lourdement handicapés. La réparation est donc urgente, mais le délai pour obtenir une douille neuve est de quinze jours, sauf à en récupérer une dans un autre village... L'intrigue est simple, et le rythme est assez lent, mais c'est du grand cinéma, avec des plans séquences à la durée étudiée. Les images sont larges et savamment composées, et rendent palpables les lieux comme les personnages. Le geste cinématographique n'est pas sans rappeler les styles de Kiarostami (Iran oblige) ou même d'un Nuri Bilge Ceylan...
SUZUME (Makoto Shinkai, 12 avr) LLL
Le nouveau film d'animation de Makoto Shinkai ne surprendra pas celles et ceux qui ont vu le mémorable Your name ou encore Les Enfants du temps. Il n'en est pas moins original, en contant l'histoire d'une lycéenne qui est initiée par un mystérieux "beau gosse" sur les interactions entre le monde visible et un autre monde, auquel on accède par des portes par lesquelles un ver géant peut surgir et provoquer des catastrophes dans le monde réel. Le souvenir du séisme du 11/03/2011 hante d'ailleurs discrètement l'ensemble. S'il semble parfois un peu répétitif, le film convainc par la qualité de son imaginaire, tant dans le scénario que dans son aspect visuel.
L'ÎLE ROUGE (Robin Campillo, 31 mai) LLL
Le successeur de 120 battements par minute est un récit d'une enfance dans les années 1970-1972, dans une base militaire française à Madagascar. Thomas, le jeune garçon, adore lire les histoires de Fantômette, comme une camarade de classe avec laquelle il est toujours fourré. Mais il est aussi capable de regarder ses proches avec un sens certain de l'observation (un futur cinéaste en somme ?). La portée de son regard a cependant forcément des limites, et Robin Campillo change complètement de perspective au bout d'une heure et demie. Mais ce changement radical de point de vue, sans lequel le film aurait été bancal, n'est pas un coup de force volontariste du réalisateur, il est au contraire amené avec beaucoup de subtilité (c'est aussi ça le cinéma).
L'AMITIE (Alain Cavalier, 26 avr) LL
Depuis plusieurs décennies maintenant, Alain Cavalier ne crée plus des personnages de fiction. Il livre à intervalle régulier des formes de journal ou des portraits de personnes réelles, filmées à l'aide de sa caméra vidéo. Cela peut donner des coups d'éclats (Le Paradis, Être vivant et le savoir). Le résultat est plus mineur ici, en tout cas formellement. Le film s'articule autour d'amitiés nouées il y a plus de 30 ans : Boris Bergman (approché dans les années 80 pour un projet finalement avorté avec Alain Bashung, dont il était le parolier), ou bien le producteur - retraité - de son film Thérèse, ou bien l'ex-acteur de Libera me, redevenu coursier... Certaines séquences émergent, de par leur chaleur humaine.
FIFI (Jeanne Aslan, Paul Saintillan, 14 juin) LL
Fifi est le diminutif de Sophie, une jeune fille de 15 ans, qui vit avec sa famille dans un appartement exigu, et qui rencontre fortuitement une ancienne camarade de classe s'apprêtant à partir en vacances d'été. Elle s'empare discrètement des clés de cette dernière, et s'introduit chez elle quelque temps plus tard. Ce qu'elle n'a pas prévu, c'est que Stéphane, 23 ans, le grand frère de sa copine, allait débarquer... Ce n'est pas vraiment un film de mise en scène, même si les deux appartements trahissent les classes sociales de leurs occupants, par leurs différences en terme d'espace et de conception. Jeanne Aslan et Paul Saintillan ont plutôt réalisé un film de personnages, que savent rendre touchants leurs interprètes, Céleste Brunnquell, déjà la tête sur les épaules, et Quentin Dolmaire, précieux dans sa diction mais encore indécis dans ses actes...
LA FILLE D'ALBINO RODRIGUE (Christine Dory, 10 mai) LL
Une jeune fille de dix-sept ans, qui grandit dans une famille d'accueil, passe ses étés chez ses parents biologiques. Surprise, cet été là, seule sa génitrice l'accueille. Sa perplexité s'accroît lorsqu'elle demande des explications... L'intrigue, bien qu'inspirée d'un fait divers réel, est d'un niveau téléfilm, ce qui pourra s'avérer rédhibitoire. Heureusement, les films ne se réduisent pas forcément à leur seul scénario, et celui-ci peut compter sur le jeu de Galatéa Bellugi, aussi incrédule que nous, et sur une mise en scène sans effets mais précise et élégante, ce qui permet d'éviter l'indigestion.
LE PRINCIPAL (Chad Chenouga, 10 mai) LL
Principal adjoint d'un collège, Sabri Lahlahi compte bien devenir principal "tout court", tout en voulant le meilleur pour son fils adolescent. Il a conquis son ascension sociale à la sueur de son front, est dans les petits papiers de sa supérieure (Yolande Moreau), mais va commettre une grosse faute... Le récit est fort, malheureusement chaque scène est filmée comme ne devant pas dévier de la trame poursuivie. Roschdy Zem tient heureusement le film, et, avec sa composition sobre mais juste, apporte des nuances qui enrichit la réalisation un peu mécanique de Chad Chenouga.
CHIEN DE LA CASSE (Jean-Baptiste Durand, 19 avr) LL
Dans une petite commune du Sud de la France, deux potes (enfin presque : l'un est régulièrement le souffre-douleur de l'autre) voient leur relation ébranlée par l'arrivée, pour les vacances, d'une étudiante de leur âge. Comme on n'est pas dans Le Genou de Claire (Rohmer), le social s'invite à l'écran, notamment parce que l'un des deux est un peu le dealer du coin. Ce n'est d'ailleurs pas un film de mise en scène (aucune ambition formelle), mais plutôt un film de personnages : si Anthony Bajon et Galatéa Bellugi assurent, Raphaël Quenard détonne par le bagou de son personnage, un peu horripilant mais touchant quand on apprend à le connaître...
L'AMOUR ET LES FORÊTS (Valérie Donzelli, 24 mai) L
Adapté librement du roman éponyme d'Eric Reinhardt, ce film sur l'emprise d'un homme sur sa femme est inattaquable sur le fond. Contrairement à certains commentaires, je ne trouve pas qu'il soit très hitchcockien, car il aurait fallu que le méchant soit réussi. Or la composition de Melvil Poupaud laisse perplexe : dès le début, on sent qu'il n'est pas net, et on se demande comment Blanche peut tomber dans le panneau. Et les scènes entre Blanche et sa soeur jumelle Rose (toutes deux interprétées par Virginie Efira), hommage trop appuyé à Deneuve - Dorléac, ne sont pas toujours convaincantes. Dommage, car il y a beaucoup de comédiennes qu'on apprécie dans les seconds rôles (Dominique Reymond, Marie Rivière, Virginie Ledoyen dans un rôle trop court).
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