- Bien : Interdit aux chiens et aux italiens (Alain Ughetto), Nos soleils (Carla Simon), Retour à Séoul (Davy Chou), Venez voir (Jonas Trueba), Pour la France (Rachid Hami), Nostalgia (Mario Martone), Ashkal, l'enquête de Tunis (Youssef Chebbi), La Famille Asada (Ryôta Nakano)
- Pas mal : Un petit frère (Léonor Serraille), Tar (Todd Field), Tirailleurs (Mathieu Vadepied), Aftersun (Charlotte Wells)
INTERDIT AUX CHIENS ET AUX ITALIENS (Alain Ughetto, 25 jan) LLL
Dans ce nouveau film d'animation, Alain Ughetto raconte l'histoire de ses ancêtres, venus d'Italie en France pour fuir la pauvreté. Mais derrière les péripéties familiales, c'est aussi une histoire du XXè siècle qui se dessine... Le film est réalisé pour l'essentiel en stop motion, mais la main du cinéaste s'invite parfois dans le plan pour tendre un objet à la figurine représentant un de ses aïeuls, ou pour le questionner. La narration est portée par la voix d'Alain Ughetto lui-même, mais aussi par celle d'Ariane Ascaride, qui interprète sa grand-mère. On notera également la simplicité inventive des décors (brocolis devenant une végétation, morceaux de sucre devenant briques). A l'opposé de certains devoirs de mémoire récents aussi ostensibles que formellement discutables, la reconstitution proposée par Alain Ughetto est à la fois d'une grande force et d'une grande sobriété.
NOS SOLEILS (Carla Simon, 18 jan) LLL
Une famille d'agriculteurs récolte leurs pêches peut-être pour la dernière fois, le véritable propriétaire des terres voulant raser les pêchers pour y installer des panneaux solaires. Après l'excellent Eté 93, Carla Simon confirme son talent. Chaque membre de la famille réagit à sa façon propre. La réalisatrice s'attarde plus particulièrement sur ce qu'en perçoivent les enfants (qui saisissent, et nous avec, des conversations en vol par exemple). Résultat : l'immersion dans la vie paysanne est particulièrement réussie. Sur le fond, c'est le deuxième film en un an, avec As bestas, qui montre un conflit d'usage entre utilisation agricole et développement des énergies renouvelables. Et ce qui se passe quand on laisse libre cours à la loi du marché ou la loi du plus fort. D'où l'importance de politiser l'écologie (par une planification démocratique au plus près des territoires, dans une perspective sociale ou "écosocialiste").
RETOUR A SEOUL (Davy Chou, 25 jan) LLL
Freddie, une jeune femme de 25 ans, a grandi en France auprès de ses parents adoptifs. Elle improvise un séjour en Corée du Sud, le pays de ses parents biologiques... Le cinéma traite assez rarement de l'adoption internationale du point de vue des personnes adoptées devenues adultes. Amandine Gay en avait tiré un beau documentaire, Une histoire à soi. Avec le même parti pris de départ, Davy Chou propose une fiction, mais sans que ce soit un film à thème ou à thèse. Car son héroïne, interprétée par Park Ji-min, comédienne non professionnelle (artiste plasticienne dans le civil), a une très forte personnalité. Outre que le personnage est fascinant (bien que pas toujours sympathique), cela rend le film, par ailleurs traversé d'ellipses, totalement imprévisible et donc intense...
VENEZ VOIR (Jonas Trueba, 4 jan) LLL
Deux couples d'amis, qui s'étaient perdus de vue, se retrouvent lors d'une soirée concert à Madrid. L'un des couples annonce la venue prochaine d'un enfant, et leur installation à la campagne. Six mois plus tard, le couple de citadins leur rend visite... L'argument est mince, et le film est court, tout en étant une réussite plus importante qu'il n'y paraît. Jonas Trueba a réuni des interprètes qui faisaient déjà partie de ses opus précédents (notamment Itsaso Arana, l'héroïne du célébré Eva en août, et Vito Sanz, excellent dans la pépite Los Exiliados romanticos). Autant Eva en août pouvait paraître un peu étriqué dans une sociologie de petite bourgeoisie intellectuelle urbaine, autant Venez voir, pourtant dans le même milieu, se fait sous l'apparence badine un peu plus grave, dans les conversations inquiètes comme dans tout ce qui ne se dit pas (belle mise en scène et belle direction d'acteurs).
POUR LA FRANCE (Rachid Hami, 8 fév) LLL
Aïssa, qui venait d'intégrer l'école militaire Saint-Cyr, est retrouvé noyé après un "bahutage" (selon l'institution, comprendre "bizutage"). Ismaël, son grand frère, tente d'y voir plus clair et de défendre l'honneur d'Aïssa. Le film, inspiré par l'affaire Jallal Hami (le propre frère du réalisateur, mort dans les mêmes circonstances en 2012), se concentre sur les premiers jours suivant le décès, pendant lesquelles la famille tente d'offrir la meilleure cérémonie d'hommage à Aïssa. Mais au gré des souvenirs d'Ismaël, le film se fait ample, entre un début d'enfance commune à Alger et une confrontation entre les deux frères à Taïwan, où le cadet poursuivait de brillantes études. Rachid Hami a bien dirigé ses remarquables interprètes (Karim Leklou, Shaïn Boumedine, Lubna Azabal...). Son film n'est pas un pamphlet, mais est assez éloquent face à la Grande Muette...
NOSTALGIA (Mario Martone, 4 jan) LLL
Après de longues années passées faire carrière à l'étranger, Felice, un homme dans la cinquantaine, revient à Naples, sa ville natale, auprès de sa mère gravement malade. Sur place, il repense à Oreste, son mystérieux ami d'enfance devenu figure du milieu local... Le film est loin d'être maladroit dans la mise en scène, avec ses longs plans de déambulations dans la ville (qui sont tout sauf touristiques). Mais le plus réussi reste le personnage de Felice, incarné par le grand acteur Pierfrancesco Favino, qui rate une nouvelle fois de peu le prix d'interprétation à Cannes, après son rôle non moins marquant dans Le Traître de Marco Bellocchio.
ASHKAL, L'ENQUÊTE DE TUNIS (Youssef Chebbi, 25 jan) LLL
Dans un quartier en friche de Tunis, qui était destiné à devenir un quartier d'affaires avant la chute du régime de Ben Ali, un homme est retrouvé mort brûlé. Curieusement, il ne semble pas s'être débattu. Deux policiers, un homme et une femme, tentent d'élucider le mystère... Pour son premier long métrage, Youssef Chebbi a opté pour le polar : formellement, certaines scènes témoignent de la maîtrise du genre cinématographique, mais derrière l'enquête se dressent petit à petit d'autres enjeux, comme si au fond elle n'était qu'un prétexte pour prendre, au moins de manière métaphorique, le pouls de la société et des institutions tunisiennes, et de la transition espérée vers la démocratie.
LA FAMILLE ASADA (Ryôta Nakano, 25 jan) LLL
Dans un registre d'abord truculent, on suit une famille japonaise. Dès l'enfance, le fils cadet développe un goût pour la photo, et veut en faire son métier. Pas très assidu dans ses études, il doit réaliser un book pour valider son diplôme. Il a l'idée de photographier des scènes fictionnelles, et a un certain goût pour la mise en scène. Plus tard, dans une deuxième partie, il va être rattrapé par des considérations plus graves, et grandir... Même si le scénario ne fait pas tout, rien ne sert d'en savoir plus pour goûter le charme de cette comédie dramatique qui tente de mettre le spectateur ou la spectatrice dans sa poche pour mieux l'émouvoir d'une autre façon ensuite.
UN PETIT FRERE (Léonor Serraille, 1er fév) LL
C'est une sorte de saga, courant sur plusieurs décennies, qui suit l'évolution d'une famille d'origine ivoirienne : Rose la mère célibataire (Annabelle Lengronne), venue s'installer en France au début des années 80, et ses deux fils Jean (interprété à l'âge adulte par Stéphane Bak, repéré chez Guédiguian) et Ernest. Ils ont tous les trois droit à leur chapitre... Pour son deuxième film, Léonor Serraille suit ces trajectoires sur le ton de la chronique, plus romanesque que simplement sociologique, avec parfois des longueurs. Paradoxalement, ce sont les ellipses qu'elle réussit le mieux. Elle sait terminer son film : le dernier quart d'heure, où apparait Ahmed Sylla (Ernest à l'âge adulte), émeut (avec une petite note politique), car bénéficie à plein de toutes les graines semées jusque là...
TAR (Todd Field, 25 jan) LL
Tar, une cheffe d'orchestre renommée, exerce dans un prestigieux orchestre symphonique allemand. On suit cet univers élitiste où les musiciens ne ménagent pas leurs efforts pour tendre vers une parfaite maîtrise. Dans ce cadre, les relations humaines peuvent être, volontairement ou non, impitoyables, avec également des enjeux de pouvoir et de reconnaissance... La vision de ce que doit être la musique pour ces personnages est malheureusement assez proche de la morale véhiculée par Whiplash, le film qui a fait connaître Damien Chazelle. Todd Field s'en sort malgré tout mieux, car Cate Blanchett livre une composition à la fois fascinante et subtile (alors que les grandes Nina Hoss et Noémie Merlant sont sous-employées).
TIRAILLEURS (Mathieu Vadepied, 4 jan) LL
1917. Thierno, 17 ans, est enrôlé de force dans l'armée française et doit partir en métropole, au front, en première ligne. Son père s'engage, avec l'intention de le protéger... Les scènes africaines du début, qui montrent la période coloniale, sont assez saisissantes. Les séquences dans les tranchées et le camp de base sont plus communes, visuellement, mais assez inédites dans le sens où les dialogues sont en grande partie en langue peule. Bien servi par Omar Sy, Alassane Diong et Jonas Bloquet, le film n'aurait peut-être pas déplu à Bertrand Tavernier, même s'il manque peut-être parfois une vision pour que le résultat soit toujours à la hauteur de ses ambitions.
AFTERSUN (Charlotte Wells, 1er fév) LL
Une jeune femme dans la trentaine se remémore des vacances passées vingt ans plus tôt, seule avec son père, séparé de sa femme... Il n'y a en apparence presque pas d'enjeux dans ce premier long métrage de Charlotte Wells, et les images semblent à première vue banales. Il y a néanmoins quelque chose d'intéressant dans le personnage du père, que le film appréhende par toutes petites touches (raison pour laquelle il ne faut rien divulguer à l'avance). La réalisatrice a un peu trop usé de la gomme pour vraiment convaincre, mais cette petite esquisse est prometteuse...
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