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Des films de l'été 2019

  • Bien : So long, my son (Wang Xiaoshuai), Bunuel après "L'Âge d'or" (Salvador Simo), Wild Rose (Tom Harper), 303 (Hans Weingartner), Rojo (Benjamin Naishat), Ricordi ? (Valerio Mieli), Haut les filles ! (François Armanet), Acusada (Gonzalo Tobal), La Grand-Messe (Valéry Rosier, Méryl Fortunat-Rossi)
  • Pas mal : Midsommar (Ari Aster), Le Daim (Quentin Dupieux), Face à la nuit (Ho Wi-Ding), Daniel Darc, pieces of my life (Marc Dufaud, Thierry Villeneuve), Nevada (Laure de Clermont-Tonnerre), Perdrix (Ewan Le Duc), L'Intouchable (Ursula MacFarlane)
  • Bof : La Femme de mon frère (Monia Chokri), Yesterday (Danny Boyle)
  • Hélas : Once upon a time... in Hollywood (Quentin Tarantino)

SO LONG, MY SON (Wang Xiaoshuai, 3 juil) LLL
Deux garçons jouent près d'une retenue d'eau. Ce sont les enfants de deux couples d'amis (ils travaillent dans la même usine). Un drame va se nouer, qui va bouleverser cette situation. A l'instar des Eternels de Jia Zhang-ke, c'est une fresque qui s'étend sur plusieurs décennies. La chronologie est bousculée par un montage labyrinthique qui organise un système de flash-backs et d'ellipses. Le premier mérite, c'est d'inviter le spectateur à être actif, et de retenir idéalement son attention pendant les trois heures de projection. Mais c'est surtout une manière de creuser l'émotion et la réflexion, et de mêler dans le même mouvement l'intime, le social et les bouleversements politiques (la politique de l'enfant unique, mise en place à la fin des années 1970 et abandonnée en 2015, l'entrée dans l'économie de marché). Pas de maquillage superflu, seules les brillantes interprétations de Yong Mei et Wang Jingchun suggèrent les effets du temps qui passe.

BUNUEL APRES "L'ÂGE D'OR" (Salvador Simo, 19 juin) LLL
1930, à Paris : la projection de L'Âge d'or de Bunuel fait scandale. Du coup, personne ne veut financer ses films suivants. Le photographe Elie Lotar lui apporte une thèse de Maurice Legendre sur les Hurdes, une région isolée d'Estrémadure d'une extrême pauvreté, et lui suggère d'en tirer un court métrage. Il trouve l'appui financier de Ramon Acin, un poète et sculpteur anarchiste qui vient de gagner à la loterie ! Sur place, Bunuel, Acin et Lotar sont rejoints par le poète Pierre Unik, déjà assistant réalisateur de L'Âge d'or... Cet épatant film d'animation est en quelque sorte le making of, reconstitué d'après la légende, du documentaire Terre sans pain (Las Hurdes en vo). Des extraits fascinants du court-métrage culte sont insérés au montage entre deux séquences animées, sans que ça nuise du tout à la fluidité de l'ensemble. Une belle réussite.

WILD ROSE (Tom Harper, 17 juil) LLL
Rose-Lynn sort tout juste de prison, mais n'a qu'une obsession : devenir chanteuse de country, ce qui signifie pour elle quitter son Glasgow natal pour Nashville. Pour sa mère, elle devrait plutôt trouver un vrai boulot, qui lui permettrait d'élever correctement ses deux jeunes enfants. C'est un film musical, certes, mais qui s'inscrit dans la grande tradition des films sociaux britanniques. Contrairement au film-karaoké formaté de Danny Boyle, les personnages ne sont pas des ectoplasmes : quand Rose-Lynn chante à tue-tête en passant l'aspirateur (elle est femme de ménage chez un couple de bourgeois cultivés), on y croit, idem pour tous les personnages. Elle est interprétée par Jessie Buckley, issue d'un télé-crochet, ébouriffante de présence aussi bien dans le chant que dans le registre dramatique.

303 (Hans Weingartner, 24 juil) LLL
Jule a 24 ans et vient de rater un partiel de biologie. Avec le vieux camping-car familial (le 303 du titre), elle compte rejoindre son petit ami au Portugal. Sur une aire, elle croise Jan, un garçon du même âge, également étudiant, qui part à la recherche de son père biologique, installé en Espagne et qu'il ne connaît pas. Jan a été planté par la personne qui devait le covoiturer. Jule et Jan vont donc faire de la route ensemble. C'est un road-movie, presque rohmérien dans sa façon de suivre la façon dont ils s'ouvrent, se ferment à l'autre, se disputent, dans chaque plan, chaque dialogue, chaque inflexion de jeu. Mais un Rohmer déniaisé politiquement (le réalisateur de The Edukators ne s'est pas embourgeoisé), où les discussions peuvent porter autant sur la concurrence ou la coopération, sur la remise en cause du capitalisme que sur la monogamie. D'une grande délicatesse et d'une grande acuité, on pardonne d'autant les petits défauts (balancer une ballade folk dès qu'ils font trois kilomètres...).

ROJO (Benjamin Naishat, 3 juil) LLL
Argentine, 1975, peu avant le coup d'Etat. Claudio est un avocat réputé, et un notable local : il faut le voir, dans une des premières scènes, humilier un homme moins chanceux qui s'en prend à lui, dans un restaurant figé par le malaise. L'altercation va mal se terminer. Claudio tente d'étouffer l'affaire, dans le désert tout peut disparaître... C'est le début d'un polar politique intrigant, dans l'atmosphère délétère de hantise du "rouge" (rojo en argentin) qui précéda la dictature. Cela imprègne le scénario bien sûr, mais aussi tous les détails de mise en scène : rien n'est neutre dans cet exercice de style. Dario Grandinetti, formidable acteur chez Almodovar (Parle avec elle), est parfait dans le rôle principal, dans un personnage de plus en plus indéfendable.

RICORDI ? (Valerio Mieli, 31 juil) LLL
Ils se sont rencontrés à une fête et se sont aimés tout de suite. Pourtant leurs souvenirs divergent, par exemple sur la façon dont ils étaient habillés. C'est une grande histoire d'amour, qui nous est racontée à travers les mémoires des deux protagonistes, entre Elle qui veut croquer la beauté des choses et Lui qui vit davantage dans les souvenirs et cherche à reproduire l'excellence des premières unions. Leur présent va être lesté de ces pensives émotions venues du passé... Dit comme ça, ça peut paraître théorique (et casse-gueule, n'est pas Resnais qui veut), mais le montage, qui certes abuse parfois des plans courts, rend tout cela fluide, cohérent malgré les fragments hétéroclites, et extrêmement sensible. Les interprétations intenses bien que retenues de Linda Caridi et Luca Marinelli poussent également dans ce sens.

HAUT LES FILLES ! (François Armanet, 3 juil) LLL
Documentaire sur le rock hexagonal, mais en déclinaison féminine. Ils font malicieusement débuter l'histoire avec Edith Piaf. Co-écrit par Bayon, le film bénéficie d'une voix off alerte ("En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des pétroleuses"), mais surtout de dix témoins de diverses générations, dans une conception assez élastique de la notion de rock, puisqu'elle va de Vanessa Paradis à Brigitte Fontaine (qui détonne, toujours au-dessus de la mêlée sans jamais être au centre), en passant par Françoise Hardy, Elli Medeiros, Charlotte Gainsbourg, Jeanne Added, Lou Doillon, Imany, Camélia Jordana, et Jehnny Beth (Savages). Le propos est parfois engagé, et les archives savoureuses.

ACUSADA (Gonzalo Tobal, 10 juil) LLL
Seule accusée pour le meurtre de sa meilleure amie, Dolorès, jeune étudiante, attend son procès depuis deux ans. Sa famille, aisée, a fait appel au meilleur avocat de la région. Mais elle ne doit pas convaincre seulement les jurés, mais aussi les médias qui se déchaînent (savoureux cameo de Gael Garcia Bernal), mettant à l'épreuve son clan... Ce n'est pas un film conceptuel, mais Gonzalo Tobal met ses talents de mise en scène au service d'un thriller judicieusement ironique et ambigu. L'exercice est réussi, grâce également au talent de Lali Esposito, troublante à souhait...

LA GRAND-MESSE (Valéry Rosier, Méryl Fortunat-Rossi, 3 juil) LLL
Deux réalisateurs belges rendent hommage au Tour de France, comme évènement populaire plus que pour la compétition sportive. En 2017, ils ont suivi des spectateurs qui ont installé leurs camping-cars, parfois deux semaines avant le passage des coureurs, afin d'être aux premières loges. Les scènes sont montées dans l'ordre chronologique, d'où un certain crescendo. Les jours sont rythmés par les rencontres avec d'autres fans de vélo, les apéros, les repas sous la tonnelle, les retransmissions télévisées des dernières heures de course... Les réalisateurs ont aussi eu le bon goût de filmer à hauteur de leurs personnages, avec bienveillance, sans céder à l'ironie facile, le tout dans de beaux paysages de montagne.

MIDSOMMAR (Ari Aster, 31 juil) LL
Rien ne va plus entre Dani, une jeune américaine, et son petit ami Christian, lorsque la jeune femme est frappée par une tragédie. Attristé par le deuil familial brutal qui affecte Dani, Christian ne peut la laisser seule et lui propose de l'accompagner dans un voyage qu'il réalise avec d'autres étudiants en anthropologie pour assister à un festival dans un village suédois isolé... Là-bas, comme dans Insomnia, les nuits sont très courtes (été nordique oblige), mais l'expérience ne sera pas insouciante pour autant. C'est une sorte de film de genre, dans lequel l'influence de The Wicker man se fait sentir (au bout d'une demi-heure). L'exercice de style est plutôt réussi, en dépit des incohérences et des invraisemblances du scénario (festival qui ne se déroule que tous les 90 ans, mais les cycles de la communauté sont de 72 ans...).

LE DAIM (Quentin Dupieux, 19 juin) LL
C'est l'histoire d'un type qui avale des kilomètres pour acheter un blouson en daim et à franges. Se prétendant réalisateur, il n'arrête pas de le filmer au caméscope. Mais bientôt, ce blouson exige d'être unique au monde. Georges va alors essayer de convaincre tout le monde d'enlever leur blouson, ou sinon... D'une certaine manière, ce vêtement particulier remplit une fonction similaire au pneu de Rubber (2010), à ce jour le meilleur film de Quentin Dupieux. Ici, on retrouve le même sens de l'absurde, même si on a plus de mal à y croire (mais c'est peut-être subjectif). Les comédiens ne sont pas en cause, Jean Dujardin et Adèle Haenel se sont en effet bien acclimatés à cet univers.

FACE A LA NUIT (Ho Wi-Ding, 10 juil) LL
Le premier segment nous plonge dans un monde futuriste où le suicide est interdit et où tous les citoyens ont une puce électronique sous la peau pour les localiser et enregistrer leurs données vitales. Dans ce contexte, un vieux flic entre dans un hôpital et étouffe un ministre dans son lit. Pourquoi ? Et quelle est cette fille qui lui rappelle quelqu'un ? Le film raconte son histoire à rebours, faisant le récit de trois nuits qui ont fait basculé sa vie. Bien sûr, l'intérêt réside davantage dans la manière (dont certains ralentis arty qui peuvent faire penser à Wong Kar-wai) que dans le fond, pas toujours au niveau des promesses du début.

DANIEL DARC, PIECES OF MY LIFE (Marc Dufaud, Thierry Villeneuve, 24 juil) LL
Pendant des années, Marc Dufaud a filmé à de nombreuses reprises Daniel Darc, dans des images de qualité diverse. C'est ce matériau que Thierry Villeneuve (lui même ancien bassiste et batteur du groupe Les Hurleurs) a déstructuré dans un brillant travail de montage, proposant un film-collage kaléidoscopique, qui sied finalement assez bien au chanteur torturé. Ses collaborateurs Frédéric Lo (à l'origine de l'album de la résurrection, Crève-coeur) et Georges Betzounis apportent également des éclairages intéressants. Dommage que la musique soit finalement cantonnée à la portion congrue (par exemple on n'entend jamais La Pluie qui tombe, seuls deux vers de ce petit chef d'oeuvre sont placés en exergue, à la toute fin).

NEVADA (Laure de Clermont-Tonnerre, 19 juin) LL
Incarcéré dans une prison du Névada, Roman est à fleur de peau, hargneux. Un jour, on lui propose d'intégrer un programme spécial reposant sur le dressage de mustangs, qui favoriserait sa future réinsertion et diminuerait les risques de récidive. Pas convaincu, au départ il renâcle, puis il évolue lentement... Pour son premier long-métrage, Laure de Clermont-Tonnerre combine le film de prison avec une sorte de western démythifié (on pense surtout aux misfits des Désaxés de John Huston). Le film ne mérite ni sarcasmes ni les louanges excessifs. Dans ses grandes lignes, le déroulement est assez prévisible, mais la mise en scène est maîtrisée, bien servie également par l'interprétation de Matthias Schoenaerts en brute au coeur tendre mais mutique, qui a des relations compliquées avec sa fille (Jason Mitchell) et son encadrant (Bruce Dern).

PERDRIX (Ewan Le Duc, 14 août) LL
Une jeune femme (Maud Wyler) se fait voler sa voiture par une nudiste révolutionnaire, et va porter plainte à la gendarmerie. Les trouvant trop procéduriers, elle s'active et s'incruste chez le gendarme qui l'a reçue (Swann Arlaud), qui vit avec sa mère (Fanny Ardant), une veuve jouant les Macha Béranger dans son garage, son frère (Nicolas Maury), mû par une passion difficile à partager, et sa nièce fada de ping-pong. La jeune femme et le gendarme ont des caractères très éloignés, mais... Pour son premier film, le réalisateur Ewan Le Duc, ancien journaliste sportif au Monde, crée des personnages attachants, mais la fantaisie y est parfois un peu forcée (les collègues du gendarme), et trop gratuite (on ne sent pas de vision du monde ou de la société). Plaisant mais pas renversant.

L'INTOUCHABLE (Ursula MacFarlane, 14 août) LL
L'intouchable du titre, c'est Harvey Weinstein, le producteur vedette du cinéma américain "indépendant", accusé de viols et de multiples agressions sexuelles. L'intérêt du documentaire, c'est la réunion de nombreux et courageux témoignages, plus édifiants que les multiples articles déjà publiés, et qui permettent de comprendre le modus operandi de l'homme de pouvoir. On peut d'autant plus regretter la facture télévisuelle de l'ensemble, entre musique convenue et trop présente, et plans de chambres d'hôtel filmées floues et au ralenti... A voir plus pour le fond que pour la forme.

LA FEMME DE MON FRERE (Monia Chokri, 26 juin) L
Sofia est une doctorante qui est dubitative par rapport à son avenir, personnel comme professionnel. Elle use d'un humour cinglant, notamment dans ses réparties avec son frère, qu'elle adore. Jusqu'au jour où ce dernier tombe amoureux de la gynéco qui vient d'avorter Sofia... Monia Chokri était une excellente comédienne chez Xavier Dolan (Les Amours imaginaires), elle passe de l'autre côté de la caméra de façon moins convaincante. Le point de départ est sympathique, le thème de la difficulté à grandir a déjà donné de beaux films. Mais ici, il aurait fallu un peu plus de finesse dans les ruptures de ton et un peu plus d'ampleur dans la mise en scène pour éviter un résultat un peu étriqué.

YESTERDAY (Danny Boyle, 3 juil) L
Après une gigantesque panne d'électricité mondiale, Jack, musicien modeste, se réveille dans un monde où personne n'a entendu parler des Beatles (ni, logiquement, du groupe Oasis), pas même sa meilleure amie (et manageuse). Il décide de s'approprier leur répertoire pour faire décoller sa carrière... Dans cette comédie romantique, et musicale, une fois le point A franchi, le point B vers lequel on s'achemine est bien celui auquel on s'attend. La bande son a beau être solide, le film a l'air de suivre une partition très convenue, pour des personnages très stéréotypés. Un film de droite moyen qui dans son dernier mouvement tente d'adopter une morale aussi hypocrite qu'opportuniste. Let it be ? Bof !

ONCE UPON A TIME... IN HOLLYWOOD (Quentin Tarantino, 14 aou) o
Leonardo Di Caprio interprète un acteur qui peine à sortir des rôles de méchant, et Brad Pitt incarne sa doublure pour les cascades. Ils habitent à côté du couple Roman Polanski - Sharon Tate, on est en 1969... Première surprise, de taille : le Hollywood du titre n'est pas celui du cinéma, mais celui des séries. Quoi, Tarantino, l'amoureux de la pellicule argentique, rend hommage à la télévision ? Son film est une longue suite de scènes qui ne fonctionnent pas très bien (même une séquence humoristique avec soi-disant Bruce Lee est poussive). En fait, tout est fait pour servir un final plus indigeste encore que celui de Inglorious basterds. Tarantino utilise son talent et ses très gros moyens pour parodier des revenge movie de série Z ? Quel gâchis...

Version imprimable | Films de 2019 | Le Mercredi 28/08/2019 | 0 commentaires




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