- Bravo : Sorry we missed you (Ken Loach)
- Bien : Le Traître (Marco Bellocchio), Proxima (Alice Winocour), La Cordillère des songes (Patricio Guzman), Little Joe (Jessica Hausner), Gloria Mundi (Robert Guédiguian), Le Char et l'olivier (Roland Nurier), It must be heaven (Elia Suleiman)
- Pas mal : Debout sur la montagne (Sébastien Betbeder), A couteaux tirés (Rian Johnson), Knives and skin (Jennifer Reeder)
SORRY WE MISSED YOU (Ken Loach, 23 oct) LLLL
Ken Loach aurait pu s'arrêter après Moi, Daniel Blake, sa deuxième Palme d'or. S'il revient, ce n'est pas pour ne rien dire. Son affaire, c'est d'abord celle de Ricky, un père de famille qui tente de se refaire en se mettant à son propre compte (pense-t-il) en tant que chauffeur-livreur qui vend ses services à une plateforme de type Uber. Il s'endette pour acheter un camion, mais il compte sur un rapide retour sur investissement. Evidemment, ça ne va pas se passer comme ça... A première vue, le film peut sembler constituer le second volet d'un diptyque constitué avec le précédent. Or si le premier réservait des pointes d'humour acides et rageuses, celui-ci assume le drame, presque un mélodrame, mais sans effet (musique réduite à la portion congrue). On voit la vie de famille du personnage principal, et ce n'est pas si fréquent chez Loach. La situation de sa femme, auxiliaire de vie à domicile, toujours à vadrouiller à horaires discontinus, est d'ailleurs tout aussi poignante. Et tout cela n'est pas sans conséquences sur les enfants... Il est de bon ton, dans certains milieux cinéphiles, de dénigrer le naturalisme qui est parfois confondu avec une absence de style. Mais la puissance implacable de ce film vient démontrer le contraire (au pire, c'est une magnifique exception à la règle).
LE TRAÎTRE (Marco Bellocchio, 30 oct) LLL
Cela commence par une fête interne à Cosa nostra, au début des années 1980, où les mafieux de Palerme et ceux de Corleone scellent leur entente pour se partager les fruits du trafic d'héroïne. Tout le reste du film, qui ne verse jamais dans une mythologie à l'américaine, va démentir ces flonflons. On suit en particulier Tommato Buscetta, l'un des premiers "repentis" de Cosa nostra (lui dit qu'il est resté fidèle à son "honneur" mais que c'est l'organisation qui a trahi ses valeurs), et qui va surtout collaborer avec le juge Falcone. Les deux hommes savent que les risques qu'ils prennent sont immenses. Cela aboutira à un maxi-procès qui donne lieu aux scènes les plus extravagantes et les plus fortes du film (où les prévenus sont contenus tant bien que mal dans des cages grillagées tel des fauves). Marco Bellocchio change de style et surprend avec cette fresque chronologique mais d'une grande ampleur. Quant à Pierfrancesco Favino, magistral en Buscetta, il aurait très bien pu obtenir le prix d'interprétation à Cannes, si la Palme d'or avait échu à Douleur et gloire. Dans la vraie vie, Almodovar n'a pas eu la récompense suprême, et Le Traître est malheureusement rentré bredouille...
PROXIMA (Alice Winocour, 27 nov) LLL
D'un premier abord, le film semble s'inscrire dans la lignée d'un certain revival du cinéma spatial. En effet, on y suit Sarah (Eva Green), une astronaute française qui s'apprête à rejoindre pour un an une station spatiale en orbite, la dernière mission avant Mars... Mais le film est assez éloigné des productions hollywoodiennes type First man (Damien Chazelle, 2018). D'abord parce que l'entraînement y a une place prépondérante, y compris un campement, à la belle étoile (forcément). Ensuite parce que c'est l'histoire singulière d'une femme dans un monde d'hommes, qui devra déjouer les préjugés sexistes. Et enfin parce que c'est aussi l'histoire de la séparation (provisoire, sauf accident) entre Sarah et sa fille de 8 ans, la bien-nommée Stella. Et, chose suffisamment rare pour être soulignée, l'enfant n'est pas là pour émouvoir ou faire mignon : Stella a une vraie personnalité (Zélie Boulant-Lemesle, toujours juste), et fait presque littéralement décoller le film.
LA CORDILLERE DES SONGES (Patricio Guzman, 30 oct) LLL
Presque dix ans après l'excellent Nostalgie de la lumière, Patricio Guzman clôt sa trilogie méditative sur le Chili, qui emmêle paysages, histoire et devoir de mémoire. Après le désert d'Atacama, c'est dans la Cordillère des Andes, qui recouvre près de 80 % du territoire chilien, qu'il puise son inspiration. Mais à cette matière philosophique et poétique, il mêle à la première personne du singulier ses souvenirs d'exilé, tout en recueillant d'autres témoignages, comme celui de Pablo Salas, qui n'a cessé de filmer des manifestations et de les archiver, même pendant les heures les plus sombres du pays. Il y est bien sûr question une nouvelle fois de la dictature de Pinochet, mais aussi du ravage des politiques néolibérales que le régime a expérimentées, qui sont restées en place après sa chute et ont été appliquées au monde entier, avec le résultat que l'on sait...
LITTLE JOE (Jessica Hausner, 13 nov) LLL
Alice est une phytogénéticienne reconnue. Elle vient de créer une fleur étrange, révolutionnaire, qui, si l'on en prend bien soin, aurait le pouvoir de rendre son propriétaire heureux. Sans attendre les derniers résultats des labos et sa mise sur le marché, elle en offre une à Joe, son fils adolescent qu'elle élève seule... Jessica Hausner excelle dans l'ironie froide, clinique, distanciée (notamment dans l'excellent Amour fou). C'est encore le cas ici. Le film distille un malaise, par une série de petits incidents (l'utopie technoscientifique virant comme on s'en doute à la dystopie), et par un sens aiguisé de la mise en scène : couleurs étranges (y compris dans la chevelure d'Emily Beecham, prix d'interprétation féminine à Cannes), sens du cadre et de la composition des plans... La cinéaste prouve qu'on peut faire du cinéma à la lisière du fantastique sans tomber dans les clichés du genre.
GLORIA MUNDI (Robert Guédiguian, 27 nov) LLL
Cela commence par un événement heureux : la naissance de la petite Gloria. Mais la famille est précaire : le papa tente de s'en sortir en devenant chauffeur-livreur pour une célèbre plateforme. Et, comme dans le dernier Ken Loach (Sorry we missed you), cela ne va pas très bien se passer... Mais le propos de Guédiguian est un peu autre. Il dresse le constat d'une société qui a perdu le sens de la solidarité, et où même celles et ceux qui n'ont pas grand chose semblent contaminés par l'idéologie individualiste. Par exemple, Ariane Ascaride joue un personnage non gréviste... Quant à Grégoire Leprince-Ringuet et Lola Naymark, ils campent un jeune couple qui se vante de réussir en tenant une boutique de dépôt/vente qui exploite les plus pauvres qu'eux. Le contrepoint est donné par le grand-père biologique de la nouvelle venue, qui sort d'une longue peine de prison et compose des haïkus. Un personnage humaniste et sacrificiel, l'un des plus beaux jamais incarnés par Gérard Meylan.
LE CHAR ET L'OLIVIER (Roland Nurier, 6 nov) LLL
Certes, ce documentaire sur le conflit israélo-palestinien a été fait avec quelques dizaines de milliers d'euros, et son originalité ne réside pas dans la recherche formelle, il est surtout constitué d'entretiens. En revanche, sa rigueur intellectuelle et son souci de pédagogie constituent ses grandes forces. A l'aide d'historiens, de journalistes (notamment Dominique Vidal et Alain Gresh), de membres de l'ONU ou de simples citoyens, il donne les clés pour retracer les enjeux historiques et juridiques de ce territoire, de la partition artificielle entre la France et la Grande-Bretagne de la Palestine historique jusqu'aux origines colonialistes du sionisme (parfois soutenu par des antisémites, ce qui rend particulièrement déplorable l'assimilation faite jusqu'au sein de l'Assemblée nationale française entre antisionisme et antisémitisme), des conséquences de la Shoah au traitement discutable du conflit par les médias dominants (l'impossible équilibre entre colons et colonisés). Un beau film didactique, touffu, et "partial" puisque tout simplement en faveur du respect du droit international.
IT MUST BE HEAVEN (Elia Suleiman, 4 déc) LLL
Elia Suleiman continue de cultiver son personnage à la Buster Keaton pour son apparente placidité (observateur muet, une exception confirmant la règle), mais le style pourrait tout aussi bien faire penser à Jacques Tati (incongruité de la composition des plans, humour lent). Dans une succession de saynètes sans transitions, il propose un triptyque Nazareth / Paris / New York. Vu d'ici, le deuxième segment est le plus satirique : fantasme de la ville-mode, obsession de la sécurité cf défilé de chars devant la Banque de France, ou encore la montée de l'individualisme, s'asseoir dans un jardin public devenant un jeu de chaises musicales...
DEBOUT SUR LA MONTAGNE (Sébastien Betbeder, 30 oct) LL
Quatorze ans après s'être perdus de vue après le lycée, trois amis d'enfance, Bérénice, Stan et Hugo se retrouvent dans leur village natal, à l'occasion de l'enterrement du frère de ce dernier. Après avoir démissionné de l'Education nationale, Hugo s'est réinstallé dans le village, afin d'écrire un spectacle de stand up et vendre la ferme familiale. Bérénice et Stan, qui sont eux-aussi à la recherche d'un équilibre, squattent aussi chez lui et lui tiennent compagnie. Il y a beaucoup de fantaisie (le curé fan de films d'horreur), peut-être un peu trop, des touches fantastiques, y compris le fait que le trio subvienne à ses besoins sans travailler. Mais les personnages sont très attachants, et le cadre montagnard agréable...
A COUTEAUX TIRES (Rian Johnson, 27 nov) LL
Un amateur de romans policiers à succès meurt dans son manoir, au nez et à la barbe de sa famille, dans des conditions douteuses. La police conclut à un suicide par auto-égorgement, mais un détective privé, mandaté sur place par on ne sait qui, ne l'entend pas de cette oreille... C'est une sorte de Cluedo, avec beaucoup de beau monde (Daniel Craig, Jamie Lee Curtis, Michael Shannon, Toni Collette). La solution est un peu trop logique, on devine assez vite qui est réellement derrière tout cela. Mais cela n'empêche pas le film d'être amusant, avec notamment un personnage d'infirmière dévouée (Ana de Armas) qui vomit lorsqu'elle ment, et que les circonstances accusent...
KNIVES AND SKIN (Jennifer Reeder, 20 nov) LL
Dans une petite ville des Etats-Unis, une lycéenne disparaît mystérieusement, après avoir repoussé les avances d'un garçon. Ses amies tentent d'y voir clair... Le film se focalise sur un groupe d'adolescentes, épouse leurs points de vue face à des adultes dépassés. Sur le fond, c'est un récit d'apprentissage féministe qui tombe à pic. Sur la forme, Jennifer Reeder mélange les genres, thriller sardonique, comédie musicale, romance lesbienne, et n'a pas peur de saturer les couleurs et d'affubler ses personnages de costumes extravagants, à mille lieues de tout naturalisme. Le résultat est inégal, mais le geste est fort.
Derniers commentaires
→ plus de commentaires