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Des films de l'automne

  • Bien : Carré 35 (Eric Caravaca), La Villa (Robert Guédiguian), Au revoir là-haut (Albert Dupontel), Detroit (Kathryn Bigelow), Un beau soleil intérieur (Claire Denis), Corps et âme (Ildiko Enyedi), 12 jours (Raymond Depardon), Makala (Emmanuel Gras), La Belle et la meute (Kaouther Ben Hania), Happy birthdead (Christopher Landon), Demain et tous les autres jours (Noémie Lvovsky)
  • Pas mal : Le Sens de la fête (Eric Toledano, Olivier Nakache), Heartstone (Gudmundur Arnar Gudmundsson), Battle of the sexes (Jonathan Dayton, Valérie Faris), Le Musée des merveilles (Todd Haynes), La Lune de Jupiter (Kornel Mundruczo), Jeune femme (Léonor Serraille)
  • Bof : The Square (Ruben Östlund)

CARRE 35 (Eric Caravaca, 1er nov) LLL
Le Carré 35 du titre désigne l'emplacement de la tombe de la soeur aînée d'Eric Caravaca, morte à l'âge de trois ans, qu'il n'a jamais connue, et dont les parents n'avaient gardé aucune photographie... Le documentaire d'Eric Caravaca est donc une enquête sur sa propre famille, mais il sait nous la raconter comme s'il s'agissait de notre propre famille ou d'une fiction à suspense. L'exercice est assez analogue à celui qu'avait réussi Mariana Otero (Histoire d'un secret, 2003), dans la mesure où l'intime rejoint l'universel et où l'histoire familiale croise la grande Histoire, collective, politique. Une enquête très touchante, bien menée, qui sait ménager des respirations, et où pudeur et frontalité se rejoignent harmonieusement...

LA VILLA (Robert Guédiguian, 29 nov) LLL
Prévenons d'emblée les amateurs de scénario bien rebondi : il n'y a (presque) pas de véritable intrigue dans La Villa, et pourtant c'est un film d'une très grande richesse. Autre paradoxe, il y a unicité de lieu : un petit port construit dans une calanque, un territoire délimité par la mer d'un côté et un viaduc ferroviaire de l'autre, mais ce n'est nullement un cocon incitant au repli sur soi, mais plutôt un décor (formidable) où peut s'inviter toute la douleur du monde. Ariane Ascaride, Gérard Meylan et Jean-Pierre Darroussin campent une fratrie distendue revenue auprès de leur père devenu aphasique et paralysé après un accident cardiaque. L'air de rien, le film aborde beaucoup de questions contemporaines ou intimes. Solaire et sombre, il raconte le combat (forcément) perdu contre la fuite du temps, mais aussi l'importance de trouver la force de continuer à défendre sa dignité et celle de tous les opprimé-e-s du système capitaliste mondialisé, qu'ils viennent d'ici ou d'ailleurs. On arrête ou on continue, se demandait-on dans Mon père est ingénieur. Robert Guédiguian a choisi de continuer, magnifiquement.

AU REVOIR LA-HAUT (Albert Dupontel, 25 oct) LLL
1918. Dans un ultime assaut, alors que l'armistice est déjà acquis, deux poilus se sauvent mutuellement la vie, mais l'un d'entre eux revient défiguré du conflit (Nahuel Perez Biscayart, la révélation de 120 battements par minute). Ce début donne le ton d'une grande fresque populaire et intime, dans laquelle Albert Dupontel cinéaste peut exprimer sa révolte contre l'absurde patriotisme d'alors et l'ordre social établi (pas sûr que son propos soit seulement historique...). Pierre Lemaître co-signe l'adaptation de son roman éponyme qui lui a valu le prix Goncourt en 2013. Mais assez vite, le style du film fait penser à une bande dessinée haut de gamme (Tardi n'est pas loin), où les moindres personnages secondaires (surtout masculins) sont des trognes hautes en couleurs. Du cinéma très incarné (et à la Carné), mais avec aussi plein d'inventions : c'est de loin le film le plus abouti de Dupontel en terme de mise en scène.

DETROIT (Kathryn Bigelow, 11 oct) LLL
Après un préambule en animation rappelant le passé raciste des Etats-Unis, le film est une minutieuse reconstitution des émeutes raciales de 1967 à Detroit. Comme une métonymie, le film se resserre peu à peu sur une partie qui symbolise le tout (un peu comme l'hallucinante partie de roulette russe figurait la guerre du Vietnam dans Voyage au bout de l'enfer), à savoir la tragédie de l'Algiers Motel, où plusieurs afro-américains (dont un groupe de musiciens, The Dramatics) furent pris en otage par des policiers blancs et racistes recherchant un sniper. Certains ne passeront pas la nuit... Le film-dossier est terriblement efficace, les scènes de huis-clos sont d'une grande tension, mais sans une once de complaisance, et en évitant le manichéisme (le film dénonce un système d'oppression raciale, mais avec des nuances au niveau des individus).

UN BEAU SOLEIL INTERIEUR (Claire Denis, 27 sep) LLL
C'est l'histoire d'une femme divorcée d'une cinquantaine d'années qui a des expériences pas très heureuses avec les hommes. Le premier que l'on voit à l'écran, interprété par Xavier Beauvois, se révèle assez odieux, voire un "porc" (selon le terme utilisé actuellement dans la libération de la parole autour des agressions sexuelles). On a d'abord l'impression d'un catalogue pas passionnant des petites (ou grandes) lâchetés masculines, où les dialogues, cosignés par Christine Angot, semblent sonner creux. Puis, au bout d'un moment, on se rend compte que le film contient sa propre critique, qu'il est plus profond qu'on le pensait au départ. Formellement, il est exécuté avec une impressionnante précision, que ce soit l'interprétation de Juliette Binoche, la photographie de la fidèle Agnès Godard, ou l'utilisation extrêmement fine de la musique (Stuart Staples), sans que ça vire au maniérisme. Quant à la dernière scène, irrésistible, c'est une des fins les plus réussies de l'année. Un film qu'on peut aimer d'autant plus qu'on lui a résisté un moment...

CORPS ET ÂME (Ildiko Enyedi, 25 oct) LLL
Endre est directeur d'un abattoir, Maria en est la nouvelle contrôleuse qualité. Lui a perdu l'usage de son bras gauche, elle est psychorigide et a du mal à entrer en contact avec les autres. Mais chaque nuit, inexplicablement et sans s'en rendre compte immédiatement, ils se retrouvent en rêve, sous la forme d'un cerf et d'une biche, qui cherchent de la nourriture sous le sol enneigé ou s'abreuvent au bord d'un petit lac. Les images sont somptueuses et contrastent avec leur vie quotidienne, et les animaux entassés avant d'être abattus... Le jury du festival de Berlin a eu une bonne idée de décerner son Ours d'or à ce film si original. Formellement, la mise en scène de Ildiko Enyedi, cinéaste hongroise trop rare, est d'une précision impressionnante, mais jamais en surplomb de ses personnages, ce qui permet le déploiement d'une belle réflexion sur les rapports humains (mais sans anthropocentrisme), l'incomplétude de chacun, et leur apprivoisement mutuel progressif...

12 JOURS (Raymond Depardon, 29 nov) LLL
Douze jours, c'est depuis une loi de septembre 2013 le délai maximal au terme duquel les patients internés sans leur consentement sont présentés devant un juge des libertés et de la détention qui doit statuer sur la prolongation ou l'arrêt de leur hospitalisation. Ce sont ces audiences que Raymond Depardon a été autorisé à filmer, dans un dispositif de champ-contrechamps qui rappelle ses documentaires sur le monde judiciaire (Délits flagrants, 10è chambre, instants d'audience), et qui ici permet de mettre la parole des uns et des autres sur un pied d'égalité. En réalité, le juge ne peut se baser que sur les rapports d'expertise des psychiatres. Peut-on juger à partir de quand un individu présente un danger pour autrui ou lui-même ? Les témoignages sont d'autant plus poignants que la société en général et le monde du travail en particulier sont de plus en plus impitoyables en matière de rythmes, d'efficacité ou de rapports humains (il n'est pas anodin que l'une des patientes a fait carrière chez Orange).

MAKALA (Emmanuel Gras, 6 déc) LLL
En République du Congo, Kabwita, un jeune villageois pauvre, veut améliorer le quotidien de sa famille. On le voit abattre un arbre de la brousse environnante, construire un four naturel pour en faire du "makala" (charbon de bois en langue swahili). Puis vint le trajet homérique dans lequel il pousse le vélo-brouette sur lequel il a attelé sa cargaison, pour atteindre la ville, avant de faire face en bout de course à la dure loi de l'offre et de la demande... Un tel sujet aurait pu donner lieu à un documentaire édifiant. Or Emmanuel Gras, sans aucune voix off ou incrustation écrite à l'écran, par la seule force de sa mise en scène, sait transfigurer ce récit en une épopée presque mythologique, accompagnant son héros dans des cadrages choisis, une lumière naturelle utilisée de façon optimale et saisissante.

LA BELLE ET LA MEUTE (Kaouther Ben Hania, 18 oct) LLL
Au début c'est l'insouciance. Dans les toilettes d'un club où se déroule une soirée universitaire qu'elle organise, Mariam se remaquille et essaie une robe moulante et décolletée prêtée par une copine. Ellipse. Mariam court dans la nuit, elle vient d'être violée par deux policiers. Avec l'aide de Youssef, un garçon rencontré pendant la fête, elle va entamer une longue odyssée pour porter plainte et faire valoir ses droits. Le film est entièrement tourné en plans-séquences à l'aide d'une steadycam (images très stables). Au début, ce choix technique déconcerte (impression de déréalisation), mais au fur et à mesure que le film avance, il s'avère de plus en plus judicieux. Kaouther Ben Hania a réalisé une charge contre l'impunité des violences policières et la culture du viol (fléaux que l'on connaît aussi de ce côté de la Méditerrannée), mais sans tomber dans le manichéisme (par exemple tous les hommes ne sont pas logés à la même enseigne). D'une certaine manière, la cinéaste a aussi filmé la naissance d'une prise de conscience politique.

HAPPY BIRTHDEAD (Christopher Landon, 15 nov) LLL
Le lendemain d'une soirée trop arrosée, une étudiante se réveille. La journée s'annonce compliquée, c'est son anniversaire, mais ce n'est rien à côté de ce qui l'attend. Le soir, elle se fait assassiner par un tueur masqué, mais au lieu de mourir, est condamnée à revivre perpétuellement cette journée, coincée dans une boucle temporelle. Elle va profiter de ces réitérations pour tenter de démasquer la personne coupable, éviter le meurtre et sortir de cette boucle épuisante... Bien sûr, on peut trouver le projet futile (en gros, une parodie de Scream, mixée au principe scénaristique de la comédie culte Un jour sans fin, explicitement citée par un des personnages), mais le résultat est suffisamment réjouissant pour être signalé.

DEMAIN ET TOUS LES AUTRES JOURS
(Noémie Lvovsky, 27 sep) LLL
Mathilde a 9 ans. Ses parents sont séparés, et elle vit seule avec sa mère, fragile psychologiquement. La gamine fait tout pour aider cette dernière, mais est-ce que ce sera suffisant ? Le sujet choisi par Noémie Lvovsky pour son nouveau film n'est certes pas très original, mais est éminemment personnel (il y avait déjà une mère souffrant d'une maladie mentale dans La Vie ne me fait pas peur, qu'elle a réalisé en 1999). Mais c'est le traitement du sujet qui fait la réussite de celui-ci. Il y a de l'intelligence dans chaque scène, de l'émotion contenue, de la poésie aussi (notamment dans les dialogues de Mathilde avec une chouette douée de parole). La forme est originale, comme souvent chez Noémie Lvovsky (souvenez-vous du choeur dans Les Sentiments). Après le triomphe de Camille redouble, elle revient avec un film plus modeste, plus secret, qui vaut aussi pour l'interprétation de la jeune Luce Rodriguez et de Noémie Lvovsky elle-même, toute en délicatesse.

LE SENS DE LA FÊTE (Eric Toledano, Olivier Nakache, 4 oct) LL
Un mariage en grande pompe, vu du côté des petites mains de la petite entreprise qui s'occupe du déroulement de la soirée. Certes, le film semble se situer politiquement dans un centre-droit optimiste : le petit patron (Jean-Pierre Bacri, dans un rôle taillé pour lui) a les mêmes craintes que le MEDEF devant l'URSSAF et les "charges" sociales, et transmettre à son équipe une incessante capacité d'adaptation semble être son sacerdoce. Pour autant, ce bréviaire libéral discret n'empêche pas ce film choral d'être sympathique. Chaque personnage a des défauts, mais trouve sa place dans le collectif (aucun problème de racisme par exemple). Les deux réalisateurs ont eu le sens du casting (mélanger des interprètes de films d'auteur - Vincent Macaigne et Antoine Chappey - avec des comédiens plus populaires - Gilles Lellouche - et de nouveaux visages - Eye Haidara...) et un sens de l'humour finalement assez communicatif.

HEARTSTONE (Gudmundur Arnar Gudmundsson, 27 déc) LL
Ce sont les grandes vacances pour Thor et Christian, deux jeunes adolescents inséparables qui vivent dans un village isolé de pêcheurs en Islande. L'un d'entre eux va tenter de conquérir le coeur d'une fille, tandis que l'autre ne semble pas éprouver d'attirance particulière. Il s'agit d'un double récit d'apprentissage, mais avec également une dimension sociale. Le film accumule des petits détails, avec parfois quelques facilités dans le scénario. Mais dans l'ensemble il arrive à mêler dans un décor naturel magnifique des choses parfois cruelles avec une grande sensibilité. Les jeunes interprètes, filles et garçons, sont assez convaincants, ce sont même eux qui tiennent le film.

BATTLE OF THE SEXES (Jonathan Dayton, Valérie Faris, 22 nov) LL
Le titre renvoie au match de tennis qui opposa en 1973 Billie Jean King, alors numéro 2 mondiale, âgée de 29 ans et qui vient de créer la WTA et réclame l'égalité des primes entre femmes et hommes dans le tennis professionnel, et Bobby Riggs, ancien numéro un mondial, alors âgé de 55 ans, et qui multiplie les provocations machistes. Par ailleurs Billie Jean, mariée à un avocat qui soutient sa carrière, entretient pour la première fois de sa vie une liaison homosexuelle. On l'aura compris, c'est une comédie féministe bien intentionnée, par les auteurs de Little Miss Sunshine, dont l'issue ne fait guère de doute, aussi plaisante, voire charmante (merci Emma Stone et Steve Carell) que dénuée de surprise, avec sa structure scénaristique ultra-classique.

LE MUSEE DES MERVEILLES (Todd Haynes, 15 nov) LL
1977. Après un accident singulier, le jeune Ben, environ 12 ans, perd l'audition. Comme sa mère est décédée peu de temps auparavant, il décide de fuguer pour se rendre à New York à la recherche de son père depuis longtemps disparu. 1927. Rose, une fille sourde de naissance, grande amatrice du cinéma muet qui va bientôt laisser la place au parlant, quitte elle aussi sa petite ville pour partir à la recherche d'une star de Hollywood qui se produit sur un théâtre de Broadway... Pendant une heure et demie, les deux parcours sont montrés dans un montage alterné bien trop systématique pour convaincre pleinement, avec des correspondances bien trop soulignées (un peu comme dans Loin du paradis, un de ses précédents films). La magie finit par opérer dans les vingt dernières minutes dans un décor formidable (le Queen's Museuum). Un film que j'aurais aimé aimer davantage (mention au scénario de Brian Selznick adapté de son propre roman, et à de jolies trouvailles dans la bande son).

LA LUNE DE JUPITER (Kornel Mundruczo, 22 nov) LL
La lune de Jupiter, c'est bien sûr Europe, mais surtout l'Europe-forteresse, qui laisse mourir des milliers d'êtres humains à ses frontières. Les premières scènes, réalistes, montrent des migrants aux portes de la Hongrie, assaillis par la police. Un des flics blesse par balle un jeune réfugié syrien, qui en réchappe miraculeusement en développant un don pour la lévitation. Un médecin tentera de l'aider et surtout d'exploiter financièrement ce don pour éponger ses dettes. La première heure laisse présager un grand film politique. Malheureusement, dans sa deuxième moitié, le récit est pris dans une logique narrative propre qui l'éloigne à grand pas du sort des migrants, et qui n'est plus qu'un prétexte à des scènes d'une grande virtuosité technique (mais esthétiquement discutable).

JEUNE FEMME (Léonor Serraille, 1er nov) LL
Le titre du film est on ne peut plus générique, mais la personne qui fait l'objet du rôle principal est on ne peut plus singulière. Après de nombreuses années passées au Mexique comme compagne et muse d'un photographe à succès, Paula rentre à Paris et se fait bientôt plaquer. Elle va tenter d'aller de l'avant... Laetitia Dosch (La Bataille de Solférino) interprète de façon magistrale une jeune femme revêche qui peut être tour à tour exaspérante et attachante, un peu à l'image du film, inégal, qui manque de point de vue social et hésite entre glorification de la bohème et dénonciation timide de la précarité. Le propos féministe sous-jacent est plus convaincant. Caméra d'or à Cannes (meilleur premier film selon ce jury).

THE SQUARE (Ruben Östlund, 18 oct) L
Le titre du film renvoie à une installation exposée dans un musée d'art contemporain, un carré tracé au sol qui figure un sanctuaire dans lequel règnent confiance et altruisme, et où l'égalité en droits et en dignité est garantie. Le conservateur du musée est très fier d'exposer cette oeuvre. Très fier tout court, jusqu'au jour où il se fait voler son portefeuille et son portable et où il imagine un stratagème pour les récupérer. Le problème n'est pas son intention satirique, mais la lourdeur du trait et la prétention du regard du cinéaste. Dès qu'on perçoit où il veut en venir (misanthropie où l'individualité est égoïsme et où le collectif est effet de foule), le film perd de son intérêt, y compris dans deux scènes supposées fortes mais vainement étirées (une discussion post-coïtum autour d'un préservatif usagé, un happening soi-disant dérangeant d'un artiste imitant un grand singe lors d'une soirée dédiée au mécénat).

Version imprimable | Films de 2017 | Le Vendredi 15/12/2017 | 0 commentaires




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