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Des films de début 2022

  • Bien : Memory box (Joana Hadjithomas, Khalil Joreige), Petite Solange (Axelle Ropert), Mes frères et moi (Yohan Manca), Une jeune fille qui va bien (Sandrine Kiberlain)
  • Pas mal : Twist à Bamako (Robert Guédiguian), Arthur Rambo (Laurent Cantet), Introduction (Hong Sang-soo), Scream (Matt Bettilleni-Olpin, Tyler Gillett), En attendant Bojangles (Régis Roinsard), L'Ennemi (Stephan Streker), Licorice Pizza (Paul Thomas Anderson)

MEMORY BOX (Joana Hadjithomas, Khalil Joreige, 19 jan) LLL
Ce sont les vacances de Noël à Montréal. Un mystérieux colis en provenance de Beyrouth arrive chez Maia et sa fille Alex. Il s'agit de cahiers, de cassettes, de photographies, des lettres que Maia, pendant son adolescence, a envoyées de Beyrouth à sa meilleure amie partie à Paris pour fuir la guerre civile. Maia refuse de laisser ce passé remonter à la surface, mais Alex s'y plonge en cachette et découvre la vie de sa mère quand elle avait son âge... Dans cette fiction, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige continuent de s'intéresser à la mémoire et à sa transmission. Les allers-retours entre les deux époques sont assez limpides. Le récit est bien incarné, par les interprétations de Rim Turki et la jeune Paloma Vauthier pour l'époque contemporaine, et de Manal Issa (déjà vue chez Danielle Arbid dans Peur de rien) pour la jeunesse de la mère. Et, par ailleurs, on remarque que certaines scènes, stylisées, bénéficient du travail formel des deux cinéastes, qui ont plus d'une corde artistique à leur arc.

PETITE SOLANGE (Axelle Ropert, 2 fév) LLL
Une jeune fille de 13 ans assiste impuissante à la séparation de ses parents. Le matériau est banal mais, par son regard de cinéaste, Axelle Ropert en fait un grand film, court mais émouvant. Comme Jacques Demy, elle filme un instant sa petite héroïne déambulant dans le passage Pommeraye de Nantes (immortalisé dans Lola), suggérant l'attente de jours meilleurs, ou même la nécessité d'une traversée, des rives de l'enfance à celles de l'adolescence... Mais François Truffaut semble être une autre influence, peut-être plus grande encore, dans le soin apporté à la composition des plans, à une certaine musicalité (c'est un film très harmonieux sur un couac, une rupture), qui touche sans jamais rien souligner. Et surtout elle regarde avec subtilité Solange grandir, sans nier son caractère de jeune adolescente (il ne s'agit donc pas ici de réduire son personnage en lui plaquant des réflexions de future adulte en devenir). L'interprétation est au diapason, et on peut grandement apprécier, même sans références et quel que soit son âge, ce film limpide sur un sujet qui ne l'est pas forcément.

MES FRERES ET MOI (Yohan Manca, 5 jan) LLL
Je suis allé voir le film avec une légère appréhension. C'est l'histoire de Nour, le quatrième et petit dernier d'une fratrie vivant dans une cité populaire, sans père et avec une mère malade. Nour se passionne pour le chant lyrique (il y a une raison à cela). Le sujet n'est-il pas trop programmatique ? Le résultat tient de l'agréable surprise, convaincante et relativement insolite de par la place de l'opéra. Le premier long métrage de Yohan Manca peut rappeler un peu le cinéma de Jacques Doillon, moins dans la rigueur des plans que dans la description d'un âge où des degrés de liberté existent encore (alors que les grands frères sont montrés de façon plus physique et avec un regard plus déterministe). L'interprétation fait le reste : Judith Chemla et Maël Rouin Berrandou s'en sortent très bien.

UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN (Sandrine Kiberlain, 26 jan) LLL
La jeune fille du titre s'appelle Irène, elle a environ 18 ans, elle vit avec son frère, son père et sa grand-mère, mais s'intéresse aux garçons et est passionnée de théâtre (elle semble très douée et prépare activement un concours). Elle va bien, et est interprétée avec vivacité par Rebecca Marder, mais nous sommes en 1942, dans Paris occupé, et le monde extérieur ne veut pas du bien aux siens, puisqu'elle est juive. Sandrine Kiberlain a choisi de ne pas se concentrer sur la reconstitution historique (pas de grande scène d'extérieur, par exemple), mais la menace antisémite, d'abord hors champ, s'invite de plus en plus dans le cadre, même si Irène ne la voit pas, ou ne veut pas la voir. Ce qui donne un sommet d'inquiétude pour le père (André Marcon), un soir où elle découche. Et la sobriété dans la forme, loin de prêter le flan au révisionnisme, ne rend que plus poignant le final.

TWIST A BAMAKO
(Robert Guédiguian, 5 jan) LL
L'intérêt de la filmographie de Guédiguian est remarquable, mais ses derniers films véhiculaient des personnages jeunes redoutables de cynisme. Ce n'est pas le cas ici, mais le film est situé au Mali dans les années 1960, à l'époque de la propre jeunesse du cinéaste. Samba est le fils d'un riche commerçant de Bamako, mais soutient les velléités de réforme du premier président de la République du Mali, qui veut à la fois sortir de la tutelle colonialiste française, mais aussi des structures économiques du pays, féodales et capitalistes. Dans des campagnes pas forcément réceptives au discours révolutionnaire, Samba rencontre Lara, une jeune femme mariée de force qui rêve de liberté... Certains dialogues sont parfois très didactiques, mais la réflexion féconde et pertinente de Guédiguian est aussi dialectique : par exemple le twist donne-t-il du courage à la jeunesse engagée, dans leur parenthèse enchantée, ou éloigne-t-il des exigences du destin à accomplir ?

ARTHUR RAMBO (Laurent Cantet, 2 fév) LL
Karim D. vient de la banlieue parisienne, devient un écrivain reconnu par la critique. La maison d'édition anticipe un succès public de son nouveau livre, racontant le parcours de sa mère. Après une émission littéraire réussie, sa réputation tombe en flèche, après l'exhumation d'une série de tweets indéfendables, publiés des années auparavant sous le pseudonyme d'Arthur Rambo. Il a beau expliquer qu'il s'agissait d'un conte parodique caricaturant les outrances de l'époque (sexistes, homophobes, racistes - notamment antisémites, pro-terroristes etc, une sorte d'intersectionnalité à l'envers), il redescend l'échelle sociale encore plus vite qu'il ne l'a montée. Laurent Cantet refuse les interprétations trop faciles, mais fait du cinéma, par sa mise en scène précise, en s'appuyant sur le jeu solide de Rabah Naït Oufella (Entre les murs, Grave). Restent les questions relatives à Twitter : sociologiquement, qui utilise ce réseau social ? Les moeurs des 140 caractères et les algorithmes favorisent-ils la circulation de propos extrêmistes ? Des comptes parodiques ou caricaturaux peuvent-ils être reçus sans distance, et par qui (le film finit par répondre maladroitement à cette dernière question) ?

INTRODUCTION (Hong Sang-soo, 2 fév) LL
Ce film court est découpé en trois chapitres. Le fil rouge est un jeune homme qui hésite face à son avenir (devenir acteur ?). Il rend visite à son père médecin, est séparé de sa petite amie partie finir ses études en Allemagne, puis fait une rencontre avec un homme charismatique par l'entremise de sa mère... Ces trois épisodes sont séparés par des ellipses qui en disent beaucoup... Les enjeux sont néanmoins très ténus. Le style inimitable de Hong Sang-soo est bien là, noir et blanc hivernal, personnages intellectuels en lutte pour se réapproprier leurs vies à l'intérieur de leurs limites, scène de cuite révélatrice... mais le manque de contenu risque de conférer à cette forme soignée un caractère un peu vain.

SCREAM (Matt Bettilleni-Olpin, Tyler Gillett, 12 jan) LL
Le cinquième film de la saga n'a plus de numéro : il tient à la fois du remake du premier, et du sequel, c'est-à-dire venant à la suite des quatre précédents. Les trois personnages récurrents reviennent, mais ne sont plus au centre du récit, peuplé de nouvelles figures. Les retrouvailles sont satisfaisantes, et le principe n'est pas altéré, oscillant entre frisson premier degré et distance nourrie de références savoureuses. La profondeur psychologique n'a jamais été le fort des Scream, mais, pour les nouveaux arrivants, cela devient gênant, d'autant que la réalisation de Matt Bettilleni-Olpin et Tyler Gillett n'arrive pas à égaler la patte inimitable de Wes Craven, qui avait un certain doigté pour lier tous ces éléments.

EN ATTENDANT BOJANGLES (Régis Roinsard, 5 jan) LL
Le début donne le ton : on est dans une Riviera d'opérette, à la fin des années 1950, réanimant délicieusement en nous des images de La Main au collet d'Hitchcock ou des comédies d'aventures rocambolesques françaises des deux décennies suivantes (De Broca, Rappeneau). Coup de foudre entre deux personnages (Romain Duris, Bébel comme le jour, et Virginie plus Efira que jamais) qui préfèrent s'inventer des vies et des identités que composer avec la réalité. L'artifice est érigé en style, brillant de mille feux, au prix d'une constante invraisemblance parfois gênante (fêtes permanentes de personnages socialement instables), et l'inévitable retour de bâton semble tout aussi fabriqué (peut-être différent du roman), mais beaucoup moins convaincant dans son exécution. Exercice partiellement réussi mais sauvé par ses interprètes (dont Grégory Gadebois magnifique second rôle).

L'ENNEMI (Stephan Streker, 26 jan) LL
La femme d'un député wallon en pleine ascension meurt dans leur chambre d'hôtel commune. Suicide ou féminicide ? Les connaisseurs de la politique belge francophone auront reconnu l'affaire Wesphael, même si les noms ont été modifiés, comme peut-être d'autres éléments. Le réalisateur pose de nombreuses questions : la relation de couple était-elle fusionnelle ou toxique ? Le suspect, du fait de sa célébrité, bénéficie-t-il d'un traitement de faveur ou d'une exposition défavorable ? Le procès permettra-t-il de découvrir la vérité ? Stephan Streker essaie de résister à toute instrumentalisation, tout en montrant parfois plusieurs versions d'une même scène. Sa mise en scène semble plus hésitante que riche d'ambigüités, et, contrairement au mémorable Mystère von Bülow de Barbet Schroeder, manque d'intensité.

LICORICE PIZZA (Paul Thomas Anderson, 5 jan) LL
Des dithyrambes ont accompagné le nouveau film de Paul Thomas Anderson (There will be blood, Phantom thread). Il est situé dans la jeunesse américaine des années 1970, mais ses personnages ne sont pas traversés par les fécondes utopies de l'époque. Au centre du récit, un jeune homme, qui fait plus vieux que son âge supposé, est surtout préoccupé par le fait de trouver l'idée qui va marcher commercialement. Il pourrait tout à fait se situer dans le cynisme de l'époque contemporaine. Le film se laisse voir sans déplaisir, grâce à l'ardeur juvénile de ses interprètes, mais cette vivacité est contrebalancée par une mise en scène trop prétentieuse et ostentatoire.

Version imprimable | Films de 2022 | Le Samedi 05/02/2022 | 0 commentaires




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