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Mon aide-mémoire sur les films du festival Télérama 2019

PHANTOM THREAD (Paul Thomas Anderson)
Reynolds, un styliste de haute couture, fait la rencontre d'Alma, serveuse dans un restaurant. Il veut en faire son modèle, et plus si affinités. Au début du film, on peut se demander si ce n'est pas un autoportrait du cinéaste, c'est-à-dire de quelqu'un qui a du talent, mais dont les oeuvres sont parfois asphyxiantes de maîtrise (ou de prétention). Peu de miroirs dans l'atelier du maître, tout doit passer par le regard du créateur. Mais, assez rapidement, le centre du film va se déplacer vers Alma. Si Phantom thread était un film d'amour classique, ce serait la relation entre Reynolds et Alma qui serait au centre. Mais elle donne tellement, et lui tellement peu que le film devient un portrait de femme en quête d'émancipation. Malgré les interprétations voraces de Daniel Day-Lewis et Lesley Manville (qui joue la soeur très hitchcockienne de Reynolds), Alma (et son interprète Vicky Krieps) arrive à trouver sa place dans le film, alors qu'elle en a encore si peu dans l'univers si étouffant du couturier et de la classe sociale dont il fait partie. Comment Alma va-t-elle (ou non) s'émanciper ? Va-t-elle trouver une issue à l'intérieur de cette relation ou devra-t-elle rompre ? Ce sont les enjeux de ce beau film, bien servi en outre par la musique (inspirée) de Jonny Greenwood...

BURNING (Lee Chang-Dong)
Jong-su est un jeune homme réservé, presque apathique. Il est livreur à temps partiel, en attendant mieux : il admire Faulkner et désire être écrivain. Par hasard, il rencontre Hae-mi, une jeune fille qui a grandi dans le même village que lui. Ils apprennent à se connaître intimement. Puis elle part quelques semaines en Afrique, lui laissant le soin de nourrir son chat fantômatique (il ne pointe pas le bout d'une oreille). Lorsqu'elle revient, elle lui présente Ben, un jeune homme aussi riche que mystérieux et plein d'assurance, qu'elle a rencontré là-bas. C'est le début d'une étrange relation à trois, avant une nouvelle disparition... Le cinéaste de Poetry revient avec un film languissant, plus difficile d'accès mais splendide, librement inspiré d'une nouvelle de Mirakami. Il invite à dépasser ce qu'on voit à l'écran, de manière explicite lorsque Hae-mi épluche et fait mine de manger une mandarine invisible. On peut voir dans les liens entre le fils de fermier et le nanti intouchable et manipulateur un rapport de classe, mais aussi une rivalité amoureuse ou une paradoxale attirance. Si l'on ne reste pas au seuil, le film envoûte par sa profondeur secrète, et devient un des grands films de l'année, reparti injustement bredouille du festival de Cannes.

COLD WAR (Pawel Pawlikowski)
En Pologne, à la fin des années 1940, Wiktor, un pianiste et professeur de musique, est chargé de recruter des talents issus des classes populaires, afin de transfigurer les chants et danses folkloriques et en faire une vitrine qui glorifie le peuple. Il s'entiche rapidement de Zula, qui ne l'impressionne pas seulement par la justesse de sa voix, mais aussi par une personnalité très affirmée (irrésistible Joanna Kulig). S'ensuit pendant une quinzaine d'années une histoire d'amour contrariée (lorsqu'il a choisi l'exil, elle n'a pas pu ou voulu le suivre), avec ellipses et retrouvailles, sur le mode du "ni avec toi ni sans toi" doublé d'une autre impossibilité (ni à l'Est ni à l'Ouest et pas davantage en terrain neutre...). La forme, récompensée à Cannes par le prix de la mise en scène, est très travaillée, entre un noir et blanc somptueux, plus contrasté que celui de Ida, et une bande son riche en sessions musicales, chargée de sens et de ravissement pour les oreilles. Un grand film classique mais pas académique.

AMANDA (Mikhaël Hers)
David a 24 ans, et vit de plusieurs petits boulots : il est entre autres élagueur pour la mairie de Paris (il aime bien grimper aux arbres). Sa petite existence est remise en cause lorsque sa grande soeur, dont il était très proche, meurt brutalement dans un attentat. Il doit alors encaisser le choc, tout en prenant en charge Amanda, sa petite nièce de 7 ans... Comme dans ses deux premiers longs métrages (Memory lane, Ce sentiment de l'été), Mikhaël Hers filme la perte, les deuils à faire, ou plutôt les deuils qui nous font... Mais il le fait en reliant ces éléments personnels, qui font partie d'une intemporelle condition humaine, à une observation contemporaine de la marche du monde. C'est l'aspect intime qu'il réussit le mieux. Sa mise en scène reste d'une grande délicatesse. La lumière estivale et le grain si particulier de l'image permettent d'accompagner les personnages d'une enveloppe chaleureuse, mais aussi de la trace invisible de l'absente... Côté interprétation, Vincent Lacoste est à son meilleur.

PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE (Christophe Honoré)
Eté 1993. Arthur a 22 ans, est étudiant à Rennes lorsqu'il rencontre Jacques, un écrivain dandy parisien d'environ 40 ans et papa d'un jeune garçon. Le courant passe, une romance s'ébauche, mais pour Jacques le temps est compté... Cette nouvelle chronique sur le Sida dans les années 90 pourra souffrir pour certains de sortir quelques mois seulement après 120 battements par minute, mais les arguments des deux films sont assez différents : celui de Campillo était collectif et politique, tandis que celui d'Honoré travaille davantage les dimensions individuelle et romanesque. Bizarrement, contrairement à certains de ses films précédents les plus marquants (Les Chansons d'amour, La Belle personne...), il opte pour une mise en scène beaucoup moins référencée, très profil bas (on ne retrouve pas vraiment l'urgence suggérée par le titre), mais tire le meilleur de ses comédiens (Pierre Deladonchamps, Vincent Lacoste).

THE RIDER (Chloé Zhao)
Brady n'a guère plus de 20 ans, il est dresseur de chevaux. Doué, il a participé à de nombreuses compétitions, mais en est désormais privé après un tragique accident de cheval, au cours d'un rodéo. Cela aurait presque pu être un documentaire (les acteurs non professionnels jouent peu ou prou leur propre rôle), mais Chloé Zhao a décidé de les magnifier par la fiction. Comme pour Les Chansons que mes frères m'ont apprises, son premier film (prometteur), la réalisatrice chinoise exilée aux Etats-Unis a tourné dans la réserve de Pine Ridge. Son héros est donc un cow-boy sioux, ce qui permet d'aborder en creux de nombreuses questions (sur l'assimilation ou la relation homme-animal). Les plaines et collines, filmées à la tombée du jour, évoquent le western, mais c'est un film contemporain, en apparence simple mais s'inscrivant dans une tradition humaniste.

UNE AFFAIRE DE FAMILLE (Hirokazu Kore-Eda)
Une petite fille, visiblement battue, traîne dans la rue, et est recueillie par une famille... La famille est le sujet de prédilection de Kore-Eda depuis une bonne douzaine d'années, ce qui a donné des films sensibles, parfois franchement réussis (Still walking), parfois mineurs (I wish). Mais ici, il n'y a pas beaucoup de liens du sang dans cette cellule chaleureuse qui fait cohabiter trois générations. L'éducation est elle-aussi très alternative : la fille aînée s'exhibe dans un peep-show, tandis que le fils pré-ado fait souvent les courses, parfois accompagné de son père, mais sans jamais passer à la caisse... Le scénario est formidable, car il procède par petites touches, loin de rails programmatiques tout faits, mais en plus il est exécuté avec une grande intelligence. Hirokazu Kore-Eda pratique ici un cinéma inspiré et méticuleux, presque bressonien (pas seulement pour les pickpockets, mais aussi pour tout un art de la métonymie, par exemple quelques oranges qui roulent par terre deviennent poignantes...), tout en abordant avec grâce des thématiques fortes, qu'elles soient existentielles (la mort, la sexualité) ou sociales (la survie dans la pauvreté, la toute-puissance du patronat, l'insuffisance des couvertures sociales). Un sommet assez transgressif dans la carrière du cinéaste, et une Palme d'or méritée (même si plusieurs films étaient du même niveau, dans une sélection de très haute tenue).

LETO (Kirill Serebrennikov)
Un été au début des années 1980 à Leningrad. L'heure n'est pas encore à la Glasnost ou à la Perestroïka, mais un groupe de musiciens s'échangent de la main à la main des enregistrements de David Bowie et Lou Reed. C'est dans ce contexte qu'on suit les efforts de Mike Naumenko, l'un des artistes locaux les plus talentueux du moment, pour émerger : le rock n'est pas interdit en URSS, mais chaque morceau doit recevoir l'aval de certaines autorités. Mike est un peu plus âgé que les autres, il est marié à la belle Natacha (Irina Starshenbaum, dont les regards sont aussi un peu les nôtres) lorsqu'il rencontre le jeune Viktor Tsoï, en qui il décèle un véritable potentiel. Le film a, on le voit, quelques points communs avec Cold War (y compris dans le choix du noir et blanc), mais il s'en distingue toutefois. La mise en scène de Pawel Pawlikowski était toute en maîtrise et en ellipses maximales, alors que celle de Kirill Serebrennikov fait le choix de l'immersion totale dans une génération, à travers quelques figures (les deux musiciens vedettes ont réellement existé) qu'on suit à la trace dans leur quotidien et leurs désirs d'émancipation. Cela donne lieu notamment à des scènes d'envolées jubilatoires, qui se concluent par un personnage indiquant qu'elles n'ont jamais existé... Bref, la fièvre juvénile face aux freins de l'ordre établi. Dans l'état d'esprit, c'est donc un des films les plus punks de l'année.

EN LIBERTE ! (Pierre Salvadori)
Yvonne, jeune inspectrice de police, découvre que son mari, le capitaine Santi, héros local tombé au combat, n'était pas le flic courageux et intègre qu'elle croyait mais un véritable ripou. Déterminée à réparer les torts commis par ce dernier, elle va croiser le chemin d'Antoine, injustement incarcéré par Santi pendant huit longues années... Dans ce film très éloigné des comédies industrielles formatées, l'humour emprunte des registres si variés qu'on ne sait pas toujours d'où il va surgir ni quelles formes il va prendre : comique de répétition (la parodie de mauvais film d'action est pénible la première fois, mais est très drôle une fois qu'on a compris de quoi il s'agissait - le récit qu'Yvonne fait le soir à son fils des exploits de son père - et les variations à suivre), humour noir voire macabre, comique de situation ou à l'opposé très humain en exagérant les défauts ou caractères des personnages comme dans une comédie romantique ou à l'italienne. Mention spéciale aux comédiens, Adèle Haenel et Damien Bonnard en particulier.

LES FRERES SISTERS (Jacques Audiard)
Nous sommes en 1851, dans l'Oregon. Les Frères Sisters sont deux tueurs à gages. Ils sont missionnés par un mystérieux "Commodore" pour retrouver un détective chargé de suivre la trace d'un chercheur d'or visionnaire à plus d'un titre, et finir le boulot... La trame du film peut susciter de l'intérêt, même si elle n'est pas follement originale. Les deux frères ont en outre des caractères différents (le cadet est un meneur sans pitié, l'aîné est plus sensible). On trouvera aussi d'autres lectures, le problème étant qu'elles sont juste esquissées. Quant à la mise en scène, elle donne trop souvent l'impression d'une purge. Un deuxième film décevant d'Audiard après Dheepan.

LA PRIERE (Cédric Kahn)
Pas vu...

NOS BATAILLES (Guillaume Senez)
Olivier est employé d'une plateforme de distribution et lutte, en tant que chef d'équipe et syndicaliste, pour améliorer au quotidien les conditions de travail de ses collègues. Un jour, sa femme Laura, vendeuse, sur laquelle il se reposait pour l'éducation de leurs deux enfants, quitte inopinément le foyer et disparaît. Du jour au lendemain, il lui faut donc tout assumer, entre ses responsabilités professionnelles et familiales. Si le deuxième long métrage de Guillaume Senez peut compter sur l'interprétation de Romain Duris dans un de ses meilleurs rôles, il ne sacrifie aucun personnage, de Laura (Lucie Debay) dans le prologue du film à la soeur comédienne et intermittente du spectacle (Laetitia Dosch), de la copine syndicaliste (Laure Calamy) à la mère (Dominique Valadié). Chaque scène, que ce soit dans le monde du travail ou au sein de la famille, fait mouche. Un beau travail naturaliste, dans le meilleur sens du terme.

LA MORT DE STALINE (Armando Ianucci)
Pas vu...

UNE PLUIE SANS FIN (Dong Yue)
Dans le sud de la Chine, des meurtres sont commis sur des jeunes femmes. Alors que la police piétine, Yu Guowei, un chef de la sécurité d'une vieille usine, va mener sa propre enquête, qui va tourner à l'obsession, faisant courir des dangers à des personnes proches.... Le premier film de Dong Yue est ambitieux, plaçant son (faux ?) thriller dans un sous-texte politique (l'action se passe en 1997, à quelques mois de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine). On le suit avec intérêt. Mais sa stylisation manque de nuances (par exemple un abus de scènes sous la pluie), et l'ensemble fait un peu trop penser à Memories of murder, de Bong Joon-Ho, qui, avec sa maîtrise des ruptures de ton, était d'une toute autre ampleur.

GIRL (Lukas Dhont)
Lara a 15 ans. Elle a changé d'établissement scolaire, et voudrait devenir danseuse étoile. Mais son corps se plie difficilement à la discipline que requiert cette quête, d'autant plus que l'adolescente est née garçon... Voici un premier film très maîtrisé (lauréat de la Caméra d'or à Cannes), même si la route qu'il suit a déjà été balisée (par Billy Elliot et surtout Tomboy de Céline Sciamma). Pour arriver à ses fins, Laura suit un traitement hormonal qui lui permettra peut-être de subir l'opération, si importante à ses yeux, qui lui permettrait de faire coïncider son corps biologique avec l'identité de son intériorité. Lukas Dhont a choisi d'éviter les clichés : dans toutes ses épreuves, Lara peut s'appuyer sur le soutien indéfectible de son père (Arieh Worthalter, magnifique), d'autant plus qu'il n'y a pas de mère (l'élément féminin de la famille c'est bien elle). Enfin, le miracle du film, c'est d'avoir trouvé en Victor Polster un interprète incroyable, dans le sens où il est d'une maturité exceptionnelle dans ce rôle délicat alors même que sa puberté n'est pas terminée.

L'ILE AUX CHIENS (Wes Anderson)
Le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens sur une île au large de la ville, pour éviter la propagation d'une grippe canine. Atari, son neveu (et fils adoptif) de 12 ans, va partir à la recherche de Spots, qui y a été déporté. Pour la première fois, Wes Anderson livre un film explicitement politique, une fable futuriste intéressante (même s'il adopte une ligne claire assez manichéenne) inspirée d'un court métrage palmé à Cannes il y a une quinzaine d'années. C'est son deuxième film d'animation après Fantastic Mr Fox, mais le style n'est pas le même (il n'y a aucun anthropomorphisme par exemple, même si les chiens sont dotés de parole). Curieusement, le cinéaste est plus convaincant ici lorsqu'il filme des marionnettes comme de vrais personnages, que dans son précédent film, The Grand Budapest Hotel, où il filmait ses acteurs en chair et en os comme s'il s'agissait de pantins au sein d'une maison de poupées...

Version imprimable | Ephémères | Le Samedi 12/01/2019 | 0 commentaires




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