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Des films pour finir l'année 2019 (dont quelques rattrapages)

Article susceptible de s'enrichir

  • Bien : Le Lac aux oies sauvages (Diao Yinan), Notre Dame (Valérie Donzelli), An elephant sitting still (Hu Bo), J'ai perdu mon corps (Jérémy Clapin), La Fameuse invasion des ours en Sicile (Lorenzo Mattotti), L'Acre parfum des immortelles (Jean-Pierre Thorn), Jeune Juliette (Anne Emond), Le Voyage du Prince (Jean-François Laguionie, Xavier Picard), La Vie invisible d'Euridice Gusmao (Karim Aïnouz), Les Misérables (Ladj Ly)
  • Pas mal : Talking about trees (Suhaib Gasmelbari), Synonymes (Nadav Lapid), Star Wars IX : L'Ascension de Skywalker (J.J. Abrams), Seules les bêtes (Dominik Moll)
  • Bof : The Lighthouse (Robert Eggers), Les Eblouis (Sarah Suco)

LE LAC AUX OIES SAUVAGES (Diao Yinan, 25 déc) LLL
Un soir de pluie, sur le quai d'une petite gare, un homme et une femme font connaissance. Ils ne s'étaient jamais croisés, mais ne se rencontrent pas par hasard. Quelques flash-backs nous apprennent que Zhou Zenong fait partie d'un gang qui vole des motos et qu'il a tué un policier, pensant tirer sur un concurrent, tandis que Liu Aiai est une "baigneuse" (une prostituée) qui connaît la femme de Zhou. Compte tenu de la récompense accordée à qui retrouvera et dénoncera le fugitif, ce dernier est recherché à la fois par la police et par des truands... Diao Yinan s'était déjà fait remarquer il y a 5 ans avec Black coal, un polar dans le milieu minier. Ici, il livre un film d'une ampleur plus grande, de par une intrigue retorse, une direction d'acteurs impeccable (des personnages aux visages impénétrables pour ne pas signaler leurs intentions), et l'une des plus grandes mises en scène du dernier festival de Cannes, au niveau sonore comme visuel, dans la façon dont les scènes s'agencent et se répondent. Un travail qui, sans jamais tomber dans le pur exercice de style, peut faire écho aux films noirs de toujours comme aux films contemporains de Jia Zhang-Ke.

NOTRE DAME
(Valérie Donzelli, 18 déc) LLL
Maud Crayon, architecte, remporte le concours pour réaménager le parvis de Notre Dame, par méprise ou presque (sa maquette était celle d'un jardin d'enfants pour un autre projet). D'un jour à l'autre, elle dispose d'un budget important et cesse soudainement d'être méprisée par son boss. Dans le même temps, elle élève seule ses deux enfants, mais le père de ceux-ci, en froid avec sa compagne, passe parfois dormir à la maison... En dirigeant avec bonheur ses interprètes (dont elle-même et une Virginie Ledoyen enfin retrouvée), Valérie Donzelli réussit une comédie bien dans son époque (écrite et tournée avant l'incendie de la cathédrale), mais qui devrait rester, car elle emploie des moyens proprement cinématographiques (ce n'est pas un scénario filmé), renouant de façon inventive, et parfois euphorisante, avec le meilleur de la fantaisie et du burlesque.

AN ELEPHANT SITTING STILL (Hu Bo, 9 jan) LLL
Wei Bu, un lycéen dont le meilleur ami est harcelé par une bande de voyous, tient tête à son chef, et l'envoie involontairement valdinguer dans les escaliers avant de s'enfuir. Une de ses amies, élève dans le même lycée, a une liaison avec un enseignant. Un grand-père, que Wei Bu croise par hasard, est poussé par ses enfants à quitter le domicile familial pour aller en maison de retraite. Enfin, le frère aîné de celui qui a chuté dans les escaliers couche avec la femme de son meilleur ami, lequel se suicide... Une sorte de film choral à la chinoise, dans une ville tellement plongée dans un brouillard perpétuel qu'on se croirait parfois dans un noir et blanc, alors qu'il est bien tourné en couleurs. Certes, le film peut faire peur, par sa durée (3h54) ou à cause du destin tragique du cinéaste (suicidé après cet unique tournage). Pourtant, il mérite le détour, tellement la mise en scène est ample, envoûtante, avec ses plans séquences en steadycam (un simple long travelling à la maison de retraite en dit par exemple beaucoup), et, finalement, paradoxalement lumineuse.

J'AI PERDU MON CORPS (Jérémy Clapin, 6 nov) LLL
Montage alterné de deux histoires. Dans l'une, Naoufel, un jeune livreur de pizza orphelin, tombe amoureux de Gabrielle, dont il n'entend au début que la voix agacée lors d'une livraison ratée. Dans l'autre, sans parole, une main s'échappe d'un laboratoire et se met à la recherche de son propriétaire. On frissonne lorsqu'elle doit traverser la ville. Car, en plus, cette main, on va s'apercevoir qu'elle est dotée d'une âme. Elle se souvient du corps auquel elle était reliée, comme une personne mutilée continue de ressentir des sensations du membre perdu... Et bien sûr, les deux histoires ont partie liée. Guillaume Laurant (coscénariste du Fabuleux destin d'Amélie Poulain) est à l'origine de cet excellent scénario, mais c'est la manière avec laquelle Jérémy Clapin, dont c'est le premier long métrage, s'en empare qui fait le sel de ce film d'animation. L'inventivité est à tous les étages, sans que cela vire à la performance ; au contraire cette richesse nourrit l'intérêt que l'on porte à cette fable très singulière.

LA FAMEUSE INVASION DES OURS EN SICILE (Lorenzo Mattotti, 9 oct) LLL
Le vieux Gedeone et sa fille Almerina, baladins en balade, rencontrent au creux d'une montagne un énorme ours. Pour l'amadouer, ils décident de lui raconter une histoire d'ours... Tout commence le jour où Tonio, le fils du roi des ours, est enlevé par des chasseurs dans les montagnes de Sicile. Profitant de la rigueur d'un hiver qui menace son peuple de famine, le roi décide alors d'envahir la plaine où habitent les hommes. Avec l'aide de son armée et d'un magicien, il réussit à vaincre et finit par retrouver Tonio. Mais il comprend vite que le peuple des ours n'est pas fait pour vivre au pays des hommes, certains ours devenant "des hommes pour les ours"... Le roman graphique de Dino Buzzati était réputé inadaptable, mais le grand illustrateur italien Lorenzo Mattotti, débutant dans le long-métrage d'animation, y parvient, tout en restant fidèle à son style visuel inimitable. L'un des récits (car il y en a plusieurs...) est en outre porté par la voix chaleureuse de Jean-Claude Carrière, qui a c'est vrai de l'expérience dans le rôle de conteur...

L'ACRE PARFUM DES IMMORTELLES (Jean-Pierre Thorn, 23 oct) LLL
Documentariste engagé depuis un bon demi-siècle, Jean-Pierre Thorn livre un film-bilan, dans lequel il retrouve des figures de ses précédents documentaires, mais aussi se remémore sa première grande histoire d'amour achevée prématurément par la disparition de l'intéressée en pleine jeunesse. Grâce à un montage alerte et à son sens du récit, on comprend le fil rouge lui permettant de relier des sujets aussi différents que la poussée révolutionnaire de Mai 1968, les luttes de la décennie suivante (lui-même fut ouvrier spécialisé pendant dix ans), la culture hip-hop (dans les années 1990) des filles et fils des prolos précédemment rencontrés, jusqu'aux Gilets jaunes aujourd'hui. Sa manière, qui mêle à la fois un contenu politique substantiel, des embardées poétiques et artistiques (scènes de danse avec notamment Nach, improvisations magnifiques de Serge Tessot-Gay à la guitare), et un récit intime à la première personne du singulier, peut faire penser aux derniers films du chilien Patricio Guzman : les sujets diffèrent, mais c'est un même type de cinéma méditatif.

JEUNE JULIETTE (Anne Emond, 11 déc) LLL
Juliette a 14 ans, et ne se sent pas trop à l'aise au collège. Elle est un peu trop enrobée (elle ne s'en était pas aperçue, jusqu'à ce que des garçons la traitent de grosse). Elle est aussi plus mature que ses camarades de classe, elle adore lire et n'a qu'une seule amie, Léane, avec laquelle elle adore persifler et ironiser sur sa vie scolaire et familiale (elle a un frère aîné et un père qui les élève seul). Son prof principal l'a choisie pour accompagner un gamin de 11 ans légèrement surdoué et inadapté lors des portes ouvertes de l'établissement... L'adolescence est un sujet souvent traité au cinéma. Mais la cinéaste arrive à dépasser les conventions du genre, malgré quelques tics visuels, grâce à une écriture futée, pleine d'humour, qui ne donne pas de leçon, et au charisme de ces jeunes interprètes. Sans oublier, pour les spectateurs français, la finesse du joual (le langage fleuri du Québec).

LE VOYAGE DU PRINCE (Jean-François Laguionie, Xavier Picard, 4 déc) LLL
Avec l'aide de Xavier Picard, Jean-François Laguionie nous offre un prolongement du Château des singes réalisé en 1999, mais peut se voir indépendamment, tout ce dont il faut se rappeler est sur l'écran. Un vieux singe naufragé, le Prince, est sauvé par Tom, un autre singe d'une dizaine d'années, qui le conduit à ses parents, deux chercheurs bannis par l'Académie pour avoir osé croire à l'existence d'autres peuples et retirés dans un vieux muséum d'histoire naturelle... Une fois remis sur pied, le Prince, guidé par son ami Tom, découvre avec intérêt cette civilisation... Laguionie (et sa coscénariste Anik Le Ray) s'inspire du début du XXè siècle pour l'architecture de la ville, la fascination pour la science, les dérives (encore actuelles) du scientisme et du productivisme (l'obsolescence programmée), la cohésion par la peur, la fête foraine et le cinéma des origines (délicieuse séquence évoquant King Kong). Une jolie fable humaniste dénuée de toute niaiserie.

LA VIE INVISIBLE D'EURIDICE GUSMAO (Karim Aïnouz, 11 déc) LLL
Ample adaptation d'un livre signé Martha Bathala racontant le destin de deux soeurs brésiliennes, courant sur plusieurs décennies. On découvre Euridice et Guida, à la fin de leur adolescence, dans les années 1950, à Rio de Janeiro. La première veut devenir pianiste professionnelle, tandis que la seconde recherche un mariage d'amour. Chacune tente de favoriser la liberté ou l'émancipation de l'autre. Mais elles vont rapidement être séparées par les circonstances. Elles se perdent de vue, involontairement, et ne parviennent plus à se retrouver ensuite, chacune pensant que l'autre a refait sa vie à l'étranger. Les deux femmes vont se heurter à la domination masculine de la société brésilienne : l'une devant ravaler son ambition artistique, l'autre devenant mère célibataire après une grossesse non désirée... Le film, qui emprunte plus ou moins les codes du mélodrame, souligne le côté très romanesque du récit, même si ces destinées singulières renvoient au sort de générations entières de femmes.

LES MISERABLES (Ladj Ly, 20 nov) LLL
Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité (BAC) de Montfermeil. Il fait connaissance avec ses deux nouveaux coéquipiers, ainsi qu'avec la réalité sociale des quartiers, son économie parallèle faute de mieux. En enquêtant sur le vol d'un lionceau, ils procèdent à des interpellations musclées. L'une tourne mal, et est de plus filmée par un drone... Le premier film de fiction de Ladj Ly s'inspire d'un fait divers survenu en 2008. Si la forme ne renouvelle pas le genre (beaucoup de scènes "nerveuses" caméra à l'épaule), le fond est digne d'intérêt et échappe au sensationnalisme dépolitisé à la Dheepan de Jacques Audiard. Au contraire, à l'exception de la manière peu amène dont il filme des forains caricaturaux, il dénonce les agissements de la BAC, mais en les analysant en premier lieu comme des effets de structure, les personnages étant montrés de manière nuancée. Alors que des géographes médiatiques opposent les pauvres entre eux (banlieues vs campagnes), ce film a au moins le mérite de remettre les pendules à l'heure.

TALKING ABOUT TREES (Suhaib Gasmelbari, 18 déc) LL
C'est un documentaire insolent, qui tourne autour de quatre hommes. Certains d'entre eux ont largement dépassé l'inique âge pivot, mais ils s'activent pour redonner au vie au cinéma dans leur pays, le Soudan. Par cinéma il faut entendre les deux acceptions : l'oeuvre artistique et la salle de projection, les deux ayant été bannis par la dictature d'Omar El-Béchir, destitué en avril 2019 (deux mois après que ce film a reçu le prix du meilleur documentaire au festival de Berlin). Les quatre compères tentent d'obtenir le droit d'organiser une grande projection publique à Khartoum, en rénovant un cinéma en plein air abandonné et intitulé "La Révolution". L'un d'entre eux a également le souhait de récupérer son film de fin d'études au VGIK de Moscou. Ce n'est presque rien, tourné à la sauvette, mais c'est un acte de résistance qui dit presque tout.

SYNONYMES (Nadav Lapid, 27 mar) LL
Yoav (Tom Mercier), un jeune Israélien, débarque à Paris. Pendant qu'il prend une douche, ses affaires sont dérobées. Gelé, ayant perdu connaissance, il est recueilli par un couple de jeunes bourgeois parisiens (Louise Chevillotte et Quentin Dolmaire, déjà vus respectivement chez Philippe Garrel et Arnaud Desplechin). Il leur explique son rejet de son pays, Israël, et de l'hébreu, avec l'espoir que la France et la langue française le sauveront de la folie de son pays. C'est pourquoi il achète un dictionnaire français de synonymes... C'est très théorique, parfois trop, encore qu'on ne soit pas à un paradoxe près (Yoav accepte des petits boulots à l'ambassade). Heureusement, l'intérêt est rehaussé par le style de la mise en scène, l'interprétation de Tom Mercier, et, dans son final, une ironie qui n'épargne pas la France.

STAR WARS IX : L'ASCENSION DE SKYWALKER (J.J. Abrams, 18 déc) LL
Cette nouvelle trilogie avait gagné de l'ampleur avec Les Derniers Jedi, l'épisode réalisé par Rian Johnson. J.J Abrams revient aux manettes, avec la lourde responsabilité de clore une saga devenue mythique pour plusieurs générations de spectateurs qui n'en attendent pas forcément la même chose. Il fait le spectacle en multipliant les scènes d'action, mais paradoxalement cela manque d'épique (on est loin de Kurosawa ou du Spielberg des années 70 que Abrams affectionne). Même les révélations sur les origines de Rey n'arrivent pas à entretenir suffisamment le mythe. Par contre, la toute fin est assez belle, lorsque tout le monde s'en mêle. Et, en 40 ans, les rôles féminins ont gagné en ampleur : la princesse Leia a certes toujours eu de la personnalité, mais restait en même temps l'objet d'une convoitise amoureuse classique entre Luke Skywalker le jeune naïf et Han Solo le voyou magnifique...

SEULES LES BETES (Dominik Moll, 4 déc) LL
Dominik Moll, le réalisateur de Harry, un ami qui vous veut du bien (2000, son seul vrai coup d'éclat), nous revient avec une sorte de puzzle autour de la disparition d'une femme lors d'une tempête de neige sur le Causse Méjean. Le scénario, co-écrit avec le fidèle Gilles Marchand d'après un roman de Colin Niel, épouse les points de vue successifs de plusieurs personnages concernés de près ou de loin par cette disparition. Il se déroule sur deux continents, reliés par la mondialisation malheureuse et les solitudes, ultra-modernes ou non. Il en résulte un bon exercice de style, dans la réalisation comme dans l'interprétation, homogène (Denis Ménochet, Laure Calamy, Damien Bonnard), mais qui peine à dépasser vraiment les (habiles) ficelles de l'intrigue.

THE LIGHTHOUSE (Robert Eggers, 18 déc) L
Le projet intriguait (il y a un siècle, deux hommes contraints de cohabiter dans un phare isolé du reste du monde), les choix formels (noir et blanc, format de l'image) laissaient présager des qualités esthétiques. Mais on déchante vite devant ce film de petit malin qui n'est qu'ostentation : surcharge de la bande sonore, cabotinage des interprètes, prétention du scénario et des dialogues. Le "genre" a bon dos. Pour passer le temps, on cherche (et trouve) des métaphores. Mais, globalement, c'est une cuisine qui en met plein la bouche, mais ne nourrit pas...

LES EBLOUIS (Sarah Suco, 20 nov) L
C'est l'histoire d'une famille qui tombe sous la coupe d'une communauté religieuse. Peu à peu, l'aînée, une adolescente de 13 ans, déchante lorsqu'elle doit abandonner ses activités circassiennes, et finit par se rebeller et tente de sauver ses frères et soeurs... C'est un premier film à caractère autobiographique. Le sujet est inattaquable, mais il manque une vraie mise en scène qui nous ferait ressentir ce que l'on voit à l'écran. Ici, au contraire, toutes les informations passent par la parole, et les scènes, seulement illustratives, sont semblables à un téléfilm sans inspiration, malgré des interprètes qu'on aime bien par ailleurs (Darroussin, Caravaca).

Version imprimable | Films de 2019 | Le Dimanche 05/01/2020 | 0 commentaires




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