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Des films de fin 2023

Susceptible de s'étoffer dans les jours et semaines qui viennent

  • Bien : La Chimère (Alice Rohrwacher), Les Filles vont bien (Itsaso Arana), Sirocco et le royaume des courants d'air (Benoît Chieux), Winter Break (Alexander Payne), Yallah Gaza (Roland Nurier), L'Innocence (Hirokazu Kore-Eda), Killers of the flower moon (Martin Scorsese)
  • Pas mal : Perfect days (Wim Wenders), Past lives (Celine Song), Mars express (Jérémie Périn), Mon ami robot (Pablo Berger), Les Colons (Felipe Galvez Haberle), Le Temps d'aimer (Katell Quillévéré)
  • Bof : Babylon (Damien Chazelle), Voyage au pôle Sud (Luc Jacquet)

LA CHIMERE (Alice Rohrwacher, 6 déc) LLL
Arthur, un Anglais vivant en Italie, sort de prison. Il retrouve ses anciens compagnons qui l'incitent à reprendre une dernière fois du service. Si ce schéma de départ est classique, le reste ne l'est pas du tout. Le personnage principal est ainsi une sorte de sourcier capable de repérer et piller des tombes antiques (étrusques). Il s'agit donc d'une sorte de film d'aventures, roborative dans sa deuxième moitié, mais qui ne ressemble à rien de connu ni dans le cinéma commercial ni dans le cinéma d'auteur actuel. Sans être d'une profusion narrative exceptionnelle, le film arrive à surprendre, par le caractère insolite des personnages et par la façon dont ils sont filmés (la cinéaste Alice Rohrwacher s'autorisant à certains moments des effets d'autant plus convaincants qu'ils sont adaptés aux situations et ne relèvent pas d'un dispositif formaliste global). Une réussite singulière et d'une certaine manière gourmande.

LES FILLES VONT BIEN (Itsaso Arana, 29 nov) LLL
Une metteuse en scène emmène quatre jeunes comédiennes plus ou moins expérimentées répéter un spectacle qu'elle a écrit elle-même dans une maison à louer. C'est l'été, et, en dehors des répétitions, la sororité invite aux confidences... Pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, Itsaso Arana, actrice fétiche de Jonas Trueba (Eva en août, Venez voir), joue avec son propre rôle, et a gardé les prénoms réels de ses partenaires. Mais l'essentiel n'est pas de démêler le vrai du faux, mais plutôt de remarquer que, paradoxalement, le collectif libère des expressions individuelles intimes parfois difficiles à accoucher. Le constat est à l'image de la production de ce film, en apparence modeste ou mineur, mais en réalité bien plus nourrissant qu'un simple exercice de style.

SIROCCO ET LE ROYAUME DES COURANTS D'AIR (Benoît Chieux, 13 déc) LLL
Agnès, autrice de livre pour enfants, garde pour le week-end les filles d'une amie : Juliette, 5 ans, et Carmen, 8 ans. Pour tenir la distance, Agnès se permet une petite sieste. Pendant ce temps, Luna, une marionnette échappée d'un de ses livres, entraîne les deux soeurs au Royaume des courants d'air dirigé par Sirocco. C'est le début d'un récit bourré d'imagination, aérien et en même temps les pieds bien sur terre (puisque joliment initiatique). Visuellement, la richesse du trait, tant dans la représentation des paysages soumis aux éléments que dans des personnages bien trempés (comme la cantatrice Selma), pourra même rappeler les meilleurs Miyazaki.

WINTER BREAK (Alexander Payne, 13 déc) LLL
Hiver 1970. Quelques personnages (un prof, quelques élèves et la chef cuisinière de l'établissement) sont contraints de rester passer les vacances de Noël à l'intérieur d'un lycée huppé pour garçons du Massachusetts. Au bout d'un certain temps, curieusement, seul un élève reste retenu avec les deux adultes. Si au départ il y a quelques invraisemblances le film charrie néanmoins beaucoup de vérités... Formellement, dans le grain de l'image ou la B.O., Alexander Payne s'amuse à recréer le style des films américains (adultes) de l'époque. Mais, davantage que la forme, ce sont les personnages qui donnent sa profondeur au film : bien que situés a priori dans un milieu privilégié, ils sont cabossés et suscitent d'autant plus l'empathie que, dans le sillage d'un Paul Giamatti convaincant, ils se situent davantage du côté d'une certaine intégrité plutôt que d'un cynisme trop facile.

YALLAH GAZA (Roland Nurier, 8 nov) LLL
Quatre ans après Le Char et l'olivier, Roland Nurier livre un deuxième documentaire sur la Palestine, centré cette fois-ci sur la bande de Gaza. Il mêle témoignages contemporains, perspectives historiques et analyses par des spécialistes du sujet, pour un peuple de réfugiés qui sait d'où il vient et souhaite construire son avenir et conquérir le droit à exister, s'autodéterminer, et vivre normalement, grâce à un haut niveau d'éducation. Les difficultés sont immenses compte tenu du blocus maritime, terrestre et aérien depuis 2007, les offensives répétées d'Israël (l'opération "Bordures protectrices" en 2014 qui a inspiré la chanson de Michel Bühler au générique final), ou la répression meurtrière et mutilante des paisibles "marches pour le retour" en 2018. Le film prend involontairement un caractère posthume compte tenu du niveau du massacre actuel...

L'INNOCENCE (Hirokazu Kore-Eda, 27 dév) LLL
Le titre original s'intitule Kaibutsu, qu'on peut traduire par "monstre" en français (à l'international le film est d'ailleurs connu sous le titre Monster). Est-ce à dire que le distributeur français a préféré l'antiphrase ? Ce n'est pas si simple. Dans les dialogues, on entend effectivement à plusieurs reprises le terme monstre, mais pas pour désigner la même personne. Le film est construit sur trois versions successives autour de la personnalité complexe d'un élève de CM2. Est-ce que cela cache des faits de harcèlement, et de qui sur qui ? La première boucle est centrée sur la mère célibataire de l'enfant, la deuxième sur celui de son instituteur, et la dernière centrée sur l'enfant et qui construit un épilogue qui redéfinit le sujet du film (prix du scénario à Cannes). Et si la monstruosité ne désignait en définitive moins un personnage en particulier que les mécanismes pluriels ou collectifs de rumeurs, faits alternatifs, et intolérances à ce qui est autre ?

KILLERS OF THE FLOWER MOON (Martin Scorsese, 18 oct) LLL
Etats-Unis, il y a un siècle. Par le hasard de la géologie, le peuple Osage s'enrichit par l'exploitation du pétrole. Cela suscite la convoitise de certains WASP qui développent des stratégies diaboliques pour récupérer le pactole par héritage... Le principe du film s'écrit en trois lignes et pourtant il dure 3h26 tout en n'étant jamais ennuyeux. Dans un classicisme formel assumé, le cinéaste développe quelques personnages : William Hale, le cerveau criminel, le commanditaire, Ernest son neveu, écartelé entre sa loyauté envers son oncle et son amour pour la famille (femme et enfants) qu'il a fondée. Robert de Niro et Leonardo Di Caprio cabotinent juste ce qu'il faut, le premier dans la rouerie, le second comme esprit lâche et torturé. Et entre les deux Lily Gladstone est impériale.

PERFECT DAYS (Wim Wenders, 29 nov) LL
Le récit est entièrement centré sur Hirayama, un homme sexagénaire agent d'entretien des toilettes, parfois ultra design, de Tokyo (Koji Yakusho, prix d'interprétation à Cannes). On a d'ailleurs d'abord la désagréable impression que les autres personnages ne sont que des faire-valoir pour cet anti-héros presque muet et observateur. Heureusement, le film gagne en profondeur dans sa deuxième partie. Son élégance n'est donc pas que feinte, et peut toucher, et même si les images ne sont pas toujours à la hauteur ou frôlent le cliché, le film donne davantage qu'un prétexte pour écouter les morceaux préférés d'Hirayama (le réalisateur de Buena Vista Social Club a toujours l'oreille musicale : Lou Reed, Van Morrison, Nina Simone...).

PAST LIVES (Celine Song, 13 déc) LL
Une fille (Na Young) et un garçon (Hae Sung) sont des enfants coréens de 12 ans, et sont surtout les meilleurs amis du monde. Soudain, la famille de Na Young émigre au Canada (Toronto). Douze ans plus tard, Na Young, elle-même expatriée aux Etats-Unis, et se faisant désormais appeler Nora Moon, reprend contact avec son ami d'enfance (qui l'avait cherchée en vain) via les réseaux sociaux ou par vidéoconférence. Elle prend plaisir à ses retrouvailles distantes, mais décide pourtant de temporiser (et une nouvelle ellipse de douze ans intervient). La pudeur des interprètes nourrit cette histoire contrariée, qui manque toutefois de relief (on n'est pas dans Brève rencontre de David Lean ou chez Wong Kar-wai) et d'enjeu secondaire (le film se contente d'enregistrer superficiellement la richesse et les tiraillements de la double culture). 

MARS EXPRESS (Jérémie Périn, 22 nov) LL
Dans un futur lointain, ce qui reste de l'humanité a colonisé Mars. Êtres humains et robots vivent ensemble. Une détective privée humaine fait équipe avec un robot pour enquêter sur la disparition d'une jeune fille... Cette SF s'appuie sur des expériences qui nous sont parfois familières (l'envahissement du numérique, la perte de maîtrise). S'il reste des différences entre êtres humains et robots, les premiers (dont l'héroïne) sont "augmentés" et les seconds font parfois office de nouveaux prolétaires. Le film souffre peut-être un peu d'un trop plein : en 1h25 cela fait beaucoup d'éléments, pas toujours assez exploités. Et l'animation m'a donné l'impression de rendre les personnages plus distants qu'en prises de vue réelles.

MON AMI ROBOT (Pablo Berger, 27 déc) LL
Pablo Berger est un cinéaste plutôt rare qui s'essaye à chaque fois à des exercices de style différents : un film d'époque racontant le tournage d'un film sexuel "éducatif" destiné à l'export pendant le règne (finissant) de Franco (Torremolinos 73), une variation jubilatoire autour de Blanche-Neige, façon muet en noir et blanc (Blancanieves, qui a enchanté les cinéphiles du monde entier). Ici, le quatrième film de Pablo Berger est également dépourvu de dialogues. C'est une adaptation d'un roman graphique américain de Sara Varon. L'action est située il y a quelques décennies à New York. Les êtres humains sont figurés en animaux. Le personnage principal est ainsi un chien bipède se comportant comme un être humain qui, pour tromper son ultra moderne solitude, commande un robot. C'est le début d'une amitié réciproque entre eux, mais malheureusement aussi contrariée que dans le récent Past lives ! L'animation m'a cependant semblé un peu trop banale pour être à la hauteur des intentions.

LES COLONS (Felipe Galvez Haberle, 20 déc) LL
Terre de Feu, début du XXè siècle. Un riche éleveur de moutons engage trois cavaliers pour se débarrasser de la population autochtone qui s'attaque à ses troupeaux, à la frontière (encore à déterminer) entre le Chili et l'Argentine. Bien qu'accompagnant l'expédition, la mise en scène porte un regard anticolonialiste sur l'extermination du peuple Selknam. Les grands espaces donnent des allures de western même si, au niveau du récit comme des personnages (et malgré le mutisme éloquent d'un métis), ce premier long métrage peine parfois à se hisser à la hauteur de son ambition.

LE TEMPS D'AIMER (Katell Quillévéré, 29 nov) LL
L'histoire d'un couple à secrets, pendant les Trente Glorieuses. Comme dans Suzanne, l'un des précédents films de la cinéaste, certaines ellipses sont puissantes, mais ici elles soulignent d'autant l'incapacité des images à se hisser à la hauteur du sujet. Les tonalités saturées de certaines couleurs n'en font pas pour autant un ersatz flamboyant des mélos de Douglas Sirk. Si le résultat n'est pas un navet, il le doit avant tout à ses interprètes, avec en particulier une Anaïs Demoustier dont le jeu n'est pas sans rappeler celui de la Nathalie Baye des années 1980...

BABYLON (Damien Chazelle, 18 jan) L
Il y a certes des éléments intéressants sur le cinéma des années 1920 : l'apogée créatrice du cinéma muet, l'effervescence amorale du Hollywood de l'époque, les réalisatrices et productrices pas encore écartées du pouvoir, les difficultés techniques du passage au parlant... Mais la fresque est tellement boursouflée et vulgaire que, malgré la découverte d'un acteur intéressant (Diego Calva), aux côtés de Margot Robbie et Brad Pitt, on frise l'indigestion !

VOYAGE AU POLE SUD (Luc Jacquet, 20 déc) L
Vu en avant-première surprise, le film a une audace : celle du noir et blanc. Ce choix est probant, dans le sens où il magnifie les paysages. La bande-son est en revanche un supplice, où les quelques sons naturels sont couverts par une voix off d'une grande platitude et une musique envahissante. Les images sont tournées avec de grands moyens (drones etc) et peuvent impressionner, mais Luc Jacquet s'invite souvent dans le plan (on a l'impression d'une soirée diapo où on ne voit que l'hôte). Heureusement qu'il y a les animaux, honnêtes eux : loutres, phoques, manchots qui ne sont pas des bandits...

Version imprimable | Films de 2023 | Le Mardi 09/01/2024 | 0 commentaires




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