PARASITE (Bong Joon-Ho)
Ki-woo, jeune adulte au sein d'une famille pauvre (ses deux parents sont au chômage), tient peut-être la chance de sa vie lorsqu'un copain le recommande pour donner des cours particuliers d'anglais à la fille de la richissime famille Park. L'expérience étant concluante, il ne compte pas s'arrêter là... On sait depuis The Host (2006) que Bong Joon-ho n'est jamais aussi bon que lorsqu'il mélange les genres. C'est indubitablement le cas ici, et c'est sans doute ce qui a été récompensé à Cannes (Palme d'or). Le film tient surtout de la farce sur le fossé entre classes sociales opposées. Il fait une utilisation optimale des décors, et de l'interprétation de Song Kang-ho (qui joue le père de Ki-woo). Pour le reste, il s'appuie surtout sur des coups de force scénaristiques, que la mise en scène, aussi inventive soit-elle, ne fait qu'appuyer. C'est un exercice de style brillant, à défaut d'avoir l'amplitude et la subtilité des chefs d'oeuvre.
PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU (Céline Sciamma)
Au XVIIIè siècle, Marianne, une jeune femme peintre (fille de...) est chargée de faire le portrait à son insu d'Héloïse, une jeune bourgeoise sortie du couvent pour être mariée de force au fiancé de sa soeur prématurément décédée. Peint selon les règles en vigueur à l'époque, le résultat est peu probant. Mais les deux jeunes femmes vont se rapprocher... La photographie est magnifique, mais le film n'est pas académique pour autant : certaines scènes très fortes sont représentées de façon inattendue. Le film ne peut absolument pas se réduire au scénario, primé à Cannes et par ailleurs effectivement intéressant (sur ces femmes peintres qui ont disparu de l'histoire de l'art). C'est peu de dire que Noémie Merlant (décidément une révélation de l'année après Les Drapeaux de papier et Curiosa) et Adèle Haenel excellent, leur duo s'ouvrant parfois à Luana Bajrami (la servante) et Valeria Golino (la mère d'Héloïse), comme si la sororité pouvait dépasser un temps les clivages de classe. Céline Sciamma, très à l'aise pour filmer le contemporain (Naissance des pieuvres, Tomboy), sort en apparence de sa zone de confort (en apparence seulement, puisqu'elle continue de filmer au présent, en quelque sorte) tout en confirmant son immense talent.
DOULEUR ET GLOIRE (Pedro Almodovar)
Salvador est cinéaste vieillissant. Il doit surmonter les douleurs, physiques ou psychiques, qui le tiennent éloigné des plateaux de tournage. Un ciné-débat est organisé à la Cinémathèque pour la restauration d'un de ses premiers films, qu'il n'a pas revus depuis trente ans, après s'être brouillé avec l'acteur principal. Des souvenirs plus anciens, de l'enfance, remontent aussi à la surface... Dit comme ça, le synopsis peut ressembler à celui des Fraises sauvages de Bergman, mais la manière est on ne peut plus almodovarienne. Le cinéaste de Parle avec elle ou de Julieta n'a pas son pareil pour tisser des fils narratifs disparates, mélangeant plusieurs époques et/ou plusieurs statuts (réalité ou création) et passer des uns aux autres en toute fluidité. Evidemment, dans le rôle de Salvador, Antonio Banderas est exceptionnel (prix d'interprétation mérité à Cannes, si ce n'est que ça prive une nouvelle fois le cinéaste de la Palme d'or), mais c'est l'ensemble de la direction artistique qui est à saluer : musique (due au fidèle Alberto Iglesias), photographie (couleurs saturées à la Douglas Sirk pour accompagner les aspirations généreuses des personnages), décors (superbe trouvaille de la maison troglodyte, mais l'appartement contemporain n'est pas banal non plus). Devant tant de beauté, gare à l'évanouissement !
LE TRAÎTRE (Marco Bellocchio)
Cela commence par une fête interne à Cosa nostra, au début des années 1980, où les mafieux de Palerme et ceux de Corleone scellent leur entente pour se partager les fruits du trafic d'héroïne. Tout le reste du film, qui ne verse jamais dans une mythologie à l'américaine, va démentir ces flonflons. On suit en particulier Tommato Buscetta, l'un des premiers "repentis" de Cosa nostra (lui dit qu'il est resté fidèle à son "honneur" mais que c'est l'organisation qui a trahi ses valeurs), et qui va surtout collaborer avec le juge Falcone. Les deux hommes savent que les risques qu'ils prennent sont immenses. Cela aboutira à un maxi-procès qui donne lieu aux scènes les plus extravagantes et les plus fortes du film (où les prévenus sont contenus tant bien que mal dans des cages grillagées tel des fauves). Marco Bellocchio change de style et surprend avec cette fresque chronologique mais d'une grande ampleur. Quant à Pierfrancesco Favino, magistral en Buscetta, il aurait très bien pu obtenir le prix d'interprétation à Cannes, si la Palme d'or avait échu à Douleur et gloire. Dans la vraie vie, Almodovar n'a pas eu la récompense suprême, et Le Traître est malheureusement rentré bredouille...
LES MISERABLES (Ladj Ly)
Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité (BAC) de Montfermeil. Il fait connaissance avec ses deux nouveaux coéquipiers, ainsi qu'avec la réalité sociale des quartiers, son économie parallèle faute de mieux. En enquêtant sur le vol d'un lionceau, ils procèdent à des interpellations musclées. L'une tourne mal, et est de plus filmée par un drone... Le premier film de fiction de Ladj Ly s'inspire d'un fait divers survenu en 2008. Si la forme ne renouvelle pas le genre (beaucoup de scènes "nerveuses" caméra à l'épaule), le fond est digne d'intérêt et échappe au sensationnalisme dépolitisé à la Dheepan de Jacques Audiard. Au contraire, à l'exception de la manière peu amène dont il filme des forains caricaturaux, il dénonce les agissements de la BAC, mais en les analysant en premier lieu comme des effets de structure, les personnages étant montrés de manière nuancée. Alors que des géographes médiatiques opposent les pauvres entre eux (banlieues vs campagnes), ce film a au moins le mérite de remettre les pendules à l'heure.
ONCE UPON A TIME... IN HOLLYWOOD (Quentin Tarantino)
Leonardo Di Caprio interprète un acteur qui peine à sortir des rôles de méchant, et Brad Pitt incarne sa doublure pour les cascades. Ils habitent à côté du couple Roman Polanski - Sharon Tate, on est en 1969... Première surprise, de taille : le Hollywood du titre n'est pas celui du cinéma, mais celui des séries. Quoi, Tarantino, l'amoureux de la pellicule argentique, rend hommage à la télévision ? Son film est une longue suite de scènes qui ne fonctionnent pas très bien (même une séquence humoristique avec soi-disant Bruce Lee est poussive). En fait, tout est fait pour servir un final plus indigeste encore que celui de Inglorious basterds. Tarantino utilise son talent et ses très gros moyens pour parodier des revenge movie de série Z ? Quel gâchis...
ALICE ET LE MAIRE (Nicolas Pariser)
Paul Théraneau (Fabrice Luchini), le maire de Lyon, n'a plus d'idées. Pour y remédier, on fait appel à une jeune et brillante philosophe, Alice Heimann (Anaïs Demoustier). Un dialogue se noue... Pour son deuxième long métrage, Nicolas Pariser livre un film très écrit, dans une certaine tradition (le titre renvoie à L'Arbre, le maire et la médiathèque, film inclassable d'Eric Rohmer), mais tout en étant très contemporain. Il fait une description précise et cruelle du vide vers lequel s'est dirigée la sociale-démocratie, particulièrement dans les grandes villes (Lyon 2500), ainsi que des dangers de la professionnalisation de la vie politique. La dernière réplique est à l'image de l'ironie qui traverse tout le film. L'épilogue, désabusé, prend néanmoins le risque de conforter les résignés dans leur résignation, même si ce n'est pas le but recherché...
MARTIN EDEN (Pietro Marcello)
Martin Eden est un jeune marin qui, à la suite d'une action de bravoure, rencontre une jeune femme bourgeoise, Elena. Celle-ci veut faire son éducation et l'ouvrir à la littérature. Martin finit par se mettre en tête de devenir écrivain. Mais ce qu'il a à écrire n'est pas forcément du goût qu'a appris à aimer la jeune femme... Le film donne vraiment envie de se plonger dans le roman d'apprentissage de Jack London. L'action est transposée en Italie à une époque indéfinie (dans la première moitié du XXè siècle, mais on y entend Joe Dassin...), et cela rend l'adaptation assez vivante, voire contemporaine : vu d'ici et maintenant, l'histoire de cet écrivain transclasse peut également faire penser à Edouard Louis. Et les aspirations à un anticapitalisme plus libertaire que le socialisme doctrinal de l'époque peuvent encore parler au lecteur/spectateur d'aujourd'hui.
POUR SAMA (Waad Al-Kateab, Edward Watts)
Waad Al-Khateab était encore étudiante lorsque la révolution a éclaté en Syrie, en 2011, et qu'elle a commencé à la filmer, d'abord avec un smartphone, puis une petite caméra. Elle documente les manifestations étudiantes, la répression, puis, plus tard, les bombardements orchestrés par les troupes de Bachar Al-Assad et de ses alliés russes. Mais c'est aussi le récit de la vie d'un jeune couple, celui formé par Waad et Hamza, jeune médecin, la naissance de leur enfant... Le documentaire est à la fois film de correspondante de guerre, portrait de ville (Alep), film de famille et journal intime. Certes, il faut avoir le coeur bien accroché devant certaines scènes, mais il faut le voir quand même, car c'est un document exceptionnel, qui remet les choses à leur place. Vu de France, il a surtout été question de la lutte - indispensable - contre Daesh, au risque de considérations géopolitiques manichéennes (telle ironie facile sur la fiabilité d'informations autour d'hôpitaux qui étaient frappés plusieurs fois), auquel le film apporte des réponses substantielles. Paradoxalement, il y a malgré tout beaucoup de vie dans ce documentaire, et c'est bouleversant.
J'AI PERDU MON CORPS (Jérémy Clapin)
Montage alterné de deux histoires. Dans l'une, Naoufel, un jeune livreur de pizza orphelin, tombe amoureux de Gabrielle, dont il n'entend au début que la voix agacée lors d'une livraison ratée. Dans l'autre, sans parole, une main s'échappe d'un laboratoire et se met à la recherche de son propriétaire. On frissonne lorsqu'elle doit traverser la ville. Car, en plus, cette main, on va s'apercevoir qu'elle est dotée d'une âme. Elle se souvient du corps auquel elle était reliée, comme une personne mutilée continue de ressentir des sensations du membre perdu... Et bien sûr, les deux histoires ont partie liée. Guillaume Laurant (coscénariste du Fabuleux destin d'Amélie Poulain) est à l'origine de cet excellent scénario, mais c'est la manière avec laquelle Jérémy Clapin, dont c'est le premier long métrage, s'en empare qui fait le sel de ce film d'animation. L'inventivité est à tous les étages, sans que cela vire à la performance ; au contraire cette richesse nourrit l'intérêt que l'on porte à cette fable très singulière.
LE LAC AUX OIES SAUVAGES (Diao Yinan)
Un soir de pluie, sur le quai d'une petite gare, un homme et une femme font connaissance. Ils ne s'étaient jamais croisés, mais ne se rencontrent pas par hasard. Quelques flash-backs nous apprennent que Zhou Zenong fait partie d'un gang qui vole des motos et qu'il a tué un policier, pensant tirer sur un concurrent, tandis que Liu Aiai est une "baigneuse" (une prostituée) qui connaît la femme de Zhou. Compte tenu de la récompense accordée à qui retrouvera et dénoncera le fugitif, ce dernier est recherché à la fois par la police et par des truands... Diao Yinan s'était déjà fait remarquer il y a 5 ans avec Black coal, un polar dans le milieu minier. Ici, il livre un film d'une ampleur plus grande, de par une intrigue retorse, une direction d'acteurs impeccable (des personnages aux visages impénétrables pour ne pas signaler leurs intentions), et l'une des plus grandes mises en scène du dernier festival de Cannes, au niveau sonore comme visuel, dans la façon dont les scènes s'agencent et se répondent. Un travail qui, sans jamais tomber dans le pur exercice de style, peut faire écho aux films noirs de toujours comme aux films contemporains de Jia Zhang-Ke.
UNE GRANDE FILLE (Kantemir Balagov)
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans un Léningrad en ruines, deux jeunes femmes, Iya et Masha, tentent de se reconstruire et de donner un sens à leur vie. Démobilisées de l'Armée rouge, elles sont aides-soignantes dans un hôpital militaire. La première est une grande blonde timide, victime de crises de paralysie temporaires. La seconde est une petite rousse volubile, revenue stérile du front. Elles sont liées par une tragédie (il y a une scène terrible dans les 20 premières minutes). L'histoire des deux héroïnes est forte, les personnages secondaires aussi, et la mise en scène encore plus : plans-séquences posés mais tendus, immense travail sur la lumière et les couleurs (rouges et verts crus), dans un style aux antipodes de Tesnota, son précédent film (que je n'avais pas aimé). Bien sûr ça n'a rien d'un divertissement, mais ce n'est pas une punition non plus, tant la puissance humaine et artistique devrait venir à bout des réticences a priori.
AN ELEPHANT SITTING STILL (Hu Bo)
Pas vu...
EL REINO (Rodrigo Sorogoyen)
Manuel Lopez-Vidal est un homme politique influent dans sa région. Alors qu'il s'apprête à rejoindre la direction nationale de son parti, il se retrouve impliqué dans une affaire de corruption qui menace un de ses amis les plus proches et peut-être le parti tout entier. Mais Manuel n'est pas disposé à s'avouer vaincu. Il va tout faire pour sauver sa peau, quitte à éclabousser les autres. C'est le début d'un engrenage infernal... L'originalité de ce thriller politique est de se mettre dans les pas d'un corrompu (joué par l'excellent Antonio De la Torre) qui ne veut pas payer pour tous les autres. Après Que Dios nos perdone il y a deux ans, Rodrogo Sorogoyen livre un nouveau film tout en tension. Il a commencé comme script doctor pour des séries, et effectivement c'est le scénario qui impressionne, montrant la vaste étendue des institutions touchées, alors que la mise en scène est certes efficace mais plus monocorde.
SIBEL (Cagla Zencirci, Guillaume Giovanetti)
Dans une vallée proche de la mer Noire en Turquie, les réseaux de communication moderne ne marchent pas ou peu, et pour communiquer d'une plantation à l'autre, les habitants utilisent une langue sifflée qui se transmet depuis des générations. C'est le seul langage que peut utiliser Sibel, une jeune femme muette de 25 ans et par ailleurs fille du maire. Pour se faire accepter, elle tente de chasser le loup qui rôde paraît-il dans la forêt alentour qu'elle connaît comme sa poche. Mais elle y fera une autre rencontre, musclée, celle d'un déserteur qu'elle va soigner et cacher... Bien sûr le film va tourner autour du courage, politique, de la jeune femme et du combat pour son émancipation à l'intérieur d'une société traditionnelle. Mais ce matériau est transcendé par la forme, qui rend ce conte constamment captivant. Damla Sönmez, qui interprète le rôle principal, est une vedette dans son pays, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on comprend pourquoi...
LA FAMEUSE INVASION DES OURS EN SICILE (Lorenzo Mattotti)
Pas vu...
|
Recherche d'articles |
Archives par mois
Liens cinéphiles
Il n'y a pas que le ciné dans la vieDes liens citoyens
|
Derniers commentaires
→ plus de commentaires