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Des films pour débuter l'année 2020

  • Bien : 3 Aventures de Brooke (Yuan Qing), Séjour dans les monts Fuchun (Gu Xiaogang), Histoire d'un regard (Mariana Otero), Les Filles du docteur March (Greta Gerwig), La Voie de la justice (Destin Daniel Cretton)
  • Pas mal : La Cravate (Etienne Chaillou, Mathias Théry), Les Siffleurs (Corneliu Porumboiu), Revenir (Jessica Palud), Le Miracle du Saint inconnu (Alaa Eddine Aljem), Les Enfants du temps (Makoto Shinkai)

3 AVENTURES DE BROOKE (Yuan Qing, 15 jan) LLL
Xingxi, une jeune Chinoise, voyage seule en Malaisie. Le 30 juin, par une journée de grande chaleur, elle est victime d'une crevaison de vélo... C'est le point de départ identique de trois aventures distinctes, comme parallèles. Elle y fait à chaque fois des rencontres différentes (certains personnages, principaux dans un segment, deviennent figurants dans les autres). Le principe peut rappeler le cinéma de Hong Sang--soo, notamment In another country. On peut y voir aussi une réminiscence d'Un jour sans fin (à chaque fois que l'histoire recommence, on en découvre un peu plus sur cette jeune fille, qui se complexifie, comme si elle-même prenait de l'expérience). Le film est aussi plein d'esprit sur les lieux traversés. Mais il s'agit surtout d'un hommage à Eric Rohmer, qui se confirme par la troisième histoire, où Xingxi rencontre un écrivain français joué par Pascal Greggory, et avec une fin qui rappellera subtilement Le Rayon vert. Toutes ses influences n'écrasent pas ce premier long métrage, dans lequel la réalisatrice Yuan Qing a réussi à trouver une personnalité propre.

SEJOUR DANS LES MONTS FUCHUN (Gu Xiaogang, 1er jan) LLL
Dès son premier long métrage, Gu Xiaogang affiche son ambition, avec le premier volet d'une fresque familiale se déroulant dans la région de Fuyang, une petite ville, sujet de la peinture en rouleau Séjour dans les monts Fuchun il y a plus de 600 ans. Tout commence par l'anniversaire de la grand-mère, fêté dans le restaurant de son fils aîné, celui qui a le mieux réussi. Le second est un pêcheur qui habite avec sa femme et son fils dans un bateau, en attendant un relogement (sa maison devant être détruite). Le troisième élève seule un fils handicapé et est criblé de dettes. Le dernier est dépeint comme immature car toujours pas marié. Tout se complique quand la grand-mère perd de son autonomie... Les meilleures scènes sont celles qui mêlent roman familial, mutations de la ville et permanence du paysage entre montagne et fleuve, tel ce travelling qui suit la fille du restaurateur et son amoureux se défier, l'une à terre, l'autre dans l'eau, puis revenant par l'autre rive, dans un unique et impressionnant plan-séquence.

HISTOIRE D'UN REGARD
(Mariana Otero, 29 jan) LLL
Gilles Caron est un photo-journaliste disparu  brutalement à 30 ans au Cambodge, en 1970. C'est lui qui avait pris la célèbre photographie montrant Cohn-Bendit narguant par un étrange sourire un policier en Mai 68. Mais il fut surtout reporter de guerre. Mariana Otero a eu accès aux 100 000 clichés qu'il réalisa (des milliers de planches-contacts). Elle tente de reconstituer son histoire, la construction de son regard, le plus souvent à partir des images, mais également avec d'autres éclairages, d'historiens ou de témoins. Le regard est double : celui de Gilles Caron sur le monde, et celui, tout aussi personnel, de Mariana Otero sur son travail. Elle ne cache pas ses motivations propres (la fin précoce et assez mystérieuse du personnage renvoyant au destin de sa propre mère, qu'elle avait racontée dans Histoire d'un secret). Un travail minutieux que la cinéaste sait rendre captivant.

LES FILLES DU DOCTEUR MARCH (Greta Gerwig, 1er jan) LLL
Première impression sans avoir lu ce classique de la littérature de Louisa May Alcott ou vu ses précédentes adaptations : le film est assez riche. Les quatre soeurs sont toutes intéressantes, ont toutes leur personnalité, même si est privilégiée Jo l'aspirante écrivaine, sorte de double de la narratrice, interprétée en outre par Saoirse Ronan (la Lady Bird du précédent film de Greta Gerwig). On peut ironiser sur certains aspects du roman (les riches voisins plein de sollicitude pour les moins favorisés), sur une image parfois trop iconique ou une musique un peu envahissante. Mais au fil du temps, ces excès de forme s'estompent, car on est pris par l'approfondissement des personnages comme par le sous-texte féministe. Les allers retours incessants entre passé et présent sont assez logiques (le projet du film n'est-il pas une relecture d'un texte du XIXè siècle avec l'acuité d'aujourd'hui ?). Et le compromis trouvé entre oeuvre hollywoodienne et indépendante est parfaitement assumé par la malicieuse fin entourant le personnage de Jo. Beau travail. 

LA VOIE DE LA JUSTICE (Destin Daniel Cretton, 29 jan) LLL
Après des études à Harvard, le jeune avocat Bryan Stevenson ne choisit pas la facilité en se rendant en Alabama défendre, avec l'aide d'Eva Hansley, une militante locale, ceux qui ont été condamnés à tort. C'est le cas de Walter McMillian, condamné à mort pour le meurtre d'une jeune fille de 18 ans, l'accusation ne tenant que sur un unique témoignage d'un criminel aux motivations obscures. Certes, la critique du système judiciaire américain et du racisme traversant la société n'est pas nouvelle. Mais ce film-dossier, basé sur une affaire réelle, évite l'académisme d'un Green book tout comme les effets de manche. Après States of Grace, Destin Daniel Cretton confirme son goût pour un cinéma mature se rapprochant de certaines réussites des années 90, et livre un film "Negawatt", car il associe sobriété, efficacité et plaisir renouvelable...

LA CRAVATE (Etienne Chaillou, Mathias Théry, 5 fév) LL
Après La Sociologue et l'ourson, excellent documentaire truffé de pertinentes séquences d'animation, Etienne Chaillou et Mathias Théry confirment leur goût pour des dispositifs audacieux. Le point de départ est classique : ils suivent Bastien, la vingtaine, militant depuis plusieurs années au Front national (devenu RN), pendant de longs mois, entre 2016 et 2017. La cravate est l'objet de la respectabilité pour le jeune homme, après un passé aux lourds secrets, mais c'est aussi le symbole de l'entreprise médiatique de dédiabolisation du parti fondé par Le Pen père. Le dispositif particulier est celui-ci : le son de scènes entières est remplacé par une voix off lisant un texte littéraire sur lequel doit se prononcer a posteriori Bastien, qui donne son avis un an plus tard, face caméra, confortablement installé dans un fauteuil. Sans doute cela permet de désamorcer les tentatives de manipulation ou de persuasion que chacun veut provoquer chez l'autre, et d'aller plus loin dans l'analyse, mais avec l'inconvénient que le spectateur a moins de liberté pour interpréter les scènes auxquelles il assiste...

LES SIFFLEURS (Corneliu Porumboiu, 8 jan) LL
Cristi (Vlad Ivanov, comme toujours excellent) est un inspecteur de police corrompu, soupçonné par ses supérieurs et mis sur écoute. La sulfureuse Gilda, qui se fait passer pour sa maîtresse (ou son escort), l'embarque passer des vacances dans une île des Canaries où il doit apprendre le Silbo, une langue sifflée ancestrale, afin de libérer au nez de la police l'un des trafiquants. Mais l'imprévu arrive et tout se complique... Corneliu Porumboiu applique les codes du film noir. Le scénario est sinueux, beaucoup de personnages sont en effet dans un double jeu. Mais, à l'intérieur de ces règles imposées, le cinéaste arrive néanmoins par moments à distiller l'humour à froid et la causticité qui faisaient le sel de ses réalisations précédentes (Policier, adjectif, Le Trésor).

REVENIR (Jessica Palud, 29 jan) LL
Thomas (Niels Schneider), qui s'est installé au Canada, revient dans la ferme familiale, alors que son frère n'est plus là, que sa mère est malade, et que son père (Patrick d'Assumçao) n'arrive pas à lui pardonner. Seule sa belle-soeur (Adèle Exarchopoulos) et son neveu semblent contents de le voir débarquer... Un nouveau drame rural après ceux d'Hubert Charuel (Petit paysan) et d'Edouard Bergeon (Au nom de la terre). Jessica Palud réussit bien à restituer la moiteur de l'été, qu'on devine caniculaire, les personnages sont finement écrits (et excellemment interprétés), même s'il y a quelques maladresses dans la mise en scène (une scène d'amour dans la boue trop cliché pour être authentique).

LE MIRACLE DU SAINT INCONNU (Alaa Eddine Aljem, 1er jan) LL
En fuite dans le désert marocain, un truand enterre son butin au sommet d'une colline, juste avant son arrestation. Des années plus tard, à sa sortie de prison, il revient sur les lieux pour récupérer le magot. Malheureusement, à cet endroit, un mausolée, gardé nuit et jour, a été construit en hommage à un saint inconnu. Il s'installe dans le village voisin... Pour son premier film, Alaa Eddine Aljem choisit un burlesque lent, qui peut rappeler un peu les univers d'Aki Kaurismaki ou de Elia Suleiman, la dimension politique en moins. Encore qu'il y a un petit côté satirique de la vie de la communauté, avec l'installation d'un jeune médecin dans le village. Pas complètement abouti mais prometteur.

LES ENFANTS DU TEMPS (Makoto Shinkai, 8 jan) LL
Hodaka, un jeune lycéen, fugue et rejoint Tokyo, alors que des pluies diluviennes frappent la capitale, lors d'un été pourri. Pour gagner sa vie, il trouve un poste dans une revue dédiée aux phénomènes paranormaux, et croise la route de Hina, une "fille-soleil" qui a un don : celui de provoquer des éclaircies... Makoto Shinkai avait frappé fort avec Your name, son précédent film d'animation. Celui-ci est beaucoup plus linéaire. Il brasse de nombreux thèmes (les dérèglements climatiques, la responsabilité que confèrent les dons, les choix entre conformisme et désobéissance, ou entre individualisme et sacrifice) sans les transcender : la réflexion tourne cette fois un peu court...

Version imprimable | Films de 2020-2021 | Le Mardi 18/02/2020 | 0 commentaires




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